MISSION

 

 

Derec s’accorda le temps de déjeuner, ce qui était nécessaire, et de prendre une douche, ce qui ne l’était pas. Mais la douche lui permit de réfléchir, ce dont il avait bien besoin. Sa présence, son identité, la cause et la raison de son amnésie le troublaient de plus en plus. Et depuis sa petite excursion, il avait un nouveau mystère à résoudre. Pourquoi les robots se conduisaient-ils si bizarrement à son égard ?

Derec se demanda dans quelles circonstances un robot pouvait refuser de répondre à une question, c’est-à-dire désobéir à ses ordres. Selon les Lois de la Robotique telles qu’il les comprenait, il n’en voyait que deux, toutes deux illustrées par son expérience avec Darla : parce que la réponse dépassait le robot ou parce quil avait été programmé pour ne pas la révéler.

La préséance était capitale pour les robots. Un robot recevant de son propriétaire l’ordre de réviser un engin n’abandonnait pas son travail pour aller à la recherche du chat fugueur du gosse des voisins, à moins que ce ne soit son propriétaire et non l’enfant qui le lui ordonne. Un ordre clairement formulé restait valable envers et contre tout, sauf si un contrordre concernant une situation de la Première Loi intervenait. Si on avait ordonné aux robots de ne pas parler de leur mission, rien de ce que pourrait dire Derec ne les ferait désobéir.

Avant de se rhabiller, il chercha sur son corps des indices de son identité. Aucune cicatrice importante, aucun tatouage ni ornement, aucune bague, aucun bijou.

Son seul signe distinctif était à l’intérieur : ses connaissances. Quelque part, à un moment donné, il avait fait des études avancées de micro-électronique. Il avait plus que des notions de robotique et d’informatique. Était-ce un programme d’instruction normal pour un garçon de son âge ? Il ne le pensait pas. Dans ce cas, cela pourrait être la piste à suivre pour se redécouvrir.

 

Le centre de communications persistait dans son intransigeance, continuait d’ignorer l’input de Derec et d’afficher comme par ironie les mots message transmis. Mais il lui restait encore une porte à pousser. Équipé d’un masque et d’une cartouche de secours, il quitta l’unité A pour explorer le reste du complexe.

Il commença par relever un plan mental de la vaste salle, doté de points cardinaux arbitraires ; il situa l’unité A au sud. La salle lui paraissait à peu près rectangulaire, plus longue du nord au sud que d’est en ouest, par un facteur de deux ou plus. Il commença par marcher en s’aidant de ses mains vers le nord, en suivant le corridor que les robots balayeurs avaient emprunté, et en comptant ses pas.

Au bout de cinq cents pas, ses bras le picotaient et le nord ne semblait pas s’être rapproché. Il s’arrêta pour se reposer tout en considérant la population de robots. Il compta dix-sept humanoïdes, dont aucun n’était près de lui. Parmi les robots non humanoïdes, il identifia cinq espèces : les ramasseurs, les balayeurs, un grand transporteur de marchandises qu’il baptisa porteur, quelques micromonteurs aux bras multiples, et un robot blindé muni de grappins géants dont il ne put deviner la fonction.

La plupart allaient et venaient le long des travées en accomplissant leur mission. Derec remarqua, vers l’extrémité nord de la salle, une petite armée de robots inertes, désactivés, attendant des ordres. Toutes les variétés étaient représentées dans ce groupe, à l’exception des humanoïdes.

Cette réserve fut pour Derec un indice permettant de comprendre où il était. La salle semblait être avant tout un entrepôt de pièces détachées. Il avait reconnu des machines à injection et à extrusion dans un secteur, une batterie de soudure au laser dans un autre, un atelier de fabrication de puces dans un troisième, tout cela utilisé à plein temps. Mais toutes ces opérations avaient, semblait-il, un rapport avec l’entretien.

« Quoi qu’ils fassent ici, ils sont soumis à un emploi du temps très chargé, peut-être même à des opérations continues », se dit-il. L’absence de temps de pause n’avait de raison d’être que lors des opérations de réparation et d’entretien à grande échelle. Et le prix à payer ne valait que si le temps importait plus que l’argent.

La circulation était régulière grâce aux ascenseurs disséminés dans la salle et Derec voulait savoir où allaient tous ces robots. Renonçant à son projet de traverser la salle, Derec se dirigea vers l’ascenseur le plus proche.

