Chapitre 55
Mehun-sur-Yèvre. Dimanche, 6 h 15.
Le chef du centre de radiodiffusion d’Allouis habitait dans une jolie villa à Mehun-sur-Yèvre, à une quinzaine de kilomètres de Bourges et à quelques minutes de voiture des installations d’Allouis.
S’ils étaient venus dans le village pour y passer un bon moment de détente, Darlan et Alex auraient pu admirer les berges de l’Yèvre depuis la propriété et le terrain qui descendait en pente douce vers la rive. Il n’était pas rare en cette saison d’y observer les chanceux qui flânaient sur de petits bateaux, au rythme du courant et du temps qui passe. Ils auraient probablement eu du mal à résister au charme de la ville, où verdure et calme se mariaient avec les vieilles pierres des lieux historiques. Le ciel, toujours exempt de nuages, commençait à s’éclaircir à l’est. Le deuxième tour des élections présidentielles allait se dérouler lors de cette journée par un temps estival. Les commentateurs télé ne manqueraient pas de faire le rapprochement entre le taux d’abstention et la fréquentation des plages et autres lieux de villégiature.
À cette heure matinale, leur seule préoccupation résidait dans le guidage GPS qui les avait conduits par deux fois dans une impasse, avant de les amener au bon endroit.
Darlan gara la petite BMW cabriolet devant le portail de la propriété. Salvatore les dépassa avec la Mercedes et se rangea dix mètres plus loin. Le quartier était encore endormi et la seule maison d’où filtrait de la lumière à travers les volets fermés était précisément celle qui les intéressait.
– Tu crois qu’il va nous recevoir ? demanda Alexandra, en étouffant un bâillement et en désignant la villa.
– Nous avons déjà de la chance de le trouver chez lui.
– Son collègue, qui nous a donné son adresse, a précisé qu’il restait chez lui ce week-end et qu’il irait au centre aujourd’hui.
– Nous allons vite être fixés.
Ils s’apprêtaient à sortir de la voiture lorsqu’un coup porté à la vitre fit sursauter Alexandra. Elle découvrit la grosse silhouette de Salvatore, le nez presque collé à la portière. Il désirait manifestement leur parler.
Darlan actionna le lève-vitre. L’air chaud pénétra dans l’habitacle. L’Italien posa ses avant-bras sur la portière et entra sa tête par la fenêtre. Alexandra eut à subir sa proximité pendant la discussion. Elle se cala au fond de son siège en réprimant un haut-le-cœur, percevant le mélange d’eau de toilette bon marché et de sueur âcre. Dégoûtée, elle espéra que Darlan mette fin rapidement à la conversation :
– Bon, Philippe, on reste dans la voiture le temps que tu arrives à convaincre ton client comme tu l’as demandé. Mais j’aimerais autant te laisser au moins un gars, on ne sait jamais.
– Ça ira, ne t’en fais pas. Si tu veux, je vais t’appeler et laisser le téléphone sur marche dans ma poche. Tu pourras ainsi suivre la conversation et si j’ai besoin d’aide, je n’aurai qu’à te le dire.
– O.K.., ça me va. Mais fais fissa, on va pas camper là. Les habitants du coin vont pas tarder à se lever. Et on n’est pas trop discret ,quoi. Hésite pas à m’appeler si tu sens une entourloupe.
– Compte sur moi.
Salvatore repartit vers la grosse Mercedes dans laquelle on distinguait la silhouette de trois autres hommes. Il avait troqué son costume de mafieux contre un pantalon de treillis et une veste de chasse XXL qui avait au moins l’avantage de masquer partiellement son ventre proéminent.
***
L’Italien et ses trois acolytes les avaient rejoints la veille au soir, avant de quitter Montmeyran.
