38

Le vent sifflait contre le cockpit. Le grondement de l’air couvrait presque les gémissements des câbles reliant le Fledermaus à ses jumeaux. Les connexions contrôlaient le pilotage automatique des deux autres appareils, les forçant à adopter la trajectoire de Sam.

Au loin, les tours triplées du Brighton Centrum se dressaient, telles des colonnes de lumière éclairant la nuit. Autour le quartier illuminé ressemblait à une migration de vers luisants.

Quelque part, des radars avaient dû repérer les trois Fledermaus, mais les câbles assuraient que les transmissions radio ne les trahiraient pas, et les matériaux composites des carlingues masquaient l’armature métallique. Pour les observateurs, la formation en V passerait pour un vol nocturne d’oiseaux de mer.

Verner espérait que c’était vrai. Cog le lui avait assuré, mais lui était en sécurité, au sol. Sam fit virer son planeur ; les deux autres appareils le suivirent en silence.

* * *

Par code, Hart accusa silencieusement réception du signal que Jenny venait de lui faire parvenir dans son casque. Un coup d’œil par-dessus la corniche du toit lui suffit pour localiser les deux véhicules qui transportaient les mercenaires. Ils prenaient position sur la place, entre les tours. Il était presque l’heure.

La decker avait réuni un bon groupe, malgré le manque de temps, et les types semblaient aussi sûrs d’eux qu’elle l’avait dit. Ils étaient tous comme ça ; ils manquaient de cervelle pour penser autre chose. Hart ne pouvait pas nier qu’ils étaient bien équipés ; elle s’en était aperçue lors de ses vérifications. Plus important, ils n’avaient qu’une seule envie : flanquer une pâtée à l’adversaire.

Katherine avait fourni les capsules qu’ils avaient demandées par contrat. La drogue augmenterait leur résistance à la douleur et induirait des poussées d’adrénaline. Cela les rendrait plus efficace tout en réduisant leurs capacités de réflexion. Juste ce qu’il faut pour une opération sans subtilité ! L’elfe leur avait interdit de prendre plus d’une capsule chacun, mais elle savait qu’ils ne lui obéiraient pas. A dire vrai, y comptant bien, elle s’était arrangée pour avoir la qualité la plus pure. Un mercenaire ainsi chargé avait peu de chance de sortir du combat sans une overdose. Mais avant son décès, il valait deux ou trois hommes armés.

Ils auraient besoin de ce petit avantage ; elle ne leur avait pas parlé de la magie dont disposait l’adversaire.

Hart posa son Conner lance-grappin sur le parapet et utilisa la lunette de visée comme des jumelles pour surveiller le toit d’en face. La voie était libre. Elle aurait voulu s’en assurer, mais elle n’osa pas utiliser sa projection astrale. La surprise était vitale.

Elle essaya de se détendre en attendant le nouveau signal de Jenny.

* * *

— La deuxième porte à gauche.

Dodger suivait des yeux Estios et Teresa qui avançaient dans le couloir, se couvrant mutuellement. Ils étaient silencieux et prudents. Si le decker n’avait pas surveillé l’entrée sur le réseau de surveillance automatique, il ne les aurait pas remarqués. Les micros ne percevaient rien grâce au sort de silence d’Estios.

Les deux runners arrivèrent devant la porte. Teresa prit position contre la cloison, au niveau du chambranle, à l’opposé de son collègue. Dodger changea de caméra pour s’assurer qu’ils ne risquaient rien.

— La voix est libre, dit-il dans l’écouteur. Une seule serrure à faire sauter.

Estios adressa un simple signe de tête à sa collègue. Puis il défonça la porte d’un coup de pied. Une partie du chambranle fut arraché de la cloison. L’elfe s’accroupit, couvrant Teresa tandis qu’elle entrait dans la salle.

Pietro Rinaldi semblait groggy ; il avait sûrement été réveillé en sursaut. Estios baissa son arme, puis flanqua un coup de poing rageur dans ce qui restait de la porte.

— Dodger, qu’est-ce que c’est que ce foutoir ?

— Du calme, noble sauveteur, répondit le decker dans le casque. Baisse le ton. Je crois que tu déranges le bon père que voici. Sans compter les forces de sécurité d’ATT-Multifax.

— Père ? Ce type est un curé ?

