Chapitre 43
Paris. Salle de crise, niveau – 5. Rue des Saussaies. Vendredi, 14 h 30.
– J’espère, commandant, que cette fois vous nous appelez pour nous faire part des progrès de l’affaire, commença le haut fonctionnaire sans autre formule de politesse.
– Malheureusement non, monsieur. Mais vu la situation, j’ai besoin de vos directives.
Les cinq personnes présentes se regardèrent sans un mot. L’un haussa les épaules, l’autre fit un oui en hochant la tête.
– Très bien, nous vous écoutons.
– Le policier et la journaliste sont pour l’instant introuvables. Mon agent est sévèrement blessé. Il doit être dans l’ambulance en direction de l’hôpital à l’heure qu’il est.
– Comment ce fiasco est-il possible ? J’avais cru comprendre que ce Darlan était tout sauf un homme de terrain. Comment a-t-il bien pu neutraliser votre homme ?
– Si je savais ! répondit Brune volontairement désinvolte. Une équipe d’intervention est sur les lieux. J’espère qu’ils ne les retrouveront pas. Dans le cas contraire, nous avons tous un gros problème. Je serai sur place dans cinq minutes.
– Vous nous avez affirmé que vous maîtrisiez la situation !
– Eh bien, ce n’est plus le cas, monsieur. Chaque fois que nous pensons avoir la situation sous contrôle, Darlan et son équipe parviennent à nous damer le pion. Ne me demandez pas comment ils y parviennent, je n’en sais rien… Mais c’est un fait. Si vous voulez mon avis, vous devriez commencer à envisager d’autres options.
– Nous envisagerons d’autres options, comme vous le dites, uniquement lorsque nous le jugerons utile. Pour l’instant, je vous prie de vous conformer aux ordres.
Brune commençait à s’engager dans les marais salants, en direction de Saillé, se demandant chaque seconde s’il ne devait pas raccrocher son téléphone et sauver sa peau. Néanmoins, quinze ans de respect de la hiérarchie et des ordres l’empêchaient d’abandonner ses commanditaires. Il s’en voulait de cette lâcheté. Il lui était plus facile d’obéir que de résister :
– Quels sont vos ordres ? finit-il par demander.
Le haut fonctionnaire croisa le regard de son conseiller en sécurité. Une heure plus tôt, ils avaient débattu ensemble des possibilités restantes pour, au mieux, réussir leur mission, au pire, ne pas être impliqués si le scandale venait à être révélé.
– Retrouvez-les, coûte que coûte, et faites en sorte qu’ils ne soient plus un problème. Agissez dès leur arrestation si c’est possible. Usez de votre autorité pour les maintenir au secret. Nous ne voulons pas que la DCRI puisse les interroger. Quant à votre homme de main, il est un risque potentiel, maintenant. Le mieux est que vous puissiez régler le problème à l’hôpital, avant qu’il ne se réveille.
– Pourriez-vous être plus explicite ? insista Brune, conscient qu’il obligeait ses commanditaires à prendre position clairement, sans s’exprimer par métaphores. Vous me demandez de supprimer personnellement mon homme de main ainsi que Darlan, la journaliste et la famille Berthoin. C’est bien ça que vous me demandez de faire ?
L’ancien militaire prit la parole après avoir consulté d’un regard les autres hommes dans la grande salle souterraine :
– Commandant, je comprends votre position délicate. Je sais que vous n’étiez pas censé agir personnellement. Malheureusement, le temps nous est compté et nous n’avons pas d’autres options. Vous êtes notre dernier rempart et je sais que vous comprenez les enjeux. Vous avez d’autres agents actifs dans la région ?
Brune ne répondit pas directement, préférant garder l’initiative de la discussion et présenter ses arguments.
– Mon général, je reconnais avoir sous-estimé les capacités de nos adversaires. Je pensais à tort que nos clients représentaient une proie facile pour Max. Pour en venir à bout, je peux recruter une équipe en cinq heures. Nous changeons de mode d’action, j’espère que vous en êtes conscient. Les montants à mettre en place devront suivre.
– Dans ce cas, recrutez votre équipe et agissez par vous-même, nous soutiendrons votre action, quelle qu’elle soit. Je sais que vous en avez les capacités. Considérez-les comme des ennemis, des ennemis de notre cause. Puis-je compter sur vous, commandant ?
Brune répondit, sans conviction :
– Je ferai le nécessaire, mon général.
– Rappelez-nous dès que vous avez du nouveau.
Un des cinq hommes présents dans la pièce s’avança et raccrocha le téléphone posé au milieu de la grande table de réunion. Ce proche collaborateur du ministre, le dernier à avoir rejoint le groupe, à la demande expresse de son chef, regarda les autres membres de la cellule et s’arrêta sur le général :
– Mon avis est que j’ai de moins en moins confiance en votre homme. Il a compris ce qu’il couvre par ses actions, et je me demande s’il est vraiment en accord avec ce que nous lui demandons de faire.
– C’est un ancien soldat. Il exécutera les ordres que nous lui donnerons, sans discuter et sans états d’âme.
– C’est précisément ce que je lui trouve : des états d’âme.
– Allez au bout de votre pensée, intervint le haut fonctionnaire.
– Je me demande s’il nous restera fidèle quelle que soit l’issue des événements. Je me demande s’il ne va pas devenir un problème à son tour.
Le général fronça ses sourcils fournis :
– Vous vous demandez si nous ne devrions pas faire en sorte qu’il disparaisse à son tour, c’est ça ? J’ai bien interprété votre pensée ? J’imagine que vous avez dans l’idée d’en faire un bouc émissaire si jamais l’affaire dérape. Ne comptez pas sur moi pour organiser ça.
– Je n’ai jamais dit ça, Charles. Nous devons cependant prévoir des solutions pour parer à toute éventualité, et en tant que membre de cette cellule, vous avez le devoir de vous soumettre aux décisions de la majorité. Je n’ai rien décidé. Je soumets une hypothèse.
– Je vous en prie, messieurs, intervint le haut fonctionnaire, responsable de la cellule devant leur commanditaire. Nous devons rester soudés quoi qu’il arrive. Vous avez tous été sélectionnés pour votre attachement à notre idéal et aux idées de notre chef, pour votre fidélité sans faille aussi. Nous devons continuer à décider ensemble et à assumer ensemble, même si les décisions que nous avons à prendre sont difficiles. La question a été posée, je vous demande donc à tous d’y réfléchir. Nous nous retrouvons ici à 18 h. J’espère que nous aurons cette fois de bonnes nouvelles à entendre.