Chapitre 11
Lyon. Mercredi, 21 h 40.
Alexandra marchait d’un bon pas dans la chaleur moite de ce début de nuit. La seule place disponible, deux rues plus bas, l’avait obligée à finir à pied la montée sur les trois cents mètres qui la séparait de sa destination. Le béton et la pierre renvoyaient la chaleur emmagasinée depuis le début de la journée dans les murs des immeubles et ajoutaient encore à cette sensation de touffeur.
Bien que sa veste soit restée dans la voiture, il lui semblait que son chemisier collait à sa peau à chacun de ses mouvements. Ses talons claquaient sur le trottoir au rythme soutenu de ses enjambées qui se calait sur celui de ses pensées. Elle ressentait maintenant une réelle impatience de pénétrer dans l’appartement et d’en savoir plus.
Avant de quitter le bureau, elle avait pris un moment pour préparer la visite de l’appartement. Elle avait placé les objets de Fallière dans son sac à main, dans une pochette intérieure où elle savait retrouver les choses importantes comme ses clefs ou son téléphone portable. Elle se connaissait. La recherche de quelque chose dans son sac à main pouvait parfois prendre un temps considérable, surtout si elle était pressée ou stressée. Pour finir, Alexandra s’était équipée d’un petit appareil photo numérique Sony, bien suffisant pour ce qu’elle avait à faire.
La clé USB n’avait pas livré ses secrets. Son collègue Jérôme, le responsable informatique du journal, avait tout essayé pour en lire le contenu. Selon lui le verrou était physique et le contenu ne pouvait être lu que sur un ordinateur pourvu du programme ou de la clé compatibles. Il l’avait abondamment questionnée sur l’origine de la clé et sur ce qu’il était censé y trouver, conscient de l’importance que ces fichiers avaient pour la jeune femme. Elle n’avait rien répondu, se contentant d’évoquer simplement une « affaire en cours ».
Alex passa devant le numéro vingt-trois. Plus que neuf numéros avant sa destination. Elle regarda un peu plus haut dans la rue et essaya de deviner à quel immeuble correspondait l’adresse. L’architecture du quartier sans âme ni cachet particulier mélangeait des immeubles anciens et des constructions récentes. Seuls les promoteurs et les agents immobiliers savaient présenter les choses de manière très flatteuse, mettant en avant le potentiel de l’investissement, la tranquillité de la rue, en oubliant de préciser que le prix des appartements ne reflétait en rien leur vraie valeur. L’agence devant laquelle elle passa sans s’arrêter affichait des prix totalement indécents pour des appartements parfois à la limite de l’insalubrité, souvent avec la mention « À rénover, spécial investisseur ».
Continuant à marcher d’un bon pas, elle sentait la chaleur s’infiltrer en elle, regrettant de ne pas avoir troqué son pantalon de flanelle pour un short et ses talons pour des Converse. Elle se sentait à la fois excitée et angoissée à l’idée de pénétrer chez Fallière. Elle retrouvait ce mélange savoureux de peur et d’exaltation qu’elle recherchait à chaque fois qu’elle pratiquait un sport riche en émotions, que ce soit le parachutisme ou le canyoning.
Depuis son adolescence et la mort de son père, elle avait développé son goût pour les sports extrêmes, jouant à se faire peur, cherchant à surmonter son angoisse, au grand dam de sa mère. Pourtant, ses séjours aux urgences avaient été plutôt moins nombreux que ceux de ses copines réputées beaucoup plus sages. Ils lui avaient laissé néanmoins quelques cicatrices discrètes.
Son métier de reporter de province la conduisait rarement à devoir investiguer de la sorte. La plupart du temps, comme ses collègues, elle rapportait le témoignage d’événements passés, vécus par d’autres. Aujourd’hui, elle écrivait une nouvelle actualité, la sienne. Elle se livrait en cela à une activité qu’elle dénonçait chez certains journalistes et grands reporters, qui n’hésitaient pas à créer eux-mêmes l’information en se mettant en scène.
Qu’allait-elle trouver dans l’appartement ? Fallière parlait de complot. Les recherches menées pour écrire ses articles sur les théories du complot et autres légendes urbaines l’incitaient à la prudence. Mais pour quelques dossiers sur lesquels elle avait travaillé, les preuves étaient suffisantes pour que le doute ne soit plus permis. L’histoire était jalonnée de ces complots qui avaient changé la destinée des États, pourquoi pas un de plus ? Il lui appartenait maintenant de trouver elle-même les preuves qui pourraient peut-être lui permettre de contribuer à déjouer un complot. Entre l’envie d’y croire et ce que sa conscience professionnelle lui dictait, son cœur balançait.
Perdue dans ses pensées, Alexandra dépassa le numéro trente-deux avant de faire demi-tour et de revenir sur ses pas. Face au bâtiment, elle se recula sur la chaussée pour visualiser les lieux. L’immeuble de six étages, de fabrication assez récente, vingt à trente ans tout au plus, comportait deux entrées espacées d’une cinquantaine de mètres. Il était séparé de la construction suivante par une allée qui menait, à en croire un panneau, à un parking sur l’arrière du bâtiment.
Une file ininterrompue de voitures, garées le long du trottoir, lui indiquait que la plupart des habitants devaient être chez eux. Elle devait se montrer prudente. Lorsque Françoise serait arrivée, il leur faudrait éviter de croiser les résidents de l’immeuble pour ne pas éveiller l’attention. Il semblait évident que les policiers qui menaient l’enquête sur l’assassinat finiraient fatalement par s’intéresser à l’appartement de Fallière. Elle ne voulait pas se retrouver dans l’obligation de témoigner, ni d’expliquer comment elle était entrée en possession de la ceinture portefeuille de l’ingénieur.