Chapitre 39
Batz-sur-Mer. Vendredi, 13 h 40.
Darlan décida tout d’abord de passer devant l’entrée de la propriété sans s’arrêter. Le portail, fermé, ne révélait rien de particulier. Pas de voitures suspectes non plus. Ils longèrent ainsi le mur de pierre qui entourait le terrain, jusqu’à un endroit où un ancien accès menant à une dépendance était fermé par du grillage.
– Je pense que nous nous sommes inquiétés pour rien, commença Alex.
Sans répondre, le policier freina brutalement, sortit de la voiture et traversa la route vers la zone grillagée. De sa place, Alexandra vit très nettement Darlan écarter facilement les deux pans du grillage qui avaient été sectionnés. Il fit quelques pas à l’intérieur puis revint vers la Bluecar :
– Je pense que ça répond à la question. Les traces de pas sont fraîches, une seule personne. Les Berthoin ont un problème. Reste à savoir avec qui.
– Nous devrions peut-être appeler la police et les laisser régler ça. Tu as été blessé hier par ma faute, je n’ai vraiment pas envie que ça se reproduise, si tu veux savoir.
Il observa Alex un instant, heureux de l’entendre manifester un peu de compassion à son égard.
– Tu es la voix de la sagesse, mais je veux d’abord savoir à qui nous avons affaire. Nous avons l’avantage de la surprise. Il réfléchit pendant quelques secondes sans parler, rythmant ses réflexions en pianotant sur le tableau de bord. Bon, s’il s’agit d’une équipe d’intervention de la DCRI, je te l’accorde, on ne pourra pas faire grand-chose. Je suis convaincu que nous avons affaire à une seule personne. Pour tout dire, ça ne ressemble pas au mode d’action de chez nous.
– Tu crois que c’est le type qui m’a agressée chez Fallière ?
– J’espère que non. C’est un tueur professionnel. Je propose que nous approchions par la falaise, pour arriver discrètement comme tu l’as fait ce matin en revenant de courir. Si on aperçoit le moindre danger, on appelle mes anciens collègues, qu’en penses-tu ?
– C’est gentil de me demander mon avis. Je pense quand même que ce n’est pas la solution. Je suis inquiète pour tes amis. Je me sentirais mieux si nous étions entourés d’une escouade de militaires. Mais d’un autre côté, s’il y a la moindre chance que nous puissions régler le problème sans avoir à abandonner notre quête, je suis partante.
Darlan regarda Alex en souriant :
– J’ai l’impression que nous avons au moins un point en commun : nous ne renonçons jamais, c’est déjà ça...
La voiture garée sur le bas-côté à une centaine de mètres de la propriété, Darlan et Alex remontèrent le chemin côtier que la journaliste avait parcouru en courant le matin même. Depuis la falaise, la maison des Berthoin apparaissait par moments, au milieu des arbres hauts qui peuplaient la propriété. Ils s’éloignèrent du chemin pour s’enfoncer dans les hautes herbes où se dessinait la trace que la journaliste avait suivie pour rejoindre le portillon. Darlan s’arrêta et prit Alex par le bras :
– Attends, on va d’abord rejoindre le mur et s’approcher du portail à couvert, ça nous permettra de jeter un coup d’œil avant d’arriver comme une fleur.
– Comme tu veux, c’est toi le flic, répondit Alexandra en posant sa main sur l’épaule de Darlan et en le regardant dans les yeux ; mais ne compte pas sur moi pour passer par-dessus le mur habillée comme ça ! Je me suis déjà tordu deux fois les chevilles en venant jusqu’ici.
Le policier détailla la jeune femme, sans retenue. Son tailleur gris clair, son petit haut suffisamment décolleté pour attirer l’œil d’un connaisseur, des talons hauts… il dut en effet reconnaître que sa toilette serait mieux passée dans une salle de réunion feutrée que dans la campagne bretonne.
– L’inspection est finie ?
Il détourna les yeux en souriant et reprit sa progression vers le mur d’enceinte.
Le vent avait considérablement forci. Les gros nuages qui s’amoncelaient à l’horizon plus tôt dans la matinée menaçaient maintenant la côte. L’océan commençait à onduler et les vagues à se briser sur les rochers. La marée descendante atténuait le phénomène, mais il était certain que, dans la soirée, l’endroit allait se parer de tous les atours d’une belle tempête. Un petit avion passa au-dessus d’eux. Suivant le littoral, ballotté en tous sens, il semblait lutter contre le vent et les turbulences.