En découvrant l’équipe « de soutien », Alexandra avait discuté avec Darlan du bien-fondé de se faire assister dans leur mission par ces quatre types qui se distinguaient tous par leur passé douteux et leur goût immodéré pour la bagarre et les armes à feu. Même si Darlan lui avait expliqué qu’au-delà des apparences, il les considérait tous comme des braves types, la journaliste les voyait avant tout comme des brutes difficiles à contrôler. Sauf peut-être le bel Angelo, qui n’avait pas perdu une seconde pour lui faire la cour lorsqu’ils s’étaient arrêtés sur l’autoroute pour dîner. Ses trucs de séducteur lui paraissaient surfaits et trop évidents pour être honnêtes. Pourtant, elle devait reconnaître qu’ils ne la laissaient pas indifférente. Il avait cet art du langage et les attitudes qui donnaient aux femmes l’impression très agréable d’être au centre du monde. Elle n’avait pas cherché à en savoir plus sur les deux autres membres de l’équipe de Salvatore, un Polonais balafré et un autre Italien qui paraissait ne pas comprendre un traître mot de français.
Seul Angelo lui semblait à peu près normal et elle se félicitait de l’avoir dans l’équipe. Son accent chantant et son humour lui avaient permis de ne pas trop penser aux actions qu’ils allaient devoir mener le lendemain. Si elle passait un bon moment, elle avait remarqué l’air maussade de Darlan pendant tout le repas, notamment quand Angelo lui adressait la parole, quand elle riait de ses blagues. Après leur départ du restaurant, le policier n’avait pas décroché un mot pendant près d’une heure. « Serait-il jaloux ? » se demanda-t-elle amusée.
Ils avaient dormi quelques heures dans un hôtel sans charme, à la sortie de l’autoroute, après s’être mis d’accord sur la marche à suivre le lendemain.
Sous l’impulsion de Fred et Marie, tous les internautes connectés avaient entrepris de trouver les noms et coordonnées du directeur du centre émetteur d’Allouis et des autres employés. Darlan avait pesté en disant qu’avec son matériel et s’il avait été chez lui, il ne lui aurait fallu que quelques minutes pour obtenir les informations recherchées.
Ils avaient dû attendre le milieu de la soirée pour être mis en contact avec un des techniciens du site, qui avait accepté de communiquer les coordonnées de son chef.
N’étant pas parvenus à le joindre, ils avaient décidé de passer le voir directement chez lui au petit matin, pour le convaincre, au besoin sous la contrainte, de les aider à pénétrer dans le centre.
***
Ils sortirent de la voiture et furent aussitôt assaillis par des effluves de lilas et de gazon fraîchement coupé, exprimés par la légère rosée tombée pendant la nuit. La journaliste se délecta de ce mélange, qui contrastait avec le souvenir très présent des odeurs chaudes du garagiste. À peine avaient-ils sonné au portail qu’un projeteur s’alluma et que la porte d’entrée s’ouvrit sur François Martineau.
Cheveux mi-longs, grisonnant sur les tempes, sans doute un peu plus que la cinquantaine, le chef du centre de radiodiffusion d’Allouis avait un visage marqué de rides d’expression dont on avait du mal à dire si elles avaient été gravées par le rire ou par la colère. Il devait les avoir entendus arriver. Bien qu’il les accueillît avec un sourire poli, Alexandra, se fiant à sa première impression, décida qu’il ne se laisserait pas convaincre facilement. On lisait dans son regard et dans son expression la détermination de ceux qui décident, pas de ceux qui exécutent ou qui écoutent. Son intuition la trompait rarement.
– Qu’est-ce que vous voulez ?
Darlan ouvrit le portail et s’avança sur les quelques mètres de l’allée de pierres plates. Il se présenta :
– Philippe Darlan. Nous devons vous parler d’un problème important au centre émetteur, vous auriez quelques minutes à nous accorder ?
– Vous savez que nous sommes dimanche et qu’il est à peine six heures ? Vous avez de la chance que je travaille aujourd’hui… Comment ça, un problème au centre ? Et qui êtes-vous d’abord ?
– Le problème concerne un signal illicite, caché dans la porteuse. Si vous voulez bien nous laisser entrer quelques instants, nous nous ferons un plaisir de vous expliquer… Je m’appelle Philippe Darlan, je suis lieutenant de police. Je vous assure que si ça n’avait pas été très important, nous ne serions pas là à vous importuner un dimanche matin.
L’homme le détailla de la tête aux pieds, se demandant s’il pouvait lui faire confiance. Il pencha la tête et vit la journaliste s’avancer également.
– Je vous présente Alexandra Decaze, qui est journaliste et qui travaille avec moi sur cette enquête.
