DANS L’OBSCURITÉ .
Le directeur de la station était un robot nommé Amazon. Il ne vint pas les voir mais accepta un bref appel vidéophonique.
— Les soins que vous recevez sont-ils satisfaisants ? demanda-t-il poliment. J’espère que Hajime veille à vos autres besoins…
Derec ne perdit pas de temps en amabilités.
— Où est notre vaisseau ? Où est 07 B ? demanda-t-il tout de suite.
— Je regrette, monsieur, de ne pas être autorisé à vous répondre, répondit le robot avec une nuance de regret dans la voix.
— Qui vous en a donné l’ordre ?
— Je regrette, monsieur, de ne pas être autorisé à vous le dire.
Derec n’entendait pas se laisser faire.
— Qui est ton superviseur ? Comment s’appelle-t-il ?
— Le nom de mon superviseur est Aram Jacobson.
— Appelle-le sur ce réseau.
— M. Jacobson risque de ne pas être disponible à cette heure…
— Appelle-le. Utilise n’importe quelle priorité à ta disposition pour l’obliger à répondre. Et garde la ligne ouverte. Je veux entendre ce que tu dis.
Le robot tendit la main vers les touches de l’hyperviseur.
— Ici Amazon, directeur de la station Rockliffe, réclamant une conférence avec M. Jacobson.
— Un moment, dit une voix, puis il y eut un silence.
— Oui, Amazon ? dit alors une nouvelle voix, un peu déformée par le faible écho électronique révélant qu’il y avait un brouilleur sur la fréquence. Que se passe-t-il ?
— Amazon vous appelle à ma demande, intervint Derec. Vos robots se sont approprié mon vaisseau. J’attends de vous que vous leur ordonniez de me le rendre.
— Ainsi que notre robot, ajouta Katherine. Je veux retrouver Capek.
L’image hypervisée d’Amazon s’estompa et fut remplacée par celle d’un homme à la figure ronde, avec de petits yeux et des cheveux d’un noir luisant. Contrastant avec le physique mince du robot, le corps trapu de Jacobson était juché en équilibre précaire sur son fauteuil de direction, comme un œuf dans une cuillère à café.
— Excusez-moi, mais à qui dois-je l’honneur de recevoir des ordres ? demanda-t-il avec une politesse exagérée.
— Je m’appelle Derec, et voici…
— Derec tout court ? Comme un robot ? Pas de nom de famille ?
— Ne faites pas l’innocent. Vous savez parfaitement qui je suis. Je suis sûr qu’il y a un dossier entier sur moi dans votre bibliothèque.
— J’ai énormément de dossiers dans ma bibliothèque. Je suis responsable d’installations qui emploient deux mille six cents personnes, et près de huit mille robots. Croyez-moi quand je vous affirme que je ne connais pas votre nom ni votre figure. Et vous, mademoiselle ?
— Katherine Burgess.
Jacobson s’inclina.
— De quoi vous plaignez-vous ? Il est tout à fait irrégulier… d’avoir l’audace d’intervenir dans une communication privée…
Derec était furieux au point de ne plus trouver ses mots mais Katherine prit diplomatiquement la relève.
— Nous avons été découverts dans un engin spatial endommagé et transportés ici, à la station Rockliffe. Et maintenant, le directeur de la station refuse de nous donner accès à notre vaisseau.
— Il vous refuse l’accès ? demanda Jacobson, le front plissé. Pourquoi diable ?
— Il ne veut pas nous le dire ! cria Derec. Il dit qu’il a l’ordre de ne rien nous dire… un ordre de vous.
— Je vous assure que ce n’est pas le cas, dit Jacobson en se tournant vers son ordinateur. Si vous voulez bien m’accorder un moment pour me renseigner… Ah oui ! Bien sûr…
Jacobson leur avait tourné le dos pour consulter son appareil ; il pivota de nouveau vers eux.
— Je me souviens maintenant d’avoir entendu parler de vous, Derec. Vous êtes l’amnésique que le Dr Galien étudie. Tout s’explique.