Darlan s’immobilisa devant le mur qui cernait la propriété des Berthoin. Une prise d’élan et un rétablissement qui lui arracha une grimace de douleur, et il s’était hissé suffisamment pour voir la maison de l’autre côté. Ses pieds dérapaient sur les pierres. Forçant sur ses bras pour se maintenir, le policier tentait de se faire une idée de la situation.
– Tu vois quelque chose ? demanda-t-elle, en luttant pour étouffer un fou rire devant l’attitude ridicule de son coéquipier.
– Personne sur la terrasse ! répondit-il en grimaçant et en forçant la voix pour couvrir le vent. Je ne vois rien bouger à l’intérieur. Si, attends ! je crois que je vois Marie près de la fenêtre au deuxième. Elle ouvre la fenêtre et regarde dehors. Je vais lui faire signe.
À peine eut-il levé le bras qu’il retomba lourdement en bas du mur en laissant échapper un cri de douleur, sa main posée sur son côté. Sa blessure venait de le rappeler à l’ordre. Il sourit à la journaliste qui lui tendait la main pour l’aider à se relever.
– Rassure-moi, Philippe, tu ne travailles que dans des bureaux ?
– Ce n’est pas drôle, je suis supposé être le super flic de l’équipe et je passe mon temps à me rendre ridicule à tes yeux…
– Si tu es monté sur ce mur pour m’impressionner, c’est fait ! Lorsque toute cette affaire sera terminée, je t’inviterai à faire de la grimpe dans mon club. Il y a deux ou trois choses qu’il faudra que je t’apprenne. En attendant, on fait quoi ?
Darlan mit quelques secondes à digérer qu’Alex venait bien d’envisager un « après » en commun. Enthousiaste, il répondit :
– On passe par le portillon et on longe le mur par l’intérieur. On entrera par la remise. Ça nous permettra de rester cachés par les arbres. De là, nous pourrons découvrir ce qui se passe, enfin j’espère.
– Tu crois que Marie t’a vu ?
– Aucune certitude, je ne pense pas être resté suffisamment longtemps accroché en haut de ce mur.
Quelques minutes plus tard, ils atteignirent la porte de la remise en étant passés, aussi discrètement que possible, par le petit portail qui fermait l’accès à la falaise. Longeant le mur à l’intérieur, ils avaient profité de l’ombre des grands arbres pour progresser. Ils avaient regardé régulièrement vers les étages, mais n’avaient pas revu Marie à la fenêtre.
La petite pièce, contiguë à la cuisine, restait ouverte la plupart du temps, permettant ainsi aux enfants d’aller et venir dans le jardin. Darlan posa la main sur la poignée et poussa la porte. Au moment d’entrer, il se retourna pour conseiller à Alex de ne pas faire de bruit. Mais elle ne le suivait plus. Il la vit quelques mètres plus loin, longeant le mur de la maison et s’approchant de la porte-fenêtre de la cuisine. Elle risqua un coup d’œil à l’intérieur, puis revint sur ses pas :
– Désolée, chuchota-t-elle, je n’ai pas pu résister. C’est libre, il n’y a personne dans la cuisine.
– Ce serait trop te demander de faire ce qu’on a décidé ou, au moins, de m’avertir quand tu veux n’en faire qu’à ta tête ? On y va maintenant ou tu as une autre idée ?
– Je te suis, répondit-elle, vexée par la remarque, mais n’en laissant rien paraître.
Il lui avait semblé évident qu’un petit coup d’œil pouvait permettre d’éviter de se retrouver face aux intrus. Elle estimait que, vu les piètres qualités du policier sur le terrain, celui-ci aurait pu au moins la remercier pour son initiative.