Comme le respirateur, les ascenseurs étaient nettement le produit d’une conception d’ingénierie unique. À son œil humain, ils avaient l’air de quelque chose d’inachevé ou de non fonctionnel. Ils étaient aussi une preuve de plus que le complexe avait été conçu pour des robots. Aucun humain n’aurait pris de bon gré un de ces monte-charge.

La cage était un puits vertical de trois mètres de diamètre, aux parois revêtues du même treillis synthétique que le plafond de la salle. En se penchant pour regarder en bas, Derec vit que le puits était éclairé à intervalles réguliers par une lueur bleue fixe, qui devait marquer les autres niveaux. La profondeur lui parut de beaucoup supérieure à la hauteur. Au-dessus de la grande salle, qu’il appelait maintenant l’entrepôt, il ne compta que sept niveaux alors qu’au-dessous il en apercevait au moins vingt avant que la circulation dans le puits ne vienne lui cacher ce qu’il y avait plus bas.

Une plate-forme à claire-voie descendant le long de la barre-guide la plus rapprochée força Derec à reculer d’un bond. La structure carrée d’un mètre de côté atteignit l’étage et s’arrêta, comme pour l’attendre.

Tandis que la plate-forme restait immobile, les allées et venues continuaient sur les trois autres barres chromées. En regardant les robots monter à bord et descendre, Derec constata que ceux-ci étaient maintenus sur les plateaux par magnétisme lorsque les ascenseurs étaient en marche. Il se demanda comment il arriverait à garder son équilibre sans cette aimantation. Il n’y avait pas de garde-fou pour se retenir et la barre-guide lui paraissait électrifiée.

Toutes considérations personnelles mises à part, il ne pouvait s’empêcher d’admirer la conception et l’esthétique de l’ascenseur. C’était une solution simple au problème du trafic le plus intense dans le minimum de temps et d’espace, une solution parfaitement intégrée aux exigences de la colonie.

En dépit de l’astuce du système, Derec n’était pas enthousiasmé par la perspective de monter dans le noir sur une plate-forme découverte au-dessus d’un puits sans fond. Malgré tout, il devait s’y résoudre ou retourner dans l’unité A. Il s’arma de courage et mit avec précaution le pied sur la plate-forme qui l’attendait.

— Monte, dit-il.

— Niveau, s’il vous plaît ?

— Euh… Niveau deux.

Avec un sifflement aigu, le plateau se mit à monter rapidement. Derec se tenait debout, les bras croisés et les jambes écartées. Gardant les yeux fixés sur la première lueur bleue au-dessus de lui, il s’efforçait de ne pas regarder les parois du puits qui défilaient à toute vitesse.

La plate-forme passa comme un éclair devant plusieurs niveaux avant de ralentir progressivement pour lui permettre de descendre. Ce qu’il aperçut au passage le prépara à ce qui l’attendait au niveau deux. En quittant l’ascenseur, il se trouva au croisement de deux passages souterrains au plafond bas, de six mètres de large chacun. Les parois, le sol et le plafond étaient recouverts du sempiternel treillis blanc cassé. Il faisait plus froid que jamais, si froid qu’il voûta les épaules et fourra ses mains sous ses bras.

Le voisinage de l’ascenseur était brillamment illuminé par l’éclairage indirect bleu mais les tunnels n’étaient éclairés que par de faibles lumières jaunes encastrées de loin en loin dans le plafond. Chaque ampoule suffisait à peine à marquer sa position et à faire une petite flaque jaune sur le sol.

La lointaine extrémité des tunnels perpendiculaires était invisible ; les rangées de plafonniers disparaissaient à l’infini, dans les deux directions. D’après ce que voyait Derec, les souterrains pouvaient être longs de plusieurs kilomètres et même de plusieurs dizaines de kilomètres.

« Auraient-ils creusé tout l’astéroïde ? se demanda-t-il. Des milliers de niveaux… des puits de cent kilomètres de profondeur… Est-ce que ce serait une exploitation minière ? »

Il ne comprenait pas pourquoi on se serait donné tant de mal pour fouiller un astéroïde de l’intérieur. Les lames coupantes d’un vaisseau de prospection étaient capables de débiter n’importe quel type d’astéroïde, à part les plus denses en nickel et fer, en menus morceaux pour les gigantesques centres de traitement. À sa connaissance, aucun métal ne valait la peine qu’on dépense autant d’argent. Même en tenant compte de l’économie d’énergie et de matière première due à la main-d’œuvre robotique, il faudrait que ce soit quelque chose de cent fois plus précieux que l’élément le plus rare… à moins que la valeur du secret ne soit un facteur de l’équation.

