UN-UN

 

 

La première idée de Katherine fut que c’était un monument, puis elle se souvint qu’il n’y avait pas de monuments dans la Cité des robots. La structure était posée sur un socle étroit d’une trentaine de mètres de haut. C’était situé au beau milieu d’un pâté de maisons et la ville continuait simplement de se construire en demi-cercle autour de la chose, en la laissant isolée des autres édifices par une zone déserte d’une quinzaine de mètres. Katherine avait passé des heures à marcher sans but dans la topographie changeante de la ville, mais elle s’arrêta dès qu’elle arriva devant l’objet posé au sommet d’un piédestal.

Ce n’était pas autre chose qu’une pièce. D’en bas, Katherine l’examina. Une boîte carrée, d’environ cinq mètres de côté, entièrement close. Les robots trouvaient naturel le travail constant de leur ville et acceptaient tranquillement cette anomalie. Pour l’œil imaginatif, c’était aussi invraisemblable qu’une éclipse de soleil par un bel après-midi.

Katherine continuait de regarder fixement l’objet parce qu’elle ne voulait pas le perdre de vue. La ville n’arrêtait pas de bouger et de pousser sous ses yeux, et tandis que les édifices tournaient dans leur valse lente de la vie, elle tournait avec eux, sans quitter la pièce des yeux. Éve, pendant ce temps, cherchait un surveillant qui trouverait un moyen de pénétrer dans la structure pour une perquisition.

Au cours de son excursion, Katherine avait fini par être impressionnée par le travail de la ville. Manifestement, les choses n’allaient pas pour le mieux en ce moment, mais à long terme, un tel système devait être très bénéfique, tant pour les humains que pour les robots qui l’habitaient. Le facteur sécurité à lui seul faisait toute la valeur du système. La terrible aventure de Derec dans l’aqueduc n’avait eu pour résultat qu’une bonne fatigue et quelques bleus, cela parce que le système lui-même avait tout fait pour le protéger. Elle se dit qu’une telle équipée, à Aurora, aurait causé la mort de Derec et elle sourit à la pensée d’une ville à l’épreuve de Derec.

Elle eut aussi le temps, en attendant le retour d’Éve en compagnie d’un surveillant, de remarquer les changements qui se produisaient autour d’elle. Elle avait l’impression de visiter une station balnéaire à la fin de la morte-saison, à l’arrivée des travailleurs saisonniers venant remettre les choses en état, avant la venue des touristes. Des horloges étaient installées en divers points, des panneaux indicateurs apparaissaient. Le plus grand changement, toutefois, consistait en la production massive et la distribution de chaises et de fauteuils. Les robots n’avaient besoin ni de s’asseoir ni de se reposer ; les sièges apparaissaient en quelque sorte comme une prime ; dans leur désir de rendre la ville aussi accueillante que possible aux humains, les robots travaillaient avec grand soin, s’appliquaient même, alors que l’état d’urgence en forçait plus d’un à faire des heures supplémentaires. Elle douta qu’elle aurait autant de patience si c’était sa ville, et cette pensée l’humilia.

Malgré les différences, les robots essayaient très sincèrement de rendre leur monde aussi parfait qu’ils le pouvaient pour des voyageurs qu’ils soupçonnaient de meurtre. Jamais encore elle n’avait envisagé la symbiose des rapports liant les humains aux robots, jamais l’idée ne lui était venue que c’était essentiel, tout au moins pour les robots. Elle se surprit à espérer qu’ils auraient un jour leur civilisation, complète, avec des humains pour les commander et leur donner des ordres stupides. Elle sourit encore ; sa mère avait une expression à elle qui collait au désir de compagnie humaine exprimé par les robots : les gloutons du châtiment.

Entendant du bruit derrière elle, elle se retourna en pensant voir arriver un surveillant, mais c’étaient deux robots utilitaires portant… un banc de parc. Sans un mot ils s’approchèrent, posèrent le banc juste derrière Katherine et repartirent. Elle s’assit.

Elle n’était pas sur le banc depuis un décan lorsqu’Arion arriva bruyamment, en compagnie d’un robot utilitaire portant sur son dos une grosse torche à laser. Elle songea aussitôt à la scène qu’Éve lui avait décrite, quand David s’était trouvé emprisonné par la pièce.

— Bonjour, amie Katherine, lui dit aimablement Arion. Je vois que vous profitez d’un de nos sièges pour reposer votre corps. C’est très bien.

