Chapitre 42
Lyon. DCRI. Vendredi, 14 h 20.
– Je confirme, commissaire. Pas de traces de Darlan et de la journaliste pour l’instant. Mes hommes fouillent la maison de fond en comble.
– Et l’homme blessé ? Vous pouvez l’identifier ?
– Non, je vous envoie une photo. Vous devriez pouvoir le retrouver facilement dans vos fichiers. Je connais ce genre de type. À mon avis, c’est un ancien des forces spéciales, ou un ancien légionnaire. Je me demande même comment ils lui ont fait sa fête. Je n’ai jamais vu ça. Ils l’ont tiré avec une flèche et fini avec une balle. Ça ressemble furieusement à du boulot de pro.
Giraud hésita. Ce qu’il découvrait dans la maison par l’intermédiaire des caméras de l’équipe d’intervention ne correspondait pas, une fois de plus, à ce qu’il avait anticipé. Qui était ce type ? Et que faisait-il dans la maison ? Giraud détestait ce moment, au cours d’une enquête, où il devait se mettre à reconsidérer l’ensemble des faits et des hypothèses, tout remettre à plat pour repartir éventuellement dans une autre direction. Cela signifiait généralement qu’il avait fait fausse route depuis le début.
– Trouvez-les. Faites transporter le blessé à l’hôpital, mais ne le lâchez pas, je veux une surveillance constante. Dès qu’il sera conscient, vous me l’interrogez.
– Compris, commissaire. L’ambulance est déjà en route. Pour l’interroger, faudra d’abord qu’il survive. Vu ce qu’il a perdu comme sang, je ne donne pas cher de ses chances. On a stoppé les saignements, c’est déjà ça. Quant aux occupants des lieux, ne vous inquiétez pas, s’ils sont dans la maison, nous les trouverons.
– Je ne vois pas comment ils pourraient être ailleurs. Vous êtes certain qu’ils n’ont pas pu sortir pendant que vous approchiez la maison ?
– Aucune chance, mes hommes couvraient tous les angles. Nous ne sommes pas des amateurs, vous savez ! termina le chef du commando qui commençait à s’agacer du manque de confiance de ce commissaire qui le pilotait à six cents kilomètres de là.
– Utilisez le drone pour surveiller les alentours de la maison.
– O.K., bien compris.
Le commissaire Giraud passa une nouvelle fois en revue les images des neuf caméras qui s’affichaient sur les écrans. Ils ne pouvaient pas avoir disparu. L’équipe allait forcément les retrouver cachés dans un recoin de la maison.
Un des hommes de la salle de contrôle fit signe au commissaire :
– Téléphone pour vous, c’est Brune.
– Ah ! enfin ! Passez-le-moi dans mon bureau.
Dès qu’il eut rejoint son bureau, Giraud se laissa choir dans son fauteuil et desserra sa cravate, laissant le téléphone sonner plusieurs fois avant de répondre.
– Où êtes-vous ? demanda-t-il sans autre entrée en matière, j’essaie de vous appeler depuis une demi-heure.
– J’arrive sur site dans dix minutes.
– Qu’est-ce qui vous a retardé ?
– L’avion avait du retard, et Nantes, c’est pas la porte à côté. Vous pouvez me dire où on en est ? L’équipe de Nantes sera sur place à quelle heure ?
– Vous avez raté un épisode.
Giraud raconta brièvement l’assaut qui venait de se dérouler et le fait que les occupants de la maison restaient introuvables pour l’instant.
Dans sa voiture, Brune pâlit un instant. L’assaut avait déjà été lancé, avec presque une heure d’avance sur la planification initiale. Lorsqu’il avait décidé d’appeler, il pensait entendre que l’équipe arrivait sur zone et qu’il pouvait prendre en main la coordination.
Quelques instants après qu’il eut ordonné à Max de les supprimer, il avait entendu un coup de feu, juste avant que la communication ne soit coupée. Toutes ses tentatives pour rappeler avaient échoué. Certain que son agent avait exécuté ses ordres et quitté la maison, il avait décidé de ralentir pour arriver en même temps que le groupe d’intervention.
– Vous êtes là ? s’énerva Giraud.
