Dans ce chapitre :
De Socrate à Sartre, tous les grands noms de l’histoire de la philosophie
Le noyau de leur pensée, exposé le plus clairement du monde !
Tous les textes officiels le disent et le répètent : le cours de la philosophie n’est pas un cours d’histoire de la philosophie, et il n’est pas exigé des candidats qu’ils connaissent tel ou tel philosophe en particulier, excepté bien sûr s’il est l’auteur d’un ouvrage étudié en classe.
Cela dit, la connaissance, même très parcellaire, d’un grand philosophe vous donnera sur vos camarades un avantage sélectif qui pourra peser fortement en votre faveur le jour de l’épreuve.
Socrate (469-399 av. J.-C.)
Bien que n’ayant jamais écrit, Socrate est considéré comme le « père » de la philosophie parce que, à la différence de ses prédécesseurs nommés « présocratiques » (Thalès, Pythagore, Héraclite, Parménide, etc.), il centra sa pensée sur les problèmes pratiques : qu’est-ce que la vertu ? qu’est-ce qu’une cité juste ?
Il disait : « La seule chose que je sais, c’est que je ne sais rien. » À l’opposé des sophistes (Hippias, Gorgias, Protagoras) qui étaient des marchands de savoir et des manipulateurs d’opinion, Socrate prétendait d’abord débarrasser les esprits (« les âmes ») de leurs certitudes illusoires.
La maïeutique est le nom qui est resté attaché à la méthode utilisée par Socrate : interroger les autres, spécialistes prétendus, pour les « faire accoucher » (tel est le sens grec du mot) de leurs idées, en faisant soi-même mine de ne rien savoir (la fameuse ironie socratique). Évidemment, ce n’est pas en vivant de cette façon qu’on se fait beaucoup d’amis… La condamnation à mort du « plus sage des hommes » par un tribunal démocratique constitua pour son disciple Platon un traumatisme durable.
Platon (428-347 av. J.-C.)
Disciple de Socrate, il le met en scène dans presque tous ses dialogues écrits. Il a fondé une école de philosophie, l’Académie (notre mot vient de là), dans laquelle il enseignait sa théorie des Idées.
Les idées platoniciennes sont les modèles éternels des choses et des êtres qui constituent le monde sensible dans lequel nous vivons. Il ne s’agit donc pas de productions de l’esprit humain (comme quand on dit : « j’ai une idée »). Ces idées sont non seulement réelles, elles sont la réalité par excellence. Les choses et les êtres sont conçus comme les images de ces modèles idéaux (voir chapitre 40, le mythe de la caverne).
Politiquement, Platon était un adversaire résolu de la démocratie (ce régime est coupable d’avoir assassiné Socrate). Il pensait que la société juste devait être hiérarchiquement ordonnée, et commandée par ceux qui savent, les philosophes-rois.
Principaux ouvrages : Le Banquet, La République.
Aristote (384-322 av. J.-C.)
Disciple de Platon, il s’en écarta pour constituer un système original. Aristote était un encyclopédiste : il connaissait à peu près tout ce qui pouvait être connu à son époque. Il s’intéressait aussi bien aux coquillages qu’aux constitutions politiques. Il fonda sa propre école, le Lycée (notre mot vient de là).
Toutes les parties de la philosophie sont présentes dans l’œuvre immense d’Aristote. Alors que Platon aimait raconter des mythes et avait une fibre mystique, Aristote était un philosophe méthodique, qui s’appuya sur l’opinion et l’observation et ne quitta jamais le domaine de l’argumentation. En morale comme en politique, il était adepte de la voie moyenne : il rejetait l’absolu du Bien idéal tel que le pensait Platon au nom d’un réalisme attentif à la diversité des situations.
Principaux ouvrages : Métaphysique, La Physique, Éthique à Nicomaque, La Poétique.
Épicure (342-270 av. J.-C.)
Son école s’appelait le Jardin. Elle était ouverte à tous, même aux femmes et aux esclaves. L’épicurisme est resté attaché à la notion de plaisir (voir chapitre 34). Sa base est le matérialisme de Démocrite : l’univers est fait d’atomes, grains invisibles de matière. Même « l’âme » est matérielle, même les dieux (qui habitent les lointains infinis de l’univers) sont matériels, car corporels. La peur de la mort et des dieux est une sottise et une folie dont le sage doit se débarrasser.
Principaux ouvrages : Lettre à Pythoclès, Lettre à Ménécée.
Le De la nature de son disciple latin Lucrèce est un exposé de la philosophie épicurienne en même temps que le plus beau poème philosophique de tous les temps (en fait, le seul !).