– Vous avez une carte ?
Darlan présenta sa carte de police, en guettant la réaction du chef du centre qui l’examina longuement.
– Venez, entrez, coupa-t-il un peu brutalement, sans même leur serrer la main, comme s’il craignait que la conversation pût avoir des témoins dans le voisinage.
Martineau les fit asseoir dans le salon attenant à la pièce principale par laquelle ils étaient arrivés. Alexandra regarda autour d’elle, attentive aux détails qui pouvaient l’informer sur la personnalité de l’occupant des lieux. Très rapidement, elle fut convaincue qu’il vivait seul dans cette maison. Les quelques plantes vertes disposées dans la pièce supportaient mal le manque d’arrosage et les feuilles mortes s’amoncelaient dans les pots. Des revues traînaient à plusieurs endroits, l’éclairage de la pièce était actuellement assuré par une lampe halogène trop puissante qui donnait à l’ensemble une couleur blafarde. Pourtant, la pièce était équipée de plusieurs petits éclairages complémentaires qui devaient certainement créer une ambiance bien plus chaleureuse dans ce salon, lorsqu’elles étaient allumées.
Martineau poussa une pile de journaux du milieu du canapé et leur fit signe de s’asseoir, préférant pour sa part un fauteuil qui leur faisait face et où il avait vraisemblablement ses habitudes. Darlan ouvrit la bouche pour parler, mais le chef du centre lui coupa la parole avant même qu’il ne commence :
– Je n’ai pas beaucoup de temps à vous accorder, je dois précisément aller au centre. De quel problème voulez-vous me parler ? Si ce n’était la curiosité, je ne vous aurais pas ouvert ma porte. Vous n’êtes pas sans savoir que le centre émetteur d’Allouis est une zone sécurisée. N’attendez pas de moi que je vous dise quoi que ce soit.
Alexandra intervint, constatant que son regard se portait beaucoup plus souvent sur elle que sur Darlan :
– Monsieur Martineau, je m’appelle Alexandra Decaze, je suis journaliste à Lyon. Il y a quatre jours, un homme m’a contactée pour me faire part d’un complot. Il a été assassiné devant moi avant de pouvoir m’en dire plus, vous en avez certainement entendu parler, ce fait divers a été repris dans beaucoup de journaux papier et même brièvement dans le journal télé de vingt heures. J’ai à mon tour failli être tuée le soir même en visitant l’appartement de la victime, ainsi qu’il me l’avait demandé. C’est grâce à Philippe Darlan, qui enquêtait sur l’affaire, que je suis là devant vous ce matin. Depuis cet instant, nous avons remonté la piste pour finir par comprendre. Le problème concerne les machines à voter que tous les électeurs utiliseront demain, car c’est devenu le moyen normal de vote.
L’homme les regardait attentivement et rien dans son expression ne trahissait son étonnement. Alexandra continua :
– Nous avons découvert que ces machines sont dotées d’un système de fonctionnement alternatif qui permet de modifier le choix du votant à son insu. Avec ces machines truquées, c’est le résultat des élections qui risque de changer.
– C’est bien beau votre histoire, répondit l’homme sans exprimer aucune émotion particulière, mais je ne vois pas ce que le centre TDF que je dirige vient faire là-dedans.
Darlan intervint, incapable de réfréner son envie d’expliquer, de convaincre :
– Justement, nous avons la certitude que le message d’activation du mode fraude des machines est diffusé par radio grandes ondes. Ce message est transmis par vos antennes. Sans le savoir, vous allez participer à la plus grande fraude électorale qui ait jamais été organisée en France.
François Martineau changea d’expression. Son visage afficha une mine soucieuse. Il fronça les sourcils, trahissant une intense réflexion, voire un malaise. Il finit par faire non de la tête :
– Je n’y crois pas un instant, répondit-il, laissant sa voix s’emballer au-delà de ce qu’il aurait souhaité. TDF est une maison sérieuse et personne ne s’amuserait à insérer ce genre de message dans le contenu diffusé. Voyez-vous, ce centre a toujours été au service du pays depuis 1939. Pendant la guerre, et avant que les Allemands ne mettent la main dessus, le centre a permis de diffuser les messages destinés à la Résistance. Je ne vois pas quelqu’un de mon équipe s’amuser à diffuser sciemment les informations dont vous parlez. C’est tout bonnement ridicule. Nous sommes au service de l’État.
