Chapitre 2

Rédiger une (bonne)

explication de texte

Dans ce chapitre :

Tous les conseils techniques pour réussir avec ce type de sujet

Deux exemples d’explication de texte

Le troisième sujet proposé à l’épreuve écrite du bac consiste dans l’explication d’un texte d’une quinzaine de lignes extrait de l’œuvre d’un grand philosophe.

Ce texte aura été choisi en vertu de son lien avec les chapitres du programme des différentes séries (la conscience, la liberté, l’histoire, etc.).

Le candidat ne devra en aucun cas oublier le texte qu’il a sous les yeux au profit des idées qu’il a dans la tête !

Avantages et difficultés

Par rapport à des sujets de dissertation qui peuvent très bien ne rien évoquer dans votre esprit, le texte a au moins l’avantage de vous donner un support.

Il est généralement plus facile de « limiter les dégâts » avec une explication, dans la mesure justement où ce support existe.

C’est pourquoi même si vous ne « l’aimez pas », il est indispensable que vous vous entraîniez à ce type d’épreuve.

Cela dit, il est probablement plus difficile de « cartonner » avec elle qu’avec la dissertation.

Le choix de l’explication de texte est donc à conseiller aux prudents et aux timides.

Ne vous laissez pas effrayer par le nom de l’auteur. Tous les textes officiels disent que le candidat n’est pas censé connaître la philosophie de l’auteur du texte choisi. Donc, même si vous ne savez rien ou presque rien sur Hegel, rien ne vous interdit de rédiger une très bonne explication d’un texte de Hegel.

Qu’est-ce qu’expliquer un texte ?

Expliquer, c’est dégager le sens d’un discours ou d’une pensée. Le sens, c’est le rapport que les idées peuvent avoir entre elles. Même quand il est clair et explicite, un philosophe ne dit jamais tout : il fait des allusions, il contredit certaines thèses ; par ailleurs, ce qu’il dit débouche sur des conséquences auxquelles il n’avait pas pensé lui-même. Le sens d’un texte dépend donc :

d’un contexte général (exemple : l’idée de Dieu dans une société très croyante) ;

de tout ce qui est implicitement ou explicitement réfuté ou récusé. Tout texte philosophique a un sens polémique, il combat du non pensé ou du mal pensé (les philosophes n’ont pas été tendres entre eux !…). Il faudra donc garder présente à l’esprit la question : pourquoi l’auteur dit-il cela (exemple : les philosophes du contrat social rejettent l’idée selon laquelle c’est Dieu ou la nature qui est à l’origine des sociétés humaines) ?

Le sens d’un texte dépend également de tout ce qui s’ensuit (exemple : une justification de la violence en histoire peut libérer celle-ci de tout jugement moral).

Pour résumer, pour répondre à la question « qu’est-ce que cela veut dire ? », il convient de se poser les questions suivantes : « Pourquoi l’auteur dit-il cela ? », « Où veut-il en venir ? », « À qui, à quoi s’oppose-t-il ? », « Quelles objections pourrait-on lui faire ? »

Les quatre écueils à éviter

Un travail de philosophie est un voyage en mer. Il y a des tempêtes et des moments de calme, il y a aussi des écueils à éviter si vous ne voulez pas que votre bateau se fracasse.

Premier écueil : le rocher prétexte. Le candidat s’est perdu en pleine mer, il a oublié sa destination. Il a vu que le texte « parlait de » la justice, alors il écrit sur la justice, sans plan ni objectif, au petit bonheur. À aucun moment vous ne devez oublier que le texte est l’objet de votre travail d’explication.

Deuxième écueil : le rocher paraphrase. C’est le danger qui guette le navigateur timide qui ne quitte jamais le port ou les côtes – et se contente de répéter ce que l’auteur a déjà dit (évidemment mieux que lui). Dégager du sens, c’est dire ce que l’auteur a dit sans l’écrire.

Troisième écueil : le rocher atomisation. Au lieu de considérer le texte par blocs de phrases, le candidat le prend mot à mot. Ainsi en pulvérise-t-il le sens et se rend-il incapable d’en suivre la progression.

Quatrième écueil : le rocher exécution. Il est souvent abordé par les marins hardis qui traitent les auteurs comme des pirates ou bien qui se comportent eux-mêmes comme des corsaires à l’abordage. Vous pouvez n’être pas d’accord avec un auteur, mais n’oubliez pas que vous avez affaire à Platon ou à Descartes, qui ne sont pas des copains à lancer des vannes, n’oubliez surtout pas que pour critiquer il faut d’abord comprendre et analyser !

Comment faire ?