Ils traversèrent la pièce aux dimensions confortables en se faufilant entre du mobilier de jardin, des jouets, des vélos, des outils, ainsi qu’une impressionnante quantité d’objets en attente au mieux d’un brocanteur, au pire d’un vide-grenier. La seule fenêtre de la pièce laissait passer juste assez de lumière pour leur permettre d’éviter de renverser un objet et ainsi se trahir. Darlan posa son oreille sur la porte qui communiquait avec la cuisine, guettant le moindre signe d’activité. Alexandra le rejoignit quelques instants plus tard et se plaça derrière lui, assez proche pour qu’il sente son souffle dans son cou. Ils restèrent ainsi une longue minute, sans entendre quoi que ce soit qui eût révélé la présence d’un intrus. Avec précaution, le policier entrebâilla la porte et jeta un coup d’œil dans l’ouverture.
La grande cuisine, aménagée avec goût, était partagée au milieu par une table-bar entourée de tabourets hauts. Ouverte sur un côté sur la salle à manger et largement éclairée par la porte-fenêtre, la pièce donnait l’impression d’un endroit chaleureux, offrant un contraste intéressant entre les murs de pierre et le laqué blanc et noir rehaussé de métal brossé des éléments de la cuisine.
Après s’être assuré qu’aucun ennemi ne les attendait, Darlan souleva légèrement la porte par sa poignée pour faire taire le grincement qui faisait écho dans le silence de la maison et l’ouvrit suffisamment pour entrer. Ce silence, justement, l’angoissait. La maison, rendue d’ordinaire si vivante par la présence des enfants qui jouaient en criant souvent plus que de raison, ou l’écho du saxophone que Marie maniait avec dextérité, résonnait maintenant du bruit du vent, étouffé par l’épaisseur des murs. Il avança dans la pièce et faisait le tour du comptoir, suivi par Alex, lorsqu’une voix derrière eux les fit se figer sur place :
– Merci d’avoir répondu si rapidement à l’appel de votre ami.
Ils se retournèrent d’un bloc pour découvrir l’homme qui venait de parler. Celui-ci referma la porte derrière laquelle il s’était dissimulé pendant que Darlan et Alex entraient. Leurs yeux se fixèrent instantanément sur le pistolet automatique que l’intrus pointait sur eux.
– C’était vous, à Lyon. Vous êtes l’assassin de Fallière, affirma Alexandra d’une voix rauque où se mêlaient la colère et la peur.
– Qu’est-ce qui vous fait dire ça ? répondit-il, une lueur d’intérêt dans le regard.
– Je vous ai croisé dans le parking, quelques minutes après le meurtre, place Bellecour.
– Bien sûr, je m’en souviens maintenant, vous avez failli m’écraser... C’était vous ! Si j’avais su, je vous aurais liquidée sur place, ça m’aurait évité bien des ennuis.
– Si j’avais su, je n’aurais pas freiné ! Vous m’avez agressée également chez Fallière.
– Sans votre ange gardien de flic, toute cette affaire serait déjà terminée. Je déteste avoir à recommencer les mêmes choses deux fois ! termina-t-il avec décontraction, comme s’il racontait sa journée de travail à sa femme en rentrant le soir du bureau.
Darlan dévisageait le tueur. Sa chemise ample cachait mal sa musculature athlétique. Son regard clair, froid, ses traits durs et son crâne rasé renvoyaient l’image d’un professionnel du combat. Quelques cicatrices légères marquaient son visage, témoignant de quelques bagarres d’où il était toujours sorti vainqueur. Le policier savait maintenant qu’il venait de trouver celui qu’il cherchait depuis le début de cette affaire. Celui qui avait réussi à supprimer les témoins à mesure qu’ils apparaissaient. Sauf que c’est précisément lui qui les avait trouvés. Comment cet homme avait-il pu les retrouver ici ? Il avait fallu tous les moyens de la DCRI pour les pister jusque-là, et encore, avec un solide analyste aux commandes. Comment un homme seul pouvait-il, dans ces conditions, réussir à les localiser si facilement ? La réponse s’imposa au moment où il formulait la question. Il était forcément aidé par quelqu’un du bureau ! Aussi improbable que cela puisse paraître, la DCRI abritait une taupe. Darlan passa en revue dans sa tête les visages de ses collègues, essayant d’imaginer qui pouvait être l’informateur. L’homme l’interrompit dans ses pensées :
– Avancez vers le salon, je vous prie. Votre ami est impatient de vous voir. Et ne tentez rien, ce serait stupide, finit-il d’une voix calme et menaçante.