Épictète (50-123)
Épictète fut l’un des principaux représentants du stoïcisme, un courant philosophique qui s’échelonna sur plusieurs siècles dans l’Antiquité, et qui fut, avec le platonisme et l’aristotélisme, celui qui eut la plus forte et la plus longue influence. Épictète fut esclave. Marc Aurèle, autre grand philosophe stoïcien, fut empereur de Rome, donc maître du monde : aucune philosophie dans l’histoire n’a eu des auteurs aussi dissemblables.
Le stoïcisme croit à un ordre cosmique à la fois rationnel et divin. Chaque être, chaque âme est comme une étincelle de ce feu universel. Politiquement, le stoïcisme est cosmopolitique : la vraie patrie de l’homme n’est pas sa cité (point de vue partagé par Platon et Aristote) mais le monde entier. Moralement, le stoïcisme présente un curieux mélange de fatalisme et de volontarisme (voir chapitre 40, le cylindre de Chrysippe).
Principaux ouvrages : le Manuel et les Entretiens (Épictète) ; Pensées (Marc Aurèle).
Saint Augustin (354-430)
Saint Augustin fut à la fois le dernier philosophe de l’Antiquité et le premier du Moyen Âge. Il constitua la première grande philosophie chrétienne caractérisée par un sens nouveau de l’existence (marquée par le péché) et du temps (conçu comme tragique et orienté et non plus comme cyclique). Avec saint Augustin, l’intimité du moi fait irruption sur la scène philosophique.
Principal ouvrage : Les Confessions.
Saint Thomas d’Aquin (1225-1274)
Saint Thomas d’Aquin fut le plus grand philosophe scolastique du Moyen Âge. Il réalisa la synthèse de la pensée d’Aristote et de la révélation chrétienne. D’abord inquiété pour ses positions, le thomisme deviendra rapidement la philosophie officielle de l’Église catholique, et ce jusqu’à nos jours.
Machiavel (1469-1527)
Son nom sent le diable : « machiavélique » veut dire presque « pervers ».
Italien, vivant en une époque de guerres continuelles, civiles et étrangères, il marqua une rupture dans la façon de penser la politique, sans référence à la morale : le but du politique n’est pas le bien mais le pouvoir. Dès lors sa valeur centrale est l’efficacité. Un « prince », c’est-à-dire un chef d’État, doit être menteur et cruel s’il veut acquérir le pouvoir. Mais il ne doit pas l’être trop, s’il veut le conserver. On trouve chez Machiavel un premier aperçu de l’importance de ce qui fut plus tard connu sous le nom d’« opinion publique ».
Principal ouvrage : Le Prince.
Descartes (1596-1650)
Sa philosophie du sujet (cogito, « je pense ») fait de lui le « père » de la philosophie moderne. Contre la tendance, cultivée par l’humanisme de la Renaissance, à l’éparpillement encyclopédique des connaissances, Descartes, qui fut génial en plus d’une discipline (il effectua d’importantes découvertes en mathématiques et en physique), insiste sur la nécessité d’une méthode pour bien conduire sa raison et trouver la vérité dans les sciences.
Le « cartésianisme » est resté attaché à une sorte de rationalisme absolu alors même que Descartes pensait qu’il n’était pas possible d’appliquer la même logique dans le domaine pratique (moral et politique) que dans celui de la connaissance. Par ailleurs, la dimension métaphysique (l’âme, Dieu) reste capitale dans la philosophie de Descartes : les pouvoirs de la pensée humaine sont en fait limités devant l’infinité de Dieu.
Principaux ouvrages : Discours de la méthode, Méditations métaphysiques.
Spinoza (1632-1677)
Citoyen des Provinces-Unies (les Pays-Bas actuels), d’origine juive portugaise, il fut excommunié par sa communauté et fut même victime d’une tentative d’assassinat (toute sa vie, il garda le manteau troué par le couteau du fanatique pour se rappeler jusqu’où peuvent aller les passions religieuses…). Parce qu’il identifiait Dieu à la Nature, donc à la réalité tout entière, il fut accusé tantôt de panthéisme, tantôt d’athéisme. Les corps et les esprits ne sont pour lui que des « modes » de cette « substance » unique.
Pas de Dieu créateur et transcendant (au-dessus de la nature). Spinoza inaugure la lecture moderne critique des textes religieux en repérant des images là où les dévots et les fanatiques prennent à la lettre les plus grandes extravagances de la Bible.
Sur le plan moral, l’originalité de Spinoza n’est pas moins grande : la liberté est identifiée à la puissance d’agir, tout ce qui accroît cette puissance est bon. La « tristesse », par opposition à la « joie », est le nom que Spinoza donne à l’impuissance.
