Chapitre 41
Batz-sur-Mer. Vendredi, 13 h 50.
Marie se sentait calme à présent. La corde, la flèche et le viseur étaient parfaitement alignés avec le milieu du dos de l’intrus. À moins de dix mètres et avec un arc de compétition tendu à vingt-cinq livres, aucun risque de manquer sa cible. L’intense concentration dont elle avait usé pour se mettre en position de tir dans l’escalier, pour extraire une flèche du carquois, pour armer l’arc et viser avait suffi à faire cesser les tremblements qui l’animaient depuis que l’homme était entré dans la maison. Elle avait ainsi répété les mêmes gestes qu’à l’époque où elle pratiquait la discipline en compétition.
L’homme discutait avec Darlan et Alex qui venaient d’arriver. Elle les avait vus depuis la fenêtre de la chambre, alors qu’ils s’apprêtaient à entrer dans la propriété. C’est à ce moment qu’elle avait su ce qu’elle devait faire. Bien que n’étant pas croyante, elle remerciait le ciel que ses enfants soient encore à l’école, pour qu’ils ne puissent pas être témoins de ce qu’elle s’apprêtait à faire.
L’alignement était parfait et elle ressentait maintenant la petite fatigue dans les doigts, qui précédait souvent l’instant où, de manière quasi inconsciente, elle décochait sa flèche.
Une heure auparavant, elle se trouvait dans une des chambres lorsque l’individu était arrivé. Elle ne s’était aperçue de rien, n’avait rien vu, rien entendu, jusqu’au moment où la voix de Fred avait retenti, en bas : il criait. Intriguée, elle avait descendu quelques marches de l’escalier de pierre pour entendre la conversation :
***
– Mais putain, combien de fois il faut que je vous dise que je suis seul à la maison, répétait Fred avec force, ma femme est partie faire les magasins et les enfants sont à l’école ! Vous venez faire quoi ? Flinguer tout le monde ? C’est ça votre job ?
– Où sont les deux autres ? gronda une voix grave. Le flic et la journaliste.
– Désolé, je vois pas.
L’instant d’après, Marie entendit le cri de douleur de son mari et faillit se précipiter à son secours. Elle était terrorisée : et s’il s’agissait du tueur dont Darlan et Alex avaient parlé ? Celui qui efface méthodiquement toutes les traces ? Elle décida d’appeler la police, mais déchanta rapidement ; elle avait laissé son mobile dans l’entrée. Elle chercha pendant un bon moment un moyen de prévenir les autorités. Elle pouvait essayer de sauter d’une des fenêtres du premier et courir chez un voisin. Un saut de quatre mètres, c’était faisable. Elle allait se décider lorsqu’elle entendit l’homme exiger de Frédéric qu’il appelle Darlan et Alex pour les faire revenir.
Elle tremblait. Depuis que Philippe et Alexandra étaient arrivés, elle avait vécu les événements comme un jeu, comme une nouvelle distraction, sans vraiment accepter le risque. Elle recula et alla s’enfermer dans une des chambres, se maudissant pour sa lâcheté et pour son incapacité à aider son mari. Elle resta ainsi un long moment à pleurer, assise sur un lit. C’est là, prostrée, que l’idée de l’arc lui vint. Elle avait été championne de ligue douze ans plus tôt. Après la naissance des enfants, elle avait consacré moins de temps aux entraînements avant de raccrocher complètement. L’arc devait encore être au grenier, là où elle l’avait entreposé un jour de grand rangement, se disant qu’elle pourrait le ressortir lorsque les enfants commenceraient l’école. Les années avaient passé et l’arc n’avait plus bougé.
Elle ouvrit la porte de la chambre avec d’infinies précautions, attentive au moindre bruit provenant d’en bas. Elle remonta le couloir, traversa le palier, pour s’arrêter devant la porte du grenier. La maison était si calme que le léger grincement des gonds la fit sursauter et qu’elle resta ainsi une longue minute avant de s’engager dans l’escalier. Elle retrouva facilement l’arc, le carquois, la corde, et même deux cibles en bois pressé, au milieu du capharnaüm qui régnait dans la pièce, éclairée par quelques lampes et deux fenêtres de toit. Marie y montait rarement, et toujours pour y déposer quelque chose, jamais pour le reprendre… ou si rarement. Elle considérait que les objets, les cartons, les meubles entassés là véhiculaient une nostalgie de moments, parfois heureux, parfois tristes, qu’elle ne souhaitait pas revivre. Pourtant, à chaque fois que Frédéric lui avait proposé de faire du vide, elle s’y était opposée. Beaucoup trop de choses étaient déjà entreposées là quand ses parents y vivaient encore. Certains objets n’avaient pas bougé depuis sa propre enfance. Des jouets, des poupées, une malle abritant ses secrets de petite fille. C’était comme s’il lui demandait de supprimer une partie de sa vie.
