Chapitre 30

Les trucs que les profs

n’avouent jamais…

Dans ce chapitre :

Le professeur est un être humain presque comme les autres

Le pif est-il le meilleur système du prof ?

Comprendre le correcteur

En principe, tous les professeurs de philosophie des classes de terminale de lycée sont convoqués pour corriger les épreuves écrites du baccalauréat et pour faire passer les oraux de rattrapage. Il y a là une évidence mathématique : alors que les professeurs de sciences ou d’histoire au lycée ont des classes de seconde, de première et de terminale, les professeurs de philosophie n’enseignent qu’en terminale. Donc, l’espèce de puissance assez terrifiante que représente pour vous le correcteur de votre copie de baccalauréat – puissance terrifiante parce qu’elle n’a ni nom ni visage, comme Big Brother – n’est tout simplement que le professeur d’un autre lycée. Inversement, votre professeur de l’année aura été convoqué pour corriger les copies dans un centre d’examen (un lycée) où auront été convoqués de leur côté des élèves de divers établissements. Il n’y a par conséquent aucune chance (ou aucun risque !) pour que vous soyez corrigé par votre professeur de l’année.

Maintenant, imaginez la situation de cet homme (de plus en plus une femme, mais la philosophie reste une discipline encore très masculine) : les cours de l’année sont enfin terminés, les classes ont été comme d’habitude difficiles, l’été triomphe sur le printemps, il fait beau, les oiseaux piaillent le soir et le matin dans les arbres – bref, c’est les vacances, la liberté (le prof est un être humain à peu près comme n’importe quel autre). Voilà que – catastrophe attendue ! – un paquet de 150 copies tombe sur le malheureux comme la plus grosse des tuiles. Certes, certains indélicats sont déjà partis sous d’autres cieux – grâce à un certificat médical de complaisance ; d’autres sentent leurs forces les abandonner et tombent littéralement malades. Mais – rassurez-vous ! – ceux-là sont plutôt rares et de toute façon ils seront remplacés. Pas de panique : votre copie sera corrigée en temps et en heure. La grosse majorité des professeurs de philosophie (il en va évidemment de même avec les autres disciplines) a conservé une conscience professionnelle à toute épreuve (c’est le cas de le dire !). Le travail sera correctement fait, d’autant qu’il est payé en plus du salaire habituel (5 euros par copie). Quant au temps passé : un quart d’heure en moyenne pour une copie de série L, cinq minutes pour les correcteurs les plus pressés, mais une demi-heure, parfois plus, pour les plus scrupuleux. Depuis qu’un règlement prévoit qu’un candidat pourra avoir accès à sa copie d’examen, des remarques en marge sont placées par le correcteur, lequel, en outre, justifiera sa note par une appréciation globale.

Cela dit, les disparités entre les correcteurs, donc entre les professeurs, sont presque aussi grandes que celles qu’on observe entre les lycéens (vous vous en êtes déjà rendu compte durant vos années d’études) : il y a les excellents et les nuls, les moyens et les pas très bons. Dites-vous bien qu’il y a entre vous et votre correcteur presque toujours moins de distance qu’entre lui et Kant (ou Descartes) ; il n’est même pas certain que devant le même sujet, les correcteurs fassent automatiquement un bien meilleur travail que celui fourni par les meilleurs d’entre vous. Cette remarque n’est évidemment pas faite pour inciter au mépris, mais à la relativisation de la situation.

L’examen est un concours déguisé

Vous connaissez la différence qui existe entre un examen, où ceux qui obtiennent la moyenne sont admis, et un concours, où seuls ceux qui arrivent dans les places prévues à l’avance sont reçus. Le baccalauréat est en théorie un examen : il faut 10 de moyenne pour être admis. En fait, puisque les statistiques des dernières années montrent qu’il y a de 85 à 90 % des candidats qui sont reçus, donc 10 à 15 % de recalés, le baccalauréat est de fait analogue à un concours. Il s’agit par conséquent de faire partie des six meilleurs septièmes ou des cinq meilleurs sixièmes.

La notation est-elle une roue de la fortune ?

La philosophie et l’épreuve même de philosophie au baccalauréat traînent derrière elles une réputation solide et sordide : celle d’être une vaste loterie. Tel aimable promeneur lycéen n’a rien fait de l’année et a obtenu 15 en philosophie au bac, tandis que le meilleur élève d’une classe qui avait une moyenne de 14 sur les trois trimestres s’est ramassé un 6. Des exemples comme ceux-là, tout le monde en connaît à la pelle et à l’appel. Ils contribuent à plomber l’image de la philosophie auprès d’une bonne partie des lycéens et de leurs parents.

À la différence des mathématiques et de l’histoire, la philosophie ne peut pas être évaluée d’après un barème rigoureux (un correcteur ne donnera jamais tant de points à l’introduction, tant de points à la première partie, etc.), c’est globalement qu’une copie est jugée. Et l’honnêteté oblige à reconnaître que les différences d’appréciation d’une même copie d’un correcteur à l’autre peuvent être colossales, tandis que la chose n’arrivera presque jamais dans les autres matières.

Cela dit, ces cas de grand écart, entre 5 et 15 points par exemple, sont rares (moins d’un vingtième des copies), et c’est pour les supprimer ou les réduire que sont organisées des réunions « d’entente et d’harmonie » entre les correcteurs du baccalauréat, entre le moment où ils ont pris possession de leurs copies et celui où ils doivent remettre leurs notes. Durant ces réunions (auxquelles, malheureusement, tous ne viennent pas, les profs étant, comme chacun sait, d’anciens élèves…), les correcteurs se mettent globalement d’accord sur ce qu’ils peuvent raisonnablement accepter ou refuser pour chacun des trois sujets de l’examen.

L’échelle commune des notes est la suivante :

De 0 à 5 : le sujet ou le texte n’a pas du tout été compris. Le travail n’a pas été fait. La copie est vide de contenu. Le candidat ne sait pas ce qu’est une dissertation ou une explication de texte philosophique. Presque toujours, les notes les plus basses ne font que sanctionner un travail qui n’a tout bonnement pas été fait (le candidat est parti au bout d’une heure).

De 6 à 10 : le sujet ou le texte n’a pas été compris (6-7). Mais il y a un effort de rédaction et d’organisation des idées (8-9). L’immense majorité des copies de bac en philosophie se situe dans cette zone.

De 11 à 15 : le sujet ou le texte a été bien compris. Le candidat sait faire une dissertation ou une explication de texte ; il sait analyser, argumenter, et ne se contente pas de redire ce qu’il sait.

De 16 à 20 : la copie a toutes les qualités d’excellence (compréhension de la problématique, organisation des idées, richesse des références, etc.). Même si elle est rarissime, la note suprême (20) n’est pas impossible. S’il est vrai que les professeurs de philosophie ont tendance à grouper leurs notes entre 7 et 11, les recommandations officielles ne cessent de les inciter à valoriser les bonnes et les très bonnes copies. On n’attend pas, à l’occasion d’une épreuve de philosophie au bac, que naissent des petits Kant et des bébés Nietzsche.