19
L’Homme de Lumière, brillant avec l’intensité du soleil, faisait de nouveau face à Sam. Il ne pouvait pas le fixer ; sa chaleur lui brûlait la peau, l’obligeant à reculer. La première manifestation des pouvoirs chamaniques de Verner avaient été de le protéger contre le feu, mais cette flamme était surnaturelle. Il gémit, frustré.
L’Homme de Lumière ricana.
Sam en fuite chercha un refuge dans le réveil. La chambre où il avait dormi était froide. Pourtant, ses draps étaient trempés de sueur. Cherchant du réconfort, il tendit un bras à côté de lui, mais Hart avait disparu. Il était seul dans l’obscurité.
Par la porte ouverte, il entendait quelqu’un taper sur un clavier d’ordinateur. Ce n’était pas Dodger ; il ne reconnaissait pas le rythme de la frappe. Ce ne pouvait être que Willie, la technomancienne grâce à qui ils avaient retrouvé les cadavres des sacrifiés du Cercle Caché. Sam ne distinguait pas de bruit de voix ; Willie devait être seule. Il se demanda où était parti Katherine.
Verner repoussa les draps humides et sortit du lit. Il tremblait ; ce n’était pas à cause du froid. Penser à l’Homme de Lumière le plongeait dans une terreur sans nom.
Il ne savait pas d’où il venait. Sam avait l’intuition qu’il ne bloquait pas l’entrée des plans chamaniques depuis toujours. Peut-être l’Homme de Lumière était-il une manifestation de ses propres craintes ? Ou le symbole de son hésitation à assumer ses pouvoirs magiques ?
Décidant de remettre ces réflexions à plus tard, il s’habilla.
— Salut, Twist, dit Willie quand il entra dans la pièce voisine. Il y a du café chaud.
La naine continua de travailler devant son ordinateur.
— Merci, grommela Sam. Tu bosses ?
— Je teste mes yeux et mes oreilles.
— Hart a dit où elle allait ?
— Négatif.
— Ou quand elle reviendrait ?
— Négatif.
Génial.
— Fais un sourire, Twist. Je vais te donner quelque chose pour faire marcher ton autre cerveau. Après la découverte des cadavres, je suis restée en planque pour jeter un coup d’œil aux flics. Ils n’ont pas passé longtemps sur place, mais ils ont mis un tel fouillis qu’on aurait cru qu’ils essayaient de brouiller les pistes. En fait, je les ai même vu détruire des indices. Ça m’a paru bizarre, alors je les ai suivis. Ils ont fait un rapport à l’inspecteur Burnside. C’est un vrai flic, Twist, pas corrompu pour deux sous. Pourtant, ils lui ont raconté des bobards gros comme ça et il les a écoutés sans poser de questions. Ce n’est pas normal.
— Peut-être qu’il a changé ?
— Burnside est incorruptible.
— On le fait peut-être chanter ?
— Possible, mais peu probable.
— Si nous pouvions en savoir un peu plus, gémit Sam. Dodger pourrait vérifier dans leurs fichiers, mais il n’est pas là. Je suppose que ce n’est pas ta spécialité ?
— Pourquoi ne pas le faire toi-même ? demanda Willie. Tu as un jack.
— Je ne me connecte plus.
La naine lui lança un regard indiquant qu’il devait être fou. Pour elle, personne n’arrêtait la connexion avant de mourir. Elle soupira :
— C’est possible, si tu me trouves une bonne console. Mais je ne te garantis rien. Ce n’est pas mon truc.
* * *
Quelques heures plus tard, Willie se déconnecta :
— Voilà qui est fort !
— Quoi ? demanda Twist.
— Burnside est chargé de l’enquête. Quelqu’un de haut placé l’a pistonné. Mais ce n’est pas tout ; c’est au moins le treizième massacre de ce genre en peu de temps !
— Qui l’a pistonné ?
— Ma piste remonte au ministère de l’Intérieur.
— Le gouvernement est impliqué ?
— On dirait. (La naine posa les pieds sur la table.) Qu’est ce qu’on fait, Twist ?
— Commençons par la police. Vérifie la liste des membres de l’équipe de Burnside et compare-la avec les flics que tu as vus la nuit dernière. Il faut savoir jusqu’où s’étend cette conspiration.
