Chapitre 29
Guérande. Vendredi, 2 h 50.
Muni de sa lampe frontale, Darlan avait soigneusement examiné et mémorisé le plan d’évacuation incendie, situé sur le panneau d’affichage, à droite du hall d’entrée. Toutes les pièces, bureaux et ateliers y figuraient. Il ne lui fallut que quelques secondes pour identifier la salle où devaient se situer les serveurs informatiques de l’entreprise. Une fois les rôles répartis, les trois complices s’attelèrent à la tâche. Alexandra devait se charger du bureau de la direction et chercher dans les dossiers ce qui pouvait être confidentiel ; de trouver éventuellement un coffre et d’examiner les déchets d’impression éventuels restant dans les poubelles, près des imprimantes. Fred, selon son souhait, ferait le tour des bureaux. Il était convaincu que, comme dans la plupart des entreprises, les secrets finissaient souvent dans des dossiers négligemment posés sur les bureaux ou dans des piles de papiers qui n’attendaient que d’être rangés.
Alexandra n’eut que quelques mètres à parcourir pour trouver le bureau du directeur de l’établissement. Fermé ! Elle promena le faisceau lumineux de sa lampe sur les portes des bureaux contigus. Elle repéra celui de la secrétaire de direction. Elle actionna la poignée, craignant de trouver la porte fermée, mais la chance lui sourit. Elle entra et fouilla rapidement sur le bureau, impeccablement rangé. Un sous-main en cuir, une lampe design, quelques photos d’enfants, âgés de cinq à huit ans, et dont les couleurs avaient passé avec le soleil. On pouvait facilement imaginer que ces enfants devaient être aujourd’hui beaucoup plus grands qu’à l’époque de la prise de vue. La journaliste reposa le cadre, se félicitant après coup d’avoir pensé à remettre ses gants. Alex se sentait particulièrement calme et très attentive à tout, très sereine. Elle aimait ces moments où elle côtoyait le danger, où d’autres stressaient, quand elle parvenait à une grande maîtrise de ses émotions, de ses gestes. Elle ressentait à présent les mêmes sensations que lorsqu’elle était accrochée à une paroi ou suspendue sous un parapente, ce sentiment d’être aux commandes de son destin, d’exister.
Elle trouva les tiroirs du bureau de la secrétaire également verrouillés. Heureusement, elle mit rapidement la main sur la clé du meuble dans une boîte en marqueterie soigneusement rangée sur le bureau et réunissant pêle-mêle, stylos, crayons, gommes, trombones et autres ustensiles de bureau.
Ainsi que son intuition le lui avait soufflé, elle trouva au fond du deuxième tiroir, caché sous quelques papiers, un trousseau de clés estampillé « Direction ».
Quelques années plus tôt, elle avait dû subir un séminaire sur l’espionnage industriel, dans le cadre d’une série d’articles qu’elle écrivait alors en tant que pigiste. Ayant pris ce travail comme une corvée, elle n’en avait pas gardé beaucoup de souvenirs, excepté ce passage sur l’art de cacher les choses. Le conférencier avait démontré les faiblesses des cachettes que tout un chacun considère comme excellentes. La plupart des gens imaginent faire preuve de beaucoup d’originalité dans le choix des mots de passe ou des cachettes pour ranger les objets, des clés ou des informations confidentielles. Elle avait appris, sidérée, que les endroits simples où chercher représentaient 80 % des solutions. Ainsi, la plupart des gens « cachaient » le mot de passe de leur ordinateur sous le clavier, sous le téléphone ou sur une page de carnet caché dans un tiroir. De même, les cambrioleurs n’avaient aucun mal à découvrir les bijoux dans une maison, cachés souvent dans un tiroir dans des chaussettes, ou dans le congélateur. Les premiers pas d’Alexandra dans le monde du cambriolage venaient d’en apporter une preuve de plus.
Le secrétariat ne lui apprit rien d’autre, excepté le fait que l’assistante de direction entretenait une liaison avec son patron. Elle découvrit une pile de petits mots doux que l’occupante des lieux rangeait soigneusement au fond de son bureau. Sur l’un d’entre eux, son patron lui demandait de se rendre disponible pour un déplacement sur Paris, précisant avec de belles phrases, les extras auxquels il comptait l’inviter. La journaliste sourit malgré elle avant de ranger les papiers. Elle n’était pas là pour ça.
Fred remonta le couloir principal, examinant les étiquettes à l’entrée des bureaux où figuraient les noms et les fonctions. Par deux fois, il était entré et avait fouillé sommairement les locaux sans trouver quoi que ce soit d’intéressant. Aucun document concernant un projet de carte électronique intégrant le composant qu’il recherchait. Les fenêtres des pièces étaient fermées de volets métalliques. Il s’autorisa à allumer brièvement le plafonnier pour se repérer : bureau, armoire, dossiers.