— Qu’est-ce que tu as là, au poignet ? Une montre ?

Le surveillant leva le bras, pour montrer le bracelet.

— Un gage de solidarité, déclara-t-il.

— Tu es chargé des fonctions humano-créatrices de la Cité des robots, n’est-ce pas ?

— Humano-créatrice est un pléonasme, répliqua Arion. La créativité est humaine par définition. J’espère que vous avez trouvé satisfaisants les divertissements que je vous ai fournis.

— Nous en parlerons plus tard.

— Bien entendu.

— Je te remercie d’être venu si vite.

— C’est une affaire prioritaire, répondit le robot en levant les yeux vers la pièce hermétique. Vous pensez que le corps se trouve là ?

— J’en suis certaine.

— Très bien. Allons voir de plus près.

Katherine se leva et suivit Arion au pied de la tour.

Le piédestal avait à peu près le diamètre d’un gros arbre ; elle aurait pu en faire le tour de ses bras. Arion toucha légèrement la surface bleue lisse et, comme par magie, un escalier en spirale avec sa rampe jaillit et s’enroula autour du socle.

— Après vous, dit poliment le robot.

Katherine monta ; l’escalier était ainsi conçu qu’elle ne pouvait souffrir du vertige. Le temps fraîchissait, présage d’une nouvelle chute de pluie ravageuse. Derrière elle, Arion, le robot utilitaire et le témoin suivaient docilement, et elle comprit qu’elle était en tête parce que c’était normal, parce que c’était son idée, son enquête. Elle pouvait enfin donner des ordres et se faire obéir par des robots.

Elle arriva rapidement au sommet. Le disque plat du piédestal se releva et s’arrondit tout autour pour qu’elle ne puisse pas tomber. Restait la pièce. Elle était parfaitement carrée et d’une teinte gris rosé uniforme. Katherine en fit le tour pour chercher une ouverture mais sa première observation, vue d’en bas, se confirma. La pièce était hermétiquement scellée.

— Que proposez-vous à présent ? demanda Arion.

— Nous devons pénétrer à l’intérieur et voir ce qu’il y a dedans, répondit-elle. Il n’y a pas d’autre moyen pour entrer que d’utiliser la torche ?

— Normalement, cette situation ne se présenterait jamais, lui dit Arion. Il n’y a aucun autre bâtiment dans la ville qui se comporte ainsi. Il n’y a aucune raison de fermer hermétiquement une pièce.

— Tu veux dire que tu ne sais pas pourquoi ni comment des pièces se ferment ?

— Le programme de la ville nous a été donné intact par le noyau central qui contient seul le pro gramme d’information. Nous ne savons pas, sauf par nos observations, comment la ville fonctionne.

Katherine en fut très étonnée.

— En somme, la ville est par elle-même un robot extrêmement avancé, opérant hors de votre contrôle.

— Votre déclaration est fondamentalement erronée mais contient un germe de vérité. La ville n’est pas extrêmement avancée, du moins pas dans le sens où nous le disons pour… un robot surveillant, par exemple.

— N’y aurait-il pas là une petite rivalité ?

— Certainement pas, protesta Arion. Nous ne sommes pas capables d’éprouver des sentiments tels que ceux dont vous parlez. J’exposais simplement un fait connu. L’autonomie de la ville est directement liée au noyau central, bien qu’elle fonctionne, effectivement, hors du contrôle des surveillants.

— Tu peux modifier le programme de la ville ?

— Pas directement. Le noyau central contrôle le programme de la ville, et les surveillants n’interviennent pas grâce à une programmation directe.

— Je commence à comprendre, murmura Katherine en faisant signe au robot à la torche de s’approcher. Les données contenues dans le noyau central sont la source d’où découle la ville entière. Toutes vos activités, ici, ne sont qu’une extension de la programmation contenue à l’intérieur, pour le meilleur et pour le pire.

— Nous sommes des robots, amie Katherine. Il ne saurait en être autrement. Les robots ne sont pas des forces de changement mais simplement des extensions de la pensée existante. C’est pourquoi nous avons si désespérément besoin de la compagnie des humains.

— Coupe ici, ordonna Katherine en montrant le mur.

Le robot utilitaire attendit quelle ait reculé à bonne distance avant de mettre en marche son appareil et d’approcher du mur l’embout en forme de lance de la torche proprement dite.