Dodger était particulièrement content de lui. Voir Estios perdre son sang-froid avait quelque chose de jouissif.

— Allons, laisse tes préjugés de côté. C’est mauvais pour les relations publiques. Les temps sont difficiles et « l’ennemi de mon ennemi…» Tu connais la suite de cette antique maxime ? Ce prêtre s’oppose à notre adversaire, et il est son prisonnier.

— C’est son problème.

— Tu devrais ôter tes œillères, Yeux de Glace. Ce gentilhomme dispose de renseignements qui pourraient nous être précieux.

Estios allait rétorquer une insanité, mais Teresa lui posa une main apaisante sur l’épaule :

— Dodger a raison. De plus, il nous a vus ; on ne peut pas le laisser ici.

— Vous feriez mieux de vous dépêcher, intervint le decker. J’enregistre une activité anormale sur les détecteurs de mouvements du croisement des couloirs de la jonction 3.

— Foutredieu ! s’exclama l’elfe aux cheveux noirs. Je déteste me faire manipuler. Tu me le paieras !

Malgré son énervement, il aida Teresa à mettre Rinaldi sur pied. Un elfe le soutenant de chaque côté, le prêtre réussit à courir dans le couloir.

Dodger les guida dans le bâtiment. Il leur permit d’éviter les patrouilles et les postes de garde. D’après les renseignements qu’il avait glanés, le personnel d’ATT-Multifax n’appartenait pas au Cercle, mais la sécurité se devait tout de même de capturer les intrus. Deux elfes escortant un prêtre émacié ne manqueraient pas d’attirer l’attention.

Une fois les trois fuyards dans l’ascenseur, le decker décida de retourner surveiller le niveau où Rinaldi avait été enfermé. Sa caméra de surveillance lui montra un groupe de quatre personnes approchant de la cellule vide.

— Bon sang ! C’est vraiment Wallace !

— Qu’as-tu dit, Dodger ? demanda Estios à la radio.

— Rien. Cassez-vous au plus vite, c’est tout.

Le decker n’écouta pas la réponse injurieuse de son collègue ; il était trop occupé à surveiller le groupe du druide. Pas de transmetteurs. Bien. Il avait une chance de les ralentir. Il commença par isoler l’étage en activant tous les circuits de télécommunications de la zone. Quand Wallace découvrit que le prêtre s’était échappé, Dodger lança un programme en boucle qui causerait des pannes dans le système. Tant que personne n’isolerait l’incident, les gens d’ATT-Multifax penseraient qu’un hacker avait piraté leur réseau de communications. Lui se serait tiré depuis longtemps… Du moins, il l’espérait.

Comme il l’avait prévu, Wallace voulut utiliser un télécom pour avertir le Cercle. Pendant qu’ils cherchaient un appareil en état de marche, Dodger continua de s’amuser avec le système. L’équipe de runners ayant atteint le toit du bâtiment, il bloqua les ascenseurs. Il attendit que leur avion décolle avant d’initialiser la nouvelle séquence de son opération.

Enervée par les problèmes de communications, Wallace ordonna à ses sbires de la suivre jusqu’aux ascenseurs. Le decker disposait de quelques secondes avant qu’elle décide de prendre l’escalier. L’une après l’autre, il coupa les caméras de sécurité du sous-sol, commençant par celle qui surveillait le hall des ascenseurs. Ses efforts furent récompensés quand la sécurité de la corpo déclencha le signal d’alarme, qui lui permit d’activer le verrouillage magnétique des portes de l’escalier de secours. Wallace et ses chiens de garde allaient se retrouver coincés à un niveau bientôt pris d’assaut par les forces de sécurité d’ATT-Multifax. Histoire de laisser un petit souvenir, il programma les gicleurs d’incendie du sous-sol pour qu’ils s’activent à intervalles irréguliers, provoquant du même coup une alerte au feu. Ça troublerait assez la druidesse pour l’empêcher d’user de sa magie.

Dodger aurait voulu rester pour assister au spectacle, mais il n’y aurait rien à voir sans caméras. De plus, on l’attendait autre part. Poussant un grand soupir de résignation, il sortit du système informatique d’ATT-Multifax aussi discrètement qu’il y était entré.

