AMI OU ENNEMI
Derec avait passé tellement de temps sous terre qu’il trouva bizarre d’avoir au-dessus de sa tête l’infini des deux et de l’espace. Le soleil, un minuscule disque orangé, était très bas, à vingt degrés à peine au-dessus de l’horizon, et projetait de longues ombres dans les dépressions. Les étoiles brillaient, innombrables, mais il ne distingua aucune planète.
Il ignorait combien de temps il lui faudrait pour modifier la combinaison de travail dans l’espace. Il savait seulement que l’orbite du vaisseau radar se rapprochait et qu’il devait avoir fini avant son arrivée. Il savait aussi que les robots allaient le poursuivre, avec leur obsession de protection à courte vue. Sentant se refermer sur lui les mâchoires d’un étau, il n’avait d’autres solutions que celles de leur échapper ou de mourir.
Il pilota son engin sur le terrain gelé et accidenté, assez loin pour se séparer de l’objectif potentiel de l’entrée du complexe, puis il laissa le porteur à l’abri, dans l’ombre d’une petite vallée et se mit en route. S’il sacrifiait la vitesse en abandonnant le porteur, c’était qu’il se doutait que l’engin possédait un système de téléguidage qui dirigeait les robots vers lui.
Dès qu’il fut à pied, il chercha un endroit propice où se cacher pendant qu’il travaillerait. Ce qu’il avait à faire ne nécessitait pas la lumière du soleil puisque la combinaison avait ses propres phares de travail. Une crevasse noyée d’ombre, une fissure, une caverne de glace feraient l’affaire, le cacheraient sans gêner ses efforts. Mais mieux il serait dissimulé, moins il serait averti de l’approche des robots ou des assaillants. Il lui fallait choisir entre les deux.
Tout en faisant des hypothèses, il se servit de la radio omnidirectionnelle de la combinaison de travail pour envoyer des signaux de détresse. Il ne pouvait pas savoir s’ils porteraient assez loin au-delà de l’horizon pour être captés par le vaisseau ; il craignait que ses appels ne guident les robots vers lui mais il devait essayer, donner aux assaillants à la fois une raison et une chance de le sauver.
— Canal libre, code 1. À tous les vaisseaux, pilote naufragé demande secours. Répondez si vous recevez. À tous les vaisseaux…
Finalement, Derec s’installa dans la fissure d’une paroi de glace, face à la direction d’où il venait. De là, il avait une assez bonne vue du terrain, à part ce qui était caché par des rochers et des monticules. Et il avait une vue dégagée du ciel, du nord-ouest au nord-est.
— Index diagnostic, dit-il.
La partie inférieure de la bulle-visière devint opaque et une liste de sous-systèmes apparut en lettres jaunes lumineuses. Il parcourut rapidement la liste.
— Systèmes moteurs.
Un des articles au milieu de la nomenclature clignota deux fois, puis toute la liste fut remplacée par une autre. Derec continua ainsi jusqu’à ce que le schéma des circuits et des logiciels de sous-contrôle emplisse tout l’écran de leur réseau serré. Il les étudia avec attention et fronça les sourcils.
— Gel, marmonna-t-il.
C’était bien ce qu’il craignait. Le gouvernail n’était pas un appareil physique facile à déconnecter. C’était une boucle en feed-back dans les servocircuits de la jambe. La boucle annonça au contrôle de la combinaison :
— La force appliquée aux propulseurs ne doit pas excéder une force de x dynes/seconde.
De petites forces appliquées rapidement étaient acceptables, ainsi que de grandes forces appliquées lentement. Mais de grandes forces appliquées rapidement, précisément ce qu’il lui fallait, étaient interdites.
S’il avait eu plus de temps, il aurait pu reprogrammer les sous-contrôles mais, dans ces circonstances, il devait se résoudre à une chirurgie radicale. Heureusement, les combinaisons étaient réparables sur le terrain, un perfectionnement qui avait sauvé la vie à plus d’un ouvrier.
Les diverses « mains » que la combinaison pouvait utiliser étaient logées dans de gros réceptacles, sur les cuisses. Derec choisit un micromanipulateur lumineux pour la droite et un chalumeau à laser pour la gauche.
À ce moment-là, le terrain tressauta brusquement sous lui et tout autour de lui, provoquant une petite avalanche de mini-particules retombant lentement sur le haut de la combinaison.
