Chapitre 32
Guérande. Vendredi, 3 h 25.
Les deux voitures de police roulaient vite sur la départementale 92 de La Baule à Guérande. Le lieutenant Christophe Fléchet avait été bombardé chef de mission par le commissaire moins d’une demi-heure plus tôt. Celui-ci, en déplacement à Nantes, s’était excusé de ne pouvoir prendre la tête de l’intervention, mais lui avait renouvelé toute sa confiance.
Il suait à grosses gouttes, engoncé dans sa tenue de combat bleu nuit et son gilet pare-balles. À 28 ans, il cultivait un look qui plaisait beaucoup à ses nombreuses conquêtes. Mélange de dur et de cœur tendre, il entretenait un bronzage parfait tout au long de l’année. Cheveux blonds coupés très court, il passait de nombreuses heures dans les salles de musculation. Il expliquait souvent à ses proches et à ses amis à quel point son métier était risqué et comment il s’était sorti, avec ses hommes, de situations très compliquées et dangereuses. Il avait conscience de modifier légèrement les faits à son avantage, mais se donnait bonne conscience en considérant que d’autres collègues, dans des commissariats moins tranquilles, souffraient d’un manque de reconnaissance de la part de la population. Au moins, à sa manière, contribuait-il à redorer le blason de la police.
La réalité du terrain l’avait rattrapé. Il sentait son estomac se nouer. Tout s’était précipité en moins d’une demi-heure. Alors qu’il regardait tranquillement un film dans la salle de permanence, il avait reçu ce coup de téléphone d’un ponte de la DCRI de Lyon. L’ordre était d’intervenir pour arrêter des présumés terroristes armés à Guérande. Il avait contacté son chef, le commissaire Bergasse, qui avait aussitôt confirmé la mission, trop heureux de pouvoir apporter son aide au contre-terrorisme et, ainsi de montrer que son unité savait répondre présente en cas de besoin.
Le lieutenant Fléchet s’était empressé de regrouper les deux équipes en patrouille et les permanents du poste de police. Ces quatre hommes et trois femmes, peu habitués à ce genre d’intervention, avaient réagi de diverses façons. Les uns, parmi les plus jeunes, étaient pleins d’enthousiasme à l’idée de se voir confier une mission à la hauteur de ce qu’ils avaient appris en école, lassés qu’ils étaient des habituelles patrouilles et autres contrôles de vitesse qui occupaient la majeure partie de leur temps. Les autres voyaient leurs mains trembler, leurs gestes devenir malhabiles, pour attacher le gilet pare-balles ou le casque. Ceux-là auraient préféré être ailleurs, occupés à leurs tâches routinières où les seules formes de violence auxquelles ils se confrontaient étaient à des rixes entre jeunes imbibés d’alcool dans les bars de la côte, ou l’arrestation de délinquants de la route. Les dix minutes nécessaires pour mettre les équipements, prendre armes et munitions, s’était passées dans un stress que peu parmi eux avaient déjà connu. L’un d’entre eux avait laissé échapper une boîte de balles dont le contenu s’était répandu au milieu du commissariat, ajoutant encore une note de tension. Fléchet avait noté que l’agent le plus calme était une femme. Une jeune brigadier-chef, petite brune habituellement assez neutre et assez effacée et qui paraissait étrangement beaucoup plus à l’aise que les autres. Elle avait vérifié son équipement et son arme avec efficacité avant d’aider ses collègues.
Les voitures de police abordaient l’entrée de la ville de Guérande, au niveau de la zone commerciale. Ils seraient à pied d’œuvre dans quelques minutes. Le lieutenant Fléchet passait en revue les hypothèses qui s’offraient à lui en fonction de la configuration du terrain, se demandant à nouveau pourquoi la DCRI n’avait pas également fait appel à la brigade de gendarmerie de Guérande pour leur prêter main-forte. Ils ne connaissaient pas le terrain et allaient donc se trouver exposés.
Les ordres étaient clairs : interpeller les cambrioleurs et éviter à tout pris une confrontation armée. Il ne voyait pas bien comment il pourrait mener à bien la mission s’il se retrouvait en face de terroristes armés.
À l’approche de la zone, il opta pour la discrétion et maintint les sirènes débranchées. Il regarda une nouvelle fois la carte. Se demandant s’il devait déployer une équipe sur chaque côté du périmètre ou concentrer ses forces sur l’entrée principale de l’usine Eltrosys.
Il nota que la lune, haute dans le ciel, éclairait fortement le paysage. Elle les aiderait certainement à repérer les cambrioleurs.
Il espérait également que le patron de l’usine lui enverrait le responsable de la sécurité aussi vite qu’il l’avait promis. « Il sera là dans cinq minutes », lui avait-il dit.
Pour la première fois de sa carrière, il songea à laisser tomber, sans penser aux conséquences, juste pour ne plus avoir à supporter l’angoisse de l’intervention, juste pour ne plus avoir à décider.