– Pourtant, le signal véhicule déjà des messages dans la porteuse, les tops de synchronisation horaire, par exemple. J’ai cru comprendre également que beaucoup d’autres signaux sont aussi envoyés de la même façon, hasarda Darlan.
– Comment avez-vous eu cette information ? C’est classifié !
– J’ai mes sources, comme on dit…
– Même si j’admets que nous faisons passer pas mal de choses dans l’émission, je pense que vous vous trompez.
– C’est pourtant ce qui va se passer dans moins de deux heures, sans doute quelques minutes après l’ouverture des bureaux de vote, pour laisser le temps de réaliser le test de bon fonctionnement sur les machines à voter. Êtes-vous certain que personne n’a prévu d’envoyer des signaux particuliers à ce moment-là ?
Martineau sembla se tasser dans son fauteuil, son regard exprimait une intense surprise.
– Vous dites que le message va être transmis aux alentours de huit heures ?
– Oui, et je pense qu’un autre message sera transmis de la même façon peu après vingt heures, lorsque les machines auront craché leurs résultats.
Martineau se redressa dans son fauteuil :
– Qu’attendez-vous de moi exactement ?
– Nous souhaitons que vous empêchiez la transmission de ce signal pendant toute la durée du scrutin. Ou, plus simplement, que vous vous arrangiez pour que l’émission grandes ondes soit interrompue pendant les heures d’ouverture des bureaux de vote.
– Vous avez perdu l’esprit ? Vous croyez vraiment que je vais prendre l’initiative de couper la retransmission pendant toute une journée, sur de vagues soupçons ? Depuis que je suis en poste ici, nous n’avons subi qu’une seule interruption non programmée et elle n’a pas excédé deux heures. Mes prédécesseurs ont tous fait la même chose. Il est de ma responsabilité d’assurer une continuité de service des émissions de France Inter et de la diffusion de l’heure. Je n’ai pas à juger du contenu qui circule sur les ondes. Si c’était ça votre idée, vous auriez dû me téléphoner, ça vous aurait évité de venir jusqu’ici.
– Et ça ne vous fait rien de savoir que les gouvernants actuels vont se maintenir au pouvoir en fraudant ? tenta Alex. Vous arriverez encore à dormir en sachant que vous avez contribué à faire naître une dictature en France ?
– Vous dites n’importe quoi ! La France est le pays des libertés, il est tout simplement inconcevable que nos dirigeants se livrent à une telle magouille. Et si c’était vrai, vous ne croyez pas que d’autres que vous s’en seraient aperçus ? Pour qui vous prenez-vous ? Pour tout vous dire, je n’ai pas voté pour le président actuel au premier tour, pas plus qu’il y a cinq ans. Maintenant, ce n’est pas pour ça que je vais imaginer qu’il est venu à ce poste par hasard et qu’il va s’y maintenir en trichant. On n’est pas dans une cour d’école.
– C’est vrai, il a certainement été élu démocratiquement il y a cinq ans. Mais depuis, la technologie et les moyens de contrôle de la population ont véritablement explosé. Je ne devrais pas vous dire ça et pourtant il se trouve que je travaille à la Direction Centrale des Renseignements Intérieurs. Mon métier est précisément d’utiliser tous ces moyens, normalement pour la lutte contre le terrorisme. J’ai eu accès à des informations qui prouvent que ce que nous disons est l’exacte vérité. J’ajoute que la suite d’assassinats à laquelle nous avons échappé par miracle vise à éliminer tous ceux qui pourraient mettre en péril l’opération. Si quelqu’un, au plus haut niveau, ordonne des exécutions, j’imagine que c’est à la hauteur du secret qui doit être couvert.
– Non, mais vous vous entendez ? On dirait un mauvais scénario. Nous ne sommes pas dans un film. Comment voulez-vous que je croie un truc pareil ?
Il hocha la tête, puis reprit :
– Je perds mon temps avec vous. Si vous le souhaitez, je peux vous donner le numéro d’un responsable de TDF à Montrouge, vous pouvez toujours essayer de le convaincre. Pour ma part, je ne peux rien faire d’autre. Je me demande même pourquoi je perds mon temps à vous écouter.