— Pas pour moi !
— Mais si ! Voyez-vous, les soins que vous avez reçus sont extrêmement coûteux…
— Le Dr Galien m’a dit que mes frais de soins seraient portés au compte de la station.
— Le Dr Galien a fait erreur, hélas ! La station vous prendrait en charge si vous étiez indigent et incapable de payer, ou si vos frais dépassaient la garantie accordée par votre planète natale à ses citoyens.
— Mais mon cas est différent…
— Justement. Votre nationalité est inconnue. De même que votre situation financière. Il y a même un doute sur votre majorité, selon les lois des Spatiaux.
— Je suis majeur !
— Nous avons décidé de le présumer, déclara Jacobson. Quoi qu’il en soit, comme vous êtes incapable de nous fournir une identification, nous n’avons d’autre choix que de saisir vos capitaux tangibles personnels, en règlement des dépenses consenties en votre faveur.
— Mes capitaux tangibles…
— Votre vaisseau et son contenu ont été généreusement évalués, je vous assure, dit Jacobson en jetant un coup d’œil à son ordinateur. Je crains néanmoins qu’il n’en reste pas grand-chose après que nous aurons soustrait la taxe de sauvetage et les frais de l’opération de secours. Ce sera tout de même largement suffisant pour payer votre passage à Nexon par la prochaine navette, et pour que vous soyez nourri jusque-là.
Derec resta un instant bouche bée.
— Vous ne pouvez pas faire ça ! Vous n’avez pas le droit de confisquer tout ce qu’un homme possède !
— Le ministre des Finances juge que toute personne ayant assez de capitaux pour posséder un tel vaisseau a largement les moyens de payer ses factures, répliqua Jacobson en se carrant dans son fauteuil d’un air satisfait. Si nous vous laissions vous en tirer comme ça, nous serions envahis par des escrocs prétendant tous qu’ils ont oubliés où étaient placés leurs fonds.
— M’accusez-vous d’être un simulateur ? Vous n’avez qu’à le demander au Dr Galien…
— Le Dr Galien ne décide pas du règlement dans cette station. C’est moi qui gouverne.
— Vous finissez donc par reconnaître que c’est vous qui avez donné ces ordres. Je ne peux croire que vous ayez le culot de me faire payer pour m’avoir sauvé. Vous seriez allés intercepter ce vaisseau, avec ou sans notre présence à bord.
— De notre point de vue, ce vaisseau n’aurait pas été là, mettant en danger notre installation, si vous n’aviez pas été à bord !
— Un instant, intervint Katherine. Le vaisseau est à moi pour moitié. Peut-être pouvez-vous saisir sa moitié en règlement, mais vous n’avez pas le droit de toucher à la mienne. Vous savez qui je suis. J’ai autorisé un virement de mon compte à la Banque auroraine.
— En effet, dit Jacobson. Quel genre de compte était-ce, au fait ?
— Une Part Vitale… un trust de famille, dit Katherine en pâlissant brusquement.
— C’est-à-dire un trust révocable, n’est-ce pas ?
— Eh bien… je pense…
— Je suis au regret de vous informer qu’à la date du 26 mai, votre compte a été résilié et tous les fonds retirés. Auriez-vous d’autres capitaux dont nous n’aurions pas connaissance ?
— Non, avoua-t-elle, bouleversée. C’était ma Part Vitale. Comment ont-ils pu la reprendre ? Comment ont-ils pu faire une chose pareille ?
— Je n’en sais rien. Mais ils l’ont faite. Vous êtes légalement adulte et responsable de vos dettes. Par conséquent, nous avons été contraints d’exercer aussi nos droits sur votre part du vaisseau.
— Vous ne vous en tirerez pas comme ça, menaça faiblement Derec.
