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Je rentre chez Keller.

Le trajet est plus long avec la ligne 14 et ce bus aux fenêtres vibrantes, éclaboussées de crasse et de neige collée. Il me laisse à quelques rues de chez Keller et avant que j’aie atteint sa porte, le bas de mon pantalon est trempé de neige fondue. Je suis secouée par des quintes encombrées de mucosités, qui me déchirent les côtes et la gorge. Je vois l’écran bleuté de la télévision à travers les rideaux. Une spirale de fumée se déroule au-dessus de la cheminée avec une odeur de sapin et de cerisier. J’hésite et m’attarde au-dehors, déchirée par la toux, les yeux mouillés de fatigue. Finalement, j’entre.

Le séjour est vide. Je trouve Keller dans la cuisine. Il est assis, appuyé contre la table, en train d’examiner la page sportive de son journal, des lunettes de lecture achetées en pharmacie juchées à mi-hauteur du nez.

Je me place en face de lui.

« Lena, ça n’a pas l’air d’être la putain de forme », remarque-t-il sans lever les yeux du journal.

Il lève enfin les yeux ; il semble exténué.

« Je sais. (Je lui touche la main.) Il fait froid dehors. Et j’avais quelques courses à faire.

— Des courses ? (Il laisse échapper un éclat de rire triste.) Moi aussi. J’ai reparlé à chacun. De nouveau. Personne ne sait rien. Ils veulent juste qu’on cuisine ce type. Memdouah.

— Je sais, je l’ai vu. Je n’ai rien pu en tirer.

— Et aucun des autres parents n’a été adopté. J’ai vérifié ça aussi. C’est probablement une coïncidence, pour Junie et toi. »

Il me dévisage. Aucun de nous ne dit tout haut ce qu’il pense : la tueuse va sans doute vouloir finir ce qu’elle a commencé ; mon choix est simple : partir à sa recherche ou attendre qu’elle me trouve la première. Dans les films, le tueur fixe toujours un ultimatum avec une date butoir ou fait connaître ses exigences : Versez une rançon à telle heure sinon la victime mourra. Ici, il n’y a rien qu’une présence furtive et le silence, aucun lien entre les morts et une pièce à conviction qui ne conduit nulle part et porte les enquêteurs à vouloir clore le dossier avant qu’il soit résolu.

Il m’observe attentivement. Il fronce les sourcils, retire ses lunettes et les pose sur le comptoir.

Je m’efforce de sourire, mais mon visage reste figé et sans profondeur. Il s’avance vers moi prudemment, les deux mains tendues, les paumes levées.

« Parle, s’il te plaît », dit-il.

J’ouvre la bouche, mais je recommence à tousser et mes yeux se mouillent.

« Doucement, doucement. »

Il passe ses bras autour de moi et la fatigue me tombe dessus brusquement, la pression sur mes articulations me fait tressaillir. Les lumières de la cuisine perdent leur éclat, deviennent cireuses et la pièce bascule légèrement.

« Merde ! Je m’excuse… je n’ai pas fait attention. »

Il lève les mains. Je cherche de l’air en essayant de réprimer ma toux. Et tandis que Keller reste assis, en se retenant pour ne pas me toucher, je me penche vers lui, inspire des effluves d’après-rasage citronné, de fumée de bois et de cèdre. Nous nous dirigeons lentement vers la chambre pendant que la télévision clignote et marmonne, livrée à elle-même dans la salle de séjour. Aucun de nous ne parle. Nous nous allongeons tout habillés sur le lit et sombrons dans le sommeil.

 

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