Ils traversèrent la salle à manger, puis le hall d’entrée et se dirigèrent vers le salon. Darlan se retourna deux fois pour regarder le tueur. Celui-ci, tout en affichant un air désinvolte, observait chacun de leurs mouvements. Il se déplaçait d’ une démarche féline, comme le prédateur qu’il était. Alors qu’il passait devant la console d’alarme de la maison, sur un côté de l’escalier, Darlan avisa l’écran de contrôle des caméras. Il s’arrêta un instant, pour constater que les images défilaient d’une caméra à l’autre, balayant ainsi tous les angles vers l’extérieur. Le policier se traita mentalement d’imbécile. Il avait pensé que le portail d’entrée était seul équipé d’une surveillance, pas que toute la maison en était dotée. Il avait eu l’intention de poser la question à Fred la veille, puis il avait oublié, trop occupé à préparer la mission chez Eltrosys.
– Pratiques, ces caméras, sourit le tueur. Avancez !
Fred, assis dans un fauteuil, les mains attachées dans le dos, les pieds ligotés avec un collier plastique, les accueillit avec un air désespéré. Le visage tuméfié, la lèvre inférieure fendue, il s’était visiblement battu avec l’homme.
– Mon Dieu, qu’est-ce qu’il t’a fait ? commença Alex.
– La même chose que vous allez subir si vous n’arrêtez pas de parler.
Il sortit des colliers de plastique de sa poche et les tendit à la journaliste.
– Attache-le, dit-il en désignant Darlan avec son arme.
Alexandra se plaça derrière le policier, lui tira les bras vers l’arrière et serra modérément le collier en mimant une grimace, comme si elle forçait réellement. Quand elle eut presque terminé, le policier sentit qu’elle lui plaçait un objet entre les mains. Darlan reconnut à la forme un cutter et se demanda d’où elle le sortait.
– Sur le canapé, à côté de ton pote. Et toi, attache-lui les jambes.
Darlan s’assit dans le canapé, à côté de Fred, dont l’expression d’inquiétude se lisait sur le visage.
– Ça va ? souffla-t-il à son ami qui répondit d’un regard.
– Ferme-la si tu veux conserver tes dents.
Alexandra attacha les pieds du policier puis se redressa, face au tueur. Ses yeux pétillaient de colère.
– Approche.
En quelques secondes, il immobilisa Alexandra et la jeta sur le canapé à côté des deux autres. Il n’avait pas jugé utile de lui lier les jambes. Elle ne pourrait en aucun cas arriver vivante à une des portes de la pièce. D’autre part, le canapé moelleux les empêchait de pouvoir se relever rapidement.
– Manque plus que ta femme et le compte y est.
– Tu as le temps, répliqua Fred avec une voix pâteuse qui trahissait une vive douleur à la mâchoire. Elle est partie faire des courses à Saint-Nazaire. Avec sa carte bleue, elle est capable d’y rester tout l’après-midi.
– C’est très bien, ça nous laisse quelques minutes pour discuter. Malheureusement, je ne vais pas pouvoir m’éterniser… alors, il faudra me donner toutes les réponses que j’attends très vite, c’est compris ? Mon commanditaire veut connaître les noms de tous ceux qui sont au courant des détails de cette affaire. Voyez-vous, il existe des choses qui doivent rester secrètes. Je vous conseille de ne rien me cacher, n’est-ce pas, cher ami ? termina-t-il en désignant Fred dont le visage tuméfié faisait peine à voir. Il regarda Alex en précisant : « Il ne souhaitait pas vous appeler, mais finalement, en insistant un peu, il a gentiment accepté. À vous de voir. Ça me déplairait d’avoir à abîmer un si beau visage, dit-il en désignant Alex, mais bon, c’est le boulot ! »
Fred baissa les yeux. Il s’en voulait d’avoir cédé, dégoûté de lui-même, d’avoir si peu résisté à la douleur. Il avait pourtant subi une sévère correction et il ressentait encore des élancements douloureux dans tout son corps.
L’homme sortit son téléphone et composa un numéro :
– Ils sont devant moi. Quels sont les ordres ? Où en sont les autres ? Dix minutes au plus ? Ça va être chaud... O.K.., je fais vite. Ils vont parler, ne t’en fais pas.
