HUIT
Le soir approchait. Verkan de Grefftscharr galopait à la tête du peloton qui regagnait la cité d'Hostigos pour annoncer la bonne nouvelle : Tarr-Dombra était tombé. On avait fait deux cents prisonniers, pris cent cinquante chevaux, quatre tonnes de semence de feu, vingt canons et un riche butin en armes portatives, en cuirasses et en trésors. Et la vallée des Sept Collines était de nouveau réunie à Hostigos. Harmakros avait écrasé un fort détachement de mercenaires montés, en tuant plus d'une vingtaine et capturant le reste. Il s'était également rendu maître de la ferme sacrée de Styphon, qui était une salpêtrerie, avait libéré les esclaves et mis les prêtres à mort. Le ministre de Dralm, tenu depuis si longtemps dans le mépris, avait retrouvé ses ouailles et il prêchait aux paysans que les Hostigi étaient venus non point en conquérants mais en libérateurs.
C'était là des propos familiers pour Verkan Vall : il avait entendu le même couplet sur bien des lignes temporelles, y compris celle de Morrison-Kalvan. D'ailleurs, en définitive, dans la guerre que menait ce dernier, les deux camps proclamaient la même chose.
Vall apportait aussi les lettres que le prince Ptosphès avait écrites – ou, plus vraisemblablement, que Kalvan avait écrites et que Ptosphès avait signées – à Gormoth et à Sesklos, dit la Voix de Styphon. Astucieux, ce garçon, ses messages feraient énormément de mal là où le mal serait le plus bénéfique.
Laissant deux cavaliers en ville pour répandre la nouvelle, Verkan Vall poursuivit sa route en direction du château. Comme il en approchait, la grande cloche du beffroi se fit entendre. Il lui fallut un certain temps pour faire son récit à Xentos, compte tenu des interruptions du vieux prêtre-chancelier, qui répétait ses propos à l'intention de Dralm. Lorsqu'il sortit de chez le vieil homme, il se sentit empoigné à bras-le-corps et on l'entraîna vers le mess des officiers, où un tonneau de vin avait déjà été mis en perce. Heureusement qu'il avait sur lui quelques pilules d'alcodotévitamines du Premier Niveau. Il faisait noir quand il se retrouva dans la cité ; tous les habitants ronflaient, ivres morts ; le bourdon sonnait toujours et, sur une petite place, quelqu'un gaspillait un peu de semence de feu.
À nouveau, il fut emporté par la foule, ses cavaliers ayant vendu la mèche en le présentant comme l'un des héros de la victoire de Tarr-Dombra. Il réussit finalement à regagner l'auberge et monta aussitôt dans sa chambre. Il prit dans son coffre une boule à messages ainsi qu'une petite balise radioactive qu'il dissimula sous son manteau, sauta en selle et se rendit dans une clairière dissimulée à trois kilomètres de la cité.
Sortant le micro, il enregistra un message s'achevant ainsi : « Je tiens à remercier particulièrement Skordran Kirv et son équipe pour le travail de reconnaissance qu'ils ont effectué à Tarr-Dombra sur cette ligne temporelle et les lignes voisines. Les renseignements ainsi fournis et le succès de ce matin qui en est résulté me mettent en excellente position pour mener à bien ma mission. J'ai un besoin immédiat d'assistants et de matériel. Il y a une grande fête pour célébrer la victoire, tout le monde est ivre et ils pourront facilement se faufiler sans se faire remarquer. Dans trois jours, il y aura une cérémonie d'action de grâces officielles au temple de Dralm, suivie d'un grand festin au cours duquel seront annoncées les fiançailles du seigneur Kalvan et de la princesse Rylla. »
Verkan Vall régla le chronographe de transposition, brancha l'antigravité et lança la sphère comme un fauconnier lâchant son rapace. Le ciel était légèrement couvert et l'objet s'embrasa juste au-dessus du plafond des nuages. Mais, par une nuit pareille personne ne s'étonnerait de voir des signes dans le ciel. Après avoir dégagé la balise de son enveloppe et l'avoir installée de façon à guider le convoyeur, il s'assit, le dos appuyé contre un arbre, et alluma sa pipe. Une demi-heure de transposition pour atteindre le terminal, une heure environ pour réunir hommes et matériel, une demi-heure encore pour la transposition en sens inverse…
Il ne s'ennuierait pas en attendant. Les gens du Premier niveau ne s'ennuyaient jamais. Il avait trop de souvenirs intéressants, des souvenirs qu'il se remémorait intégralement.