Chapitre 36
Lyon. DCRI. Vendredi, 12 h 50.
– Commissaire ! Je crois que j’ai trouvé !
La voix de Marc Pietri venait de résonner dans le calme de la salle de contrôle. Depuis le début de la matinée, le commissaire Giraud manifestait sa mauvaise humeur dès qu’un des analystes présents avait le malheur de chuchoter. Tous avaient reçu une liste de tâches bien précises à accomplir, avec la consigne de ne le déranger qu’en cas de découverte notable. Ses collègues présents se tournèrent vers lui, puis vers le bureau du commissaire, guettant une éventuelle réaction de sa part. Même s’ils s’en défendaient, ils devaient tous reconnaître qu’après Darlan, Pietri était de loin le meilleur analyste.
Pietri commuta l’affichage d’une de ses consoles sur l’écran mural principal. Tous les autres écrans montraient des images vidéo ou des cartes de la région de Guérande. Au mur, l’image de Google Earth représentait toute la presqu’île guérandaise sur laquelle étaient incrustées toutes les informations géolocalisées : l’emplacement de l’usine Eltrosys, la localisation des caméras ayant repéré la voiture de Darlan ou les visages des suspects.
Une équipe de la direction régionale de Nantes devait arriver sur place en fin de matinée. Brune avait dû composer avec la police locale suite au cambriolage de la veille chez Eltrosys. Les choses devenaient maintenant très claires. La DCRI prenait le commandement exclusif pour toute la région. L’action de la police locale avait été jugée désastreuse et surtout parfaitement inutile.
Pierre-Étienne Giraud sortit de son bureau d’où il pouvait en permanence conserver un œil sur l’activité en cours. Il contenait difficilement sa mauvaise humeur. Le fiasco de l’intervention policière de la veille, le manque total d’informations cohérentes l’exaspéraient. La débauche de moyens et de pouvoirs d’investigation concentrés entre ses mains, ne lui étaient finalement d’aucune utilité. Darlan et sa bande conservaient toujours un coup d’avance. Il n’acceptait pas de s’être fait avoir par un de ses hommes. Il avait reçu la veille une convocation au siège à Levallois-Perret pour le lundi suivant, pour s’expliquer sur le cas Darlan. Comment allait-il pouvoir justifier que son meilleur analyste travaillait en fait pour l’ennemi, à son nez et à sa barbe, et sans doute depuis plusieurs années ?
Le costume et la cravate parfaitement ajustés, comme à son habitude, il s’approcha du poste de Pietri et jeta un coup d’œil agacé sur le sandwich entamé, les miettes et les deux canettes de soda qui recouvraient le poste de travail. Il passa sa main dans ses cheveux blancs, coupés courts, avant de se décider à s’adresser au gros informaticien :
– J’espère que cette fois vous ne me dérangez pas pour rien, je vous écoute.
Pietri, certain un instant plus tôt d’avoir trouvé un moyen de retrouver Darlan et sa bande, se mit à douter. Il sentit la fatigue accumulée depuis plusieurs jours peser sur ses épaules. S’il s’était trompé ou faisait fausse route, il imaginait déjà ce qu’il allait devoir subir. Il chercha des yeux Patrick Brune, le seul qui soit capable de contenir les colères de Giraud. Ce dernier, le portable à l’oreille, s’approcha également sans un regard pour Pietri qui afficha sur l’écran principal une page de blog datée du matin même vers trois heures.
– J’ai effectué une recherche sur Eltrosys, pour comprendre ce que Darlan pouvait avoir à faire là-bas. Cette société est un fabricant de cartes électroniques, notamment pour des applications d’automatisme et de contrôle. Rien de particulier. Je ne comprenais pas pourquoi Darlan et sa bande avaient pris le risque de pénétrer dans cette entreprise.
– Venez-en au fait, souffla Giraud.
– J’y viens, monsieur. Pour en avoir le cœur net, j’ai appelé le dirigeant qui, après m’avoir identifié selon la procédure, m’a appris que sa société fabriquait également les cartes mères des machines à voter.
– Vous voulez dire celles que nous allons utiliser dimanche pour les élections ?
– Oui monsieur.
– Quel rapport avec les pages du blog que vous nous présentez ?
– Quand j’ai obtenu cette information, je n’ai pas pu m’empêcher de faire le lien avec le buzz qui est fait depuis ce matin autour d’une info parue sur ce blog, c’est relayé également sur Facebook et Twitter. Cette feuille est animée par un certain Backdoor, c’est un pseudo, bien entendu. Comme par hasard, alors que ses posts sont d’habitude un peu creux, il publie cette nuit deux pages sur un complot impliquant le pouvoir en place et concernant une fraude électorale avec les machines à voter. Tous les gogos fanatiques de complots se sont jetés sur cette info et ça a commencé à se répandre rapidement, notamment sur Facebook.
– Qu’y a-t-il d’étrange là-dedans ?
– J’ai réussi à identifier le dénommé Backdoor. Il a fait l’erreur d’utiliser le même pseudo à d’autres endroits sur la toile. C’est un grand classique. La plupart des gens font la même bêtise et sont très faciles à tracer.
– Vous voulez bien arriver à la conclusion, je me fous de vos détails !
– Oui, pardon, monsieur. Notre logiciel de recoupement d’informations n’a pas mis cinq minutes pour trouver son identité. Et je vous le donne en mille, ce gars habite dans un bled sur la côte à quelques kilomètres de Guérande.
Soudainement, Giraud et Brune se firent beaucoup plus attentifs, bombardant Pietri de questions. Ce dernier, heureux de susciter autant l’attention, s’efforçait de répondre avec précision.