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Dan était absent depuis plusieurs jours, mais Janice ne s’inquiétait pas. Il était fort ; rien ne pouvait lui arriver. Les leçons avaient cessé depuis son départ. Comme elle s’ennuyait, l’orke avait décidé d’explorer le labyrinthe de l’étage résidentiel. C’était un endroit fascinant, rempli de souvenirs, de livres et d’œuvres d’art. Les objets semblaient venir des sept continents. Les choses les plus étranges avaient des origines magiques ; Janice était fascinée. Elle n’avait jamais pensé qu’il puisse exister autant de reliques mystiques. Quand Dan reviendrait, elle lui demanderait de lui expliquer leur fonction.
L’orke savait que la corporation de Shiroi avait des ramifications dans le monde entier. Avant d’avoir fouillé dans sa bibliothèque et ses banques de données, elle n’avait pas mesuré combien son amant était puissant. Il contrôlait les intérêts d’au moins douze corporations de différentes tailles, GWN étant la plus importante. Shiroi disposait d’une enclave dans chaque grande ville du monde.
Janice découvrit un détail curieux dans les dossiers de la corporation. Malgré d’importants efforts de coordination, aucun des directeurs de son empire corporatif ne s’était rencontré. Pourtant, les employés de Shiroi devaient être efficaces, si on considérait la nature disparate de leurs affaires et les différentes sphères dans lesquelles ils évoluaient. Intriguée, l’orke continua de fouiller.
Elle commençait à s’interroger sur le métatype des officiers corporatistes de Dan, quand un renseignement anodin lui fit deviner la vérité : tous les présidents des corporations n’étaient qu’une seule et même personne : Shiroi ! Ça expliquait qu’il n’ait pas besoin de communications.
Janice, souriante, imagina le visage enjoué de son mentor derrière les masques qu’il avait conçus. Son choix d’apparence prouvait qu’il ne manquait pas de fantaisie. L’orke pouffa ; elle se demanda s’il accepterait de lui faire l’amour avec un de ses masques. La plupart étaient séduisants, selon les standards humains. Certains étaient peu ragoûtant, surtout l’énorme type qu’il avait appelé Hyde-White. Elle n’avait aucune envie de partager un lit avec lui. L’orke haussa les épaules : ça n’avait aucune importance. Ses sens astraux devenaient si précis quelle pouvait automatiquement percer un sort d’illusion.
Elle espérait que Dan reviendrait bientôt. Il lui manquait.
* * *
Hart gardait une expression neutre sur le visage. Elle ne voulait rien révéler. Bambatu la fixait d’un air désapprobateur.
— Tu as désobéi aux ordres, Katherine. Tu sais que la Dame ne sera pas satisfaite.
— Vous ne lui avez rien dit, n’est-ce pas ?
Bambatu eut une grimace irritée :
— C’est une intuition, ou tu es mieux informée que je le pense ?
Sa question répondit à celle de Hart, mais elle se contenta de sourire. Qu’il s’inquiète !
— L’action des elfes de Tir continue d’être problématique, mais pas insurmontable, reprit le conseiller de Lady Deigh. Depuis leur séparation d’avec Verner, ils ne harcèlent plus le Cercle Caché. Les efforts de Burnside les maintiennent à l’écart. Mais Verner est toujours vivant. C’est lui qui nous pose des problèmes, car les elfes de Tir se joindront à lui, tôt ou tard. Dans ce cas, ils risquent de contrarier les plans de Lady Deigh. Notre souveraine souhaite que le Cercle Caché disparaisse de façon spectaculaire. Elle veut qu’il discrédite ses membres et entraîne la Maison d’Angleterre dans sa chute.
Hart se sentit mal à l’aise. Savait-il qu’elle avait sauvé Sam ?
— Je m’en occupe. J’ai une réputation à défendre.
— Tu dois agir, Katherine. Lady Deigh n’est pas une femme patiente. Elle a pour habitude de se débarrasser de ceux qui la servent mal.
— Vous craignez pour vos fesses ?
— Disons que je suis un elfe qui souhaite avoir une vie longue et prospère.
— Nous sommes deux.
* * *
Apparemment, les protections avaient suffi ; le premier rite du nouveau cycle n’avait pas été interrompu. Glover se sentait chargé d’énergie. Il voulait appeler Hyde-White, mais son secrétaire lui avait dit que le gros homme n’était pas arrivé à son bureau. Glover ne l’avait pas vu depuis que ces satanés runners avaient gâché le dernier rituel du deuxième cycle. Hyde-White était peut-être mort, mais le corporatiste en doutait. Son décès aurait eu des répercussions sur la puissance de la cérémonie. Il devait être en vie.
Il trouvait improbable que les runners l’aient capturé. Le gros homme était trop puissant pour que les mages du groupe le retiennent prisonnier. Hyde-White avait peut-être été blessé ; dans ce cas, il se cachait pour récupérer des forces. Il valait mieux ne pas déranger un mage qui devait soigner ses blessures et restaurer sa puissance magique.
Le Cercle Caché avait perdu un nouveau membre dans l’attaque surprise des runners. Mais Carstairs avait été un faible, à peine moins nuisible que Neville. La perte de puissance avait été négligeable. Tout compte fait, Glover aurait préféré que le vieux sir Winston morde la poussière. Cet imbécile ne lui servait plus à rien. Les rituels fournissaient assez d’énergie pour alimenter le mana qu’un archidruide pouvait concentrer.
Le jour de la restauration approchait avec chaque âme dont le sang nourrissait la terre.
Mais il leur faudrait encore du temps avant de terminer le cycle de cérémonies que Hyde-White avait prescrit. Jusque-là, des moustiques du genre des runners américains continueraient de parasiter leur action. Peut-être fallait-il agir plus directement pour se débarrasser d’eux ?
Glover se versa un autre brandy, puis il s’installa devant la cheminée pour réfléchir.