Chapitre 23
Lyon. DCRI. Jeudi, 17 h 30.
Patrick Brune tentait désespérément de calmer son chef, le commissaire divisionnaire Giraud. Ce dernier tournait autour de la table de réunion comme un fauve en cage. Les autres membres de l’équipe attendaient patiemment dans cette pièce adjacente à la salle de contrôle opérationnelle que l’orage de colère se calme.
– Comment est-ce possible que nous ayons pu nous faire berner depuis des années par quelqu’un travaillant chez nous ? Est-ce que vous imaginez dans quelle merde vous me mettez ? Personne ne s’est rendu compte de rien ?
Il scruta les visages des six hommes aux traits fatigués, répartis autour de la table. Pietri esquissa le geste de lever le doigt puis se ravisa, un peu trop tard. Giraud perçut le mouvement et se tourna vers le petit homme à l’embonpoint généreux :
– Oui Pietri ? Vous avez quelque chose à dire pour expliquer ce désastre ?
Le policer sembla rétrécir sur sa chaise pendant un instant, puis se redressa. Il s’éclaircit la gorge :
– Eh bien en fait, monsieur, lorsque Darlan a été nommé pour superviser la mise en place des passerelles de sécurité entre les différents centres, j’avais alerté tout le monde que ce n’était pas sécuritaire de confier ça à un des meilleurs analystes de la maison et ancien taulard de surcroît. Je crois bien que j’avais vu juste.
Voyant Giraud prêt à exploser de s’entendre dire que l’erreur pouvait éventuellement venir de lui, le commandant Brune intervint en venant se placer à la droite du commissaire :
– Pietri, ce que tu oublies de dire, c’est que tu avais fait une demande pour occuper le poste. Je me souviens bien de ton rapport. Tu avançais ces arguments uniquement pour prendre la place. Darlan a été jugé plus compétent, et c’est le cas. Alors, ne viens pas nous raconter que tu savais. Cela dit, j’ai largement contribué à sa nomination et j’attends que l’enquête aboutisse pour décider si je dois regretter ce choix.
– Pour moi, y a pas de doute. Darlan est toujours un hacker, c’est tout.
– Dis-moi, Pietri, tu étais dans l’équipe d’intégration ici lors de la mise à jour des systèmes, et tu n’as rien découvert de particulier, que je sache. J’imagine pourtant que tu as bien cherché, n’est-ce pas ? Peut-être était-ce parce qu’il n’y a rien à découvrir !
– Effectivement, je n’ai rien trouvé, mais ça ne prouve rien. Quand je vois le matos qu’il a chez lui, il n’y a plus de doute.
– Je ne suis pas d’accord, il a effectivement plein de machines, mais impossible de savoir ce qu’il en faisait.
– Taisez-vous tous les deux ! coupa Giraud. Ce qui m’importe n’est pas de comprendre qui a raison et qui a tort. Je me fous de savoir ce que Darlan pouvait faire avec le matériel que nous avons trouvé chez lui… Ce que je veux, c’est savoir où sont passés Darlan et la fille.
Brune se tourna vers son chef, en fronçant les sourcils, cherchant dans le regard du commissaire les informations qui lui manquaient pour comprendre :
– Mais rien ne nous dit qu’ils sont ensemble ; pour l’instant Darlan a disparu, mais de là à imaginer qu’il est avec la journaliste, je ne vois pas la connexion…
– J’imagine que vous ne vous êtes même pas posé la question. Vous avez cherché les empreintes de la fille chez lui ?
– Non, répondit Brune, sur la défensive, pourquoi aurions-nous dû faire ça ?
– Parce qu’elle a certainement passé la nuit chez lui, voilà pourquoi !
Triomphant, Giraud sortit de la poche intérieure de sa veste deux photos imprimées au format A4. Il déplia la première soigneusement avant de l’exhiber avec un sourire satisfait, qui sur son visage froid, s’apparentait à une grimace. Ses yeux bleus acier brillaient.
Prise dans une station-service sur l’autoroute, la photo montrait Darlan sortant de la BMW. Du côté passager, on distinguait la silhouette d’une femme sans pouvoir l’identifier.
– Voilà ce qu’obtiennent les gens qui bossent bien.
– Comment avez-vous eu ça ?
– Je viens de recevoir ça de mon homologue de Clermont-Ferrand. Lorsque j’ai compris que Darlan pouvait nous avoir doublés, j’ai préféré demander de l’aide à un autre centre. Clermont expérimente un nouveau système qui recherche dans toutes les bases de données des caméras sur les lieux publics.
– Oui, on voit bien que Darlan était dans sa voiture, mais rien ne nous dit que c’est la journaliste, hasarda Brune.
Giraud sortit la deuxième photo. Cette fois, le doute n’était plus possible. La caméra les avait filmés tous les deux dans la boutique d’une station-service sur l’autoroute :
– Et là, ça vous va mieux ? Nous savons maintenant que Darlan et la journaliste sont partis dans sa BMW et ont quitté la région…
Puis, s’adressant à Brune :
– Vous voyez, votre protégé n’est pas aussi doué que ça. Il savait que nous étions en mesure de lire les plaques sur les péages d’autoroute. Mais il ne savait pas que le système d’analyse automatique des images des caméras était déjà opérationnel. Il est fort, mais nous avons quand même encore un peu d’avance. Si je ne vous ai rien dit avant, c’est que je pense qu’il a peut-être encore des amis ici, finit-il en parcourant les visages. Je vous avertis tout de suite, je serai au courant s’il y a la moindre fuite. Ne vous y risquez pas si vous voulez garder votre poste.
– Où vont-ils ? demanda l’un des agents.
– Vers l’ouest, mais nous ne pouvons pas le tracer. Il a dû changer ses plaques. La recherche automatique sur son immatriculation n’a rien donné.
– On peut faire une analyse sur toutes les plaques aux péages d’entrée et de sortie de ce tronçon, proposa Pietri. En réduisant la plage horaire pendant laquelle ils ont pu les franchir, ça ne devrait pas prendre la nuit. Lorsque nous aurons leurs plaques, nous n’aurons aucun mal à les tracer, où qu’ils soient.
– Faites ça, intervint Patrick Brune.
Il fit une pause avant d’ajouter en hochant la tête :
– Ça me sidère que Darlan ait pu se foutre dans ce merdier; J’arrive pas à le croire. Putain, mais qu’est-ce qui lui a pris ?
Le commandant parut un moment abattu. Il avait gardé pour lui les deux coups de fil qu’il avait passés à Darlan le matin même et s’en félicitait maintenant. Avec son côté parano, le commissaire aurait eu tôt fait de le mettre sous surveillance. Si effectivement Darlan était en cavale avec la fille, il savait qu’il serait très compliqué de les retrouver. Le policier était beaucoup plus doué que la moyenne des gens pour contourner les systèmes de surveillance et de tracking.
Il devait faire un choix difficile qu’il n’avait jamais imaginé devoir faire. Et il fallait agir vite. Il se leva, regarda sa montre plusieurs fois, puis se dirigea vers la porte de sortie :
– Bon, je pense que nous devons tous nous y mettre sans perdre de temps, je vous laisse.
Giraud le regarda partir sans réagir, mais agacé que son second quitte la salle sans son accord.