Dans le silence de la pièce, Darlan s’activait à extirper le cutter de ses mains liées. Il pestait silencieusement contre Alex qui avait trop serré le collier. À coup de petits gestes des poignets et des paumes, qui lui entaillaient la chair à chaque contraction, il parvint à faire glisser l’outil vers ses doigts.
Il arrêta sa manœuvre. Tout en écoutant son téléphone, le tueur s’était rapproché de lui et se penchait pour vérifier ses mains dans son dos. Il avait dû paraître excessivement concentré sur ce qu’il faisait et cela avait dû alerter l’homme entraîné qui se trouvait face à lui. Il allongea ses phalanges, espérant ainsi cacher le cutter dans ses doigts. Au moment où le tueur le basculait vers l’avant pour vérifier ses liens, Darlan entendit distinctement la voix dans le téléphone qui n’était plus qu’à quelques centimètres de lui. Il connaissait cette voix, sans aucun doute. Comment était-ce possible ? Il mit quelques secondes à accepter l’inacceptable. Il articula :
– Patrick ?... C’est bien toi ? Je peux pas croire que tu sois derrière tout ça.
L’homme interrompit son geste, ramena le téléphone vers lui et s’intéressa à nouveau à la conversation de son correspondant. Quelques instants plus tard, la voix de Patrick Brune raisonnait dans le téléphone mis sur haut-parleur :
– Désolé, Philippe, mais il va falloir que tu répondes à mes questions.
– Putain ! Patrick, mais tu sais ce que tu fais ? C’est quoi ce bordel ? Pour qui tu marches ?
– C’est moi qui pose les questions.
– Oh, oh, c’est moi, Philippe ! Qu’est-ce qui te prend ?
– Reste calme ou je vais être obligé de demander à notre ami de te bâillonner.
– Pas avant que tu m’aies dit ce que tu comptes faire de mes amis.
– Toujours ta grandeur d’âme ? Tu te préoccupes des autres avant toi-même. C’est tout à ton honneur, mais je n’ai pas le temps de discuter. Tu as foutu une belle merde avec ta copine journaliste. Tu n’aurais pas pu continuer à faire joujou avec tes ordinateurs plutôt que d’essayer de jouer dans la cour des grands ? Dis-moi : qui d’autre est au courant pour les machines ?
– Va te faire foutre.
Le tueur bougea si vite que Darlan n’eut pas le temps de réagir. Le coup de poing l’atteignit à la mâchoire sans qu’il l’ait vu venir. Le choc résonna dans toute sa tête. Le goût du sang envahit sa bouche.
– Réponds au monsieur, sinon je me fâche.
– C’est qui tes commanditaires ? Des politiques ? continua Darlan, ignorant l’avertissement, profondément dégoûté de découvrir que celui qu’il considérait comme son ami pût en fait être un traître et un assassin. Comment pouvait-il s’être trompé aussi lourdement sur celui qui l’avait aidé à revenir sur le droit chemin, à sortir de prison, qui s’était porté garant pour que son casier judiciaire soit oublié, lui permettant ainsi d’intégrer l’école de police ?
– C’est à toi de répondre aux questions, Philippe. Assez joué. Je fais ça pour mon pays, pour éviter qu’une bande de lavettes vienne foutre en l’air ce que nos patrons s’efforcent de mettre en place depuis cinq ans.
– Tu es devenu idéaliste ? Laisse-moi rire, j’en crois pas un mot.
– Crois ce que tu veux, je m’en fous, j’ai une mission à accomplir : faire en sorte de mettre fin à la croisade d’une poignée de fouille-merde, et je suis sur le point de toucher au but. Je veux juste savoir si le problème s’est déplacé ailleurs.
– Qu’allez-vous faire de nous ? intervint Alex.
– Désolé, ma jolie, c’est moi qui pose les questions.
Darlan se tourna vers Alex :
– Son gorille va nous éliminer, voilà ce qu’il va faire. N’est-ce pas, Patrick ?
– Réponds à ma question ! insista Brune.