* * *

Glover suivit des yeux les feux de position de l’hélicoptère qui disparaissait dans la nuit. L’appareil transportait Ashton, parti enquêter sur les problèmes survenus dans le complexe ATT-Multifax. Il n’avait pas de nouvelles de Wallace, et quelque chose s’était passé au niveau où Rinaldi était gardé. Les ennuis n’avaient peut-être aucun rapport avec le prêtre ; le complexe ne manquait pas d’attraits pour des shadowrunners. Le Cercle avait réussi jusqu’à présent à bloquer les enquêtes du Vatican. Il était impossible que l’Eglise ait envoyé une nouvelle équipe aussi tôt, et Rinaldi n’était pas dans le pays depuis assez longtemps pour s’être fait des amis. Glover préférait ne pas prendre de risques. En cas de menace, les talents magiques d’Ashton et les muscles artificiels de ses gardes du corps suffiraient à parer au plus pressé.

Mais tant qu’Ashton et Wallace n’étaient pas revenus, les défenses mystiques de Hawthornwaite Tower étaient affaiblies.

Depuis la mort de Carstairs, le Cercle avait perdu sa meilleure liaison avec le gouvernement local, ce qui avait obligé les druides à se regrouper. Jusque-là, la résidence du Lord-Maire leur avait servi de base ; ils avaient dû trouver un autre sanctuaire, et ça n’était pas simple. Il leur fallait des appartements pour chaque membre du Cercle. Le groupe devait rester caché jusqu’à ce que le cycle de cérémonies soit fini.

Brighton Centrum avait paru un choix parfait. Le terrain appartenait à sir Winston Neville, un des actionnaires principaux de la corporation qui administrait le complexe. De plus, GWN disposait déjà d’étages résidentiels dans Hawthornwaite Tower, tout comme partageons Research, la corporation d’Ashton. ATT disposait de surfaces aménageables dans les trois tours ; Glover n’avait éprouvé aucune difficulté à convaincre un de ses directeurs de lui laisser son appartement. L’arrivée de General Services, la société de gardiennage de Barnett, remplaçant l’équipe de sécurité habituelle du bâtiment, avait privé Wallace d’une affaire, mais elle était assez riche pour s’en passer. Ainsi, le Cercle s’était rassemblé sous le même toit.

La sonnerie du télécom arracha Glover à ses pensées. Barnett décrocha ; c’était la ligne de sécurité du bâtiment. Après une discussion animée, le druide se tourna vers son chef :

— Il y a des problèmes au niveau de la plazza.

— En quoi cela nous concerne-t-il ? répondit Glover.

— Je n’en suis pas sûr. Ce soir, nous n’avons pas cessé d’avoir des alarmes dans l’ensemble du complexe. La plupart étaient fausses. Cette fois, ce n’est pas le cas. Le bureau de la sécurité rapporte une intrusion armée au niveau du hall et de la mezzanine. Une dizaine d’hommes.

— Ont-ils tenté de pénétrer dans la tour ?

Barnett secoua la tête :

— Pas encore. Leur violence manque de logique ; certains d’entre eux montrent au combat une fureur anormale. Personnellement, je trouve ça inquiétant.

— Peut-être devriez-vous vous charger de l’opération ?

— Mais, et l’anonymat du Cercle… ?

— Il sera conservé, finit Glover. Vous êtes un druide conventionné ; personne ne vous en voudra de défendre vos biens, surtout en donnant un coup de main aux hommes de votre corporation.

— Ça ne manque pas de logique…

Barnett quitta l’appartement sur-le-champ. Glover leva la tête vers le ciel. L’hélicoptère d’Ashton avait depuis longtemps disparu. Au bout d’un moment, l’archidruide sentit une présence dans son dos. Il vit le visage émacié de sir Winston se refléter dans le transparex.

— Allons-nous en parler à Hyde-White, archidruide ? demanda le vieil homme d’un ton grandiloquent.

Glover plissa le front.

Archidruide, c’est vrai. Ce titre tant convoité sonne creux, ces jours derniers. Je suis l’archidruide, mais tout le monde se tourne vers Hyde-White pour savoir quoi faire. Ce vieux porc a usurpé mon pouvoir. Comment a-t-il réussi sans que je m’en aperçoive ?

— Archidruide ? répéta Neville. Je pensais que… Je veux dire. S’il y a danger, il faudrait peut-être le prévenir.

