Chapitre 11
Le travail et la technique
Ce chapitre intéresse les élèves de toutes les séries : L, ES, S et technologiques.
Dans ce chapitre :
Le pire et le meilleur
Sept sujets de dissertation traités (vous tomberez peut-être sur l’un d’eux !)
Esclavage ou liberté ?
La Bible fait du travail la conséquence de la désobéissance de l’homme : parce qu’ils ont mangé le « fruit défendu », Adam et Ève sont chassés du Paradis et devront travailler à la sueur de leur front (pour l’homme) et subir les douleurs de l’enfantement (pour la femme).
Dans l’Antiquité, chez les Grecs et les Romains, le travail manuel était réservé aux esclaves, et donc était regardé avec mépris par les hommes libres (les citoyens), ceux-ci pouvant alors s’adonner à la guerre, aux jeux, à l’activité politique et intellectuelle, mais pas au travail.
Un mépris semblable condamnait la technique. Platon interdisait dans son école l’usage d’instruments comme la règle et le compas : les mathématiques, selon lui, sont l’exercice de la pensée, seule la pensée pure caractérise l’homme libre.
Dans les sociétés qui ne disposaient que de moyens techniques rares et faibles, les travaux, surtout les plus pénibles, étaient effectués par les esclaves et les femmes.
C’est en Europe, au XVIe siècle, durant la Renaissance, que le travail sortit peu à peu du mépris dans lequel il était resté. Le protestantisme lui donna même une certaine noblesse, en y voyant une occasion pour l’homme coupable devant Dieu de se racheter.
Le puritanisme : le culte du travail
Le puritanisme est une forme de protestantisme qui prône à la fois la rigueur morale et le sérieux dans le travail. Il a pu ainsi constituer pour le capitalisme naissant une base idéologique.
Dans la société démocratique, où les inégalités de caste et de rang ont disparu, le travail et l’argent sont devenus des moyens de se valoriser et de l’emporter sur les autres.
Au XVIIe siècle, le philosophe anglais John Locke justifia la propriété privée (l’appropriation privée) par le travail. Le simple fait de tendre le bras pour cueillir un fruit est un travail : celui qui le fait dans la nature effectue un travail qui du coup le rend propriétaire légitime de ce fruit.
La question de savoir si le travail est signe de liberté ou de servitude ne peut avoir de réponse globale. Pour qu’un travail soit libre, il faut qu’il soit choisi ou assumé par celui qui le fait. Il faut également qu’il soit la libre expression de celui qui le fait (l’œuvre d’art apparaissant comme un exemple idéal de travail libre).
L’apparition du chômage de masse dans les sociétés capitalistes montre qu’il y a pire qu’un travail exploité : une absence de travail.
Non seulement le travail est nécessaire à la satisfaction des besoins, car sans lui l’argent et les biens de consommation feraient défaut, mais il est nécessaire à l’expression de l’individu humain.
Marx : l’humanité du travail
Karl Marx fut le premier philosophe à définir l’être humain par le travail. L’homme est un être de besoin, et non d’abord un être de pensée. Or, le travail est indispensable à la satisfaction des besoins.
Marx disait que ce qui différencie l’architecte le plus maladroit de l’abeille la plus habile, c’est que l’architecte porte d’abord sa maison dans sa tête. Le travail n’est pas une activité spontanée, naturelle (tous les animaux ont une activité), mais une activité intelligente, c’est-à-dire fondée sur la mémoire (des expériences passées) et sur la prévision (des résultats à venir).
Marx affirmait que le travail salarié, caractéristique du système capitaliste, est aliéné. À la différence de l’esclave, qui était une chose entre les mains du maître, l’ouvrier est un homme libre. Seulement, le produit de sa force de travail ne lui appartiendra pas (l’ouvrier ne reçoit, sous forme de salaire, qu’une partie de l’équivalent en argent de son travail).
Les moyens du travail : la technique
La technique est l’ensemble des moyens matériels (outils, machines, etc.) et immatériels (savoir-faire) grâce auxquels un travail peut être effectué. La technique est le signe d’une activité intelligente.
Les animaux ont-ils une technique ?
Récemment encore, presque tout le monde répondait « non » à cette question. Les animaux ne travaillent pas, et s’ils se servent d’objets à l’occasion, ce sont des instruments et non des outils à proprement parler. Aujourd’hui, les éthologues (spécialistes du comportement animal) décrivent de véritables techniques utilisées par plusieurs espèces d’animaux, principalement chez les singes et les oiseaux.