Le tueur passa le téléphone dans sa main gauche, de l’autre attrapa la chevelure de la jeune femme et la tira violemment sur le côté. La perruque blonde lui resta dans les mains, dévoilant les cheveux bruns mi-longs de la jeune femme. L’homme regarda un instant la perruque, la jeta avec mépris sur le côté et renouvela son geste avec encore plus de force, visiblement décidé à passer à la vitesse supérieure. Alexandra étouffa un gémissement. Il la frappa sur la tempe du plat de la main. Elle cria. Elle ressentit une douleur si violente qu’elle faillit en perdre connaissance.
– Tu préfères que je m’en prenne à ta copine ? Je ne vais pas moisir ici, alors dépêche-toi.
Devant le mutisme de Darlan, dont les yeux noirs renvoyaient toute la haine qu’il était capable d’éprouver, il lâcha Alex qui se blottit dans le canapé. Il recula d’un pas, pointant son arme sur la tête de la journaliste en fixant Darlan :
– On va faire simple, tu as une minute pour te décider ou tu peux dire adieu à cette jolie frimousse.
Darlan regardait le tueur avec la même expression. Il essayait de masquer la concentration dont il faisait preuve pour placer le cutter dans la position qui lui permettrait de sortir la lame. Au moment où il allait répondre, espérant gagner un peu de temps, il remarqua un mouvement, une ombre au sommet de l’escalier :
– Tu peux dire à tes patrons qu’ils peuvent se chercher un nouveau job, Patrick. Nous avons déjà envoyé nos preuves à un membre influant de l’opposition, et à la presse. Ce n’est qu’une question d’heures avant que tout ce bordel ne vous explose à la gueule. Alors, si tu veux mon avis, laisse tomber et barre-toi pendant que tu le peux encore. C’est déjà sur Internet. Demande à Pietri, il va te faire un joli topo là-dessus.
– Justement, c’est ce que j’ai fait, vois-tu. Tu sembles oublier que j’ai accès à toutes les infos, je fais encore partie de la DCRI, moi... Les trois conneries qui se baladent sur le Net n’intéressent que les gogos, nous n’avons rien à craindre de ce côté. Mais en revanche, Darlan, j’ai vraiment besoin que tu me dises ce que tu sais. L’agent qui est devant toi exécutera mes ordres, quels qu’ils soient, sans se poser de questions et sans états d’âme.
Darlan porta à nouveau son regard vers l’escalier pendant un très court instant. Il reconnut Marie. Elle descendait prudemment, tenant à la main un arc de compétition et des flèches. Alexandra et Frédéric, les yeux fixés sur le tueur et son automatique, n’avaient rien remarqué.
– Libère la journaliste et je réponds à tes questions.
– Tu n’as pas les moyens de négocier, réponds.
– Va te faire voir ! Dans tous les cas, nous avons gagné, tu arrives trop tard. Les gens vont savoir et tu finiras ta vie en taule, comme tes patrons. C’est à toi de voir, tu la laisses partir et je te donne les noms de ceux qui sont dans la confidence.
Alexandra écoutait et regardait Darlan avec un mélange d’admiration et de crainte. Dans d’autres circonstances, sans doute l’aurait-elle serré dans ses bras. Il bluffait avec tant de crédibilité qu’elle commençait à croire possible un retournement de situation. Terrorisée, elle sentait son cœur battre la chamade. Elle pria pour que la voix, dans le téléphone, donne l’ordre de la libérer. Tant que l’homme continuait à discuter, tant que le dialogue n’était pas rompu, ils avaient une chance de s’en sortir. Elle espérait seulement que Darlan n’irait pas trop loin dans le bras de fer. La voix résonna dans le haut-parleur :
– Bute-la.
Au moment où l’ordre tomba, le tueur était concentré sur Darlan, cherchant à savoir s’il bluffait ou non. Spécialisé dans les interrogatoires, il était devenu un expert en psychologie et savait déterminer, au-delà de la douleur qu’il était capable d’infliger, si le sujet mentait ou non. Quelque chose l’intriguait dans le comportement du policier. Son regard aurait dû se fixer sur la fille, sur son flingue. Les sens en alerte, il retrouvait ses réflexes, acquis au cours de toutes ces années passées dans divers pays, en tant que mercenaire, à la solde du plus offrant. Attentif à tous les détails, il remarqua que le policier jetait de brefs coups d’œil vers un point situé au fond de la pièce, derrière lui. Une alarme se déclencha dans son cerveau. Il se retourna d’un bloc.