— Et montrer notre faiblesse en courant vers lui au premier problème ? gronda Glover. Qui, de plus, n’a certainement rien à voir avec le Cercle. Vous ne le connaissez pas aussi bien que moi, sir Winston. Déranger Hyde-White pour si peu nous attirera ses foudres !

— Et si cela concerne le Cercle ?

— Nous résoudrons le problème pour lui montrer notre efficacité. Nous avons capturé le prêtre seuls, si vous vous rappelez. Nous lui prouverons que le Cercle n’est pas faible !

Et je lui montrerai que je n’ai plus besoin de sa force !

Sam voyait qu’il se passait quelque chose au pied de Hawthornwaite Tower. Des éclairs de lumière, provenant d’armes lourdes et de rafales magiques, déchiraient le ciel avec la soudaine violence d’un orage en été. Les flammes verdâtres venaient de l’intérieur du bâtiment, ce qui signifiait qu’un ou plusieurs druides étaient concernés. La compagnie de sécurité n’avait pas de mages dans son personnel. Sam fut satisfait. La diversion faciliterait son travail, faisant passer ses chances de réussite de zéro à une pour mille.

Il fit virer le Fledermaus pour qu’il contourne la tour ouest. Enclenchant le pilote automatique, il envoya sa projection astrale en reconnaissance. Sa forme éthérée pénétra dans l’immeuble et parvint à l’étage désiré. Tandis qu’il traversait la résidence, un télécom sonna. Une réponse immédiate coupa sa stridente complainte. Il y avait un télécom dans le sanctuaire du druide ; Hyde-White devait être l’homme qui venait de décrocher.

Verner rejoignit son corps au moment où le Fledermaus terminait le tour de l’immeuble. Manipulant quelques commandes, il fit plonger son appareil sur l’étage qu’il venait d’explorer.

Arrivé à cent mètres de la tour, il activa les moteurs auxiliaires. Cela donna aux trois avions la puissance permettant de vaincre les courants qui tourbillonnaient autour de l’immeuble. Après avoir prévenu Willie par radio, Sam fit sauter les protections de l’armement, précipitant des plaques anti-détection vers le sol ; puis il largua les amarres des deux autres appareils. L’interfacée les contrôlerait à distance ; il était inutile de maintenir le silence radio.

— Cible à cinquante mètres, Willie.

— Affirmatif.

— Lancement à trois.

— Roger.

— Un. Deux. Trois…

Le Fledermaus fut pris de secousses quand il lança le missile air-terre qu’il transportait sous le ventre. Des flammes éclairèrent le cockpit de Sam ; les avions autoguidés avaient craché leurs missiles au même moment.

Les baies vitrées de la tour se brisèrent en millions de fragments sous le coup de la triple explosion. Verner lutta contre les commandes de l’appareil ; l’onde de choc menaçait de propulser le Fledermaus sur l’autre immeuble. Sam réussit de justesse à garder le contrôle de l’avion.

Le Fledermaus pénétra dans l’immeuble par la piste d’atterrissage improvisée. Il resta en partie coincé dans l’ouverture par une armature en acier. La queue de l’appareil dépassait.

Dieu merci, j’aurais pu m’écraser !

Verner activa les charges explosives prévues pour libérer les verrous du cockpit, puis sortit en tremblant de l’épave du Fledermaus. Ses yeux fouillèrent la zone. Ne découvrant aucune menace immédiate, il vérifia ce qu’il était advenu des deux appareils autoguidés. Le premier avait percuté la façade de l’immeuble ; l’autre s’était posé sans problème. Il déchargeait une dizaine de sondes contrôlées par Willie.

Chaque machine roulait sur quatre pneus épais ; elle ressemblait à un jouet d’enfant. Mais aucun gosse n’en possédait de pareil : les sondes étaient blindées par des plaques de céramique composite et armées de mitrailleuses montées sur tourelle orientable. Et elles avaient un mode automatique permettant une activité normale, même si l’interfacée ne contrôlait pas directement leurs cerveaux électroniques.

Les machines se dispersèrent en étoile. Leur mission était simple : bloquer les issues de l’étage pour contenir les renforts de Hyde-White. Au bout de trente secondes, il n’en restait plus que trois dans les parages, positionnées en triangle autour de Verner. Leurs tourelles pivotaient pour permettre aux armes et aux caméras de couvrir un angle de trois cent soixante degrés.

