ÉPILOGUE

Les cieux de Kashyyyk étaient inhabituellement dégagés pour une fois. Au lieu des transporteurs clignotants et de la lueur brève des moteurs subluminiques. Juno pouvait observer les étoiles, qui brillaient comme des diamants sur le noir velouté. Ce panorama était apaisant, sa contemplation l’absorba entièrement pendant un temps. Ça lui faisait un bien fou.

Le bruit de voix était doux dans la nuit. Elle ne leur prêta aucune attention. Les Rebelles essayaient de l’inclure mais quelle importance cela avait-il, ce qu’elle, ex-pilote impériale, pensait de la Rébellion ? Que savait-elle des plans de Galen ou de Dark Vador ? Elle avait été emportée par le cours des événements et n’y avait pas toujours participé de son plein gré. Dans ses rêves, elle se voyait encore convaincre Galen de ne pas accomplir sa dernière mission puis s’échapper avec lui dans le paysage stellaire infini…

Elle soupira. Fuir n’avait jamais fait partie des issues possibles. L’Empire les aurait suivis à la trace, sans répit, comme le passé de Galen. Au fond, elle soupçonnait qu’elle avait toujours su que cela se terminerait ici.

Sa peine avait pourtant été immense malgré tout quand elle avait récupéré les Rebelles sur l’Étoile Noire. Lorsqu’elle avait appris que Galen n’était pas parmi eux, elle avait voulu faire demi-tour vers l’onde de choc qui continuait à s’étendre du dôme d’observation brisé pour le secourir. Mais l’expression de Kota lui avait fait comprendre que c’était inutile. Galen avait disparu.

Disparu. Mort. Cela revenait au même. Après tout ce qu’ils avaient traversé, toutes les batailles qu’ils avaient menées… au moins, en mourant, il avait permis à tout le monde de s’échapper de l’Étoile Noire.

Juno s’était maîtrisée suffisamment longtemps pour les emmener hors du système Horuz, elle avait même préparé un itinéraire pour Kashyyyk, à la demande pressante de Kota. Une fois qu’ils avaient été en hyperespace, le général lui avait raconté avec sa franchise bourrue ce qui s’était passé exactement dans le dôme d’observation. Ce récit la calma un peu. Le noble sacrifice de Galen valait mieux qu’un passage définitif du Côté Obscur. Elle comprenait ça. S’il avait tué Dark Vador, cela aurait signifié la fin de Galen, tel qu’elle le connaissait. Une vie sans espoir était pire que pas de vie du tout.

Quand Kota avait achevé, elle s’était retirée dans le petit quartier de l’équipage pour que l’émotion sorte et qu’elle accepte la vérité. Savoir que Galen était resté fidèle à ses intentions jusqu’au bout ne suffisait pas à reconstruire la vie de Juno. Elle lui avait fait confiance – elle lui avait confié non seulement sa vie mais aussi son avenir. Il lui avait confié son nom. Qu’allait-elle faire sans lui ?

Son avenir immédiat était décidé, au moins. Elle pourrait faire la paix avec ce qu’il restait de lui plus tard. Ses souvenirs ne seraient jamais perdus – et puis il y avait la Rébellion, se dit-elle, qui avait peut-être une chance de l’emporter…

Ils étaient soi-disant venus sur Kashyyyk pour honorer la mémoire de Galen, mais elle soupçonnait les Rebelles de chercher avant tout à se rassurer. Ils savaient si peu de choses à son sujet, même maintenant. Au-delà du sacrifice ultime qu’il avait consenti pour les protéger, son histoire comportait de nombreux blancs. Juno n’avait pas très envie de les remplir et elle sentait la même réticence chez Kota. Galen était mort en héros. Qu’est-ce qui comptait à part cela ?

— Son nom complet était Galen Marek, avait annoncé Bail Organa, après une longue recherche dans les Archives Impériales. Son père, Kento, était un Chevalier Jedi qui avait vécu durant dix ans parmi les Wookiees. Galen était né ici.

— Il avait trouvé quelque chose dans la forêt, avait raconté Juno aux Rebelles.

Elle se souvenait que Galen le lui avait dit dans le comlink. Ce n’est qu’une vieille hutte. Une ruine, en réalité. Mais elle me paraît familière.

Et maintenant, elle se trouvait à cet endroit précis, qu’elle avait retrouvé en fouillant les dossiers de missions du vaisseau à la recherche des coordonnées exactes de l’endroit d’où Galen l’avait contactée. Elle se le représentait tel qu’il était alors, déchiré par son conflit intérieur, en train de regarder exactement ce qu’elle voyait : la hutte renversée ; les marques de blaster ; les traces d’un très vieux duel au sabre laser.

Je ressens une profonde noirceur dans la forêt. Et… oui, de la tristesse. Il s’est passé quelque chose ici.

Juno ne saurait peut-être jamais de quoi il s’agissait mais son esprit était peuplé d’images sombres.