« À qui ai-je affaire ? » se demanda Derec. Perplexe, il reprit l’ascenseur.

— Niveau trois, dit-il.

Les deux niveaux suivants étaient tout aussi silencieux et d’apparence inachevée. Derec n’aurait su dire s’ils étaient terminés et en attente d’utilisation, comme les pièces détachées de la grande salle, ou finis et à l’abandon.

Mais le niveau cinq était une autre affaire. Le grondement de machinerie lourde assaillit ses oreilles avant même que la plate-forme n’atteigne la zone éclairée. Quand il la quitta, il sentit dans le sol et le plafond du tunnel un roulement, des vibrations à basse fréquence.

« Je me rapproche, pensa-t-il. De quel côté, maintenant ? » Le bruit l’environnait ; il lui était impossible de savoir quel était le tunnel le plus intéressant.

Pendant qu’il hésitait, une double plate-forme arriva et déchargea un robot porteur. Suivant son impulsion. Derec monta sur le plateau à demi chargé. Il comptait que le robot l’ignorerait, comme l’avait fait le ramasseur, et il ne fut pas déçu. Le porteur ne le prit pas dans ses bras et ne chercha pas à le déloger ; il s’engagea dans le tunnel sud.

 

Pendant les deux premières minutes du trajet, le souffle d’air et les grincements des mécanismes du robot masquèrent les bruits d’une activité lointaine. Mais bientôt, Derec distingua des éléments séparés, des coups irréguliers comme des explosions étouffées, un crissement de meule qui lui mit les nerfs à vif, et un sourd grondement continu évoquant le déplacement d’énormes masses de roche et de glace.

Finalement, la fin du tunnel apparut comme un carré noir dans le lointain. Tout de suite après, Derec détecta dans l’air une bouffée d’ammoniac. À ce moment-là, une autre pièce du puzzle se mit en place.

Dès le début, il s’était demandé pourquoi le complexe, à l’extérieur de l’unité A, était plein d’azote. Les robots n’en avaient pas besoin. À vrai dire, les robots n’avaient besoin d’aucune espèce d’atmosphère ; et il devait être beaucoup plus compliqué de maintenir le complexe hermétique et pressurisé que de le laisser simplement grand ouvert sur l’espace.

Le maintien d’une atmosphère composée de deux gaz standard, dans des proportions justes, dans tout le vaste complexe, était encore plus difficile. Derec avait conclu que l’atmosphère d’azote et les respirateurs « ouverts » étaient un compromis entre une combinaison pressurisée intégrale et la complexité d’un système A à deux gaz. L’azote permettait aux humains de parler et d’entendre normalement, d’aller et de venir sans combinaison spatiale, et sans le risque d’incendie et d’explosion provoqué par l’oxygène libre.

Mais il avait négligé un détail important. La glace formant une grande partie de la masse de l’astéroïde n’était pas de l’eau mais un composé de méthane et d’ammoniac. Les procédés d’excavation devaient inévitablement les libérer comme des gaz dans tout le secteur de travail et ils pouvaient réagir entre eux ou au contact des circuits et de la puissante énergie de la machinerie.

« J’aurais dû voir ça plus tôt », pensa-t-il. Sans une atmosphère comprenant un gaz relativement inerte, il n’y avait pas moyen de le diluer ou de chasser les composés importuns. Ici l’atmosphère comportait l’azote. Elle permettait la présence humaine mais n’était pas créée pour le confort des humains.

Le porteur ralentit quand ils arrivèrent à l’extrémité du tunnel et Derec en profita pour sauter de la plate-forme. Plusieurs robots étaient réunis près de la porte de ce qu’il pensa devoir être la salle de travail. Par cette ouverture, il entrevit une paroi rocheuse déchiquetée, du matériel lourd et, de temps en temps, des éclairs de lumière vive.