Politiquement, Spinoza était partisan du régime démocratique comme étant le plus conforme à la raison et à la liberté, donc à la joie d’exister.
Principaux ouvrages : L’Éthique (livre difficile mais les appendices de chaque partie sont abordables), Traité théologico-politique.
Leibniz (1646-1716)
Avec Aristote et Hegel, le plus encyclopédique des philosophes s’intéressait à tout, s’occupait de tout, des mathématiques (il inventa avec Newton le calcul des dérivées) à la diplomatie en passant par la géologie et la physique. À l’exception du matérialisme, il intégra tous les philosophes au sein de son accueillante philosophie.
Sa pensée fut à la fois logiciste (il fut l’un des lointains ancêtres de l’informatique) et organiciste : l’univers est à la fois calculé (par Dieu) et vivant. Le principe de continuité unit tout et gouverne tout.
La nature, disait-il, n’est pas faite à bâtons rompus.
Principal ouvrage : Nouveaux essais sur l’entendement humain (où la pensée de Locke est critiquée point par point).
Locke (1632-1704)
Locke fut l’un des principaux représentants de l’empirisme (voir chapitre 34). Son combat en faveur de la tolérance doit être compris dans ce contexte : puisqu’il n’est pas possible à l’esprit humain d’atteindre la vérité absolue, mieux vaut, pour la paix sociale, admettre la coexistence des différentes religions.
Politiquement, Locke est considéré comme le père du libéralisme. Il justifia la propriété privée par le travail et pensait que seul un pouvoir représentatif élu garantissait aux citoyens la vie, la liberté et les biens auxquels ils ont, par nature, droit.
Principaux ouvrages : Essai sur l’entendement humain, Lettre sur la tolérance, Second traité du gouvernement civil.
Hume (1711-1776)
Ce philosophe anglais (ou plutôt écossais – cette collection Pour les Nuls n’a pas pour politique de blesser les susceptibilités) représente avec Locke l’autre grande philosophie de l’empirisme (nos idées sont les copies d’impressions sensibles). Sa critique de l’idée de causalité (ramenée à la simple habitude de voir un phénomène succéder à un autre) et son scepticisme (une exception est néanmoins prévue pour les mathématiques) ont « réveillé » Kant de son « sommeil dogmatique ».
Rousseau (1712-1778)
Bien qu’ayant les « philosophes » en détestation, il en est l’un des plus grands.
Il disait aimer mieux un paradoxe qu’un préjugé. Toute sa philosophie tourne autour de ce grand thème : la représentation est une trahison de la présence. Ainsi, lors de la fête, le peuple exprime une joie ouverte et spontanée ; le théâtre, qui est une représentation, n’en est que la caricature. Dans l’état de nature (pas d’abord compris comme une période historique : Rousseau n’avait, comme ses contemporains, aucune idée de ce que nous appelons « préhistoire »), l’homme éprouve des désirs et des sentiments naïfs, c’est-à-dire transparents ; dans la société, à l’inverse, il joue la comédie et ne cesse d’être, justement, « en représentation ». Et si, dans le domaine politique, Rousseau était partisan de la démocratie directe, et adversaire de la démocratie représentative, c’est que dans celle-ci les « représentants » trahissent inévitablement la volonté de ceux qui ont voté pour eux. On ne peut pas dire que sur ce point l’histoire ait donné tort à Rousseau…
Kant (1724-1804)
Vers l’âge de cinquante ans (à la différence des nageurs et des champions d’échecs, les philosophes sont plutôt tardifs), Kant conçut son projet critique : dénoncer les prétentions de la métaphysique à être la connaissance absolue des choses suprêmes (l’âme, le monde, Dieu) pour la cantonner au rôle de condition de la vie morale : on ne peut pas savoir que Dieu existe mais mieux vaut le croire si l’on entend mener une vie moralement bonne.
Les deux aspects de la pensée de Kant – la théorie critique de la connaissance et la philosophie morale – font de lui, plus encore que Descartes, le père de la philosophie moderne.
Hegel (1770-1831)
La paranoïa faite système philosophique : la réalité tout entière (nature et histoire, abstrait et concret, Dieu et homme) est pensée dans la philosophie de Hegel comme une totalité en mouvement. Ce mouvement est dialectique, c’est-à-dire qu’il provient du passage d’une affirmation abstraite (thèse) à une négation, puis de la négation (antithèse) à une affirmation concrète (synthèse). La philosophie de Hegel est organisée en triades emboîtées les unes dans les autres à la manière de poupées russes : ainsi, dans la triade Idée-Nature-Esprit, qui structure tout le système, l’Esprit est d’abord subjectif (abstrait) puis objectif (négation du subjectif), et enfin absolu (dépassement et unité des deux précédents).