Avant de quitter son domicile, Darlan lui avait remis un dossier avec tout ce qu’il avait trouvé sur le serveur de la société, du moins sur celui qui était accessible depuis l’extérieur. L’objectif étant de le familiariser avec les noms des projets et du personnel. Il les retrouvait effectivement dans les documents présents sur les bureaux. Il s’agissait, pour la plupart, de programmes de développement de cartes électroniques pour des lignes de productions automatisées. Rien de bien passionnant et rien qui puisse alimenter un complot. Manifestement, ils ne trouveraient pas aussi vite qu’ils l’avaient escompté. Ils avaient trop misé sur le laxisme qui s’installe inexorablement dans toute organisation lorsque la sécurité n’est pas une préoccupation naturelle. Mais là, l’équipe en charge du projet devait appliquer des consignes de sécurité stricte, ce qui indiquait qu’on attachait une importance particulière à ce projet caché. Il parcourut le couloir jusqu’à son extrémité, là où une double porte s’ouvrait sur une zone de production.
Darlan bataillait depuis plusieurs minutes avec la serrure du local qui abritait les serveurs informatiques de la société, sans parvenir à la faire céder. Il suait à grosses gouttes et le temps semblait couler entre ses doigts à mesure qu’il tentait de crocheter la serrure. La porte, sur laquelle figurait le panneau : « Salle serveurs. Accès réservé. » était beaucoup plus difficile à forcer qu’il ne se l’était imaginé. Lui aussi avait grandement sous-estimé le niveau de protection de l’entreprise. Cela confortait son opinion selon laquelle le secret qu’ils cachaient devait être à la mesure du niveau de sécurité. Après dix minutes d’effort, il sut qu’il ne parviendrait pas à crocheter la serrure. Bêtement planté devant cette porte fermée, il s’en voulait d’avoir claironné qu’il viendrait à bout de toutes les difficultés sans avoir recours à la force brutale. Il décida de passer à une méthode plus expéditive et sortit le pied-de-biche de son sac. Au premier essai, il sut que, là aussi, il devrait s’armer de patience. Sous la peinture du montant venait d’apparaître un renfort métallique. Il coinça à nouveau le pied-de-biche dans le petit interstice qui séparait la porte de son montant et exerça une pression. Le levier ripa dans un claquement métallique et une nouvelle écaille de peinture vola dans la pièce. Il eut pendant un instant une envie furieuse de taper un grand coup sur la porte pour passer sa colère. Il espérait que ses deux complices auraient plus de succès, mais il ne se sentait pas prêt à laisser tomber. Il ne voulait pas offrir à Alexandra l’opportunité de lui envoyer une pique de plus. Encore qu’il lui arrivait de se sentir flatté qu’elle lui accorde de l’intérêt, même dans ces conditions.
Il recula d’un pas et examina le couloir de part et d’autre de la porte. Sur la droite, trois mètres plus loin, il avisa une petite pièce où étaient centralisés les moyens d’impression, de photocopie et de reliure. Il pénétra dans le local et sonda le mur séparant cette pièce de celle des serveurs informatiques qu’il cherchait à atteindre. Il utilisa sa main comme un marteau. Le son qu’il perçut indiqua que la cloison était creuse. Il avait peut-être la solution. Il espérait juste ne pas tomber sur une paroi blindée derrière le panneau de plâtre. Darlan déplaça quelques cartons remplis des rames de papier pour l’imprimante. Sans plus attendre, il utilisa son pied-de-biche pour attaquer la cloison. Ainsi qu’il l’avait espéré, il traversa la paroi dès le deuxième coup. Utilisant la barre métallique comme levier, il eut tôt fait d’ouvrir un trou suffisant pour lui permettre d’entrer dans la pièce voisine.
Darlan se faufila dans l’ouverture et s’introduisit dans la salle serveurs. Grâce à sa lampe frontale, il trouva rapidement l’interrupteur de la pièce. La lumière du plafonnier illumina la dizaine d’ordinateurs qui ronronnaient dans cette salle climatisée. Retrouvant ses réflexes de hacker, Philippe Darlan repéra très vite un serveur, un peu à l’écart, et dont les connexions s’étendaient jusqu’à une baie de brassage informatique où étaient connectés une multitude de câbles et qui n’était pas reliée aux ordinateurs des autres bureaux. Cela lui confirmait que certaines informations confidentielles de la société se trouvaient bien stockées uniquement sur une machine dédiée, non reliée à l’extérieur, ni même au réseau principal. Il s’installa devant la console, bien décidé à arracher les secrets d’Eltrosys.