— Vision claire, ordonna-t-il.
La bulle redevint transparente et révéla un spectacle effrayant. Le vaisseau spatial assaillant s’était élevé au-dessus de l’horizon, à l’ouest, et tirait toujours au hasard, en se taillant un chemin de destruction à la surface de l’astéroïde. Le temps pressait.
— Fermeture sous-système vingt-quatre.
Voilà ! Il était engagé. Une fois les contrôles des jambes coupés, Derec ne pouvait plus marcher.
Les modifications exigeaient de passer en les brûlant à travers trois circuits, puis de shunter un quatrième circuit à son voisin. La précision, avec le minuscule laser, était plutôt critique. Un faux mouvement risquait de détruire assez de circuits pour mettre définitivement hors d’usage la combinaison.
Avec l’aide du guide pointeur de l’engin, Derec acheva son travail sur la jambe droite sans incident. Mais quand il fut prêt à s’attaquer à la gauche, les vibrations des explosions les plus puissantes devinrent assez violentes pour faire dévier ses mouvements. Comme il hésitait, en cherchant à deviner la direction des secousses, une voix familière se fit entendre.
— Derec, je vous en prie, écoutez. Derec, il faut vous arrêter. C’est de la folie…
À deux cents mètres, sur la pente d’un monticule au nord, un robot apparut. C’était Moniteur 5 qui agitait les bras et marchait droit sur lui, sans difficulté, sans aucune trace des dégâts que Derec lui avait infligés plus tôt.
Les secousses devenaient de plus en plus violentes car le vaisseau s’était considérablement rapproché, beaucoup plus vite que Derec ne l’avait prévu ; il se trouvait presque au-dessus de lui. Une fois de plus, il était pris entre les assaillants qui le sauveraient en le tuant, et les robots qui le tueraient en le sauvant.
— Va-t’en ! gronda-t-il.
— Derec, vous devez retourner dans le complexe. Vous êtes en danger, ici.
Le vaisseau parut remarquer le robot à cet instant car la plaine entre Moniteur 5 et la paroi où se tenait Derec se trouva soudain sous un tir de barrage de lasers.
Ce n’était pas un armement très puissant qui secouait le terrain et, heureusement, les tireurs ne semblaient pas viser Derec. Mais la surface de cette région était presque uniquement faite de glace, et donc fragile. Un éclair fit fondre le sommet du monticule derrière le robot. Un autre creusa une profonde tranchée entre Derec et lui.
Derec pensa que cela n’arrêterait pas Moniteur 5 et il ne se trompait pas. Le robot plongea dans la tranchée avant même que le nuage de gaz ne se dissipe et Derec le perdit de vue.
Il n’avait pas le temps de se soucier de lui. Serrant les dents, il se remit au travail sur la jambe gauche. En se servant de la rigidité du corps et de l’autocontrôle de la combinaison, il eut bientôt fini. Les trois circuits importuns se vaporisèrent en petits nuages de métal atomisé. Les deux conducteurs parallèles furent soudés et se fondirent en un seul.
— Derec ! cria subitement Moniteur 5. C’est ici ! Dans la glace ! Je l’ai trouvé !
Derec se retourna. Le tir avait cessé mais il n’apercevait pas le robot.
— Panneaux fermés, ordonna-t-il et il abaissa la manette de la radio. Moniteur 5, retourne à l’installation. Tu ne peux rien faire pour moi ici.
Au même instant, un bras métallique surgit hors de la tranchée, la main serrée sur un petit objet argenté. Quelques instants plus tard, Moniteur 5 se hissa sur le rebord et se précipita vers Derec en brandissant triomphalement l’objet argenté.
— La clef est là, Derec ! Vous devez la prendre…
Le triomphe du robot fut de courte durée. Le vaisseau était à présent une énorme masse menaçante, à la verticale. À peine Moniteur 5 avait-il fait un pas, que le tir de lasers reprit. Des rayons rouges de visée balayèrent la glace autour de lui, comme des projecteurs sur une scène.
Derec crut un instant que le robot allait échapper à la destruction, mais alors qu’il était à une dizaine de pas de la paroi, une ligne de feu le coupa en deux. Un instant après, Moniteur 5 disparaissait dans une explosion silencieuse et il ne restait plus qu’une flamme bleu-vert émanant du métal en désintégration.