Il se leva, signifiant clairement la fin de l’entretien :
– Désolé. Tout cela est parfaitement ridicule. Je ne vois aucune raison de prolonger cet entretien.
La porte principale s’ouvrit brutalement pour laisser entrer Salvatore et un de ses hommes, le Polonais au nom imprononçable, aussi sec que l’Italien était gros. Tous deux portaient des armes de poing bien en évidence à la ceinture :
– Bon, fini de jouer, commença le garagiste. On vous a donné votre chance, maintenant vous nous accompagnez jusqu’au centre et vous allez gentiment nous laisser entrer là-bas.
Darlan s’emporta :
– Putain ! Salvatore, je t’avais dit de rester dehors.
– Désolé, mon pote. Je te l’ai toujours dit : t’es trop gentil. J’ai tout suivi là-dessus, continua-t-il en exhibant son téléphone. Désolé de te dire ça, mais tu as perdu la main. Là, t’arriveras à rien. On va faire ça à ma manière. Tu vas voir, ça marche toujours. Fais-moi confiance.
François Martineau regardait les nouveaux venus sans comprendre. Il n’avait jamais été confronté à une situation violente et s’en félicitait souvent. Il ne savait pas comment réagir, sentant l’angoisse qui nouait peu à peu son estomac. Les deux hommes qui lui faisaient face affichaient leur résolution avec une sérénité inquiétante.
– Vous êtes malade, commença-t-il à mi-voix en reculant jusqu’à toucher son fauteuil. Vous n’allez quand même pas me prendre en otage pour entrer dans le centre ?
– J’ai bien peur que si, répondit Salvatore avec un grand sourire, juste avant de retrouver un air sérieux qui fit frissonner le chef de centre. Et n’imaginez pas un instant que vous allez pouvoir nous berner, appeler les flics ou essayer n’importe quelle autre idée tordue. Alors, vous allez nous accompagner tout de suite et sans discuter.
Il s’approcha de Martineau jusqu’à le toucher de son embonpoint :
– Mon ami ici présent, continua-t-il en désignant le Polonais, a une grande connaissance de l’anatomie humaine et des endroits qui occasionnent la plus vive douleur. Le problème, voyez-vous, c’est qu’il aime ça, et je n’arrive pas toujours à l’arrêter... Je vous conseille donc de nous suivre et de nous faire entrer dans le centre. Après ça, je laisserai Philippe vous expliquer ce que nous attendons de vous. Si vous êtes bien gentil, il ne vous arrivera rien. Dans le cas contraire, mon ami Czesław s’occupera de vous et je suis certain que vous n’allez pas aimer.
Alexandra le regardait faire. Elle se surprit à réfréner une envie de rire. L’Italien jouait à la perfection le rôle du méchant, comme seuls les films savaient le mettre en scène, il en frôlait la caricature. Elle n’imaginait pas un instant que, dans la vraie vie, ce genre de répliques puisse être réellement utilisé. Elle remarqua cependant que Martineau avait pâli. Il devait certainement considérer la menace comme très crédible, d’autant que le Polonais présentait un physique peu avenant, aussi grand et sec que Salvatore était râblé et enveloppé. Une cicatrice déformait le côté de son visage et ses yeux bleu pâle (ceux d’un chien husky, avait dit Darlan) ne laissaient pas indifférents.
Darlan réfrénait sa colère. Il n’avait jamais été question de violence vis-à-vis du personnel du centre de radiodiffusion. S’il avait souhaité la présence de l’encombrant garagiste et de ses amis, c’était surtout dans le cas où Brune tenterait quelque chose. Le commandant avait déjà démontré qu’il était prêt à tout pour les éliminer et il avait toujours accès aux formidables outils de traçage de la DCRI. L’hypothèse qu’il puisse les avoir repérés ne devait pas être prise à la légère.
Il se résigna à laisser Salvatore gérer Martineau. Sans pour autant apprécier les méthodes musclées de l’Italien, Darlan devait admettre qu’il avait trouvé la solution pour leur permettre de rentrer dans le centre sans attendre.