Brune se reprit :
– Oui, commissaire. Je vais rejoindre l’équipe et coordonner les recherches, ils n’ont pas pu s’envoler. Je suis surpris que l’équipe de Nantes ait pu les laisser filer. Ils n’avaient pas bouclé toutes les issues ? Ils auraient dû m’attendre pour lancer l’assaut.
Le commissaire hésita un moment, ne sachant quel rôle il pouvait attribuer à son adjoint. Il l’avait envoyé en Bretagne précisément pour avoir quelqu’un de son équipe sur place. Devait-il regretter son choix ?
– La préparation de l’assaut s’est déroulée normalement et tous les protocoles ont été appliqués, répondit-il d’un ton sec. Nous avons tout suivi d’ici en direct. Cela dit, ils n’ont pas pu disparaître sans laisser de traces. Je suis convaincu qu’ils sont encore dans la maison. Ce n’est qu’une question de temps pour les retrouver. Faites ce qu’il faut pour ça, et vite ! Et dès que vous les aurez arrêtés, vous foncez à l’hôpital pour interroger le blessé. S’il reprend conscience, ne serait-ce qu’une seconde, vous devez découvrir qui il est et pour qui il travaille.
– Très bien, je m’en occupe, comptez sur moi.
– Je vais demander au chef d’équipe de vous mettre un agent à disposition.
– Non, ce n’est pas la peine, je peux me débrouiller seul.
– J’insiste, je veux que tout soit fait dans les règles, alors prenez un agent pour l’interrogatoire, nous travaillons sous la juridiction de Nantes, ce n’est pas négociable.
– Compris, je vous rappelle dès que j’y suis. Je vais commencer par faire reprendre la fouille systématique de la maison.
Dès qu’il eut raccroché, Giraud retourna dans la grande salle. Comme chaque fois qu’il y entrait, les conversations s’arrêtèrent brutalement. Il remit son casque mains libres et recontacta le chef de l’équipe d’intervention :
– Où en êtes-vous ?
– Je confirme que la maison est vide, mais nous avons trouvé une porte fermée, certainement un accès vers une cave. Ils y sont certainement. Mes hommes devraient en venir à bout dans une minute.
– Très bien. Mon adjoint, le commandant Brune, devrait être sur place dans quelques minutes. Je vous demande de vous mettre à sa disposition pour la suite des opérations. Vous l’attendez pour ouvrir cette porte, c’est entendu ?
– Bien, commissaire. Concernant votre adjoint, c’est lui qui gardera le contact avec vous ?
– Oui, donnez-lui un équipement. Néanmoins, je tiens à ce que vous me teniez informé de toutes ses décisions.
– Vous voulez que je vous informe de ses décisions ? répéta le chef de l’équipe d’intervention. Pardonnez-moi, mais je ne comprends pas.
– Lieutenant, je vous demande de me rendre compte de ses décisions, pas de commenter les miennes.
– Bien, commissaire, on va faire ça, finit-il en espérant ne jamais être muté sous les ordres de ce commissaire Giraud.
Dans sa voiture de location, Patrick Brune roulait vite et fut obligé de ralentir en arrivant dans les faubourgs de Guérande. Il négocia le rond-point et prit la direction de Batz-sur-Mer sans hésiter. Ne connaissant pas la région, il avait parcouru virtuellement le trajet avec Google Street sur son Smartphone en attendant l’avion à l’aéroport.
Chaque minute qui passait augmentait les risques que Darlan et la journaliste soient arrêtés et interrogés. Il devait déjà s’estimer chanceux qu’ils aient réussi à s’échapper. Il lui semblait évident qu’ils ne se gêneraient pas pour le balancer. Il ne s’expliquait pas non plus que son homme de main puisse avoir été neutralisé. Un des meilleurs spécialistes dans son domaine, battu par une bande d’amateurs : inconcevable. Il devait également s’assurer de son silence, mais n’avait pas encore décidé de la tactique à adopter. En prenant l’avion deux heures plus tôt, l’idée de quitter le pays l’avait effleuré. Plus le temps passait et moins il voyait une fin heureuse pour lui, dans cette affaire. Il se sentait insuffisamment épaulé par ses commanditaires, qui lui donnaient l’impression de ne plus rien maîtriser. Brune décida de les appeler pour les tenir informés des derniers événements et les obliger à prendre position. Comme chaque fois, il régla son téléphone pour que la conversation soit enregistrée.