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Verkan Vall examinait le paysage à travers le frémissement presque indécelable du champ de transposition. Il était maintenant dans les forêts du Cinquième Niveau. Les montagnes étaient toujours pareilles, bien sur, mais tout autour, les bois palpitaient et ondulaient. Il y avait beaucoup de fantaisie dans la manière dont poussaient les arbres d'une ligne temporelle à l'autre. Parfois, il entrevoyait un fragment de campagne ou les bâtiments et les installations de l'aéroport de ses compatriotes. Au-dessus de lui, un voyant rouge clignotait et un timbre grésillait à chaque éclat. Le dôme du convoyeur se matérialisa en une iridescence compacte, puis devint un réseau métallique, froid et inerte, et le voyant passa au vert. Verkan Vall prit le lance-rayons sigma sur le bureau et le glissa dans l'étui Au même moment, la porte coulissa et deux hommes vêtus de la tenue verte de la police paratemporelle entrèrent. L'un d'eux portait les insignes de lieutenant. À la vue de Vall, ils parurent se détendre et rengainèrent leurs armes.
« Salut, chef adjoint, » dit le lieutenant. « Vous n'avez rien ramassé, hein ? »
Le champ de transposition Ghaldron-Hesthor était théoriquement impénétrable. Toutefois, dans la pratique notamment lorsque deux véhicules paratemporels suivant des « directions » opposées s'interpénétraient, il subissait un bref affaiblissement et des objets extérieurs indésirables, parfois vivants et hostiles, pouvaient s'y introduire. C'était pour cela que les agents de la Paratemporelle avaient toujours une arme à portée de la main et que les convoyeurs étaient inspectés dès leur matérialisation. C'était pour cela aussi que, parfois, certains agents en mission ne rentraient pas.
« Pas cette fois. Ma fusée est-elle prête ? »
« Oui, chef. Il faudra attendre un peu l'aéroglisseur qui vous conduira au terrain. » Le patrouilleur avait déjà commencé à sortir les enregistrements de transposition du magasin. « On vous préviendra dès qu'il sera là. »
Le lieutenant et Vall se dirigèrent sans hâte vers la rotonde de tête, son vacarme et ses couleurs mouvantes.
Vall présenta son étui à cigarettes à l'officier, qui alluma son briquet. Ils avaient à peine tiré quelques bouffées qu'un autre convoyeur se matérialisa sans bruit dans un cercle vide, à gauche.
La porte s'ouvrit. Deux gardes sortirent leurs lance-rayons et jetèrent un coup d'œil à l'intérieur de l'engin aussitôt, l'un d'eux recula, décrocha le radiotélophone fixé à sa ceinture et se mit à parler sur un ton précipité tandis que son compagnon pénétrait dans le convoyeur. Jetant leurs cigarettes, Vall et le lieutenant s'approchèrent.
Le fauteuil du bureau était renversé. Un agent de la Paratemporelle gisait sur le sol, son arme à quelque distance de sa main ouverte. Il n'avait pas de tunique. Sa chemise vert pâle était tachée de sang. Le lieutenant se pencha au-dessus de lui, prenant soin de ne pas le toucher.
« Il est en vie. Il a reçu une balle ou un coup d'épée. »
« C'est une balle. Je sens l'odeur de la cordite. » Vall remarqua alors le chapeau sur le plancher et il contourna le blessé. Deux hommes apparurent avec une civière anti-G sur laquelle ils installèrent ce dernier.
« Regardez, lieutenant. »
Le lieutenant contempla le chapeau. Un feutre gris à large bord. À quatre bosses.
« Quatrième Niveau. Secteur europo-américain, sous-secteur hispano-colombien. »
Vall ramassa le chapeau et en examina l'intérieur. Le lieutenant avait raison. La bande de cuir portait en lettres d'or une inscription en caractères romains :
JOHN B. STETSON COMPANY.
PHILADELPHIE, PENNSYLVANIE
et une autre, manuscrite : Cpl Calvin Morrison, Police d'État de Pennsylvanie.
« Je connais, » fit le lieutenant. « Ce sont des types comme ça ! Ils valent les nôtres. »
« Celui-là a été d'un poil plus rapide que notre collègue. » Vall sortit une nouvelle cigarette de son étui « Cela s'annonce mal, lieutenant. La disparition de ce ramassé fera du bruit et il se trouve qu'il appartenait à l'un des dix meilleurs groupements de police du monde dans cette ligne temporelle. Pas question de s'en tirer avec les explications pour crétins qui marchent généralement dans ce secteur. En outre ; il va falloir trouver ou il a émergé et ce qu'il a fait. Un bonhomme capable de damer le pion à un agent de la Paratemporelle alors qu'il vient de se faire aspirer par un convoyeur ne va pas disparaître comme ça dans le brouillard, quelle que soit la ligne temporelle où il a atterri. D'ici que nous parvenions à le localiser, il aura eu le temps de faire un sacré chambardement. »
« Pourvu qu'il ait été éjecté de son sous-secteur ! Supposez qu'il émerge dans une ligne temporelle contiguë et qu'il se présente pour faire son rapport à son commissariat où une réplique de lui-même ayant les mêmes empreintes digitales soit de service ? »
« Oui, ce serait gentil ! » Vall alluma sa cigarette « Quand l'aéroglisseur arrivera, renvoyez-le. Je vais étudier moi-même les enregistrements. Que la fusée reste prête à décoller, j'en aurai besoin dans quelques heures. Je vais m'occuper personnellement de cette affaire. »