— Il n’est pas question de se tirer de quoi que ce soit, répliqua Jacobson. Nous n’outrepassons pas nos droits. Vous devriez nous être reconnaissants d’être encore en vie, au lieu de faire tant d’histoires à propos d’un vaisseau qui n’est d’ailleurs pas en état de voler. Vous êtes incapables de payer les réparations, et il vous faudrait le vendre, de toute façon ; je doute fort que vous en retireriez le prix que nous vous consentons.
— Espèce de… bafouilla Derec.
— Si vous voulez, bien m’excuser, je suis occupé.
La communication fut coupée avant que Derec n’ait eu le temps de riposter.
— Incroyable ! s’exclama-t-il. Vous avez vu ce numéro ?
Il se tourna vers Katherine et fut frappé par la lueur terne de son regard.
— Ce numéro ? répéta-t-elle machinalement.
— Cette affaire n’est pas du tout ce qu’elle paraît. C’est simplement un moyen de nous séparer du vaisseau. Pour nous l’acheter, et le payer, ils auraient besoin d’une preuve qu’il nous appartient… autre que notre parole et le fait qu’ils nous ont trouvés à bord. Savez-vous pourquoi ils ne nous demandent pas cette preuve ? Ils ne veulent rien savoir. De même qu’ils ne veulent pas savoir si je suis trop jeune pour être responsable de mes dettes.
— Ça n’a pas d’importance, murmura-t-elle. Plus rien n’a d’importance.
— Qu’avez-vous ?
— Mon argent. Ma famille a pris mon argent…
— Ça vous étonne ? La patrouille vous a probablement portée disparue quand elle est allée récupérer ce qui restait du Golden Eagle.
— Ils ne m’ont même pas accordé une chance d’expliquer…
— Expliquer quoi ? demanda-t-il avec plus de douceur.
La question parut rendre tout son sang-froid à Katherine. Elle serra les dents et son regard se durcit.
— Par les astres ! Qu’ils gèlent tous ! C’est de l’histoire ancienne. Alors, que faisons-nous maintenant ?
— De quoi vous sentez-vous capable ?
— Je vais vous dire ce que je ne suis pas capable de faire ! Il n’est pas question que j’attende tranquillement le prochain cargo pour partir docilement à Nexon ! Et il n’est pas question que je laisse une bande de robots me voler mon bien, même s’ils obéissent aux ordres de ce mal blanc !
— On dirait qu’il va falloir que je me décide à vous appeler Kate.
— Vous avez intérêt !
— Parfait. Je crois que nous allons avoir besoin d’elle. Ça ne va pas être une partie de plaisir.
— Je sais. Les endroits où l’on peut cacher un vaisseau de cette taille sont limités, même dans une aussi grande station. S’il est encore ici, nous le trouverons.
— Probablement, reconnut Derec. Il y a des chances qu’ils l’aient déplacé, retiré d’un môle actif pour le mettre dans un désactivé, dans l’aile militaire, à mon avis. Même si le répertoire de la station ne nous dit pas où sont les autres installations cosmoportuaires, nous pouvons assez facilement le deviner. Mais ça ne nous aidera guère.
— Pourquoi ?
— Parce que l’important, c’est la clef, pas le vaisseau. Jacobson a raison. Nous n’avons que faire de cet engin.
— Nous trouvons le vaisseau, et nous trouvons la clef.
Derec secoua tristement la tête.
— La clef n’y sera pas. Les robots l’ont prise.
— Jacobson n’en a pas parlé.
— Pourquoi courrait-il le risque d’être le premier à attirer notre attention sur ce point ? Tout ce que je sais, c’est que pendant toute la conversation, il était assis là à attendre que nous réclamions nos effets personnels ou que nous lui fassions comprendre que nous étions au courant, pour la clef… il guettait le moment de nous sauter dessus si nous en parlions. C’était une épreuve. Nous l’avons passée, ils vont nous laisser partir. Si nous avions échoué…
— Pourquoi voulez-vous qu’ils se soucient de la clef ? Elle ne ressemble à rien. Ils ne savent pas jusqu’où Aranimas est allé pour se la procurer. Moi, je le sais, mais je ne sais toujours pas pourquoi elle est si importante.
