CHAPITRE 22

Une silhouette débraillée émergea de la hutte en ruine, les yeux fous et l’air décidé. Avec détermination, il partit en suivant le cours de la rivière asséchée, selon les indications qu’il avait reçues à une autre époque, dans une autre vie. L’esprit vide, il laissa le devoir le guider. Le devoir envers son Maître, envers Juno, envers Kota, envers les Wookiees…

Envers lui-même, il ne savait pas quel devoir il avait.

Il n’avait jamais même imaginé qu’il y avait un lui-même auquel penser en dehors de sa relation à Dark Vador. Il s’était toujours envisagé comme quelque chose de fabriqué tout simplement, d’une certaine manière, le produit d’une des étranges expériences biologiques de son Maître, sans parents et sans maison, à part celle dont il se souvenait. Et si les visions qu’il avait eues étaient réelles et qu’il avait eu une famille, ici sur Kashyyyk ? Comment cela affectait-il sa place dans les plans de Vador ? Est-ce que cela changeait tout, ou rien ?

Juno l’appela sur le comlink pour lui demander s’il allait bien. Il lui répondit par l’affirmative. Elle lui demanda s’il en était sûr. Il répondit que oui. Elle paraissait blessée par ses réponses laconiques mais il ne pouvait rien y faire. Il débordait d’émotions – de la confusion et du doute, ainsi que de la certitude lugubre mais aussi de l’espoir – à tel point qu’il ne pouvait pas gérer les émotions de Juno en plus des siennes. Il faisait de son mieux pour ne rien ressentir du tout.

Galen ?

Il avait un travail à accomplir.

Tandis qu’il courait à travers les broussailles, pour mettre de la distance entre lui et les ombres sans fond de la hutte, il toucha ses mains à de nombreuses reprises, rassuré comme il ne l’avait jamais été auparavant par la sensation de la peau contre la peau.

Les amarres étaient encore plus imposantes que ce qu’il en avait déduit des plans succincts affichés par le droïde astromec. Les instructions de sa maîtresse étaient simples : détruire les amarres, et la station orbitale serait fichue. C’était plus difficile qu’il n’y paraissait, étant donné l’importance des fortifications et de la sécurité en place.

Cependant, la simplicité lui convenait. Il n’avait pas envie de penser, de se tracasser des motivations et des méthodes. Il voulait juste agir. Sans la joie qu’il avait ressentie au moment de la prise d’assaut du pavillon ni le défi que représentaient les Gardes Impériaux noirs sur Bespin, il se tailla un chemin parmi les stormtroopers anonymes, comme un Wampa se frayerait un chemin dans la neige. Des éclairs Sith crépitèrent, des corps se rompirent sous la force irrésistible de sa télékinésie, son esprit influença les décisions des officiers, qui ordonnèrent aux subordonnés de s’attaquer les un les autres par troupeaux entiers. Personne ne pouvait lui résister et survivre.

Quand il atteignit la base de la station orbitale, il hésita un moment. Comment venir à bout de six structures hautes de plusieurs étages ? Leurs matériaux hyper-résistants étaient conçus pour supporter les efforts nécessaires au maintien de l’énorme station juste au-dessus, contre toutes les lois de la physique. Comment pouvait-il vaincre leur résistance ? La réponse, comme toujours, se trouvait dans la Force. La Force transcendait les lois de la physique. Rien ne résistait à la Force quand elle était manipulée par des mains assurées. La Force serait toujours suffisante.

Il tourna le dos au champ de bataille jonché de cadavres et posa les deux mains sur la base de l’amarre la plus proche. Puis il ferma aussi bien les yeux que son esprit à toute forme de distraction. Il s’imaginait ne faire qu’un avec le métal, le permabéton et la pierre. Il sentait les forces et les faiblesses de l’amarre. Il entra en résonance avec elle, jusqu’à ce qu’il devienne difficile de savoir où s’arrêtaient ses mains et où commençait le poteau d’amarrage.

Quand il eut atteint son niveau de concentration maximale, il invoqua le Côté Obscur et se laissa guider.

L’énergie déferla comme un barrage qui cède, aussi sauvage que tous les prédateurs de Kashyyyk assemblés mais aussi pure qu’un laser. Il inclina la tête en arrière et savoura le miracle et l’horreur de ce qu’il avait engendré. C’était un pouvoir beaucoup plus puissant que des éclairs Sith, conçu dans un seul objectif. Il fondit complètement dans cet objectif. Il devint lui-même destruction.

