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Quand Janice atteignit l’étage de la résidence, tout était silencieux. Ça la rendit nerveuse. Elle avait entendu son dernier cri. Il exprimait tant de souffrances qu’elle craignait pour sa sécurité. Comment une telle chose pouvait-elle lui arriver ? Il était plus puissant que n’importe quel chaman norm !

Elle évita le trou, dans le plancher de l’entrée. Elle ne sentait pas de magie alentour. La destruction de ce niveau était purement physique.

Les portes principales de l’appartement étaient ouvertes. Une forte odeur de sang parvint à ses narines. Prudente, Janice avança.

Une fois dans le dédale de pièces de la résidence, elle identifia l’odeur de deux étrangers. Le premier, un homme, lui sembla vaguement familier ; l’autre, une femme, ne lui disait rien. Mais la senteur qu’elle cherchait était absente.

Un sifflement électronique lui déchira les oreilles. Il était si haut dans la gamme que les humains ne le percevaient sans doute pas. C’était un signal lancé par les intrus. Il provenait d’une salle, un peu à l’est du sanctuaire.

En approchant, la peur de Janice s’accrut. Les odeurs se firent plus fortes. Enfin, elle perçut celle de Dan. Mais son soulagement fut de courte durée. Le signal continuait ; Shiroi l’aurait stoppé s’il le pouvait. Pire, Janice sentit le parfum de la magie et entendit le murmure d’une voix d’homme. Ce n’était pas celle de Dan. Elle avança encore.

Ce qu’elle vit lui arracha un haut-le-cœur. Le cadavre de Dan était étendu sur ce qui restait de la moquette. Sa silhouette était émaciée ; ses os pointaient sous sa peau. Sa fourrure blanche était collée par le sang. Sa main droite, qui l’avait tant caressée, avait disparu.

Janice oublia ses craintes et sa prudence. Elle se jeta sur lui en pleurant. Elle refusait de croire qu’il était mort, mais ses yeux remplis de larmes voyaient le sang et les blessures. Il ne respirait plus ; son corps était glacé.

— Foutredieu, Twist. Il a une femelle !

Les paroles de Willie déchirèrent sa tristesse. Elles provenaient d’un récepteur que portait le chaman norm. Pourtant, elle les avait entendues. Elle leva les yeux et fixa les intrus pour la première fois.

La femme appuyée contre la cloison agonisait. L’homme était le chaman qui avait envoyé un esprit contre Dan. Il serrait une petite dague contre sa poitrine. Une machine à quatre roues venait d’arriver ; elle pointait le canon d’une arme sur elle.

C’étaient eux qui lui avaient volé Dan.

Ils vont mourir pour ça !

Le chaman brandit sa dague, mais il était trop faible pour agir. La sonde de combat fit pivoter sa tourelle, prête à ouvrir le feu.

Janice se heurta à un mur invisible… La barrière mystique avait l’odeur de Dan !

Elle se retourna, heureuse ; la tête du wendigo était penchée vers elle. Ses yeux étaient ouverts, mais il ne la voyait pas.

Elle s’agenouilla près de lui et l’embrassa sur les lèvres. Sa joie fut de courte durée. Il était froid ; sa poitrine ne se soulevait plus pour se remplir d’air. Mais elle entendit sa voix :

— Je ne pouvais pas te laisser faire.

Janice ouvrit ses sens astraux. Elle ne comprenait pas. Dan lui parlait. Pourtant, il était mort.

— Pas de vengeance. Le sang est trop puissant. Il corrompt. Pour toi, ma chérie, j’ai peur que son goût serait fatal… Pas de chant. Ma chair est morte ; le festin est terminé. Depuis la frontière des ténèbres éternelles, je t’ai entendue pleurer pour moi. Tes larmes, mon amour, m’ont permis de te sauver.

— De me sauver ? Je les aurais tués pour toi !

— Non, insista la voix d’outre-tombe. Promets-moi de renoncer à la vengeance.

— Que dis-tu, mon amour ? Je dois te venger !

— Promets-le-moi !

Sa voix se faisait de plus en plus faible, mais elle reconnut sa volonté inébranlable.

— Tout, je te promets tout. Pas de vengeance. Tout ce que tu veux. Reviens-moi !

— Le chaman Chien… C’est ton frère.

Janice le sentit partir sur ces dernières paroles. Dan Shiroi était mort. Pour toujours. Elle lâcha la bonde à sa tristesse.

* * *

Sam n’arrivait pas à croire ce qu’il entendait. Il craignait que la voix du wendigo mort hante ses cauchemars jusqu’à la fin de ses jours. Mais ce qu’il venait de dire était pire. Cette chose couverte de fourrure, cette femelle de wendigo, était sa sœur Janice ?

Dieu était vraiment un être cruel.

La regarder avec ses sens astraux ne servit pas à grand-chose ; il n’était pas magiquement actif la dernière fois qu’il l’avait vue. Il ignorait à quoi ressemblait son aura.

— Janice ?

Elle tourna vers lui ses yeux rougis par les larmes. Sam ne reconnut rien en cette créature qui lui rappelât sa sœur.

— Sam ? Dieu du ciel, c’est bien toi ?

Verner sentit son estomac se nouer. Il avait tant à dire, mais il ne trouvait pas les mots. Depuis qu’il avait entendu parler de sa gobelinisation, il avait eu peur pour elle. Il ne l’avait jamais oubliée, malgré deux années sans contact. Il pensait qu’elle était devenue une orke, ou une troll, mais ça !

Lui qui haïssait les wendigos !

Janice le fixa sans rien dire.

Enfin, Sam ouvrit la bouche :

— Je veux t’aider.

— Où étais-tu quand j’avais besoin de toi ?

— J’ai essayé de…

— Si tu avais vraiment essayé, tu aurais fait quelque chose ! Dan était là quand j’avais besoin de lui. Tu m’abandonnes, puis tu reviens dans ma vie et tu me l’enlèves ! Tu veux m’aider ? Bien ! Rends-le-moi !

— Mais c’était un wendigo.

— Que crois-tu que je sois ? s’écria Janice.

— Il doit y avoir un moyen…

— Il n’y a aucune rédemption pour moi. Ne vois-tu pas que je suis déjà damnée ?