Nature et culture
La nature est l’ensemble des réalités qui n’ont pas été modifiées par le travail de l’homme.
La culture est l’ensemble des transformations que l’homme a opérées sur le milieu naturel. Par son travail et sa technique, l’homme va pouvoir conquérir et dominer la nature.
Corps |
Alimentation |
Langage |
Terre |
Matière |
Déplacement |
|
---|---|---|---|---|---|---|
Nature |
Nudité |
Crue |
Cris, chants |
Sauvage |
Brute |
Corps (vol, course, marche) |
Culture |
Vêtements, parures, pratiques corporelles |
Cuite |
Paroles |
Cultivée |
Transformée, artificielle |
Véhicule |
Domaine culturel concerné |
Tissage, orfèvrerie, mode |
Poterie, métallurgie, cuisine |
Langage |
Métallurgie, agriculture |
Métallurgie, chimie |
Mécanique industrielle |
Par référence au mythe de Prométhée (voir chapitre 40), on appelle « prométhéen » l’homme maître de la nature et « prométhéisme » l’optimisme conquérant que l’homme exerce sur son environnement grâce à la technique.
L’homme et la nature
Chaque époque, chaque société manifeste des relations particulières entre l’homme et la nature.
On peut, en suivant le cours de l’histoire, distinguer trois types de sociétés ayant chacune une manière de concevoir la situation de l’homme et son mode d’existence, un mode de savoir et un mode d’action dominants.
Situation de l’homme |
Mode d’existence de l’homme |
Mode de savoir dominant |
Mode d’action dominant |
|
---|---|---|---|---|
Sociétés primitives |
Faiblesse |
Intégration Dépendance |
Mythologie |
Magie |
Sociétés industrielles |
Conquête |
Lutte, Exploitation |
Science |
Technique |
Sociétés contemporaines |
Puissance |
Protection Restauration |
Science |
Technique |
La technique nous éloigne-t-elle de la nature ?
Oui, il n’est que de comparer la ville moderne au village ancien. L’ampoule électrique a remplacé le Soleil, le radio réveil le chant du coq, et le tracteur, le cheval de trait.
Mais la technique nous met aussi en contact (par image ou réellement) avec une nature dont nos ancêtres n’avaient pas même idée : grâce à l’avion, à la voiture, au train, des millions d’hommes peuvent aujourd’hui avoir un contact direct avec la mer, la montagne et le désert ; grâce à la télévision, au cinéma, aux livres, l’homme moderne a une conscience globale de la nature que ses ancêtres n’avaient pas. Par exemple, un Parisien se sentira impliqué par la menace de disparition des rhinocéros et des baleines, alors même qu’il n’a aucun intérêt objectif à leur préservation, et qu’il ne les verra jamais sans doute lui-même évoluer dans leur milieu naturel.
Valeur de la technique
Il y a les optimistes et les pessimistes, les arguments pour et les arguments contre, les docteurs tant mieux et les docteurs tant pis. Entre les deux, les sceptiques et les partagés, autant dire presque tout le monde…
Positivité de la technique
La technique a sorti l’homme de l’animalité en lui donnant nourriture abondante et variée, riches vêtements et maisons solides.
La technique a fait de l’homme le maître de la nature (animaux, climats, environnement).
La technique fait tout progresser : l’économie, la science – et même la société. Elle est le moteur de l’histoire.
La technique fait le bonheur de l’homme : les machines ont plus fait que les philosophes pour supprimer l’esclavage.
La technique rapproche les hommes (voir les moyens de communication).
Dangers de la technique
La technique a aggravé et même créé les inégalités entre les riches et les pauvres.
La technique détruit l’environnement.
La technique est inhumaine, violente, sa finalité ultime est la destruction et la mort (voir les industries de la guerre).
La technique fait le malheur de l’homme : grâce à elle, les « méchants » ont un pouvoir de destruction et de contrôle inégalé sur le monde. Le totalitarisme moderne est le produit monstrueux de la technique.
La technique sépare les hommes (automobile, télévision, ordinateur : face à sa machine, l’homme est séparé de son prochain).
Conclusion
Le pire n’est pas toujours sûr, mais une catastrophe est toujours possible.
Et puis, aujourd’hui, il n’y a pas seulement une opposition entre « technophiles » et « technophobes », c’est-à-dire amis et ennemis de la technique, c’est chacun de nous qui se trouve déchiré à l’intérieur de ses propres convictions, tant la technique moderne nous apparaît ambivalente.