Le portail était un énorme appareil en forme de caisson qui bloquait les quatre parois du tunnel. Le seul accès à la salle était un étroit passage entre des citernes vert vif contenant probablement des produits chimiques. C’était là que Derec devait aller.

En s’approchant, il vit que le portail avançait lentement. Comme une grosse larve mécanique, il creusait la masse de l’astéroïde et laissait derrière lui le tunnel fini. Tout – la matière première des parois, le revêtement de treillis synthétique, même les lampes du plafond – se faisait en une seule opération continue. Le portail était un appareil paveur quadrisurface.

Mais ce qui intéressait Derec, c’était l’excavation. Il monta sur le portail et se glissa entre les cylindres qui lui arrivaient à l’épaule, conscient d’être suivi par un des robots humanoïdes. Un fort courant d’air se faisait dans le passage entre le tunnel et la salle. Malgré tout, l’odeur d’ammoniac était assez forte pour lui donner la nausée.

De l’autre côté, le chemin s’élargissait pour former une cabine de contrôle où deux humanoïdes étaient assis derrière une rangée de panneaux transparents ; ils observaient la salle d’excavation qui entourait le portail sur trois côtés. Derec s’arrêta à quelques pas de la rampe donnant accès à l’excavation et tenta de déterminer les fonctions du matériel qui l’emplissait.

La paroi vive du matériau astéroïdal était à une trentaine de mètres de lui. Une perforatrice à deux têtes la travaillait, dotée de meules rotatives et de lasers à micro-ondes. Les deux bras se balançaient d’un côté et de l’autre comme des cobras et, devant eux, la roche et la glace s’émiettaient.

Les lasers semblaient faire le plus de dégâts. Soudain dégagée de la gangue de glace, la roche glissait le long de la paroi avec force craquements. Les dépôts plus résistants étaient arrachés par les dents pivotantes des meules. Les gaz s’élevant en vapeur de la surface étaient aspirés par les larges bouches d’aération du plafond.

Derec était absorbé dans la contemplation du travail quand une main métallique se posa sur son épaule.

— Vous ne devez pas entrer dans la zone de travail durant les opérations, lui dit un robot.

Cette déclaration l’irrita et il riposta, sans se retourner :

— J’entrerai si je veux.

Le robot resserra son étreinte.

— Vous ne devez pas entrer dans la zone de travail durant les opérations, répéta-t-il. Le personnel non qualifié y est jugé en danger.

Derec dégagea son épaule et tourna le dos au robot, pour regarder de nouveau l’excavation. Comme le portail, l’unité d’extraction avançait lentement le long de la paroi. Le mouvement faisait tomber un chaos de rochers à portée des bras d’un haveur qui les canalisait par une rampe vers une gigantesque trémie. Deux convoyeuses emportaient les matériaux de la trémie, l’une vers la gauche, l’autre vers la droite, les faisant passer par un poste de rayons N, un poste de rayons X et un magnétomètre.

À partir de là, tout devenait confus. On avait l’impression que les robots, après s’être donné tant de mal pour miner l’astéroïde, avaient oublié quelles parties ils voulaient garder.

Une partie des déblais étaient transportés par une autre convoyeuse vers un broyeur, et utilisés ensuite comme matériau pour les parois du tunnel, épaisses de quinze centimètres. Étonné, Derec constata que le reste était tassé au fond de l’excavation, allié au méthane et à l’ammoniac pour reformer une muraille de glace et de roche. L’excavation ne s’agrandissait jamais.

« Mais le tunnel ? se demanda Derec. Ils doivent bien emporter quelque chose… »

Un examen plus attentif le détrompa. Le volume vide du tunnel qui s’allongeait sans cesse signifiait simplement que le matériau astéroïdal qui l’entourait était remis en place sous forme plus compressée que lors de son extraction. En somme, rien n’était extrait. Rien n’était emporté en vue d’un raffinage ou d’une mission quelconques.

Cela n’avait aucun sens.

Le signal d’alarme indiquant la fin prochaine de la cartouche du respirateur se fit entendre, et Derec transféra le tube d’alimentation sur la seconde réserve. Il devait rebrousser chemin sous peine de mourir d’empoisonnement par l’azote avant d’avoir eu le temps de regagner l’unité A. Mais il avait du mal à s’arracher au spectacle incompréhensible d’une douzaine de robots et de quelques millions de dollars de matériel lourd engagés dans une tâche aussi ridicule que le creusement d’un trou dans de l’eau. Et combien d’excavations du même genre y avait-il en chantier dans le complexe ? Dix ? Cinquante ? Cinq cents ?