La fumée de l’explosion limitait dangereusement le champ de vision de Sam. Il s’accroupit, tâchant de garder la tête sous le nuage noir. Il devait avancer prudemment ; l’étage ne manquait pas de cachettes ; il n’était pas sûr que Hyde-White soit toujours dans son sanctuaire.

Verner dégaina son Lethe. Si Janice se trouvait à l’étage, il ne voulait pas la tuer par accident. Quand il aurait une meilleure idée de la situation, il pourrait toujours recourir à l’Ares Predator qu’il portait sur la cuisse gauche.

La progression dans l’appartement d’ATT était lente, mais Verner préférait jouer la carte de la prudence. Les bruits nocturnes du métroplexe semblaient distants. Ils s’évanouirent peu à peu dans la conscience du chaman. Seul ce qui était proche de lui importait. A chaque pas, Sam écoutait. Le bourdonnement des sondes devenait presque inaudible.

— Cible. Quart nord, annonça Willie, si brutalement qu’il sursauta. Taïaut !

Le bruit d’une rafale d’arme automatique brisa le silence. Il fut aussitôt suivi d’un hurlement de douleur. D’autres armes firent feu ; un corps imposant s’écrasa contre un meuble, mais il n’y eut plus d’écho de voix. Un grondement de tonnerre s’ensuivit ; le plafond du Quart nord fut déchiré par de violents éclairs.

— Foutredieu ! s’écria Willie dans la radio.

Les sondes de Sam firent pivoter leur tourelle, puis se lancèrent à l’assaut. De nouvelles rafales d’automatiques retentirent dès que les trois machines eurent tourné le coin d’un couloir.

Verner arriva au niveau d’une cloison paysagée. Il plongea derrière. Levant prudemment la tête, il jeta un coup d’œil sur la bataille. Les sondes roulaient en tous sens. Elles se postaient derrière des meubles à demi calcinés, tirant sur Hyde-White, qui esquivait très bien les balles pour un type de son poids. Lui aussi utilisait le mobilier pour se protéger pendant qu’il cherchait le meilleur moyen de détruire les machines. Le druide obèse semblait indemne ; sa main droite luisait comme s’il se préparait à lancer un sort.

Avant que Sam puisse prendre une décision, Hyde-White fit volte-face pour affronter une sonde. Décidant de ne pas gâcher sa magie pour si peu, il saisit la machine et l’écrasa contre le mur. Elle se brisa en milliers de morceaux dans une gerbe d’étincelles.

Verner fut sidéré par la démonstration de force dont venait de faire preuve le druide. Malgré leur apparence de jouet, les sondes pesaient une bonne vingtaine de kilos. Il n’était pas facile de les manier, et moins encore de les détruire d’un geste.

Le runner sentit son estomac se nouer. La dernière fois qu’un homme avait montré tant de force, c’avait été un dragon dissimulé par un sort de métamorphose. Laissant les machines de Willie mener l’assaut, Sam passa en perception astrale.

Les sondes lui apparurent comme des taches colorées aux intentions meurtrières. En tant que machines, elle n’existaient pas dans le plan astral. Hyde-White, un être vivant, demeura clair pour son regard. Le gros druide suintait de puissance, dégoulinant comme un liquide fluorescent. Son aura avait quelque chose d’inquiétant ; elle ne ressemblait pas à celle d’un humain.

Une des sondes dut le toucher salement, car il tomba en arrière. Le torse d’un homme ordinaire aurait explosé sous la puissance du choc ; Hyde-White, sanguinolent, se releva sans sourciller.

Ce que Verner vit alors lui glaça les sangs.

La lueur astrale de Hyde-White était toujours aussi forte. L’image que le runner avait vue auparavant rappelait la double exposition d’une photographie. Deux druides occupaient le même endroit.

De plus en plus sidéré, le chaman vit les muscles se déchirer, les os se briser, et le sang gicler de la chair. Mais le druide ne tomba pas. Hyde-White soigna ses blessures et sourit.

Malgré l’apparence de son adversaire, Sam ne pouvait plus croire qu’il était humain. Il était invulnérable aux dommages physiques. Cela faisait de lui une créature magique.

Verner sentit sa gorge se serrer.