Elle traversa la pièce et prit l’arc en main. Rapidement, elle retrouva les gestes pour bander la corde. Elle fit un inventaire rapide du carquois qui contenait une majorité de flèches utilisées pour le tir sur cible et quelques autres à l’extrémité pointue, destinées à la chasse. Un ami archer les lui avait données à l’époque, souhaitant l’initier aux plaisirs de la chasse à l’arc, mais elle s’y était toujours refusée. En passant son doigt sur le tranchant de la pointe, Marie se souvint des mots de son ami à ce moment-là. Il lui avait dit : « Je te les laisse, tu finiras bien par essayer. » Ayant un réel dégoût pour la chasse, elle n’aurait jamais imaginé que la prédiction de son ami pût se réaliser un jour, et encore moins dans ces conditions.
***
La pointe de la flèche se confondait avec le dos de l’homme. Marie hésitait encore, incapable de finir son geste, trop consciente des conséquences dès qu’elle lâcherait son tir. Concentrée, elle ne remarqua pas tout de suite le regard de Darlan, fixé sur elle. Elle bougea légèrement la tête, abandonnant pendant un instant son alignement, pour vérifier que Darlan l’avait vue. Avant qu’elle ne reprenne sa visée, l’homme bougea à une vitesse stupéfiante. Il commença à se retourner vers elle. La flèche partit sans que Marie ait eu la sensation de la lâcher.
Le bruit de la détonation explosa dans la grande pièce. Darlan tira de toutes ses forces sur le collier déjà bien entamé qui lui enserrait les poignets. Il céda dans un claquement aigu au moment où l’homme était projeté sur le côté pour tomber sur Alexandra. Elle poussa un cri sous le choc. L’homme ne resta pas longtemps sans réaction. La flèche s’était profondément fichée en biais sous l’omoplate. Une tache rouge commençait à s’étaler sur sa chemise blanche. Malgré la douleur et la surprise, le professionnel n’avait pas lâché son arme. Se redressant d’un geste brusque, il releva son revolver. Il ne raisonnait plus, son instinct et son entraînement lui dictaient ses gestes. Il devait tous les tuer, vite. C’était la condition de sa survie. Alexandra, dont les jambes n’étaient pas entravées, vit l’arme se diriger vers elle. Elle se détendit et d’un coup de pied ajusté frappa l’homme dans les côtes.
Darlan coupa d’un coup le collier qui lui retenait les chevilles avec le cutter et se jeta en avant, cherchant à arracher l’arme qui les menaçait tous. Le tueur appuya une nouvelle fois sur la détente, à l’instinct. La balle se logea dans le canapé, à deux centimètres à peine de la tête de Fred, désespéré de ne pas pouvoir bouger.
Le policier saisit le bras de l’agresseur et le releva vers le plafond pendant qu’Alexandra ajustait un autre coup de pied dans le bas-ventre de leur adversaire, exécutant ainsi un des gestes que son professeur d’arts martiaux conseillait en cas d’agression. L’homme se plia et étouffa un cri alors que Darlan parvenait à lui enlever l’arme des mains en lui tordant l’avant-bras vers l’extérieur. Avant que le policier n’ait eu le temps de finir le geste de le mettre en joue, le tueur riposta par quelques gestes techniques de combat à mains nues avec une rapidité fulgurante. Il frappa le poignet de Darlan et fit suivre par un coup de coude sous le menton. L’arme vola dans la pièce et Darlan fut déséquilibré vers l’arrière. Les mains toujours attachées dans le dos, Alexandra continua à asséner des frappes de pied à l’homme qui encaissait sans broncher. Au troisième, le tueur para avec son avant-bras et bloqua sa jambe avant de lui imprimer un mouvement de torsion, ce qui déséquilibra la jeune femme qui alla s’étaler sur le carrelage.