Tout en cherchant à comprendre, Derec concentra son attention sur les robots. Trois, appartenant à l’espèce blindée, surveillaient la trémie, cassaient les morceaux trop gros avec leurs grappins. Un quatrième se tenait sur une petite plate-forme, sous les flèches de la perforatrice, et brisait lui aussi les blocs trop importants quand ils tombaient de la paroi. Deux humanoïdes étaient en faction aux stations de rayons N, devant un écran de contrôle.

L’ange gardien de Derec était toujours derrière lui à portée de bras. Il se retourna et chercha à regarder au fond des yeux du robot.

— Qu’est-ce que vous extrayez ici ? À quoi rime toute cette activité ? (Le robot ne répondit pas mais continua de regarder Derec de ses yeux sans expression.) Écarte-toi, grommela Derec, excédé.

Le robot recula dans la cabine de contrôle pour le laisser passer.

L’irritation de Derec se transformait en colère. Il suivit le petit passage étroit et sauta dans le tunnel mais une fois là, il comprit son erreur. Il n’y avait pas de robot porteur pour le ramener à l’ascenseur.

— J’ai besoin d’un moyen de transport, dit-il rageusement au premier robot humanoïde venu. Peux-tu me dire quand le prochain porteur viendra faire une livraison ?

— Quel est votre besoin ?

— J’ai besoin d’un moyen de transport !

— Ceci n’est pas une allocation de ressources approuvée.

Derec ne prit même pas la peine de discuter. Tournant les talons, il partit vers le nord, l’esprit en déroute, la tête pleine de pensées confuses. Il avait l’impression que la réponse à toutes ses questions était déjà à sa portée mais qu’il était incapable de la reconnaître. Qu’est-ce que cela signifiait ? Où était la fausse note ?

Pendant qu’il marchait en s’aidant de ses mains le long du tunnel, ses réflexions retournaient sans cesse vers les robots. Il y avait quelque chose d’insolite dans leur comportement, dans leur façon de travailler ensemble. À l’intérieur du complexe, les travaux répétitifs, la routine, étaient accomplis par les robots non humanoïdes. Les humanoïdes à la peau bleue étaient contremaîtres, surveillants, gardiens de l’ordre, techniciens, spécialistes de la réparation. Mais ils auraient pu tout aussi facilement se charger des travaux répétitifs, et même de l’extraction. Au lieu de cela, une demi-douzaine de robots spécialisés – porteurs, ramasseurs, mineurs – ne se comportaient pas du tout comme des robots…

Derec s’arrêta net et se retourna vers l’excavation. Bien sûr. Bien sûr. Le ramasseur et les balayeurs, les mineurs et les porteurs n’étaient pas des robots spécialisés travaillant pour les bleus. Ils étaient des outils manipulés par les humanoïdes. Ils avaient une intelligence limitée, peut-être même pas positronique. La véritable intelligence était celle des robots humanoïdes, qui pouvaient s’avérer plus sophistiqués encore que tous ceux que Derec avait pu connaître.

Mais pourquoi étaient-ils tous là ?

Derec songea aux autres niveaux, à tous les tunnels déjà creusés, à la masse de l’astéroïde encore intacte. Serait-il tombé sur un site d’expériences industrielles ? Cela expliquerait beaucoup de choses : le secret, la marque distinctive d’un entrepreneur inconnu, l’extraction incessante mais sans objet.

« Concentre-toi sur les robots, se dit-il. Les travaux qu’ils effectuent eux-mêmes sont ceux qu’ils jugent importants… »

Il songea subitement aux deux robots humanoïdes observant les instruments de surveillance, à la convoyeuse, et tout à coup, il comprit. C’était impensable mais une fois formée dans son esprit, il ne put chasser son idée.

Les robots ne transformaient pas l’astéroïde en une mine. Ils le passaient au crible. Ils cherchaient quelque chose, une chose perdue, ou enfouie, ou cachée, une chose unique, précieuse, qui valait toutes les dépenses, tous les efforts.

Ce que les robots cherchaient, Derec n’aurait su même l’imaginer. Et pour l’heure, il n’était pas sûr d’avoir envie de le savoir.