L’esprit absolu passe à son tour par trois « moments » : l’art (le moment sensible), la religion (la représentation) et la philosophie. L’art à son tour passe par trois moments : l’art symbolique, l’art classique et l’art romantique.
Il reste aujourd’hui quelques hégéliens pour penser que Hegel a déjà tout pensé, que l’histoire est déjà finie…
Kierkegaard (1813-1885)
Ce philosophe fut, comme Pascal auquel il ressemble tant, tout entier animé par une foi religieuse (chrétienne) poussée jusqu’au tragique. Si Kierkegaard est considéré comme le « père » de l’existentialisme, c’est parce qu’il fut l’analyste scrupuleux d’états vécus auxquels jusqu’alors les philosophes ne prêtaient qu’une attention discrète : l’angoisse, le désespoir, l’hésitation devant le choix.
Il disait que l’existence est l’écueil sur lequel vient se fracasser le concept. Kierkegaard est aux antipodes de Hegel – qui prétend traduire par le concept la totalité du réel.
Marx (1818-1883)
Aucun philosophe n’eut dans l’histoire du XXe siècle autant d’influence que lui, grâce au communisme qui se réclama de lui. Aujourd’hui, à cause du communisme, aucun grand philosophe n’est aussi oublié que lui. Si, durant l’année, vous n’avez jamais entendu parler de lui, ne vous étonnez pas, vous êtes loin d’être les seuls...
Marx reprit la dialectique de Hegel pour la « remettre sur ses pieds ». Le mouvement de l’histoire n’est pas celui de la raison et du concept mais celui des luttes et du travail de l’homme : c’est cela le « matérialisme » de Marx. Son analyse critique et historique du capitalisme est à la fois actuelle (Marx a prévu la mondialisation) et utopique (le communisme n’a pas dépassé le capitalisme).
Schopenhauer (1788-1860)
Le plus radical de tous les pessimistes. Pour Schopenhauer, la Volonté est la réalité fondamentale du monde et de la vie, elle est aveugle et répétitive comme un destin. Seuls l’art et la morale peuvent sauver les souffrants que nous sommes tous.
Nietzsche (1844-1900)
Ce philosophe exalté et mort fou fut l’un des plus lucides critiques de l’histoire de la pensée. Rien n’a résisté à son soupçon : ni les illusions de la connaissance (la vérité), ni les illusions de la morale (le bien), ni les illusions de l’art (la beauté idéale). Pourtant Nietzsche n’est pas un sceptique : il tâche de penser après la mort de Dieu (la fin des religions) la venue du « surhomme » qui sera pour nous ce que nous sommes aux singes…
Bergson (1859-1941)
Sa philosophie part d’une critique de la conception scientiste et matérialiste dominante au XIXe siècle : l’intelligence manque fondamentalement la réalité intime de la vie en traduisant tout en nombres (les mathématiques) et en figures (l’espace). Contre l’intelligence, et plus profonde qu’elle, l’intuition a la souplesse nécessaire pour saisir ce que la vie peut avoir de créateur et d’imprévisible.
Husserl (1859-1938)
Fondateur de la phénoménologie, dont le mot d’ordre est le « retour aux choses mêmes », Husserl part de l’idée de l’intentionnalité : la conscience n’est pas un réceptacle mais une activité qui constitue ses propres objets. C’est elle qui, littéralement, donne le sens au monde.
Merleau-Ponty est le représentant le plus célèbre, en France, de la phénoménologie, mais Sartre fut aussi fortement inspiré par elle.
Wittgenstein (1889-1951)
Un philosophe original, qui exerça plus de dix métiers et ne publia qu’un seul livre. Ses œuvres sont constituées de cahiers, de cours et de conversations recueillis par ses auditeurs et disciples. Wittgenstein est considéré comme le fondateur de la « philosophie analytique », qui fut, au XXe siècle, le courant le plus influent, à côté de la phénoménologie. Son objectif n’est pas de constituer un nouveau système censé dresser le tableau complet des vérités, mais d’interroger l’instrument de la pensée : le langage. Ainsi la philosophie prend-elle un nouveau tournant : sa fonction première sera de clarifier les questions, en distinguant celles qui ont un sens et celles qui n’en ont pas.
Sartre (1905-1980)
Il est connu pour être le principal représentant de la philosophie existentialiste (voir chapitre 8). Son œuvre abondante et variée (il a écrit, outre des textes philosophiques, des romans, des nouvelles, des pièces de théâtre et des articles) s’efforce de comprendre le lien qui peut exister entre la libre subjectivité et le groupe.