Darlan revint dans la bagarre sans réfléchir aux multiples messages de douleur que son corps lui envoyait. Les coups de l’homme avaient réveillé sa blessure de la veille qui devait certainement s’être rouverte et qui le brûlait atrocement. Il fut cueilli par une succession de coups portés avec une précision et une rapidité d’exécution qui traduisaient un entraînement intensif et une parfaite maîtrise des techniques de combat. Il se contracta, serra les abdominaux, essaya de parer les coups sans y parvenir.
Fred assistait impuissant au combat perdu d’avance par ses amis. La vision était surréaliste. Cet homme blessé, une flèche plantée profondément dans le dos, bougeait à une vitesse insensée. Il frappait pour tuer, ce n’en était que trop évident. Il semblait être capable de se débarrasser d’adversaires autrement plus entraînés qu’eux sans aucune difficulté.
Pourtant, alors qu’il venait de saisir Darlan par le cou et qu’il s’apprêtait à lui infliger une prise mortelle, il s’écroula en même temps que l’explosion d’une détonation retentit. Fred découvrit Marie, quelques mètres derrière l’homme, pâle comme il ne l’avait jamais vue. Elle tenait encore dans ses deux mains le révolver qu’elle venait d’utiliser.
Darlan fut le premier à réagir. En quelques secondes, il ramassa le cutter qui lui avait échappé des mains lors des premières secondes de combat et détacha Fred et Alex. Il enleva délicatement l’arme des mains de Marie, qui semblaient agitées de tremblements incontrôlés.
Fred se précipita dans les bras de sa femme. Ils s’étreignirent et s’embrassèrent avec des gestes de passion, à la mesure de la peur qu’ils venaient de ressentir. Le policier s’approcha d’Alexandra. Sa lèvre inférieure saignait, elle se tenait les côtes, grimaçant de douleur. Il la prit dans ses bras et l’embrassa doucement sur le front. Elle se blottit contre son épaule et se laissa aller à pleurer, évacuant d’un coup sa peur et sa souffrance.
Ils restèrent ainsi un long moment, jusqu’à ce que la voix de Fred les ramène à la réalité.
– Faut pas qu’on reste ici, il y en a d’autres dehors.
– D’autres ? C’est pas vrai ? demanda Marie d’une voix agitée de sanglots. Elle s’approcha de Fred qui observait le moniteur de contrôle du circuit de surveillance. Celui-ci passait rapidement d’une caméra à l’autre, montrant, presque sur chaque vue, des hommes armés et casqués s’approchant de la maison.
– Je ne sais pas qui c’est, mais avec ce qu’on vient de ramasser, je n’ai pas envie de savoir. Suivez-moi, on va passer par la falaise. Vous pouvez tous marcher ?
Chacun fit un rapide inventaire de ses fonctions motrices et tous acquiescèrent.
Fred les dirigea vers une porte massive, située au fond du salon. Tous lui emboîtèrent le pas docilement, trop heureux de n’avoir qu’à suivre. Il sortit une grosse clé du tiroir d’un meuble bas et ouvrit le passage qui descendait vers la cave. Darlan tint la main d’Alex pour l’aider à descendre l’escalier de pierre. Probablement aussi pour ne pas rompre ce contact qui semblait la rassurer et qui lui donnait envie de la protéger. Chaque pas qu’ils devaient faire accentuait leurs douleurs, dans les muscles et les articulations. Ils n’osaient imaginer ce qu’ils allaient ressentir lorsque leurs muscles seraient refroidis.
Fred verrouilla la porte derrière eux. La vingtaine de marches conduisait à une cave voûtée tout en longueur, abritant notamment une collection impressionnante de bouteilles de vin, dont certains grands crus prestigieux. Darlan connaissait le goût de son ami pour les bonnes choses et notamment le bon vin. Les quelques très bonnes bouteilles qu’il leur avait servies en témoignaient. Il se doutait bien que sa cave devait être à la hauteur de ces bonnes bouteilles. Ce qu’il ignorait en revanche, c’est que l’endroit cachait un accès secret.
La fraîcheur des lieux fit frissonner Alexandra. Un mélange d’odeurs envahissait la pièce, pas désagréable, mais improbable ; de salpêtre, de terre humide, de bois, et enfin d’air marin saturé de sel et d’algues en décomposition, qu’on reconnaît abusivement comme une « odeur d’iode ». Au fond, faiblement éclairée, une armoire massive se dessinait entre les blocs de granit qui constituaient les murs. En suivant Fred, ils traversèrent la cave dans toute sa longueur.