Maintenant que vous avez su éviter les quatre écueils, vous pouvez naviguer en sûreté.

Les trois lectures. Le texte proposé, vous allez le lire trois fois :

Une première lecture appréhende le sens global. Si vous ne comprenez pas tout tout de suite, relisez-le une seconde fois ; si vous sentez que rien ne vient, reportez-vous à un sujet de dissertation : vous ne pouvez pas prendre le risque de simplement « deviner » ce que l’auteur veut dire. Normalement, après une première lecture, vous devriez être capable de savoir de quelle problématique le texte traite et à quelle notion du programme il se rattache.

La deuxième lecture est attentive aux « articulations » du texte, c’est-à-dire à ses différentes parties et à son mouvement d’ensemble. Le texte qui vous est soumis est court (entre 10 et 20 lignes), il a été choisi pour sa richesse de sens, habituellement chaque phrase constitue une « partie ». Soyez attentif aux conjonctions et aux adverbes qui font l’ordre logique du texte : « mais » signale une objection ; « or » une restriction ou une confirmation ; « de plus » une précision ; « par conséquent » une conclusion. À la suite de votre deuxième lecture, vous devriez déjà être en possession de votre plan.

La troisième lecture porte une attention particulière aux concepts. Soulignez au stylo sur votre feuille ceux qui vous semblent les plus importants. Le correcteur ne laissera pas passer un gros oubli, vous ne pouvez vous permettre de faire une impasse sur une idée importante.

Ne jamais oublier qu’un texte étranger est par définition traduit. Par conséquent, prenez garde à ne pas accorder une importance excessive à certains mots qui ne seront que des approximations. En revanche, pour ce qui concerne les textes français, l’attention la plus méticuleuse aux mots est de rigueur.

Le plan

Comme pour la dissertation, le plan comporte trois parties :

L’introduction expose la problématique, c’est-à-dire la question philosophique traitée. Allez droit au but. Comme vous n’êtes pas censé connaître le philosophe auteur du texte ni l’histoire de la philosophie, pas la peine de remonter au Déluge. Les indications biographiques sont inutiles. En revanche, une rapide contextualisation historique est possible et même parfois recommandée. Dans le doute, abstenez-vous : ne faites pas de Platon un contradicteur de Kant ! Il est souvent utile de donner une définition du concept principal qui se trouve en jeu. Si, par exemple, le texte traite de l’histoire, précisez en quel sens (le passé humain ou la discipline qui l’étudie) il convient de prendre le mot.

Le développement fait l’analyse critique du texte. On peut consacrer une première partie à l’analyse et une seconde partie à la critique – mais ce type de plan est à éviter : il vous conduit à des répétitions, et surtout il tend à utiliser le texte comme un simple prétexte. Le mieux est d’analyser et de critiquer dans le même mouvement de pensée. Dans ces conditions, votre développement aura autant de parties qu’en comporte le texte, et il le suivra en parallèle.

La conclusion dresse le bilan critique de votre travail. Comme pour la dissertation, soignez particulièrement cette partie en évitant les répétitions et les longues échappées vers les lointains du temps (type : « Dieu seul le sait ! » ou bien « L’avenir seul nous le dira ! »). La conclusion évalue la pertinence et la résonance du texte, son « actualité ».

Exemple d’explication de texte (rédaction condensée)


De la connaissance de l’histoire, on croit pouvoir tirer un enseignement moral et c’est souvent en vue d’un tel bénéfice que le travail historique a été entrepris. S’il est vrai que les bons exemples élèvent l’âme, en particulier celle de la jeunesse, et devraient être utilisés pour l’éducation morale des enfants, les destinées des peuples et des États, leurs intérêts, leurs conditions et leurs complications constituent cependant un tout autre domaine que celui de la morale… L’expérience et l’histoire nous enseignent que peuples et gouvernements n’ont jamais rien appris de l’histoire, qu’ils n’ont jamais agi suivant les maximes qu’on aurait pu en tirer. Chaque époque, chaque peuple se trouve dans des conditions si particulières, forme une situation si particulière, que c’est seulement en fonction de cette situation unique qu’il doit se décider : les grands caractères sont précisément ceux qui, chaque fois, ont trouvé la solution appropriée. Dans le tumulte des événements du monde, une maxime générale est d’aussi peu de secours que le souvenir des situations analogues qui ont pu se produire dans le passé, car un pâle souvenir est sans force dans la tempête qui souffle sur le présent ; il n’a aucun pouvoir sur le monde libre et vivant de l’actualité.

Hegel


Pour Hegel, l’histoire est un développement progressif au cours duquel rien ne se répète.

