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L’illusion était la marque de fabrique des Cours de Shidhe.

Quand Hart observait la Cour de Seelie, elle n’était jamais sûre que ce qu’elle voyait était réel. Une vérification astrale ne donnait pas toujours des résultats convaincants. L’énergie magique ambiante et l’activité quasi continue des mages rendaient l’opération douteuse. La cour avait attiré les elfes et les nains du monde entier ; certains craignaient que leur apparence ne corresponde pas aux standards du lieu. Ils utilisaient des illusions pour améliorer leur image, car les plus hideux ne pouvaient fréquenter que la Cour de UnSeelie, dont les propriétaires partageaient avec le Beau Peuple le contrôle du Dominion Shidhe d’Irlande.

La Cour de Seelie prétendait que l’Irlande était un Etat magique, et que les Lords Shidhe étaient les anciens, revenus réclamer leurs terres. Même s’ils se repaissaient de sorcellerie, méprisant officiellement la technologie, les seigneurs magiques tiraient de la science un maximum d’avantages. Les installations informatiques et les simulateurs de combat que Hart avait utilisés durant la dernière semaine en étaient la preuve. Bien sûr, le Shidhe ne parlerait pas de telles choses en public. L’image de marque était très importante pour les chefs métahumains de l’Irlande.

Les grandes portes d’orichalque de la cour intérieure s’ouvrirent. Une voix appela Hart ; c’était l’heure de son audience.

En franchissant le seuil, elle manqua de percuter un groupe de leshys. Les petits humanoïdes étaient communs dans la cité forestière de la Cour de Seelie, mais Hart les détestait. Elle se demandait parfois s’ils étaient intelligents. Quand elle arrivait à comprendre leur voix haut perchée, les leshys posaient immanquablement des questions ridicules. Elle les abreuva d’injures ; ils s’enfuirent en riant.

Les portes se refermèrent derrière elle. Pendant un temps difficile à mesurer, elle avança dans des ténèbres si profondes que même ses yeux d’elfe ne les perçaient pas. Enfin, le niveau d’éclairage fut comparable à celui d’une forêt en pleine nuit. Elle renifla l’odeur de l’humus et les senteurs parfumées des fleurs. Devant elle apparut une clairière. La lumière y était plus vive, comme si les étoiles et la lune y concentraient leurs rayons. Pourtant, on était en plein après-midi.

Hart entra dans la clairière ; ce n’était qu’une allée, entre de vieux troncs. Parmi les arbres, elle percevait les silhouettes des membres de la cour. Personne ne parut s’intéresser à son arrivée. Elle continua de marcher.

Au bout de l’allée, elle parvint au pied d’un monticule où avaient été creusées plusieurs marches. Au sommet, un énorme chêne, semé de gui, couronnait trois trônes richement sculptés. Un seul, à droite, était occupé.

La femme qui s’y tenait était splendide, d’une délicatesse telle que Hart, d’une elfique minceur, paraissait pulpeuse en comparaison. La Dame avait l’apparence sans âge d’une elfe mature, une jeunesse qui ne disparaîtrait qu’à l’approche de ses derniers jours. Sa chevelure était si fine qu’elle flottait au moindre souffle de vent. Ses yeux avaient la transparence bleutée de la glace. Elle ne portait pas de symboles de classe, mais Hart ne douta pas un instant qu’elle dirigeait tout autour d’elle ; l’attitude de cette femme était celle d’une souveraine.

Un autre elfe se tenait sur la première marche de l’estrade. Il s’appelait Bambatu ; sa peau d’ébène contrastait avec la blancheur nacrée de la reine. Il ne portait plus le costume élégant qu’il arborait quand il avait recruté Hart. Sa poitrine nue brillait comme si elle avait été ointe. Sa taille était serrée dans un tissu multicolore brodé de signes mystiques. Des colifichets, des chaînes d’orichalque et d’or, des bandes de tissu pendaient à son cou, ses bras, ses poignets, sa taille et ses chevilles. Il faisait un magnifique barbare. Hart trouvait sa fine musculature plus attirante que celle des culturistes surdéveloppés adulés par les norms. Bambatu la fixa de ses yeux noirs, brillants d’intérêt.

Hart s’agenouilla au pied des marches, inclinant la tête.

— La Dame Brane Deigh te commande de te lever, Katherine Hart, dit Bambatu.

Elle obéit. L’homme l’avait recrutée, mais Lady Deigh était sa patronne. Le regard glacé de la souveraine croisa celui de Hart. Soupçonnant l’importance de l’instant, celle-ci ne baissa pas les yeux. L’ombre d’un sourire se dessina sur les lèvres de la Dame.

— Tu as vécu sous mon toit et tu as accepté mon argent, Hart. Selon la loi de la terre, cela fait de toi milessaratish. Comprends-tu quelles sont tes obligations ?

Katherine inclina la tête :

— Oui, ma Dame.

Mais comprendre ne signifie pas accepter. Vous avez peut-être loué mes services, mais je ne suis pas votre vassale. Ce n’est pas mon genre.

— Très bien, reprit Lady Deigh. On t’a parlé de notre opposition au Cercle Caché. Tu sais que tu dois te préparer à l’affronter. Lord Bambatu m’a informé que tu profitais de nos ressources pour améliorer tes dons et étudier tes adversaires. Voilà une décision louable. Mais le temps des préparatifs est terminé. Demain, ce sera le Solstice. Es-tu prête au combat ?

— Oui, ma Dame.

— Alors, tu as ma bénédiction, Hart.

La souveraine approcha de Bambatu. Elle marqua une pause au bord des marches et se tourna vers Katherine :

— Ozidano teheron, milessaratish. Imo medaron co versakhan.

Hart répondit à l’ordre de la manière rituelle :

— Je laisse mon existence derrière moi, ma Dame. Un mot de vous, et je suis la mort de vos ennemis.