— C’est vous qui le dites.
— Vous ne me croyez pas ?
« Non, pensa-t-il. Ou du moins vous ne dites pas toute la vérité. Je commence à croire que tout le monde est au courant de ce qu’est ce machin, sauf moi, je pense que vous faites semblant d’être aussi ignorante que moi, alors que vous savez parfaitement ce que c’est et pourquoi c’est important. » Mais Derec ne dit rien de tout cela.
— Je ne sais pas ce que je crois.
— Je suis sûre que la clef est toujours cachée là où Aranimas l’a mise. Jacobson n’a pas parlé de la clef parce qu’il ne sait rien sur elle. Il s’inquiète du vaisseau, en général.
— Il sait. J’en suis sûr, s’obstina Derec.
— Si Jacobson est au courant pour la clef, et si les robots l’ont trouvée, alors elle est partie avec le Fariis. Ce qui veut dire que, maintenant, il en dispose. Fin de l’affaire.
— Pas nécessairement. Les navettes sont des transporteurs contractuels, pas des ressortissants nexoniens. Vous croyez qu’il irait confier à ces gens-là un objet probablement dix fois plus précieux que l’ensemble de leur compagnie ? Et qu’il le confierait à un vaisseau désarmé alors que les maraudeurs sont encore dans le coin, à chercher comment le récupérer ?
— Alors quoi ? Nous devrions peut-être le leur laisser…
— Ah non ! s’écria Derec. Tant qu’Aranimas n’a pas la clef, tant que les maraudeurs n’attaquent pas et que Jacobson reste à Nexon, nous avons une chance.
— Mais c’est une course.
— En effet. Et nous ne pouvons pas attendre pour prendre le départ que Galien vous déclare complètement guérie, déclara Derec en se préparant à une discussion.
Mais il n’y en eut pas.
— Vous avez raison, dit-elle simplement en posant ses pieds par terre. Par où commençons-nous ?
Avant de considérer cette question, il fallut affronter le Dr Galien. Il arriva précipitamment avant même que Katherine ait eu le temps de sentir sous ses pieds nus le sol glacé.
— Remettez-vous au lit, s’il vous plait, Katherine, dit le robot. Florence ira vous chercher ce que vous voulez.
Derec s’attendit à une nouvelle discussion prolongée mais, encore une fois, Katherine le surprit.
— J’irai où je voudrai, quand je voudrai, répliqua-t-elle avec autorité. Et si tu t’amuses à faire le geôlier à la place du docteur, je reprogramme ton cerveau pour la vannerie.
— Je proteste énergiquement…
— Suis-je en danger de mort ?
— Non, mais votre guérison…
— Garde tes protestations pour ton livre de bord médical. « La patiente Katherine Burgess a négligé le programme de convalescence recommandé. » C’est comme ça qu’on dit, dans ces rapports ? Derec et moi allons-nous promener. Si tu ne veux pas que j’attrape une pneumonie, trouve-moi de quoi m’habiller normalement. Et me chausser.
Tout humain s’entendant parler sur ce ton aurait serré les poings avec une bonne envie de s’en servir. Mais le Dr Galien s’inclina docilement.
— Je vais vous faire apporter des vêtements.
— S’ils ne sont pas là dans cinq minutes, je sors dans cette tenue, menaça-t-elle. Et ne t’avise pas de nous suivre. Si j’ai des problèmes, Derec sera là pour me ramener.
Quand le robot fut parti, Derec regarda Katherine avec stupéfaction.
— Où avez-vous appris à faire ça ?
— Bof ! Les robots médicaux sont affreusement tyranniques, mais ils ne peuvent imposer leur volonté à moins qu’on ne soit réellement en danger. Or je ne le suis pas.
— Tout de même ! Il m’aurait fallu au moins vingt minutes pour obtenir pareil résultat, et encore ! Si je l’avais obtenu !
— Vous vous laissez embarquer dans des discussions avec les robots. Moi, je leur donne des ordres. C’est plus efficace.