– Où nous emmènes-tu ? demanda Darlan.
– C’est ça que les enfants tenaient tant à te montrer. Cette armoire cache un passage vers un escalier qui descend jusque dans une grotte et s’ouvre sur la mer. J’ai un bateau en bas. Nous nous échapperons par là. Le seul truc, c’est qu’avec la tempête qui se prépare, ça risque de secouer méchamment.
Fred parlait avec difficulté et il devait faire beaucoup d’efforts pour articuler, tant sa mâchoire le faisait souffrir. Il continua.
– Je vais appeler Gilles, le copain qui doit vous emmener à Chabeuil en avion. Je vais lui demander de venir nous chercher au port du Pouliguen.
– Tu es sûr de lui ?
– Et comment ! C’est le parrain d’Elora.
– C’est quelqu’un de très bien, nous nous connaissons depuis des années. Et, n’aie pas peur, c’est un excellent pilote, confirma Marie pendant que Fred actionnait un mécanisme caché derrière une moulure, sur le haut du meuble.
Ils n’entendirent qu’un déclic, à peine perceptible. Le propriétaire des lieux fit pivoter l’armoire et la partie du mur auquel elle était fixée sans effort et découvrit une porte basse arrondie qu’il déverrouilla aussitôt.
Ils durent se baisser pour franchir le passage et pénétrer à l’intérieur de la falaise. Fred remit le meuble en place et referma soigneusement derrière lui.
– Qui a construit ce passage ? demanda Alex.
– Mes grands-parents, répondit Marie. Il existait une faille qu’ils ont agrandie. Pendant la guerre. Cette maison servait à envoyer des messages ou à transférer discrètement des résistants ou des pilotes abattus vers l’Angleterre. Des rendez-vous étaient organisés avec des sous-marins au large. Les Allemands n’ont jamais trouvé ce passage secret alors que la maison se trouve à moins de cinq cents mètres du principal blockhaus qui verrouillait cette partie de la côte.
– Je comprends maintenant votre petit côté « résistant » à tous les deux, plaisanta Darlan, tout en savourant l’histoire des lieux. Il marchait sur les pas de pilotes anglais, forcés de sauter de leurs avions en flamme, puis poursuivis par l’ennemi. Franchir cette porte avait dû être pour eux la première étape de leur retour au pays. Le courage dont les grands-parents de Marie avaient fait preuve pour bâtir ce passage et aider la résistance locale à l’utiliser forçait l’admiration.
Dès qu’ils pénétrèrent à l’intérieur, Alex et Darlan furent saisis par le bruit du vent et des vagues, que la forme naturelle de la grotte amplifiait. L’endroit était impressionnant. La voûte devait s’élever d’au moins quinze mètres au-dessus du niveau de la mer. L’intérieur avait été aménagé à grand renfort de béton pour accueillir un bateau de dimensions modestes. Un escalier métallique descendait le long de la paroi jusqu’à un ponton flottant auquel était amarré un Zodiac Sea Hawk équipé d’un moteur Mercury de deux cents chevaux. L’éclairage était assuré par deux puissantes rampes de projecteurs qui se reflétaient dans l’eau étonnamment calme.
– L’accès à la mer est protégé par une barrière naturelle de rochers, expliqua Fred, ce qui suffit la plupart du temps. En cas de très grosses tempêtes ou de très grandes marées, je remonte le bateau avec le portique, là, au-dessus de ta tête.
Darlan suivit le regard de son ami pour découvrir toute une structure métallique sur laquelle reposait un pont équipé d’un palan dont les capacités suffisaient amplement à lever le bateau. Fred pénétra dans une anfractuosité du rocher, près du haut de l’escalier et ressortit quelques instants plus tard avec des cirés de pêcheurs :
– Enfilez ça. On ne sera pas protégé si on se retourne, mais au moins on sera relativement au sec.
Il s’équipa rapidement, puis contacta son ami Gilles :
– C’est moi. On a un gros problème, je t’expliquerai. Dans deux minutes, je quitte l’embarcadère sous la maison et nous allons essayer de rejoindre le port du Pouliguen… Mais si, ça va aller, la mer descend, on va se faire secouer un peu, c’est tout… Oui, retrouve-nous sur le port, j’ai un anneau à côté du pont de l’avenue des Lilas, disons dans… vingt minutes si tout va bien... O.K.., merci.