La Bible disait : il n’y a rien de nouveau sous le Soleil. Hegel pense à l’inverse qu’il n’y a que du nouveau sous le Soleil.

Première partie : L’interprétation éthique de l’histoire

La lecture morale de l’histoire présuppose constance et répétition. Pour tirer leçon du passé (les leçons de l’histoire), il faut en effet que celui-ci, d’une manière ou d’une autre, se retrouve dans le présent.

Et telle était en effet l’idée dominante jusqu’au XVIIIe siècle (que l’on songe à nos révolutionnaires exaltés par l’exemple des grands Romains).

Hegel réduit ironiquement l’utilité éthique de l’histoire à quelques règles morales bonnes pour l’éducation des enfants.

Deuxième partie : L’impossibilité d’une telle interprétation

Il y a bien sûr d’abord le fait que le passé historique n’a rien d’exemplaire sur le plan moral. Paul Valéry disait qu’on ne peut tirer du passé historique aucune leçon, simplement parce qu’il nous offre des exemples de tout. En histoire, le crime a tendance à triompher davantage que la vertu et pour une Jeanne d’Arc qui se refuse à tuer, même à la guerre, que de Catherine de Médicis qui ordonnent des massacres !

Mais Hegel pense surtout à la singularité des événements. D’ailleurs, quelles leçons peuples et gouvernements ont-ils tirées du passé ? Combien d’oublis et combien d’erreurs recommencées ! Hegel critique la valeur (supposée) par le fait : on prétend s’inspirer des leçons du passé mais que voit-on, en fait ?

Chaque situation est unique – si bien que celui qui s’inspirerait du passé pour agir dans le présent risquerait de se voir dépassé par le courant de l’histoire. D’où l’échec de la politique de défense, en France, dans les années 1930 (des milliards de francs engloutis dans une ligne Maginot censée contenir l’Allemagne dans une seconde guerre des tranchées, comme en 1914 – alors que Hitler, pendant ce temps, faisait produire intensivement tanks et avions) ; d’où les échecs des politiques de relance dans les années 1970 – comme si la crise de 1974 était une sorte de 1929 bis.

Troisième partie : Est-ce à dire que la connaissance du passé ne sert à rien ?

Non, mais elle n’a pas d’intérêt pratique. Son intérêt ne peut être que théorique. Un homme politique, aux yeux de Hegel, n’a donc pas besoin d’être un historien pour agir.

Pourtant, on imagine mal un seul chef politique sans connaissance du passé. Tout homme politique d’un peu d’importance se prend en fait pour quelqu’un d’autre : Jules César se prenait pour Alexandre, Napoléon aussi, Hitler se prenait pour Frédéric II, de Gaulle pour Louis XIV et Clemenceau. L’histoire du présent, si nouvelle soit-elle par rapport au passé, ne peut se passer ni de modèles ni de références. Même si ce sont des illusions – ce sont des illusions qui contribuent à transformer la réalité.

L’explication de texte pour les séries technologiques

À la différence de celui qui est proposé aux séries générales, le texte proposé à l’explication pour les candidats des séries technologiques est suivi de plusieurs questions destinées à les guider dans leur travail de rédaction. Il ne s’agit donc pas de questions isolées à propos d’un texte, mais bien d’explication de texte orientée par les questions.

La consigne suivante figure à la suite du texte et avant l’énoncé des questions : « Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d’abord étudié dans son ensemble. »

Les questions sont généralement au nombre de trois :

La première invite les candidats à dégager l’objet, l’idée principale puis l’organisation du texte.

La deuxième demande aux candidats d’expliquer deux ou trois points particuliers, des mots, des expressions ou des phrases du texte en les incitant à préciser leur rapport à l’idée générale et à l’organisation du passage.

La dernière question, en proposant la discussion de l’idée centrale du texte, doit permettre d’en préciser la signification et de faire apparaître le problème dont il est question.

Les élèves du technologique n’ont pas la réputation d’être des écrivains abondants. Certes la philosophie n’est pas une question de quantité, mais le correcteur comprendra mal qu’il a fallu quatre heures (le temps de l’épreuve) pour rédiger une seule page…

Candidats des filières technologiques, faites un effort ! Consacrez au moins une page (de feuille d’examen) à chaque question. N’oubliez pas que la question finale est en fait un sujet de dissertation, qui mérite une analyse développée.