La puissance de la technique
La technique ne fait-elle que répondre à nos besoins ?
La technique est l’ensemble des moyens intellectuels (savoir-faire) et matériels (outils, machines) grâce auxquels l’être humain peut effectuer un travail. Ce travail peut détruire (déforestation), transformer (culture de la terre) ou créer (les villes). C’est parce que l’homme est un être de besoin que la technique apparaît comme nécessaire. Or la réponse à la question posée dépend de la conception qu’on se fait des besoins.
La conception restrictive des besoins : Cette conception fait des besoins une donnée naturelle. Le besoin est ce dont la satisfaction est nécessaire, faute de quoi la vie de l’être est menacée. L’être humain a besoin de boire, de manger, de s’habiller, de dormir et il ne peut satisfaire ces besoins que grâce à des techniques. Cette anthropologie naturaliste implique des besoins limités en nombre et en nature, et en quelque sorte éternels : tous les hommes auraient grosso modo les mêmes besoins. Or, depuis deux siècles (début de la révolution industrielle), cette conception est de plus en plus intenable.
La conception élargie des besoins : Cette conception fait des besoins une donnée socio-historique autant que naturelle. Il existe certes des besoins de base (encore qu’il soit difficile parfois de les définir : ainsi la sexualité ne correspond-elle pas stricto sensu à un besoin, du moins pour l’individu, puisque celui-ci peut vivre sans faire l’amour), mais les différences sociales et les évolutions historiques ont considérablement diversifié et multiplié les besoins. Certains auteurs prétendent qu’il ne s’agit pas de vrais besoins. Seulement, la possession d’une voiture n’est-elle pas une nécessité dans le monde du travail aujourd’hui ? On s’aperçoit que la satisfaction d’un besoin appelle à son tour la nécessité de fabriquer de nouveaux objets, lesquels répondront à de nouveaux besoins, et cela dans un processus de prolifération indéfinie. Tout besoin, toute satisfaction a donc une position en amont et une position en aval : la voiture répond à la nécessité de se déplacer (laquelle n’est déjà plus une donnée naturelle) et suscite une série indéfinie de travaux (garages, routes, parkings, etc.).
La technique pouvait être une réponse aux besoins dans les sociétés primitives. Et encore, de nombreuses études montrent que ces sociétés connaissaient le luxe et le gaspillage (voir l’importance de la fête comme dépense somptuaire et destruction prestigieuse de richesses). La technique, dès l’origine, a répondu aux désirs autant qu’aux besoins. Les grandes navigations ont été stimulées par le commerce des épices : le moins qu’on puisse dire est que celles-ci ne sont pas d’une rigoureuse nécessité pour la survie. On peut exister sans cannelle ! De plus en plus la technique crée les besoins - or, on l’a vu, il n’y a pas d’arrêt a priori à l’innovation. Qui avait besoin de la télévision haute définition ? Personne puisqu’on ne savait pas qu’elle pourrait exister. Aujourd’hui, tout le monde éprouve le besoin d’en avoir.
Le pouvoir de la technique est-il seulement matériel ?
Le pouvoir est une force qui modifie la réalité. La technique a un pouvoir matériel évident : l’évidence de son pouvoir est l’ordre matériel. Mais son pouvoir ne va-t-il pas au-delà ?
Suprématie du pouvoir matériel de la technique
Sur la nature : la technique détruit, transforme l’environnement et peut en créer un artificiel (du canon à neige à la FIVETE – fécondation artificielle).
Sur l’espace et le temps : la vitesse.
Le pouvoir global de la technique va au-delà
Marx a été le premier à faire de la technique le moteur de l’histoire. Elle est l’infrastructure qui change le reste, à savoir la superstructure (le domaine des valeurs et des idées).
La technique bouleverse les structures sociales : par exemple, la révolution industrielle a créé la bourgeoisie et le prolétariat, la révolution informatique a créé les classes moyennes et le chômage.
La technique change la façon de penser et de croire : voir l’impact de la radio et de la télévision (outils techniques) sur la façon de vivre et de penser des gens.
D’une manière générale, la technique a créé ou renforcé l’individualisme moderne (la voiture, la télévision, l’ordinateur séparent les hommes avant de les lier).
D’une manière globale, il n’est aujourd’hui rien dans l’existence humaine qui ne soit lié, d’une façon ou d’une autre, à la technique (manger ou lire, dormir ou se déplacer, etc.).