— Est-ce que cette coupure va rompre le contact avec le programme principal ? demanda-t-elle.

— Non, répondit le robot tandis que la torche se mettait en marche avec un sifflement aigu, son rayon invisible faisant rougir et fumer une petite partie du mur. Les synapses se réorientent et rétablissent le contact ailleurs.

Avec un bruit de succion, la torche traversa le mur ; c’était un bruit bien connu de tous les Spatiaux : celui de l’air se précipitant dans le vide. La pièce s’était scellée hermétiquement, sans emmagasiner d’air. La torche travailla plus vite, en découpant un trou rond assez grand pour le passage d’un être humain.

Les bords étaient déchiquetés ; ces murs qui paraissaient si souples, par leur programmation, résistaient obstinément à cette attaque non programmée. En dépit de ce que disait Arion, Katherine était très impressionnée par la ville-robot.

L’utilitaire avait presque fini et retirait mécaniquement les derniers pans de mur. Katherine devait mettre un frein à son impatience. Elle brûlait d’envie d’aller regarder à l’intérieur et seule la peur de la torche la retenait.

— Est-on capable de pratiquer des autopsies, ici ? demanda-t-elle à Arion, en y pensant subitement.

— La programmation médicale existe et en ce moment même plusieurs robots médicalement entraînés sortent de nos chaînes de production, en même temps que des tables de diagnostic et diverses machines. Des médicaments synthétisés et des instruments sont produits à un rythme moins rapide. Une énorme partie de la ville est consacrée à sa construction, aussi ces considérations n’ont-elles jamais été un problème pour nous, du moins avant la mort de David.

— Ça y est, annonça le robot en faisant tomber le dernier pan de mur.

— Témoin ! appela Arion.

Katherine courut pour entrer dans la pièce. Le corps nu était couché à plat ventre, au milieu. Elle s’approcha hardiment mais s’arrêta net en portant une main à son cœur. Elle avait été si absorbée par sa mission qu’elle n’avait pas réfléchi que c’était la mort – la mort – quelle verrait. Elle se sentit horrifiée, tremblante : son cœur battait trop fort.

— Quelque chose ne va pas ? demanda le robot témoin.

— N-non… Si… Ça va, bredouilla-t-elle, incapable d’avancer ou de reculer, les yeux rivés sur le cadavre.

— S’il y a un problème, dit Arion, ressortez. Ne vous mettez pas en danger.

Allez, ma vieille, se dit-elle. Un peu de sang-froid quoi ! Tu dois y aller. Tu ne peux pas t’arrêter…

— Je vais très bien, répliqua-t-elle.

Elle respira profondément, fit un pas, puis un autre et alla s’accroupir à côté du cadavre. Elle le toucha en hésitant. La peau était froide, les muscles durs.

— Tout va bien ? demanda Arion.

— Oui, dit-elle en souhaitant qu’il la laisse tranquille.

Il n’y avait aucun signe de décomposition et elle comprit que c’était parce qu’il était resté dans le vide. C’était déjà quelque chose.

Le cœur battant, la respiration encore oppressée, elle examina le dos du mort. Elle remarqua une petite coupure sur le cou-de-pied gauche et comprit immédiatement ce qui l’avait causée. Quelque chose d’idiot, qui lui était souvent arrivé, un faux pas, les pieds qui s’emmêlent, des pieds nus, un ongle trop long. Ce n’était rien. Il y avait un peu de sang sur le côté et la plante du pied mais c’était tout. Elle allait devoir retourner le corps.

Elle voulut le pousser mais ses mains tremblaient trop fort. Je vais être comme ça bientôt, cinquante kilos de viande froide ? se demanda-t-elle. Elle s’efforça encore une fois de faire rouler le corps sur le dos mais ses bras n’avaient plus de force.

— Peux-tu m’aider ? cria-t-elle par-dessus son épaule et Arion passa aussitôt par le trou pour s’accroupir à côté d’elle. Je veux le retourner.

— Certainement.

Arion souleva avec précaution un côté du cadavre, qui roula facilement et des yeux morts se fixèrent sur Katherine.

Elle s’entendit hurler et sa voix lui parut lointaine, étrangère. Elle était en état de choc. C’était Derec ! Derec !

La pièce se mit à tourner, son estomac se révulsa, le sol parut monter brutalement vers elle et elle sombra dans un abîme de ténèbres et d’inconscience.