L’explosion avait fait voler des éclats dans toutes les directions. Un gros fragment tourbillonna rapidement et vint tomber aux pieds de Derec. C’était le bras de Moniteur 5, de l’articulation de l’épaule à la main.
Ses doigts étaient refermés sur le petit objet argenté brillant, un rectangle de quinze centimètres sur cinq, de la taille d’une télécommande ou d’une cartouche de données.
Derec se demanda si c’était là l’objet que les robots avaient cherché avec une telle obstination et depuis si longtemps. Dans ce cas, pourquoi le dernier geste de Moniteur 5 avait-il été de le lui donner ?
Il hésita. Ramasser l’objet constituait un risque supplémentaire dans une entreprise déjà bien trop hasardeuse. Mais il lui était impossible de le laisser sur place. Arrachant les instruments spécialisés des bras de la combinaison, il remit en place les grappins d’usage courant.
— Rebranchement système vingt-quatre, ordonna-t-il et l’unique voyant rouge du tableau de bord passa au vert.
Sa descente le long de la pente où le bras était tombé fut, au mieux, une chute contrôlée. Les servo-jambes bloquées, il ne pouvait marcher normalement. Mais il arriva quand même en bas, saisit dans sa main droite le bras avec l’objet et verrouilla le grappin.
Ramassant ses pieds sous lui, Derec jeta un coup d’œil vers le ciel pour juger de la distance et de l’angle entre le vaisseau et lui. Ses pieds ayant quitté les plaques de contrôle, la combinaison se plia. Une fois accroupi, il tapa des deux pieds, fortement, et les faussantes jambes de l’engin ruèrent de toute leur force prodigieuse. Comme un petit engin spatial autonome, la combinaison s’arracha de la surface pour transporter Derec au rendez-vous avec le vaisseau assaillant.
« D’une façon ou d’une autre, je monte à bord… »
Tout à coup, tout l’astéroïde parut se secouer, comme pris de convulsions : les robots avaient déclenché leur système d’autodestruction. L’explosion projeta dans le ciel une grêle de fragments de shrapnels de l’espace.
Presque immédiatement, toutes les armes du vaisseau entrèrent en action. Au début. Derec crut qu’il était visé, qu’on essayait de l’abattre avant qu’il ne se perde dans le déluge de glace et de rochers en éruption. Puis il eut l’impression que les tireurs visaient ces débris, dont les plus petits et les plus rapides le dépassaient.
Quel que fût leur objectif, l’effet revint au même : quand Derec arriva à une centaine de mètres de la partie la plus rapprochée du vaisseau et commença à chercher quelque chose à quoi s’accrocher de sa main libre, la bulle de sa visière s’illumina d’une lumière bleue qui se déploya en tous sens, comme une chose vivante.
Ses membres s’engourdirent, ses sens l’abandonnèrent. Il eut à peine le temps de penser : Ça ne va pas recommencer ! avant que tout ne s’éteigne et qu’il ne sombre une fois de plus dans les ténèbres.
Malgré le tumulte qui s’était produit quand il avait perdu connaissance, Derec se réveilla dans le calme et facilement. Il était incapable de dire combien de temps avait duré son inconscience, sûrement pas plus de quelques minutes. Il n’était plus à l’extérieur du vaisseau inconnu. On lui avait ôté sa combinaison. Il revenait à lui, couché sur le dos sur un plancher dur, les yeux fixés sur le plafond, percé de petites portes.
Il se souleva sur les coudes et regarda autour de lui. Il était dans une pièce étroite, comme un couloir. Les parois latérales étaient recouvertes d’autres portes – des caissons de rangement ? – et il y avait une issue à chaque extrémité, ou du moins deux panneaux de métal ovales qui pouvaient être des issues.
Derec ne perdit pas son temps à s’interroger sur les portes de sortie ou le contenu des caissons. Un grand animal au pelage brun et jaune était assis sur son derrière, près de lui, et l’observait. Derec trouva qu’il ressemblait à un chien, un saint-bernard avec des yeux vifs de loup. Mais la face était trop plate, les oreilles trop hautes et pointues et les pattes de devant se terminaient par des doigts boudinés recouverts d’une peau grise.
Quoi que ce soit, Derec n’avait jamais rien vu de semblable auparavant. Prudemment, pour ne pas alarmer la créature, il se redressa. Quand il fut assis, l’animal fit un pas vers lui et pencha la tête de côté.
— Tu vas bien ? demanda-t-il d’une voix gutturale.