Willie grommela, mais elle se remit au travail. Quand elle se déconnecta, Sam lui dit :
— Je parie que tu as découvert des corrélations entre les dates des sacrifices et les prises de service imprévues de Burnside et de ses sbires.
— Alors, pourquoi m’as-tu laissée faire tout ce boulot ?
— C’était une intuition. J’avais besoin de preuves.
— Et tu as deviné aussi que les meurtres avaient quelque chose de bizarre ? demanda l’interfacée, acerbe.
— Quoi ?
— C’est assez immonde, en fait. Le nombre de cadavres était de un la première nuit, deux la deuxième, puis trois… jusqu’à sept victimes. Là, le cycle recommence.
— Sept ? Pas neuf ?
— Affirmatif.
— Il y avait neuf druides dans le Cercle.
— Et deux d’entre eux sont morts pendant le Solstice.
— Ils ont peut-être recruté de nouveaux membres. Ce serait logique. Et peut-être les meurtres n’ont-ils aucune relation avec le Cercle.
— En tout cas, ceux qui ont fait le coup sont méthodiques. Sept jours entre le premier et le deuxième sacrifice. Six entre le deuxième et le troisième, cinq entre le troisième et le quatrième, et cœtera… Tu vois ce que je veux dire ?
— Parfaitement. Si je ne me trompe pas, il devrait y avoir six victimes ce soir. Que ce soit le Cercle ou non, c’est un massacre rituel.
Willie et Sam continuèrent à discuter de la stratégie à suivre. Pour finir, ils décidèrent d’envoyer une sonde programmée pour suivre Burnside, afin qu’il les guide vers les tueurs sans le savoir. Ils étaient penchés sur l’écran de surveillance quand Hart arriva.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle.
— Nous attendons qu’il se produise quelque chose, expliqua Verner.
Katherine jeta un coup d’œil sur l’écran :
— Mais c’est Burnside ! Que se passe-t-il ?
Sam lui raconta ce qu’ils avaient découvert. Intéressée, Hart les rejoignit devant l’écran.
La sonde de Willie se concentrait sur Burnside et les deux flics qui l’accompagnaient. Selon toute apparence, ils traquaient un type emmitouflé dans un grand pardessus. Ils s’étaient mêlés à la foule ; seule leur nervosité les trahissait. Après quelques minutes, l’inspecteur renvoya ses deux sbires. La naine programma sa sonde sur eux ; ils prirent position autour du bâtiment où venait d’entrer l’homme qu’ils suivaient. Les flics mettaient l’endroit sous surveillance à la manière des vieux films de gangsters. Ils auraient pu utiliser une sonde comme celle de Willie. Une nouvelle preuve que leur mission n’était pas officielle.
Une heure passa sans que rien ne bouge.
Puis Hart remarqua quelqu’un qui sortait de l’immeuble. Prenant garde à ce que son espionne reste hors de vue, Willie zooma sur la porte. Une femme menait un groupe de trois hommes chargés de sacs en plastique. Les runners ne reconnurent personne, mais la naine enregistra les images.
La sonde reprit sa surveillance à temps pour repérer un second groupe qui sortait du bâtiment par une autre issue. Cette fois, la patience des runners fut récompensée.
— Glover ! s’exclama Sam.
Son identité ne faisait aucun doute ; Verner connaissait trop bien son visage. Willie enregistra l’image des sbires du druide.
— Reprends ton poste, Willie, ordonna Hart. Ils quittent le bâtiment par petits groupes. Nous ne devons pas les manquer.
— Aucun problème.
La sonde enregistra le passage d’autres groupes. Puis les flics entrèrent dans l’immeuble. Prenant le risque qu’ils repèrent la sonde, l’interfacée l’envoya en reconnaissance pour confirmer ce qu’ils soupçonnaient déjà tous les trois. Les runners découvrirent six squelettes, déjà attaqué par les charognards.
— On en parle à Estios ? demanda Willie.
— Pas encore. Analysons d’abord nos images, suggéra Hart.
— C’est toi qui décides, Twist.
Sam soupira :
— Identifions ces gens.
— D’accord.
La naine entra les enregistrements dans le cyberdeck.
Verner espérait que l’opération ne prendrait pas longtemps. Si les druides continuaient d’agir selon le même modèle – et il n’avait aucune raison d’en douter –, sept innocents mourraient dans moins de quarante-huit heures.