 

— N’essayez pas de sortir d’ici sans moi pour vous guider, cria Avernus à Derec qui s’avançait dans la marée grouillante des robots. Vous risquez de vous perdre dans ces tunnels.

— Ne t’en fais pas ! lui cria le jeune homme qui songeait davantage au danger de l’immense salle principale qu’au labyrinthe des galeries.

Il marcha lentement en fendant la foule, vers Rydberg. L’air était lourd et humide, Derec était fasciné par le spectacle et ne sentait pas son malaise, dû à la claustrophobie. Son esprit ne s’attardait pas sur les problèmes trop humains du site.

Rydberg le regarda s’approcher et grimper sur le chariot pour le rejoindre.

— Oue faites-vous ici ? demanda le robot. Les souterrains sont trop dangereux pour vous.

— J’ai persuadé Avernus de me conduire ici et de me protéger. Que se passe-t-il, en ce moment ?

— Nous essayons de percer un tunnel jusqu’au réservoir, expliqua Rydberg. Nous espérons trouver un moyen de drainer en partie les eaux dans les galeries abandonnées, au-dessous de nous, pour empêcher le réservoir de déborder.

Derec eut l’impression d’être parcouru par une décharge électrique.

— C’est merveilleux ! s’exclama-t-il. Vous avez établi un rapport de troisième degré… C’est un saut créateur !

— C’est de la logique élémentaire. Comme l’eau doit de toute façon pénétrer dans la mine, il est naturel que nous cherchions à la canaliser vers les parties de la mine où elle causera le moins de dégâts. Malheureusement, nos estimations montrent que cette manœuvre ne peut que retarder d’un jour ou deux l’inévitable. Tout ce travail est peut-être accompli en vain.

— Pourquoi creusez-vous à la main ? Où sont les machines ?

— Elles sont mobilisées par le travail de la mine. L’allure actuelle de construction de la ville a la préséance sur toutes les autres activités.

Rydberg tourna la tête pour surveiller les travaux. Derec posa une main sur le bras du robot.

— Mais c’est la construction de la ville qui vous tue !

— Elle doit se faire.

— Pourquoi ?

— Je ne peux répondre à cette question.

Derec regarda de tous côtés l’activité fébrile d’une civilisation qui s’efforçait de survivre. Ils n’étaient pas humains, non, mais cela ne voulait pas dire que leur vie ne comptait pas. Il y avait de l’intelligence, là, un effort concerté vers la perfection de l’esprit. Il y avait plus de valeur humaine dans cette mine que dans tout ce qu’il avait pu voir dans son très bref aperçu de l’humanité. Une pensée le frappa, la raison de tout cela, la raison de l’état d’alerte.

— C’est défensif, n’est-ce pas ? demanda-t-il. La construction de la ville est une manière de se défendre contre une invasion ?

Rydbergle regarda mais ne répondit pas. Derec lui serra le bras plus fort.

— C’est ça, n’est-ce pas ?

— Je ne peux répondre à cette question.

— Dis-moi si je me trompe ?

— Je ne peux répondre à cette question.

— Je le savais ! s’écria-t-il, convaincu. Et si cela a coïncidé avec l’apparition de David dans la ville, cela doit avoir un rapport avec lui. Pour une fois, Katherine a raison. Toute cette affaire vient d’un programme du noyau central et, manifestement, il y a erreur dans la programmation. Il doit y avoir un moyen de tourner la difficulté.

— Les robots ne font pas de programmes, Derec, dit Rydberg.

— Alors conduis-moi au noyau !

— Je ne peux pas… Je regrette.

Derec voulait discuter, contraindre le robot à obéir, mais il avait peur que ses arguments ne plongent Rydberg dans une telle contradiction que ses facultés seraient grillées. Il ne savait pas de quel côté aller mais avait cependant un aperçu du problème, comme une image holographique qui lui échappait.

— Vous ne m’avez toujours pas dit pourquoi vous êtes descendu dans la mine, reprit Rydberg. Les humains ont un si faible sens du danger que je ne comprends pas comment votre espèce a survécu jusqu’à présent. Si vous ne pouvez pas me présenter une raison absolue de votre présence ici, il me faudra vous renvoyer immédiatement.