Derec n’aurait pas été plus suffoqué si la créature s’était brusquement changée en papillon. Non seulement ça parlait, mais ça parlait le standard, même si c’était avec un accent et en roulant les « r ».
— Je… je crois, bredouilla-t-il.
— C’est très bon. Aranimas sera content. Il ne voulait pas te faire de mal.
— Le meilleur moyen de ne pas faire de mal aux gens, c’est de ne pas leur tirer dessus !
— Si nous avions tiré sur toi, nous t’aurions touché, dit l’extraterrestre en découvrant ses dents sur ce qui pouvait être aussi bien un sourire qu’une menace.
Toujours lentement et prudemment, Derec tâta la paroi derrière lui et y prit appui pour se relever. La seule réaction de l’extraterrestre fut de se lever aussi. Quand ils furent debout tous les deux, le bout des oreilles de l’étranger arriva tout juste à la poitrine de Derec, ce qui lui procura un certain réconfort psychologique.
— Qu’est-ce que tu es ? demanda-t-il.
— Ton ami. Que veux-tu encore savoir ?
— Il y a cent quarante mondes colonisés, et sur aucun d’eux il n’y a d’êtres comme toi.
— Là d’où je viens, il y a deux cents mondes colonisés et rien comme toi sur aucun d’eux, répliqua l’extraterrestre avec une nouvelle grimace qui, cette fois, était manifestement un sourire. Viens. Aranimas attend.
— Qui est Aranimas ?
— Aranimas est le maître du navire. Tu verras, dit l’être en faisant demi-tour.
— Attends ! s’écria Derec. Comment t’appelles-tu ? L’extraterrestre se retourna. Il ouvrit la bouche pour en laisser sortir un torrent de sons ne ressemblant à aucun alphabet humain ; c’était un grondement ponctué de sifflements, par-dessus lequel des bulles semblaient éclater. Et il sourit encore.
— Tu peux le prononcer ?
Derec secoua la tête, l’air penaud.
— Non.
— Je m’en doutais. Viens. Il n’est pas prudent de faire attendre Aranimas.
D’une allure souple et rapide, l’extraterrestre conduisit Derec à travers trois compartiments identiques à celui dans lequel il s’était réveillé. Ils se retrouvèrent ensuite dans une minuscule pièce hexagonale, à peine assez grande pour eux deux, qui semblait être au croisement de corridors en étoile, car il y avait dans chaque mur une porte identique. L’extraterrestre attendit que Derec le rattrape et se remit en marche, tout droit.
— Sur quoi donnent les autres portes ?
— Je ne peux pas le dire, répondit gaiement l’inconnu.
Au-delà, le caractère du vaisseau changeait. Les parois et les petits espaces étaient toujours aussi nombreux mais les cloisons étaient faites d’une sorte de grillage ou encore percées de grandes ouvertures en forme de fenêtres. L’ensemble donnait une impression de vaste espace.
La plus grande salle de ce qui constituait comme un pont était droit devant eux. En regardant par-dessus l’épaule de son guide. Derec aperçut ce qu’il crut être un centre de contrôle ; un être assis à une console leur tournait le dos. Sa silhouette avait quelque chose de familier et d’humain, mais en même temps un aspect étrange et troublant.
Dès que le caninoïde le fit entrer dans la salle, il comprit pourquoi les aménagements du vaisseau l’avaient dérouté, pourquoi il y avait des portes aux plafonds. L’extraterrestre assis à la console était nettement humanoïde et Derec put se le décrire mentalement en termes tout à fait humains : charpente mince, long cou maigre, tête presque glabre, peau de couleur pâle.
Même assis, Aranimas était pourtant aussi grand que Derec. Ses bras avaient l’envergure des ailes d’un condor. La console en forme de fer à cheval, large de près de six mètres, était aisément à sa portée.
Derrière et au-dessus de lui, un immense écran d’observation concave révélait une projection de huit vues de l’astéroïde. Presque toutes comportaient en surimpression des grilles de visée bleues et de petits caractères que Derec prit pour des chiffres. Certains changeaient constamment, d’autres seulement en réaction aux gestes des mains d’Aranimas sur la console, et à la succession incessante d’explosions et de glissements de terrain à la surface du corps céleste.
— Praxil, denofa, praxil mastica, dit Aranimas, vraisemblablement dans un microphone. Dé té opt spa, nexori.
