CHAPITRE 37

Système Horuz.

Quand ils furent en route, l’apprenti prit congé pour se retirer dans la chambre de méditation – non pas pour méditer mais pour vérifier si son sabre laser n’avait subi aucun dommage et pour mettre de l’ordre dans les pensées qui lui traversaient l’esprit. Il supposa que cette seconde activité pouvait constituer une forme de méditation ; la présence de Juno ne lui serait pas utile cette fois. La présence apaisante et rassurante qu’elle avait apportée dans le cockpit n’était pas ce dont il avait besoin maintenant.

La planète Despayre.

Il s’agenouilla au centre de la chambre et démonta l’arme. Il nettoya soigneusement les pièces et les remonta, une à une. Le sabre laser n’émettrait jamais de lueur rouge mais il avait quand même été manié par un Sith. Ses cristaux ne seraient plus jamais propres. Il les remplaça tous, activa la lame et trouva que la résonance s’était bien améliorée. Comme arme, sa fonction était identique mais dans sa main, ses performances seraient meilleures que jamais.

L’Étoile Noire.

Au bout du compte, aux yeux de l’Empire, tout se résumait aux armes.

Il soupira et éteignit la lame puis affronta les visions qu’il avait aperçues alors qu’il méditait. Il avait déjà entraperçu le futur – à plusieurs reprises déjà, tandis qu’il oscillait entre la vie et la mort – mais cette fois-ci, c’était différent. C’était lui qui avait choisi consciemment de dépasser les limites du présent et il avait fait ce choix de son plein gré. Cela ne rendait pas plus facile l’interprétation de ce qu’il avait vu. En fait, cela rendait les choses encore plus difficiles parce que, au lieu de se rappeler de fragments isolés, maintenant il se souvenait de tout, et tout ne pouvait être vrai. Du moins, pas tout d’un coup.

Le futur était un enchevêtrement de possibilités – certaines plausibles, d’autres hautement improbables – traversées par des certitudes inébranlables, qui demeuraient inchangées quel que soit le résultat. L’Étoile Noire faisait partie de ces certitudes : c’était une gigantesque station de bataille qui, une fois achevée, ferait pleuvoir encore plus de terreur sur les sujets de l’Empereur et assurerait sa domination sur la galaxie. Son emplacement était une autre certitude et c’était là que Vador avait emmené ses prisonniers.

Cela, au moins, l’apprenti n’en doutait pas. Le reste n’était qu’un fatras de contradictions. Dans certains futurs, il survivait ; dans d’autres, il s’effondrait. Juno vivait ; Juno mourait. Ils étaient ensemble ; ils étaient séparés. Les Rebelles l’emportaient ; les Rebelles étaient annihilés. Dans un futur, même PROXY était encore en vie, ce qui ne s’était manifestement pas passé sur la ligne du temps dans laquelle il se trouvait.

Il avait mal à la tête à force d’embrasser cet univers élargi, enrichi de tout ce qui aurait pu se passer ou non, cela rendait encore plus difficile la préparation pour ce qui pourrait encore advenir.

Il pensa à PROXY et cela lui causa de la peine. Le droïde avait été libéré par le Noyau de sa programmation de base et cela lui avait permis de se sacrifier pour son Maître au lieu d’essayer de le tuer. L’apprenti se débattit avec cette idée. Que valait la liberté si elle conduisait à la mort ? Aurait-il sacrifié sa vie pour PROXY si les rôles avaient été inversés ? Est-ce qu’il le ferait pour Juno ?

Chaque fois que Juno l’appelait Galen, il ressentait une pointe d’émotion vraiment différente.

Sur Raxus Prime, quand il avait essayé d’invoquer l’audace naïve du garçon qu’il avait un jour été, pour abattre le Destroyer Stellaire, cela n’avait rien remué en lui. Pas de souvenirs, pas de personnalité enfouie, pas de force cachée. Cela l’avait tracassé depuis lors, il se demandait si sa vision sur Kashyyyk était fausse finalement ou si Galen avait été si minutieusement effacé qu’il n’en restait plus le moindre vestige.

À présent, il comprenait. Quand il s’était tourné vers Juno au pied de la falaise et qu’il lui avait dit son nom, c’est lui qui l’avait prononcé, pas le fantôme de celui qu’il avait été. Galen avait ignoré ses invocations sur Raxus Prime parce qu’il était déjà là. Il était suffisamment fort pour faire ce qu’il devait faire. Il l’avait toujours été. C’était Galen, autant que l’apprenti de Dark Vador, qui avait invoqué la pensée de Juno pour le rendre fort. Ils n’étaient qu’une seule et même personne.