L’amarre trembla. Ses composants les plus délicats, des nanocâbles, des systèmes d’autorégulation sensibles, des canaux hydrauliques microscopiques, se mirent à fondre presque immédiatement. Une fois que les processus complexes qui maintenaient sa stabilité furent perturbés, une réaction en chaîne se déclencha, impossible à arrêter. Les pressions augmentèrent au-delà de leur capacité maximale, des petites fissures se formèrent et s’étendirent, une forte vibration démarra, qui ne pouvait être amortie. Même si on n’y touchait plus, l’amarre tremblait tellement qu’elle tomberait en pièces en quelques minutes.

L’apprenti maintint son assaut jusqu’à ce que les fissures légères deviennent des fentes béantes et que la vibration secoue la planète, ajoutant le fracas des matériaux qui rendaient l’âme aux bruits des tirs de canons blaster qui reprenaient. Quand la première pluie de poussières bouillantes et de fragments de la taille de galets s’abattit sur lui, il décida qu’il était temps de se retirer et de faire le point – puis d’empêcher de malheureux stormtroopers de le surprendre par-derrière et de lui tirer dans le dos.

Il ouvrit les yeux et regarda en l’air. L’amarre était quasi méconnaissable. Des décharges électriques dansaient le long de toutes les surfaces conductrices. Du permabéton ultra-tendu coulait comme du sirop. Des fragments plus gros commencèrent à tomber. Il les balaya avec la Force, ne se sentant pas plus épuisé par son effort que s’il avait couru à petites foulées. Sa réussite le fit presque sourire mais il fut complètement refroidi par une dure réalité.

Une amarre abattue. Encore cinq à abattre.

Les Impériaux se rassemblaient. Il était temps de leur rappeler à qui ils avaient affaire. Il traversa les broussailles pour rejoindre l’amarre suivante et, en chemin, fit exploser des réservoirs de carburant et des réserves d’explosifs. Des TR-TT se fendirent comme des cosses de petits pois et explosèrent en faisant long feu. Il atteignit sa cible sans rencontrer de résistance sérieuse et l’abattit de la même façon que la première.

À présent, les Impériaux au sol demandaient des renforts aériens. Un trio de chasseurs TIE fit irruption dans l’atmosphère de Kashyyyk avec un hurlement, traçant des aiguilles de feu dans le permabéton noirci. L’apprenti éclata d’un rire sans joie. C’était ça leur solution ?

Il poussa au bon moment sur le panneau solaire bâbord du chasseur TIE de tête et l’envoya s’encastrer dans le permabéton, où il explosa immédiatement. L’impact secoua le sol sous ses pieds et provoqua de longues fissures sur la surface.

Cela lui donna une idée. Quand les deux chasseurs TIE restants repassèrent, il les envoya tous les deux dans la troisième et la cinquième amarre. La quatrième subit tellement de dommages collatéraux qu’elle souffrit presque autant que ses pairs.

Il ne restait plus qu’une amarre.

Tandis qu’il se tournait dans sa direction, il entendit le bruit métallique d’un TR-TT qui arrivait dans son dos. Il fit volte-face juste à temps pour dévier un barrage de tirs d’armes de précision, jailli du nez d’un bipode qui fonçait droit sur lui, aussi vite que le lui permettaient ses deux jambes mécaniques. Une rafale de grenades à concussion suivit.

Il les fit toutes exploser avant qu’elles ne l’atteignent et repoussa la furieuse apparition de gaz brûlants à l’aide d’une sphère d’énergie, qu’il déploya autour de lui.

Le TR-TT ne comprit pas le message. Il se déplaçait vite et enfonçait ses pieds plats comme s’il essayait, littéralement, de le piétiner. Peut-être essayait-il de le faire. Le bipode portait des marques d’immatriculation qui l’identifiaient comme celui du Commandant de l’armée de terre de l’Empire.

Le capitaine Sturn était venu achever le travail que ses subordonnés avaient misérablement raté.

L’apprenti se pencha pour éviter les pieds qui cherchaient à l’écrabouiller sur leur passage et envoya un éclair à l’arrière du bipode. Rien ne se produisit. Le bipode de Sturn possédait, de toute évidence, une couche supplémentaire de blindage, largement supérieure à celle dont étaient équipés les véhicules de ses fantassins. L’armement du TR-TT le distinguait aussi des autres. Il comprenait un canon de chasse doté d’une très longue bouche à feu et, sur son flanc gauche, une arme qui semblait être un lance-filets.