Pourquoi la technique, tout entière sortie des mains et du cerveau de l’homme, lui échappe-t-elle en partie ?
L’expression d’« apprenti sorcier » vient d’une ballade de Goethe : un magicien étant sorti de chez lui, son disciple met en action seau et balai grâce à une formule magique, mais l’avantage tourne vite en catastrophe, car s’il a trouvé le moyen de mettre en marche le processus qui le délivre de la tâche à fournir, l’apprenti sorcier ne disposait pas du pouvoir de l’arrêter. Goethe imaginait cela deux siècles avant l’invention de l’énergie nucléaire. Les raisons de l’absence de maîtrise totale de l’homme sur les produits de son intelligence technicienne sont de deux ordres : elles peuvent tenir à la faiblesse de l’homme même, mais aussi à la puissance de la technique, son œuvre.
Faiblesse de l’homme
C’est cette faiblesse qui est à l’origine même de la technique. Les outils ont été inventés pour effectuer ce que la main ne pouvait pas faire seule, les machines ont été inventées pour accomplir ce que le corps ne pouvait pas faire seul.
La technique est un moyen et un ensemble de moyens. Les finalités et les résultats ne sont pas toujours prévisibles. Dès lors, il y aura contraste entre la maîtrise sur les moyens et l’absence de maîtrise sur les résultats, car les processus enclenchés ne sont pas toujours connus ou, s’ils le sont, ils ne sont pas toujours maîtrisables (voir le nucléaire, les industries d’armement, les grands barrages, etc.).
L’homme vise une action ponctuelle sur son milieu (défricher une forêt, percer une route, détourner un cours d’eau). Or, dans la nature, les parties et les éléments sont interdépendants : l’action sur l’un d’entre d’eux réagit sur les autres (voir la façon dont le climat – température ou régime des pluies – peut être modifié par l’action technique des hommes alors même que ceux-ci ne le veulent pas).
Puissance de la technique
L’objet technique possède une force propre, et presque une vie propre. Et les machines d’aujourd’hui ont une puissance incomparablement supérieure à celle des machines de jadis : toutes les qualités (vitesse, puissance, etc.) sont développées bien au-delà des capacités humaines (c’est la raison d’être même de la technique).
L’innovation est un processus qui s’auto-entretient, chaque découverte implique d’autres découvertes. Si bien que, de plus en plus, une « technosphère » se développe, mue par des lois internes de fonctionnement, comme une forme indépendante d’existence supérieure en puissance à l’existence biologique. L’outil était un appendice de l’homme, l’homme devient un appendice de la machine.
Il n’est donc pas si paradoxal qu’il y paraît qu’une œuvre échappe au contrôle de son créateur : cela arrive à l’artiste comme au technicien. Seulement, dans le domaine technique, cette échappée pose des problèmes particuliers, à cause de la puissance même de la technique.
Pourquoi dit-on qu’on n’arrête pas le progrès ?
La question ne porte pas sur le progrès, mais sur l’idée qu’on s’en fait. « On n’arrête pas le progrès » est un lieu commun, une phrase toute faite dont on va chercher les raisons.
Une plainte impuissante
Souvent, cet énoncé accompagne un constat désolé : le « progrès » apporte avec lui des désagréments et des malheurs.
Le « progrès » paraît si puissant qu’aucune force ne semble capable de s’y opposer.
Le progrès hypostasié
Le progrès qualifie un certain type de processus historique (celui qui apporte un avantage quantitatif ou qualitatif pour l’homme), mais on finit par le substantialiser, comme si le progrès était devenu une personne, un dieu. On appelle cela une hypostase : un concept devient un être.
De fait, le progrès est la figure moderne du destin. Jadis, le destin venait de la nature ou des dieux, aujourd’hui il vient de la technique, c’est-à-dire de l’homme. « On n’arrête pas le progrès » est un énoncé fataliste du type : on n’arrête pas le destin.
De fait, quel pouvoir pourrait aujourd’hui stopper les recherches scientifiques ou les interventions technologiques (dans les domaines nucléaire et biotechnologique, pour ne citer que ceux qui suscitent les plus graves inquiétudes) ? Qui même le voudrait ?
Le processus infini
La dynamique de la découverte et de l’invention est une dynamique auto-entretenue qui n’a aucune fin (aux deux sens du terme) assignable. « On n’arrête pas le progrès » signifie ici : le progrès par nature n’a aucune fin ; on pourra toujours et encore chercher et inventer.