Il n’arrivait toujours pas à penser à lui-même de cette façon. Il n’avait été qu’un apprenti tout au long de la vie dont il avait conscience. Il faudrait peut-être des années avant qu’il ne soit complètement libéré de l’empreinte de son Maître, s’il survivait suffisamment longtemps…

Il ferma les yeux par lassitude et fut immédiatement submergé d’images :

— l’Empereur mort et Dark Vador aux commandes de l’Empire, avec lui à ses côtés ;

— Dark Vador mort et l’apprenti désigné par l’Empereur comme son successeur ;

— Kota qui le poignarde dans le dos et ils meurent tous les deux dans une ultime émanation de Force ;

— Kota qui combat l’Empereur et s’effondre, terrassé par un éclair Sith jusqu’à devenir pratiquement méconnaissable…

— On arrive sur Horuz, lança Juno depuis le cockpit.

Il se força à ouvrir les yeux. Il n’avait aucune idée du temps qu’il avait passé embourbé dans ses « souvenirs » futurs. Il se mit sur ses jambes, encore un peu chancelantes après tout ce qui était arrivé récemment, il replaça le sabre laser à sa hanche et rejoignit Juno au moment où le vaisseau quittait l’hyperespace.

L’Étoile Noire était exactement comme il l’avait vue à travers la Force. De la taille d’une petite lune, maléfique, encore très loin d’être achevée, elle était en suspension au-dessus de la planète prison. On reconnaissait déjà la forme d’une sphère, conçue pour être solide d’un pôle à l’autre, avec une antenne parabolique concave, qui formait un creux d’un côté, pareil à un grand cratère, et qui faisait probablement partie d’un système de communication ou de senseurs hors de proportion. Les contours de la station étaient estompés par des milliers de droïdes, allant des plus petites unités de construction jusqu’aux grues et soudeurs gigantesques, à côté desquels même les droïdes du chantier naval de Raxus Prime ressemblaient à des nains. Des trous dans le blindage extérieur laissaient entrevoir un squelette assez fort pour résister à une accélération puissante. Des générateurs de gravitation de la taille d’immeubles de bureaux fournissaient une pesanteur stable pour toutes les personnes et toutes les choses dans son champ d’attraction. L’apprenti ne connaissait pas les spécifications des divers propulseurs, réacteurs et systèmes de survie dont dépendrait la station diabolique quand elle serait tout à fait opérationnelle, mais il pouvait imaginer tout cela.

Et parfois, l’imagination n’était pas une bonne chose.

La télémétrie indiquait des milliers de vaisseaux à portée des senseurs. Le voisinage immédiat de la station était rempli de vaisseaux de support qui apportaient les matériaux bruts et évacuaient les déchets. Certains étaient des navettes à courte portée, visiblement conçues pour effectuer le trajet entre le chantier et la prison de Despayre, autour de laquelle il était en orbite. D’autres étaient des transports de fret BFF-1. En contemplant l’incroyable entreprise qui se matérialisait sous ses yeux, l’apprenti se rendit compte qu’il venait de trouver la clé d’un mystère.

— Je suppose que ça explique ce que l’Empire voulait faire avec tous ces esclaves wookiees, dit-il. Des droïdes ne pourraient pas construire ce monstre tout seuls. Même s’ils y passaient mille ans ! Et la vermine qu’on trouve habituellement dans une prison impériale n’y suffirait pas non plus.

Juno hocha distraitement la tête, son attention concentrée sur le pilotage du vaisseau. Ils se déplaçaient rapidement, en faisant bien attention à la charge qu’ils imposaient aux cristaux de stygium du champ de dissimulation. Avec autant de vaisseaux impériaux dans le coin – y compris des dizaines d’escadrons TIE soutenus par pas moins de six Destroyers Stellaires qui patrouillaient la zone – il n’était absolument pas question de l’éteindre. Le Rogue Shadow devait arriver et repartir rapidement pour que Juno ne soit pas repérée et interceptée. Même en opérant à la vitesse maximale autorisée par la prudence, cela allait être serré.

À la simple pensée de ce qui devait arriver par la suite, il avait l’impression que son ventre était empli d’hydrogène.

Le Rogue Shadow vira au large d’un imposant transporteur de gaz, qui avançait péniblement sur leur route, et se glissa entre deux gros cargos, qui suivaient une trajectoire parallèle vers le pôle sud de la station. Un morceau de métal – peut-être était-ce le reste d’un accident, peut-être était-il juste tombé d’un transporteur de déchets trop rempli – roula sur leur passage et Juno laissa les boucliers accuser l’impact. La marge d’erreur devenait plus serrée à chaque kilomètre qu’ils parcouraient. Le temps qu’ils arrivent à portée d’atterrissage de la station, ce serait comme voler dans de la soupe.