— Si les humains ont un faible sens du danger personnel, rétorqua Derec, furieux de l’incapacité de la Cité des robots à se sauver, alors votre programmation en a hérité. Je suis descendu pour voir 1-1, au sujet d’une affaire qui vous concerne tous. Veux-tu me le désigner, s’il te plaît ?

— Notre premier citoyen ? demanda Rydberg. (Derec crut qu’il allait en dire plus mais au lieu de cela le robot augmenta le volume du son pour appeler :) le ROBOT 1-1 EST PRIÉ DE SE PRÉSENTER !

Une minute plus tard, un petit robot utilitaire à l’aspect anodin, pourvu d’énormes mains en forme de grappins, s’approcha du chariot.

— Je suis ici, surveillant Rydberg.

— L’ami Derec désire te parler au sujet d’une affaire personnelle. Fais ce qu’il demande mais ne perds pas de temps.

Derec sauta du wagonnet.

— Il paraît que tu as été le premier robot à se réveiller sur cette planète ?

— C’est exact.

— Viens avec moi. Sortons de ce chaos.

Ils traversèrent rapidement la salle vers l’endroit où Avernus avait déposé Derec.

— Je recherche les origines de la Cité des robots, dit-il, et cette recherche m’a amené jusqu’à toi. Tu étais le premier.

— Logique. J’étais le premier.

— Je veux que tu me dises exactement quel a été ton tout premier input visuel et ce qui a suivi.

— Mon premier input visuel a été un bras humain branchant mon alimentation en énergie, répondit le robot. Ensuite l’humain a tourné le dos et s’est éloigné.

— Tu as vu son visage ?

— Non.

— Que s’est-il passé ensuite ?

— L’humain s’est éloigné à une certaine distance de moi et a disparu derrière des machines destinées à nous aider dans nos premiers travaux miniers. Je devais attendre une heure et activer tous les autres robots non opérationnels qui se trouvaient là. Puis nous devions commencer les travaux, ce que nous avons fait.

— En quoi consistaient les premiers travaux ?

— Il y avait cinquante utilitaires, plus le surveillant Avernus. Vingt-cinq d’entre nous avons construit la tour du Compas avec des matériaux laissés pour nous, pendant que le surveillant Avernus et les vingt-cinq autres commençaient à tracer les plans pour construire les installations souterraines et entamer les opérations minières.

Derec était perplexe.

— Avernus n’a pas surveillé la construction de la tour du Compas ?

— Non. Ce devait être une entité séparée du reste de la ville. Elle était complètement programmée, complètement matérialisée. Le surveillant Avernus n’avait pas besoin de s’y intéresser.

Derec entendit un bruit de moteur et vit des lumières au fond du tunnel ; elles se rapprochaient peu à peu.

— Qu’entends-tu par entité séparée ? demanda-t-il.

— La tour du Compas est unique à bien des égards, ami Derec, expliqua 1-1. Elle ne fait pas partie du plan d’ensemble de la ville ; elle est surmontée d’une plate-forme d’arrivée interdite ; elle contient un bureau d’administration humaine entièrement équipé.

— Quoi ! s’exclama Derec en observant le train de wagonnets qui se précipitait vers lui. Un bureau pour qui ?

— Je ne sais pas. Peut-être pour la personne qui m’a réveillé.

— Tu n’en as jamais parlé aux surveillants ?

— Personne n’a jamais cherché à le savoir.

— Pourquoi l’appelles-tu un bureau d’administration ?

— Les plans de construction étaient enfermés dans ma banque de données. C’était ainsi qu’il s’appelait sur les plans.

Le train de wagonnets s’arrêta en grinçant à côté de Derec, l’énorme masse d’Avernus était tassée à l’avant.

— Nous devons partir, annonça-t-il.

— Un instant. Pourquoi l’appelles-tu une plateforme d’arrivée ? demanda Derec à 1-1.

— Nous devons partir tout de suite, insista Avernus.

— Elle était désignée comme point d’atterrissage, répondit le premier robot. Rien n’est jamais autorisé sur sa surface, ni à moins de vingt mètres de son espace aérien.

Avernus saisit avec fermeté le bras de Derec et fit pivoter le jeune homme vers lui, sans brutalité.

— Nous devons partir, répéta-t-il. Il est arrivé quelque chose à l’amie Katherine.

Derec chancela comme s’il avait été frappé.

— Quoi ? Que lui est-il arrivé ? Comment va-t-elle ?

— Elle est sans connaissance, dit Avernus. À part cela, nous ne savons pas.