Conclusion
« On n’arrête pas le progrès » est le type (rare) de lieu commun qui énonce quelque chose de vrai. Il balance entre le constat attristé et la valeur acceptée. Il manifeste cette schizophrénie moderne qui fait de l’homme quelqu’un à la fois ravi et malheureux.
Pourquoi la technique peut-elle être considérée aussi bien comme un facteur de libération que comme un instrument de servitude ?
Pourquoi la technique a-t-elle des effets aussi contraires (liberté/servitude) ?
Parce qu’elle est un moyen, et qu’un moyen est neutre : seules la fin, l’utilisation la désigneront comme bonne ou mauvaise.
Parce que la technique est puissance, et que la puissance est ambivalente, bonne en tant que force, mauvaise en tant que violence, bonne en tant que créatrice, mauvaise en tant que destructrice.
Quels peuvent être les critères de l’utilité ?
Est utile tout ce qui sert à autre chose, c’est-à-dire qui constitue un moyen pour une fin donnée. Relation entre un moyen et une fin, l’utilité dépend par conséquent de l’un et de l’autre.
Critères quant aux moyens : a) l’adaptation : un marteau n’est pas utile pour scier un arbre ; b) la performance : on ne fait pas la guerre armé d’un canif.
Critères quant à la fin. Il faut : a) que la fin ait un sens (le contraire définit l’absurde) ; a) que la fin corresponde à une valeur. Or, une valeur désigne ce à quoi on croit. Autant de fins, autant de valeurs ; elles sont relatives : a) au contexte socio-culturel ; b) à l’individu ; c) aux circonstances.
L’utilité est donc une notion relative par excellence.
Texte canonique
Dans ce texte de jeunesse, Karl Marx montre que l’ouvrier, dans son travail, est aliéné. Le produit de son travail lui échappe. C’est pourtant en façonnant le monde des objets que l’homme s’affirme comme être générique, c’est-à-dire comme membre conscient de l’espèce humaine et se distingue de l’animal. C’est donc dans le travail que l’homme devrait se sentir pleinement homme. Mais, en arrachant à l’homme l’objet de sa production, le capitalisme arrache à l’ouvrier sa vie générique et transforme en désavantage son avantage sur l’animal. Il y a donc une contradiction entre le travail en général, qui est signe de liberté, et la forme concrète qu’il revêt dans le capitalisme, qui est aliénante.
(...) L’ouvrier n’a le sentiment d’être soi qu’en dehors du travail ; dans le travail, il se sent extérieur à soi-même. Il est lui quand il ne travaille pas et, quand il travaille, il n’est pas lui. Son travail n’est pas volontaire, mais contraint. Travail forcé, il n’est pas la satisfaction d’un besoin, mais seulement un moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail. La nature aliénée du travail apparaît nettement dans le fait que, dès qu’il n’existe pas de contrainte physique ou autre, on fuit le travail comme la peste. Le travail aliéné, le travail dans lequel l’homme se dépossède, est sacrifice de soi, mortification. Enfin, l’ouvrier ressent la nature extérieure du travail par le fait qu’il n’est pas son bien propre, mais celui d’un autre, qu’il ne lui appartient pas ; que dans le travail l’ouvrier ne s’appartient pas à lui-même, mais à un autre.
K. Marx, Manuscrits de 1844, trad. J. Malaquais et C. Orsini, Œuvres. Economie II, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1968, p. 61.
Quelques auteurs et textes phares à consulter
Platon, La République.
Lire le livre II qui traite de la division du travail.
A. Smith, La Richesse des nations I, GF-Flammarion.
Lire livre I, chapitre 1, sur la division technique du travail.
Fiche révision
Le travail est l’ensemble des activités productrices effectuées par les êtres humains, la technique, l’ensemble des moyens matériels (outils et machines) et intellectuels (savoir-faire) du travail.
Le travail a été tour à tour considéré comme une épouvantable fatalité et comme un moyen pour les êtres humains de se libérer de leurs servitudes naturelles.
Par le travail et les techniques, l’homme s’éloigne du monde de la nature et crée un monde qui lui est propre, le monde de la culture.
Parce qu’elle est une puissance, et qu’une puissance peut avoir des effets contraires, la technique a été tantôt considérée comme un bienfait, tantôt dénoncée comme un danger pour le milieu humain comme pour le milieu naturel.
La technique n’est pas seulement de nature matérielle et elle n’a pas que des effets matériels. Elle impose au monde moderne ses valeurs d’utilité et d’efficacité, de performance et de vitesse.