Exemple d’explication de texte (séries technologiques)


Cette conscience de lui-même, l’homme l’acquiert de deux manières : théoriquement, en prenant conscience de ce qu’il est intérieurement, de tous les mouvements de son âme, de toutes les nuances de ses sentiments, en cherchant à se représenter à lui-même, tel qu’il se découvre par la pensée, et à se reconnaître dans cette représentation qu’il offre à ses propres yeux. Mais l’homme est également engagé dans des rapports pratiques avec le monde extérieur, et de ces rapports naît également le besoin de transformer ce monde, comme lui-même, dans la mesure où il en fait partie, en lui imprimant son cachet personnel. Et il le fait pour encore se reconnaître lui-même dans la forme des choses, pour jouir de lui-même comme d’une réalité extérieure. On saisit déjà cette tendance dans les premières impulsions de l’enfant : il veut avoir des choses dont il soit lui-même l’auteur, et s’il lance des pierres dans l’eau, c’est pour voir ces cercles qui se forment et qui sont son œuvre dans laquelle il retrouve comme un reflet de lui-même. Ceci s’observe dans de multiples occasions et sous les formes les plus diverses, jusqu’à cette sorte de reproduction de soi-même qu’est une œuvre d’art.

Hegel


1. Dégager les articulations du texte.

2. Comment le « besoin de transformer le monde » peut-il contribuer à la connaissance de soi ?

3. Les « deux manières » que distingue Hegel pour l’acquisition de la connaissance de soi vous semblent-elles d’égale valeur ? Dites pourquoi.

4. En quoi une œuvre d’art est-elle une « sorte de reproduction de soi-même » ?

1. Hegel énonce que la conscience de soi s’acquiert de deux manières : « théoriquement » et « dans des rapports pratiques ». « Théoriquement », cela signifie : en soi, sans sortir de soi, par la méditation, au sens de Descartes. Il y a un « courant de conscience » (stream of consciousness, expression du philosophe américain William James) que chacun peut éprouver en lui-même, sans qu’il ait à se déporter vers les choses du monde – comme lorsqu’on écoute de la musique.

Mais (et la conjonction annonce une seconde modalité) la conscience de soi se forge également au contact du monde. En un sens, le sujet se perd ou s’oublie lui-même (lorsqu’on est absorbé par le travail, on ne pense plus à soi), mais en fait cette sortie hors de soi est une retrouvaille : c’est ce que Hegel énonce dans la troisième partie de ce texte, avec l’exemple de l’action même banale (un jet de pierre dans l’eau) et de l’œuvre d’art. En transformant la réalité extérieure, l’être humain se retrouve et se trouve en même temps. Cette troisième partie du texte joue un véritable rôle de synthèse par rapport aux deux précédentes.

2. D’abord l’être humain fait partie du monde : en transformant le monde (qu’on songe à la construction des villes), c’est lui-même qu’il transforme aussi. Et puis, en se mesurant avec les choses, justement, il prend conscience de sa puissance. La puissance (concrète) n’est pas la simple possibilité (abstraite). Il n’y a pas de réel pouvoir faire sans faire.

3. On peut penser que la pure conscience de soi est déterminante puisque c’est elle qui, tout compte fait, réfléchit l’activité pratique. Mais cette dernière n’en est pas moins indispensable – ce que montrent bien les déséquilibres engendrés par une activité forcée ou accidentelle (emprisonnement, chômage, folie). En fait, pensée et action, théorie et pratique ne peuvent être séparées que par la pensée elle-même : dans la réalité elles sont indissolublement liées.

4. On a longtemps vu dans l’œuvre d’art une imitation de la nature. Hegel s’écarte de cette tradition en disant que l’œuvre d’art est une « sorte de reproduction de soi-même ». Au lieu de représenter le monde extérieur des choses, l’art représenterait le monde intérieur de l’artiste lui-même. On peut comprendre cette thèse de plusieurs manières : a) l’artiste peut se prendre lui-même comme sujet de son œuvre : c’est ce que font les mémoires et confessions en littérature, les autoportraits en peinture ; b) plus profondément, l’artiste peut exprimer, avec le langage qui est le sien (des notes s’il est musicien, des formes et des couleurs s’il est peintre), ses idées, ses croyances, des émotions, ses expériences ; c) plus profondément encore, l’artiste peut, sans le vouloir, sans en avoir conscience, exprimer des désirs et angoisses refoulés, enfouis dans les replis de son inconscient.

Cela dit, l’art donne aussi à l’artiste le moyen d’exprimer ce qu’il n’est pas : les temps de détresse ont jadis suscité bien des images de paradis, et il est difficile, voire impossible, de déduire le caractère d’un artiste à partir de son œuvre. Créer une œuvre est un formidable moyen pour donner une forme concrète à son rêve. Or on rêve justement ce qu’on ne vit pas. D’ailleurs, Hegel restait prudent en écrivant de l’art qu’il est une sorte de reproduction de soi-même de l’artiste.