Derec avança d’un pas.
— Aranimas ?
L’extraterrestre tourna légèrement la tête à gauche et un frisson parcourut Derec. L’œil de lézard qui le regardait était encastré dans une orbite bombée, sur le côté de la tête. De dos, Derec avait pris ces bosses pour des oreilles.
— Chut ! fit le caninoïde en lui prenant la main pour le tirer en arrière. N’interromps pas le maître. Il te parlera quand il sera prêt.
Aranimas se remit à parler dans son micro. Derec eut l’impression qu’il donnait des ordres, se plaignait, réprimandait, désignait des objectifs, déplaçait des tireurs. Rien ne bougeait à la surface, mais le tir continuait. Au bout de quelques minutes, Derec n’y tint plus.
— Il n’y a plus rien là-dessous ! Ils ont tout fait sauter. Pourquoi faites-vous ça ?
— Entraînement, dit Aranimas.
Il avait une voix de fausset et ses « r » formaient des trilles.
Le tir continua pendant encore une dizaine de minutes, un gaspillage d’énergie de millions de watts contre un monde inerte et sans vie. Enfin Aranimas passa un doigt le long d’une rangée de petites manettes et l’écran s’éteignit.
— Rijat, dit-il en faisant pivoter son siège pour faire face aux nouveaux venus. Quel est ton nom ?
— Derec.
Un seul des deux yeux d’Aranimas était posé sur lui, l’autre vagabondait. Il ne pouvait imaginer l’effet que cela devait faire de contempler le monde de cette façon. Et il se demanda si le cerveau de l’extraterrestre faisait la navette entre les deux réceptions, comme un metteur en scène choisissant une prise de vue. À moins que les deux images ne s’allient pour n’en former qu’une seule ?
— L’engin que tu as utilisé pour attaquer le vaisseau, reprit Aranimas, qu’est-ce que c’était ?
— Une combinaison de travail dans l’espace. Modifiée pour permettre aux servojambes de fonctionner à pleine puissance. Mais je ne vous attaquais pas. Je m’évadais.
L’autre œil d’Aranimas pivota pour se fixer sur Derec.
— Tu étais prisonnier ?
— J’ai d’abord été naufragé sur l’astéroïde dans une capsule de sauvetage. Les robots qui m’ont trouvé ne voulaient plus me laisser partir. J’ai dû leur voler cet équipement pour m’enfuir.
— Et d’où venais-tu avant d’être naufragé ?
— Eh bien… Je ne sais pas. Je ne me souviens de rien, avant cela.
— Ne lui mens pas, chuchota le caninoïde. Ça le met en colère.
— Je ne mens pas ! protesta Derec avec indignation. Autant que je puisse le savoir, il y a cinq jours, je n’existais pas. Voilà tout ce que je sais de moi.
Aranimas n’attendit pas que Derec ait fini de parler pour tirer d’un repli de son vêtement un petit stylet doré. En le voyant, le caninoïde se tassa sur lui-même et se détourna.
— Oh non ! gémit-il. Trop tard.
Aranimas pointa le stylet vers le flanc de Derec et une lueur bleu pâle dansa sur la main de l’humain. Il poussa un hurlement de douleur et tomba à genoux. Il avait l’impression d’avoir plongé la main dans un poêle chauffé à blanc, à la différence près que la peau n’était pas calcinée, et que les extrémités nerveuses n’étaient pas détruites. La douleur continua, sans répit, le privant progressivement de ses forces, jusqu’à ce que ses cris s’étranglent dans sa gorge, trop faibles pour s’en libérer.
— Je connais un peu les lois gouvernant les robots et les humains, dit calmement Aranimas tandis que Derec se tordait sur le sol. Les humains fabriquent des robots pour les servir. Les robots obéissent aux humains. Si tu étais le seul humain dans cet astéroïde, il s’ensuit que les robots étaient sous tes ordres et servaient tes desseins.
Aranimas pointa le stylet vers le plafond et la lueur bleue s’éteignit. La douleur disparut, mais pas son souvenir. Derec resta par terre, sur le côté, en respirant à grands coups.
— J’apprendrai qui tu es et ce que tu sais de l’objet que tu as apporté à bord, poursuivit calmement Aranimas. Pour mettre fin à la douleur, tu n’as qu’à dire la vérité.
Le visage aussi indifférent que sa voix de fausset, il pointa de nouveau le stylet sur Derec.