— Juno…

— Ne le dites pas.

Elle braqua avec détermination son regard devant elle, tandis qu’elle manipulait les commandes :

— Ne dites rien.

Il s’accrocha tandis que les boucliers accusaient un autre coup, provoqué cette fois par un petit droïde, qui poursuivait un composant perdu, les manipulateurs tendus. L’impact fit tanguer le vaisseau.

Elle jeta un coup d’œil vers lui.

— Dites-moi simplement que vous êtes toujours sûr. C’est bien ça qu’on doit faire, non ?

— Oui.

Le Rogue Shadow traversa un nuage de gaz orange, qui laissa une traînée colorée sur la baie d’observation et sans doute sur la coque. Juno effectua un virage serré sur la droite pour éviter un rocher de la taille d’un petit astéroïde, qui allait leur tomber dessus, et faillit s’écraser dans un trio de chasseurs TIE qui apparut soudain derrière un autre cargo. Au cours de la manœuvre pour se mettre à l’abri, les boucliers encaissèrent encore cinq impacts supplémentaires. Le bouclier arrière gauche envoyait déjà un message d’alerte.

— OK, dit-elle, en actionnant des boutons à un rythme effréné.

Dans l’ombre d’une grue géante, le Rogne Shadow s’arrêta subitement.

— Ça suffit. Je ne peux pas vous emmener plus loin.

L’apprenti se leva et vérifia de nouveau les données télémétriques. Ils venaient juste de traverser un champ qui maintenait une atmosphère mince autour de l’énorme structure. Pour les esclaves, supposa-t-il. L’air était froid mais respirable et la surface était éloignée d’une centaine de mètres.

— C’est assez près, dit-il par-dessus le bruit de la rampe qui s’abaissait.

Son sabre laser pendait à sa hanche ; il n’y avait aucune raison de s’attarder.

— Garde le vaisseau camouflé et attends hors de portée de scanner.

Elle le suivit jusqu’à la rampe et l’accompagna même dehors, ce qui le surprit. Elle se tint d’une main à son épaule pour regarder par-dessus le bord. La vue donnait le tournis, des myriades de droïdes et de vaisseaux dont les feux de navigation clignotaient sans fin.

— J’ai un très mauvais pressentiment, dit-elle.

Il essaya d’adopter un ton détaché.

— Alors, ça veut dire qu’on fait ce qu’il faut.

Elle se détourna de la vue et leva les yeux vers lui.

— Est-ce que je vais vous revoir ?

— Si j’arrive à libérer les Rebelles, ils auront besoin qu’on les emmène loin d’ici.

Il faisait de son mieux pour paraître nonchalant mais les yeux de Juno lisaient au travers de cette apparence trompeuse.

— Probablement pas, non, avoua-t-il.

— Alors, je n’aurai jamais besoin de me faire pardonner ceci.

Elle l’attira vers elle et l’embrassa sur les lèvres avec fougue.

Il fut abasourdi, dans un premier temps. Puis le temps ralentit sa course et il eut l’impression qu’il tombait déjà. Avec une assurance inattendue, il la serra à son tour contre lui et respira son odeur, savourant sa présence entre ses bras – Juno Eclipse, ex-capitaine de la Marine Impériale et désormais pilote au service de l’Alliance Rebelle ; Juno, sa compagne et, à l’occasion, partenaire de discussion pendant ces longues semaines et ces longs mois ; la femme à qui il avait confié sa vie à plusieurs reprises et la confierait de nouveau sans hésiter une seconde.

Pendant un long et merveilleux moment, ils étaient juste Juno et Galen et tout allait bien.

Puis quelque chose heurta les boucliers du Rogue Shadow et le sol bougea sous leurs pieds. Ils s’écartèrent pour prendre appui sur quelque chose de plus stable.

Elle porta son regard vers l’intérieur du vaisseau, visiblement déchirée entre son devoir et Galen. Ses yeux brillaient de toutes les couleurs de l’Étoile Noire, et de leur propre teinte, un joli bleu vif.

Il prit position au bord de la rampe. Le goût de Juno était encore présent sur ses lèvres. Il sourit, malgré tout.

— Au revoir, Juno.

Avant qu’elle n’ait eu le temps de dire quoi que ce soit, il se retourna et plongea les bras étendus dans l’atmosphère trouble. Le pouvoir protecteur de la Force l’entourait d’une lueur dorée. Il tomba, aussi droit et libre qu’une flèche, vers la surface de l’Étoile Noire en contrebas.