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La vérification de la consommation électrique du squat confirma que Dodger ou Willie occupait encore les lieux. Il n’y avait pas assez de puissance pompée pour qu’ils utilisent leur matériel en même temps. Le récepteur grandes ondes que portait Hart n’indiquait aucune activité inhabituelle. Katherine supposa que c’était l’elfe qui résidait encore dans l’appartement.
Sa surveillance n’avait rien donné depuis une heure. Jenny, sa decker, confirmait la consommation d’électricité, ce qui signifiait que Dodger s’était connecté à la Matrice pendant que les autres dormaient. C’était le moment d’intervenir.
Elle quitta son perchoir et descendit du toit du bâtiment. Puis elle traversa la rue. Personne à la fenêtre… Bien ! Elle pourrait entrer dans un immeuble adjacent et passer par les toits.
Une fois sur le bon toit, Hart se rendit au bord de la corniche, au-dessus de la plus grande baie vitrée de l’appartement. L’elfe ouvrit son sac et sortit son matériel.
Katherine s’installa pour effectuer une recherche astrale ; elle ne voulait pas de mauvaise surprise. Elle en eut une.
L’appartement était protégé contre toute intrusion magique ! N’arrivant pas à entrer, elle retourna dans son corps. Elle serait obligée d’agir en aveugle.
Il n’y avait aucune raison d’attendre. Elle se débarrassa de son long manteau et attacha un filin à son harnais. Puis elle se laissa glisser le long de la paroi.
L’air hivernal était glacé, mais elle le sentait à peine. Ses doutes lui tenaient chaud. Faisait-elle ce qu’il fallait ?
Avec la rapidité née de l’expérience, elle fit couler du lubrifiant de chaque côté de la fenêtre. Elle le laissa agir pendant deux minutes, puis tenta de soulever la vitre à guillotine. Elle bougea sans un bruit. Comme Hart s’en souvenait, elle n’avait pas de verrou intérieur.
Une fois la vitre soulevée, un simple rideau noir lui barrait l’accès à la cuisine de l’appartement. Elle ouvrit le clip qui maintenait le filin à son harnais, puis se laissa tomber dans la pièce. Rien ne bougea.
Dans l’appartement, le seul bruit était celui d’un système informatique en service. Un écran éclairait la pièce principale. Katherine se redressa et avança prudemment. Le silence fut brisé par un juron sonore.
Il n’y avait personne devant l’ordinateur, juste un message écrit sur l’écran :
« Pas ce que tu attendais, hein ?
Dommage.
Un nouveau Twist entre dans la danse.
Appuyer sur ENTER pour plus d’informations. »
Hart était trop intelligente pour tomber dans le panneau. Elle ressortit par la fenêtre.
* * *
— Revenir dans un ancien repaire quand on est recherché est dangereux, dit Glover d’un ton pédant. Mais vous le savez déjà. J’espère que vos liens ne sont pas trop inconfortables ?
Le captif n’avait qu’un œil ouvert ; l’autre était fermé par les ecchymoses qui couvraient la moitié de son visage. Pourtant, il foudroyait le druide du regard. Glover trouva cela amusant.
— Vous auriez dû prendre la fuite. Vous n’aviez aucune chance de réussir là où vos associés ont échoué. Heureusement pour nous, nous avions pris des précautions.
— Dieu vous punira, dit le prisonnier.
— Dieu ? Lequel, mon pathétique ami ? Le vôtre ? Dans des temps anciens, les gens croyaient que le dieu le plus puissant écraserait les autres. Aujourd’hui, vous êtes vaincu, et moi, victorieux. Votre dieu vous a abandonné, mais le Soleil brille sur moi.
— Votre arrogance précipitera votre fin !
— Entêté, ricana l’archidruide. On croirait que vous espérez encore être sauvé. Vos associés ont péri par le rite de la chair et ils ont ainsi consolidé notre puissance ! Vous les rejoindrez quand l’heure viendra. Je porterai moi-même la serpe sacrificielle qui fera couler votre sang !
— Vous êtes aveugle. Ces assassinats ne vous apportent aucune force. Votre vérité est corrompue !
— Comment le savez-vous ? Nos rites empruntent à une tradition qui ridiculise votre pitoyable Eglise. Nous avons le pouvoir ; je l’ai touché du doigt !
— Vous n’avez touché qu’à l’ivresse du meurtre !
Glover gifla son prisonnier. La chaise à laquelle il était attaché manqua de basculer. Le sang du prêtre gicla sur les manches de la chemise blanche du corporatiste.
— Je pensais que vous étiez un homme intelligent, père Rinaldi. Les Sylvestrins parlaient de vous avec tant de verve, durant les interrogatoires, que je vous croyais apte à voir au-delà de vos préjugés. Peu importe ; votre sang nourrira le Soleil.
— Quelqu’un mettra fin à votre blasphème !
— Votre foi est touchante, père. Sera-t-elle ébranlée si je vous dis qu’un de vos collègues nous a révélé ce que nous voulions savoir sur vos communications avec Rome ? Pour vos supérieurs, votre équipe n’a encore rien trouvé. Le cycle final de cérémonies sera terminé quand ils se rendront compte que quelque chose cloche. Le Cercle ne sera plus Caché. Nous assiérons un nouveau roi sur le trône, et la terre sera guérie.
— Vous êtes fou, corrompu par le mal !
— Et vous ne pouvez rien contre nous. La jalousie vous dévore les entrailles. (Glover éclata de rire.) Les faibles ne comprendront jamais les forts. N’ayant pas goûté à la puissance, vous et vos semblables ignorerez toujours quel pouvoir le Cercle a frôlé. Faux, vos collègues sauront bientôt ; vous, vous serez mort.
— Vous échouerez. Vous ne manquez pas d’ennemis.
— Vous parlez des shadowrunners ? Ils nous causent certes quelques désagréments, mais leurs maîtres sont trop mal organisés pour les contrôler. L’équipe s’est disloquée comme un pantin. Quand nous aurons établi notre nouveau royaume, ils regretteront de s’être opposés à nous.
La sonnerie de l’intercom couvrit la réponse de Rinaldi. Glover parut ennuyé ; il avait demandé à ne pas être dérangé. Il retourna à son bureau avec l’intention de réprimander sa secrétaire, mais il changea d’avis en voyant quelle ligne sonnait. Transférant l’appel sur son casque, il ouvrit une fréquence. La communication fut rapide. Coupant la connexion, Glover se tourna vers le prêtre :
— Quelqu’un d’autre s’intéresse à vous, Rinaldi. Vous devriez être honoré.