— Je m’en doute. Il faut néanmoins que vous sachiez que dans quatre heures environ, votre analgésie dermique cessera de faire effet et vous aurez l’impression qu’on vous passe toute la peau au papier de verre.
Florence arriva, déposa sans un mot une combinaison sans manches et une paire de « coussins de pieds » sur le lit et repartit.
— Merci pour l’avertissement, dit Katherine. Nous prendrons soin de revenir dans trois heures et demie. Maintenant, sortez d’ici et laissez-moi m’habiller.
Il fallait avant tout retrouver le vaisseau. Le tableau électronique, dans le hall, ne fut pas d’un grand secours. La station Rockliffe était composée de trois sphères communicantes. La centrale, appelée section C, contenait une quarantaine de niveaux. Elle était reliée aux deux sphères satellites, moitié moins grandes, par des pylônes cylindriques.
De larges zones du plan de la station étaient noircies et portaient la mention « Inactive ». Rien ne put persuader le contrôleur du plan de révéler quelles installations occupaient ces secteurs, ni même de montrer la grille de circulation.
Moins de quinze pour cent de la section C étaient représentés en bleu pâle, avec des étiquettes et des symboles indiquant leur activité. La plus grande partie de la section E, où se trouvaient les installations portuaires qu’ils connaissaient, était en bleu, mais la section O ainsi que le pylône de communications étaient noirs.
Katherine montra la section O en déclarant :
— Ils avaient probablement un terminal est et un terminal ouest.
— Conception symétrique ? C’est logique.
— C’est un bon point de départ.
— Espérons que ces sections sont simplement désactivées, pas condamnées.
L’hôpital était situé près du centre de la section C, à trois niveaux au-dessous de l’artère principale. Katherine et Derec y montèrent et prirent la direction de l’ouest. Il n’y avait pas de barrières physiques mais le trottoir roulant express à quatre voies ne fonctionnait pas, ce qui les obligea à marcher.
Au-delà de la limite de la sous-section 42, les lumières du corridor et les « serpents lumineux » directionnels étaient éteints. Se souvenant de ce qu’il avait vu lors de sa première excursion, Derec s’en doutait. Il avait espéré une option de contrôle locale ou un capteur de présence, mais il n’y en avait pas. Ayant devant eux dix-huit sous-sections d’obscurité totale, ils furent obligés de rebrousser chemin.
Ils interpellèrent le premier robot qu’ils rencontrèrent pour se faire montrer où étaient rangées les lanternes à main et retournèrent aussitôt au seuil de la sous-section 42. Les rayons des puissantes lampes portatives plongeaient profondément dans le couloir caverneux et créaient un douillet îlot de lumière autour d’eux. Mais ils gardaient fortement conscience des ténèbres, des échos de leurs pas et du froid des lieux abandonnés où ils pénétraient.
Dix minutes de marche les amenèrent devant la grande porte à triple verrou, à la limite extérieure de la section C. Les deux battants étaient rétractés dans leurs sillons, apparemment désactivés. Passé le seuil, le couloir se rétrécissait pour devenir un trottoir à deux voies, à double sens ; les aires d’arrêt et les voies transversales étaient plus rares.
Derec s’attendait à trouver des robots gardant l’entrée de la section O mais quand ils parvinrent à l’extrémité du trottoir, ils étaient toujours aussi seuls. Le port ouest était bien là où ils l’avaient prévu, et la principale porte d’accès du public n’était même pas fermée à clef.
— Ni gardiens, ni serrures, murmura Derec en s’arrêtant. Très mauvais signe. Ils ont peut-être fait emmener le vaisseau par un de leurs remorqueurs à une centaine de klicks de la base, pour le mettre à l’abri ?
— Allons voir, décida Katherine en se remettant en marche.
