Chapitre 9
Lyon. Mercredi, 21 h 15.
Alexandra ferma sa connexion Internet. Rien de nouveau sur sa messagerie, sauf la confirmation d’un rendez-vous avec son club pour une en sortie en eau vive pour le week-end. La perspective de se retrouver à lutter dans de gros remous en hydrospeed l’enchanta. L’activité n’était pas dangereuse en soi, mais elle lui procurait des sensations, des montées d’adrénaline dont elle ne pouvait plus se passer. Elle resta un instant devant son écran, la main toujours posée sur la souris, à côté du sandwich thon-salade méchouia qu’elle avait à peine entamé. Elle adorait pourtant, d’habitude, les préparations du petit Tunisien à l’angle de la rue. Le stress retombé, elle ressentait une grande fatigue. L’estomac noué, elle sentait s’effilocher sa détermination à visiter l’appartement de Fallière, se demandant même pourquoi elle avait tant insisté pour que Françoise l’accompagne. Elle revoyait sans cesse les images de l’assassinat. Sur le moment, elle n’avait été que spectatrice. Mais à présent, elle ne pouvait chasser de sa tête l’image de Fallière tressautant sous l’impact des balles, comme si elle avait été touchée elle-même.
La journaliste consulta sa montre. Il était l’heure d’appeler Françoise pour lui donner rendez-vous. En avait-elle encore envie ? Elle n’était pas du genre à renoncer. Bien souvent, dans les sports dangereux qu’elle pratiquait, il lui fallait se dépasser, trouver le courage. Elle y parvenait toujours. Pourquoi cela lui semblait-il aussi difficile à présent ?
Alexandra jeta un coup d’œil sur le plateau de la rédaction. Presque vide. Quelques halos de lumière témoignaient encore d’une certaine activité. Le bouclage se terminait normalement vers vingt-deux heures, mais il n’était pas rare que cet horaire soit largement dépassé. S’ensuivaient en général des gesticulations et des cris : chaque activité de la nuit étant minutée, le moindre retard prenait des proportions importantes. Ce soir, le calme qui régnait sur le plateau lui apporta la certitude qu’ils seraient à l’heure.
Alex avait rédigé elle-même une bonne partie de l’article sur le meurtre de cet homme de cinquante-deux ans, place Bellecour, en plein après-midi et devant témoins. Ses collègues avaient, quant à eux, ajouté les photos, placé le compte-rendu des interviews des témoins du meurtre et commencé à lancer des hypothèses allant du règlement de compte à l’attentat terroriste. Cette dernière hypothèse étant selon eux vérifiée par la présence sur les lieux du groupe antiterroriste, quelques minutes à peine après les événements. Gros titre en page une et l’article en page trois. Même les élections toutes proches s’effaçaient devant cette actualité. Le tirage de la nuit avait été revu à la hausse. Le photographe dépêché sur les lieux ne put s’empêcher de lui demander comment elle avait eu accès à tous les détails qu’elle rédigeait. Elle éluda la question, parlant seulement d’un témoignage digne de confiance.
Alexandra s’arracha à ses pensées et composa le numéro de son amie depuis son téléphone mobile. Dès que la voix de Françoise retentit, elle ne put plus faire marche arrière :
– Tu es toujours décidée à aller nous mettre dans le pétrin ? commença Françoise, je ne pense toujours pas que ce soit une bonne idée.
– Je me suis posé la question également, figure-toi. Je considère que je n’ai pas le choix. J’ai fait une promesse. Toi aussi, d’ailleurs, tu m’as promis. Tu étais d’accord, j’espère que tu n’as pas changé d’avis. Écoute, on ne fait rien de plus que notre métier. Fallière m’a donné ses clés, et m’a demandé d’aller chez lui. Nous devons continuer…
– À quelle heure on se donne rendez-vous ? coupa la rédactrice en chef, résignée.
– Disons, dans vingt-cinq minutes, ça te donne largement le temps d’arriver.
– O.K., j’apporte un appareil photo, après tout, ça vaudra peut-être le coup, j’aurai l’impression de revenir à mes débuts…
– Je prends la ceinture et ce qu’elle contenait, on ne sait jamais, on pourra peut-être y comprendre quelque chose.
– J’ai quand même le sentiment qu’on va faire une connerie.
– Ne me dis pas que le fait d’aller sur le terrain te fait peur, tu étais plus téméraire que ça, comme tu le dis : à tes débuts.
– Sans doute… mais je n’avais pas de famille. Tu me donnes l’adresse ?
Alexandra lui communiqua l’information avant de raccrocher.