Sturn fit avancer le bipode. L’apprenti tenta d’influencer son esprit mais il le trouva impénétrable, car trop plein de haine et de rancœur, mais pas de peur. Sturn n’était pas le genre d’homme à être effrayé par un seul adversaire. Il était convaincu d’être invincible, certain qu’il n’y avait aucune résistance qu’il ne pouvait écraser. L’apprenti avait rencontré à de nombreuses reprises des hommes dans son genre. L’armement complémentaire du TR-TT le confirmait, d’ailleurs. Il imaginait bien Sturn chasser les Wookiees pour le sport, quand il n’était pas occupé à persécuter les officiers en dessous de lui pour le plaisir ou à comploter pour trahir ses supérieurs. L’apprenti avait envoyé des hommes de ce genre au service de son Maître.

Il sourit sans bonne humeur. Normalement, il n’aimait rien tant que remettre les gens à leur place mais, là, c’était simplement irritant.

Le bipode de Sturn courut à lourdes foulées dans sa direction. Il considéra les possibilités qui s’offraient à lui. Il lui serait très facile d’écraser le TR-TT comme il le ferait avec un comlink défectueux, en provoquant l’effondrement du blindage, pour tuer sur le coup l’homme à l’intérieur. Il pourrait jouer avec le bipode comme il avait joué avec les deux autres près du pavillon et le faire exploser de l’intérieur. Il pourrait même l’utiliser comme bélier pour détruire la dernière amarre, ce qui lui permettrait de faire d’une pierre deux coups. L’ironie noire de cette dernière possibilité l’attirait.

Il détourna une nouvelle volée de tirs de canon vers l’amarre et remarqua seulement à ce moment-là que le câble épais qui menait à la station orbitale vibrait de façon manifeste. Il était pris d’étranges secousses sur toute sa longueur, comme s’il avait été pincé entre les doigts d’une main géante. L’apprenti se protégea les yeux pour ne pas être ébloui par le soleil et regarda vers le haut. La station orbitale était à peine visible, pas plus que le nuage de débris qui tombait d’en haut. De petits grains devenaient rapidement des objets aussi gros que des rochers. Leur taille augmentait à toute vitesse.

Il effectua un rapide calcul mental. Les débris s’abattraient au sol à peu près au moment où le bipode de Sturn passerait. Parfait.

Il étendit les bras et froissa le canon et les lanceurs de grenades du bipode. Pendant un moment, les seuls bruits audibles furent ceux de son sabre laser et les pas lourds du TR-TT.

Il se redressa. À travers le hublot de commande, il vit un homme au visage rouge, dont l’uniforme était bordé de ce qui ressemblait à de la fourrure de Wookiee. Le capitaine avait la bouche ouverte et hurlait des ordres à son pauvre artilleur.

L’apprenti ne pouvait distinguer les mots mais il les imaginait sans peine.

Le bipode éleva une jambe pour l’écraser contre le sol.

À ce moment précis, les fragments s’abattirent avec la force de cent étoiles filantes. Ils touchèrent tout ce qui se trouvait autour de la base de la station orbitale – y compris les six amarres – et réduisirent le bipode en morceaux de ferraille. Des débris volèrent dans toutes les directions. Le bruit était inouï. L’apprenti ne broncha pas et ne bougea pas d’un cil tandis qu’une pluie de gravats s’abattait autour de lui. Il regardait seulement, plein de satisfaction, la base de la station orbitale se décrocher de la planète et s’enrouler comme un fouet dans l’atmosphère supérieure. La station explosa peu après, brillant pendant un instant plus fort que le soleil, même à travers la poussière et la fumée du travail que l’apprenti venait d’accomplir.

La pluie de gravats cessa. Il resta figé au même endroit, hypnotisé par l’étoile qui disparaissait lentement dans le ciel, jusqu’à ce que le Rogue Shadow descende en piqué juste devant lui, les répulseurs gémissant pour le maintenir au-dessus du sol.

Il cligna des yeux et se rendit compte, seulement à ce moment-là, que Juno essayait de lui dire quelque chose.

— Je disais c’est fait. Sautez à bord. Partons d’ici.

Il avança comme s’il était pris dans une nouvelle vision, il sauta avec légèreté sur la rampe ouverte mais il avait l’impression de peser des tonnes.

Avec un gémissement perçant, le vaisseau camouflé s’éleva du sol couvert de cratères et se dirigea vers l’espace libre.