Les Sénateurs étaient à l’intérieur de la hutte, ils parlaient de l’avenir et apaisaient sans doute leurs derniers doutes au sujet des origines de Galen. La famille était importante pour ces gens-là. Au cours du trajet éprouvant pour quitter le système Horuz, le Sénateur Organa avait appelé sa fille pour l’informer qu’il avait survécu au piège tendu sur Corellia. Elle était tellement tracassée et soulagée à la fois qu’elle s’était approprié le vaisseau le plus rapide d’Alderaan pour le rencontrer en orbite au-dessus de Kashyyyk. Leurs retrouvailles avaient été joyeuses.

Même la nouvelle arme superpuissante de l’Empire ne pouvait gâcher leur bonne humeur. Les Wookiees, galvanisés par la destruction de la station orbitale, étaient occupés à repousser les envahisseurs de leur monde ; tout semblait possible, même l’improbable.

L’Empereur savait qui ils étaient et quelles étaient leurs intentions. Bien plus, il construisait les outils pour écraser toute forme de résistance. La Rébellion allait devoir le frapper vite et fort, si elle voulait avoir une chance de réussir.

Quelque chose bougea derrière elle dans la nuit fraîche de Kashyyyk. Elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et vit Kota quitter la hutte. Il se déplaçait avec assurance, sûr de lui. À part les affreuses cicatrices de brûlure qu’il portait maintenant comme on arbore une médaille honorifique, il aurait pu passer pour quelqu’un de voyant.

Il sentit sa présence et vint prendre place derrière elle. Juno eut l’impression qu’il était venu expressément à sa recherche.

— Vous avez toujours su qui il était, pas vrai ? lui demanda-t-elle.

Il hocha la tête.

— Je le soupçonnais, oui.

— Alors pourquoi nous avez-vous aidés, après tout ce que nous avions fait ?

Il hésita et pendant ce temps, elle entrevit plusieurs possibilités. Peut-être Kota s’était-il réfugié derrière sa façade de vieil homme battu pour mieux frapper l’apprenti de Dark Vador, si, à la fin, il prêtait allégeance au mauvais côté ? Peut-être la façade n’en était-elle pas une et la confiance de Kota avait-elle été vraiment mise à mal jusqu’à la toute fin ? Peut-être sa rédemption et celle de Galen s’étaient-elles simplement produites en même temps sans qu’aucun des deux ne s’en rende compte ?

La réponse du vieil homme ne fut aucune de ces trois-là.

— Quand il m’a abordé dans le bar au-dessus de Bespin, parmi toutes ses sombres pensées, j’ai entrevu une lueur, quelque chose de très beau qui m’a donné de l’espoir… et c’est à cela qu’il s’est accroché, même à la fin.

— Qu’est-ce que c’était ?

Il plaça une main sur son épaule, à la façon d’un grand-père.

— Tu connais la réponse à cette question, Juno.

Elle serra la mâchoire pour ne pas pleurer. Kota avait raison. Elle le savait. Et comme elle le savait, la question – Pourquoi moi ? – n’avait plus aucune emprise sur elle.

— Il ne fait plus qu’un avec la Force, maintenant, lui expliqua Kota.

Elle devina qu’il essayait de la réconforter, à sa façon maladroite.

— Est-ce qu’on se souviendra de lui ? demanda-t-elle.

— La Princesse a une suggestion que tu aimerais peut-être entendre.

Il inclina la tête pour indiquer la hutte.

Elle se laissa guider par le Jedi aveugle à travers une large brèche dans les murs de la ruine. Les Sénateurs étaient réunis autour d’une table improvisée, l’air fatigués. Ils ne levèrent pas les yeux quand Kota et Juno entrèrent.

— Bon, dit Bail Organa aux autres. Sommes-nous prêts à terminer ce qu’il a commencé ?

Les autres hochèrent la tête en signe d’assentiment.

— Alors, enfin, l’Alliance Rebelle est née. Ici, ce soir.

Cette déclaration fut accueillie par des sourires soulagés mais pas par des acclamations. Le moment était solennel. Beaucoup de travail et de nombreux périls attendaient tous ceux qui étaient présents dans la pièce.

Leia Organa prit la parole :

— Il nous faut un symbole de ralliement.

— Je suis d’accord, déclara Garm Bel Iblis.

La Princesse essuya la poussière de la table, ce qui révéla des armoiries familiales gravées dans le bois : un élégant rapace stylisé, les ailes fièrement levées.

— Un symbole d’espoir, dit Leia.

Elle tourna son regard vers son père, puis vers Mon Mothma et Garm Bel Iblis, avant de le poser sur Juno, Avec retenue, elle hocha la tête en signe de reconnaissance.

La poitrine de Juno s’emplit de chaleur et elle hocha la tête en retour. Galen avait fait de son mieux pour sauver la galaxie de l’Empereur et, en même temps, pour échapper au Côté Obscur de la Force. Les personnes présentes dans la pièce allaient se rallier derrière les armoiries de sa famille et continueraient le travail qu’il avait commencé, lui, le premier Rebelle, celui qui leur avait rendu l’espoir.

Et elle ? Juno ne l’oublierait jamais, non plus, ni l’exemple qu’il lui avait donné. Une fois ses larmes séchées, elle regarda l’avenir bien en face.

Elle n’avait pas besoin de la Force pour savoir que le trajet serait secoué…