Si le port ouest était conservé pour un usage militaire, comme l’avait laissé entendre le Dr Galien, ce n’était certainement qu’au titre d’un article sur la liste de ressources de quelque agent de la logistique. Rien n’indiquait que le complexe eût jamais été autre chose qu’une cosmogare de transit pour le fret et les passagers. Toutes les installations habituelles s’y trouvaient : postes d’importation, douanes, salles d’attente pour les voyageurs.
Katherine précédait Derec quand ils passèrent devant les postes de sécurité inoccupés, le long d’une rampe de chargement en direction de la vaste salle des pas perdus. Elle contenait six guichets d’enregistrement, six salons d’attente vitrés et six hublots d’observation sur deux étages, donnant sur une gigantesque cale d’amarrage et sur le vide de l’espace. Les six môles étaient déserts et obscurs. On ne voyait rien par les hublots, à part quelques lointaines étoiles à la clarté diffuse.
— En bas ? demanda Derec.
Les lèvres pincées, Katherine tourna les talons et descendit par la rampe. La salle inférieure était la copie conforme de celle du haut. Les six appontements inférieurs étaient sombres… Un seul n’était pas vide.
— Gagné ! s’exclama Derec en courant vers le tunnel d’embarquement.
— Je ne comprends pas, haletait Katherine sur ses talons. Où sont les gardiens ? Il devrait y avoir des gardiens.
— Ils sont peut-être à l’intérieur ?
Derec s’arrêta net. Le tunnel d’embarquement aboutissait au sabord d’urgence qu’ils avaient vu installer. De l’autre côté du sas, des scellés de sécurité étaient apposés. Ce n’était que pour la forme, simplement pour indiquer que le sabord avait été ouvert. Cette sorte de scellés ne pouvait empêcher les jeunes gens de monter à bord.
À l’intérieur, rien n’avait été dérangé, semblait-il, depuis que le vaisseau avait été découvert et remorqué. D’ailleurs, à part trois écrans fêlés au-dessus de la grande console de commande, on n’aurait jamais pu penser qu’une explosion avait eu lieu sur le pont principal. On distinguait cependant une douzaine de trous noirs, gros comme le poing, dans les parois et le plafond, indiquant où les charges explosives avaient été placées.
— On ne fait pas sauter sa maison parce qu’un cambrioleur est entré, dit Katherine. Le système de sécurité d’Aranimas devait être fait sur mesure pour sa propre espèce. Quel que soit le nom que vous voulez donner à la mine que vous avez déclenchée…
— Une bombe à radiations, peut-être.
— … elle a dû être conçue pour tuer ou estropier un Erani, sans dégâts pour le vaisseau.
— Ça n’a pas marché contre nous !
Ils ne trouvèrent pas le stylet d’Aranimas mais la force qui avait maintenu en place les carreaux du sol avait été apparemment désactivée quand le courant de propulsion du vaisseau avait été coupé. Vingt minutes plus tard, ils avaient défoncé tout le sol, en vain.
— Dois-je remettre en état ? demanda Katherine en montrant le chaos.
— Aucune raison. N’importe comment, les robots sauront que nous sommes venus.
— Ils ont la clef, n’est-ce pas ?
— Presque certain. Si ce n’est eux, c’est Jacobson.
Katherine soupira.
— Comment allons-nous la trouver ? L’immensité de cette station… Même si la clef était exposée bien en vue, dans un couloir ou un autre, il nous faudrait des semaines pour la trouver. Et vous vous doutez qu’ils ont dû la cacher mieux que ça…
— Ils ont pu la mettre dans un tas d’endroits, marmonna Derec en jetant un dernier coup d’œil dans la cabine principale. Ils ne vont pas la laisser sans surveillance, c’est sûr. Pas comme ils ont laissé ce vaisseau.
— Pourquoi nous ont-ils laissés venir ici, vous avez une idée ?
Derec hocha lentement la tête.
— Pour nous transmettre un message. Pour nous dire qu’ils nous jugent inoffensifs. Pour nous démontrer que nous ne pouvons rien contre eux…
Il soupira.
— Et ils ont raison. Allons-nous-en, d’accord ?