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Accroupi au milieu des broussailles à la limite du champ, le caporal Calvin Morrison, de la police d'État pennsylvanienne, examinait la ferme qui se dressait deux cents mètres plus loin, de l'autre côté du petit ruisseau. C'était une baraque branlante dont la peinture jaune s'écaillait, surmontée d'un toit en terrasse affaissé qui faisait comme une guirlande. Quelques poules blanches picoraient de façon mécanique dans la basse-cour encombrée de détritus. Il n'y avait pas d'autre signe de vie mais le caporal Morrison savait qu'un homme était retranché dans la maison. Avec un fusil dont il n'hésiterait pas à se servir. Un assassin évadé de prison, prêt à tuer de nouveau.
Morrison jeta un coup d'œil à sa montre. L'aiguille des minutes était juste sur le chiffre 9. Jack French et Steve Kovac devaient en ce moment descendre la route en surplomb où la voiture était garée. Il se leva et ouvrit le rabat de son étui à revolver.
« Surveillez la fenêtre du milieu au premier étage, dit-il. « J'y vais ! »
« Je l'ai dans le collimateur. » Le bruit métallique d'une culasse de fusil parvint aux oreilles de Morrison. « Bonne chance ! »
Il avança. Le champ était envahi d'herbes folles. Il avait peur. Aussi peur que la première fois, en Corée en 51, mais il n'y avait rien à faire, sinon ordonner à ses jambes de continuer à se mouvoir. Dans un instant, il n'aurait plus le temps d'avoir peur.
Il était à quelques pas du petit ruisseau la main à portée de la crosse de son arme, quand l'événement se produisit.
Un éclair aveuglant, suivi d'un bref instant d'obscurité. Il crut que l'homme avait tiré. D'un geste instinctif, il sortit son automatique. Et, soudain, il y eut autour de lui un dôme nacré et frémissant, chatoyant de couleurs, un hémisphère parfait de quatre mètres de haut sur neuf de large. Il faisait face à un bureau ovale surmonté d'un tableau de commandes derrière lequel un homme était assis dans un fauteuil pivotant. L'homme se leva, il était jeune, bien bâti. C'était un Blanc, mais certainement pas un Américain. Il portait un pantalon vert et bouffant, des bottillons noirs et une chemise vert pâle. Un holster était fixé sous son aisselle gauche et il tenait une arme dans la main droite.
Morrison était certain que c'en était une, bien qu'elle ressemblât plutôt à un fer à souder électrique dont le tube eût été remplacé par deux minces tigelles reliées à leur extrémité par une olive de céramique ou de plastique bleue. À côté de cet instrument, son automatique réglementaire devait probablement faire l'effet d'un pistolet à bouchon.
Le policier tira, maintenant la détente pour que le percuteur ne se redresse pas, et se laissa tomber de côté sur le plancher lisse et poli, se recevant sur la main et la hanche gauches. Quelque chose le fauteuil, sans doute dégringola avec fracas. Morrison roula sur lui-même jusqu'à ce qu'il sorte du dôme de lumière nacrée et heurte brutalement un obstacle. Il resta étourdi l'espace d'une seconde, puis se releva et libéra le chien de son Colt.
L'obstacle était un arbre. Cela lui parut normal jusqu'au moment où il se rappela qu'il n'aurait pas dû y avoir d'arbres ici. Rien que des buissons bas. Or cet arbre, comme tous ceux qui l'entouraient, était énorme c'étaient d'immenses fûts rugueux, soutenant une voûte verte qui ne laissait filtrer que de parcimonieux rayons de soleil. Des sapins-ciguës. Ils devaient dater de l'époque où Christophe Colomb en était encore à tenter de persuader Isabelle la Catholique de gager ses bijoux !
Il regarda le petit ruisseau qu'il se préparait à franchir lorsque l'événement était survenu. C'était la seule chose à peu près rationnelle dans cette incroyable histoire. Ou la plus insensée.
Il commença à se demander comment il allait expliquer son aventure.
« Au moment où je m'approchais de la maison…» (il parlait à haute voix en employant le ton officiel) « j'ai été intercepté par une soucoupe volante qui a atterri devant moi. Son occupant m'a menacé d'un pistolet à rayons. Je me suis défendu avec mon revolver. J'ai tiré une balle… »
Non, cela n'allait pas du tout.
Il se tourna de nouveau vers le ruisseau. Un soupçon naissait dans son esprit : peut-être bien qu'il n'y aurait plus personne à qui donner ces explications ? Il fit basculer le barillet de son Colt et glissa une cartouche neuve dans le magasin. Puis, décidant d'oublier le règlement exigeant que le chien soit toujours en face d'une chambre vide, il garnit l'alvéole.