Il raccrocha, satisfait. Tous le regardaient :
– Je ne te savais pas si organisé, constata Darlan, on dirait que tu as fait ça toute ta vie.
– Mon patron me disait tout le temps que je ne commençais vraiment à m’exprimer qu’avec une bonne dose de stress, et je pense que là, je suis au top !
– Je pense surtout que tu as ton compte de bleus et de bosses, intervint Marie qui avait repris quelques couleurs. J’ai cru comprendre que Gilles était inquiet pour l’état de la mer ?
– Ne t’en fais pas, ma chérie, si je pensais qu’il y a un risque, je ne vous emmènerais pas. Et pour tout dire, j’ai beaucoup plus peur des cinglés comme celui que tu viens d’abattre que de quelques vagues.
– Merci de me rappeler que je viens de tuer un homme, répondit-elle d’une petite voix.
Fred s’approcha de sa femme et la prit doucement dans ses bras :
– Excuse-moi, mais ce type ne mérite pas le nom d’être humain. J’aurais beaucoup plus de scrupule à tuer un animal qu’un fou comme ça. Il nous aurait tués un par un, il est venu pour ça. Nous te devons tous la vie, alors oublie tes remords.
Alex intervint à son tour :
– Il est également responsable de l’assassinat de Fallière, je l’ai vu dans le parking au moment où il s’échappait. Qui sait combien de personnes ce dingue de tueur à gages a pu abattre. Nous devrions t’offrir une médaille pour ce que tu as fait, et tu devrais l’accrocher à ton arc.
– Je ne sais pas si ça suffira à m’apaiser.
– Encore une question, Alex, demanda Darlan en l’aidant à monter dans le Zodiac qui oscillait lentement. D’où as-tu sorti le cutter que tu m’as glissé ?
– Il était posé sur une table dans la remise, je ne sais pas vraiment pourquoi je l’ai pris, juste pour me sentir rassurée. Je te trouvais trop sûr de toi.
– Et tu as eu raison, je nous ai poussés dans son piège tête baissée.
Fred monta à son tour dans l’embarcation. Le puissant moteur V6 démarra à la première sollicitation. Marie enleva l’amarre. Aussitôt, le Zodiac s’écarta du ponton.
– Mettez-vous plus sur l’arrière et accrochez-vous bien, la sortie devrait être mouvementée.
Darlan connaissait assez son ami pour savoir que l’euphémisme était chez lui comme une seconde nature. Il s’agrippa donc aux poignées disponibles et s’apprêta au pire. À sa grande surprise, les premiers mètres pour sortir de la grotte se passèrent sans difficulté, les vaguelettes qui parvenaient jusqu’à l’ouverture ne réussissaient pas à agiter le bateau de sept mètres. Le passage étroit ne laissait que deux mètres de part et d’autre. Fred expliqua qu’à part deux ou trois jours de marées très basses dans l’année, il pouvait toujours sortir en mer.
En revanche, dès que le Zodiac eut franchi l’entrée, les choses se corsèrent. Alex remarqua que la barre de nuages noirs marquant le front avait beaucoup avancé. La tempête arrivait plus vite qu’elle ne l’avait imaginé.
Fred calcula avec soin le rythme des vagues, et, sans prévenir, poussa la manette vers l’avant pour sortir de la grotte. Il négocia la chicane entre les rochers à grands coups de volant, tout en accélérant pour profiter du reflux de la vague. Les trois passagers, accrochés aux poignées, ne purent que subir le roulis marqué du hors-bord, espérant que le pilote savait réellement ce qu’il faisait. La manœuvre précise et rapide de Fred leur permit de franchir le goulet avant l’arrivée de la vague suivante.
Dès qu’ils furent sortis, la houle commença à se faire sentir. Fred s’éloigna rapidement, augmentant la vitesse jusqu’à vingt-cinq nœuds, pour se placer à une centaine de mètres de la côte sur une trajectoire lui permettant de remonter vers le Pouliguen en évitant les récifs. Alex et Darlan s’accrochaient, se rassurant de l’air tranquille qu’affichait Marie dont les cheveux noirs voltigeaient dans le vent.