CHAPITRE 25

Juno rejoignit le cockpit juste avant que l’apprenti n’envoie PROXY la chercher. Il avait été la voir un peu plus tôt ; elle dormait alors à poings fermés mais ne semblait pas reposée pour autant. Son état paraissait assez proche de ce qu’il ressentait lui-même, en fait : il était profondément affecté par les événements récents mais s’efforçait de n’en rien laisser paraître.

Je suis épuisée, avait-elle dit. Il avait été frappé en entendant ces mots par le fait qu’elle sous-entendait probablement bien plus qu’un simple manque de sommeil. Être à son service se révélait peut-être une contrainte émotionnelle trop stressante pour elle ? Sa mission était beaucoup plus importante que le conflit intérieur que Juno traversait au sujet de sa trahison envers l’Empire, mais pour atteindre le but fixé par son Maître – et ainsi réussir à défier l’Empereur – il avait besoin de son aide. Tout en réglant ses propres problèmes, il lui faudrait trouver un moyen de la décharger quelque peu.

Kota n’était pratiquement d’aucune aide. Le vieil homme avait l’air tellement obnubilé par ses problèmes qu’il semblait à peine remarquer les autres. Quand Juno les rejoignit, il gratta juste son menton mal rasé et s’enfonça plus profondément dans son siège.

Ils formaient une drôle d’équipe, tous les trois. Il n’y avait que PROXY qui semblait bien dans sa peau, content de lui et de ses objectifs. L’apprenti aurait aimé pouvoir en dire autant.

Toute ma vie, je me suis seulement considéré comme l’apprenti de Dark Vador, Maintenant, je me rends compte que j’ai peut-être eu un passé avant cela : un père, un nom, une histoire.

Qui était ce Galen ? Quels étaient ses rêves, ses espoirs, ses craintes ? Qu’est-ce qui le faisait rire ? Qu’est-ce qui le faisait pleurer ?

Cela paraissait inconcevable qu’il ait pu oublier quelque chose d’aussi traumatisant que la mort de son père mais il savait qu’un choc intense pouvait causer une amnésie partielle ou complète. Aucune hypothèse ne pouvait donc être écartée.

Mais la question demeurait : était-ce important ? Peu importe, au fond, qui il avait été un jour, cet être était oublié et son objectif demeurait inchangé. Il était l’apprenti de son Maître, ils seraient victorieux, et Juno apprendrait alors qu’en fin de compte, elle n’avait pas trahi l’Empire. Si seulement, pensa-t-il, je pouvais le lui expliquer maintenant…

Il se leva pour la laisser s’asseoir puis se pencha vers PROXY, pendant qu’elle vérifiait le trajet qu’ils avaient encodé tous les deux.

— Pas mal, dit-elle. (Elle n’apporta que quelques légères corrections.) Pas de collision en vue, en tout cas.

— Merci, capitaine Eclipse. (PROXY ronronna de fierté.) D’après mes estimations, nous arriverons dans une minute standard.

— Vous voulez qu’on se pose quelque part en particulier ? demanda-t-elle à l’apprenti. C’est une grande planète.

— Toutes les navettes sénatoriales sont équipées d’un transpondeur, qui émet un signal unique, dit-il en se remémorant les nombreuses missions pendant lesquelles il avait volé pour son Maître, afin d’éliminer des ennemis politiques. Cherche le signal du Sénateur Organa, précisa-t-il, cela nous dira où atterrir.

Derrière la baie d’observation de la proue, l’hyperespace céda la place à l’espace réel. Felucia était juste devant eux, aussi débordante de vie et verte que dans le souvenir de l’apprenti. Il l’observa attentivement, à la recherche d’un signe du « déséquilibre » contre lequel Kota l’avait mis en garde. Il ne craignait pas le Côté Obscur. Cependant, il se sentirait plus à l’aise dans un monde où le bon équilibre entre la lumière et l’obscurité avait été rétabli. La mort de Shaak Ti avait dû avoir un effet profond sur la planète et ses habitants.

— La recherche du transpondeur est en cours, annonça Juno. Ça ne devrait pas prendre longtemps. Felucia est aussi tranquille que… Ah, oui. Le voilà. Vous aviez raison.

Juno mena le Rogue Shadow sur une orbite rapide à travers les deux de Felucia, calculant par triangulation la position du signal de Bail Organa. Le transporteur avait atterri très près de là où l’apprenti et elle s’étaient posés la première fois, même si aucun des deux n’évoqua cette coïncidence devant Kota. L’apprenti resta en position tandis que le vaisseau descendait le long d’une trajectoire de vol soigneusement contrôlée. L’atmosphère tourbillonnait autour d’eux, toujours aussi chargée de pollen et de formes de vies aériennes qu’avant. Des nuages de bactéries pullulaient dans l’air et couvraient la baie d’observation d’une fine patine verdâtre. Il n’avait pas remarqué ce phénomène la première fois et espérait que cela n’affecterait pas l’intégrité de la coque.

— Je détecte des signes d’une importante présence impériale au sol, annonça Juno pendant qu’ils entamaient leur descente, mais je suppose que c’est le cadet de vos soucis.

Juno les posa sur un autre chapeau de champignon robuste, plus sûre d’elle que lors de sa première tentative. Le transporteur d’Organa était rangé de l’autre côté, les écoutilles ouvertes. Les senseurs du Rogue Shadow ne détectaient pas le moindre signe de vie à bord. Pendant le saut dans l’hyperespace, l’apprenti avait accédé aux archives sur Bail Organa, Sénateur Impérial et Prince d’Alderaan. Le visage de l’homme lui avait semblé étrangement familier, cela l’avait frappé. Il était grand, avait les cheveux foncés et portait une barbiche poivre et sel. Son regard était profond et pensif. L’apprenti était sûr de l’avoir déjà croisé… mais où ? Pas au cours d’une de ses missions pour Dark Vador, ça il en était certain. Il espérait que, s’ils s’étaient rencontrés dans son passé secret, cela ne mettrait pas sa mission en péril…

— Voulez-vous m’accompagner, général ? demanda-t-il au vieil homme.

— À quoi est-ce que je te servirais là en bas ? rétorqua Kota. Tu t’en tireras mieux sans moi, je ne ferais que te retarder.

— Comme vous voulez.

L’apprenti descendit la rampe.

— Attendez.

Juno le suivit et se mit à courir pour le rattraper au plus vite.

Il se retourna, croyant qu’il avait oublié quelque chose mais elle le prit par le bras et le guida en bas de la rampe, vers le transporteur vide.

— Vérifions qu’il n’est plus là-dedans, mort, et qu’on n’est pas venu ici pour rien, avant que vous n’alliez courir la jungle.

Quelque chose dans le ton de sa voix l’intrigua. Il se laissa guider hors du Rogue Shadow. Le transporteur était un petit modèle, assez grand pour cinq personnes, avec un hyperpropulseur efficace et parfaitement entretenu. Ses flancs portaient les armoiries de la famille Organa et celles d’Alderaan, que le Sénateur représentait toutes deux. Aucun signe d’intrusion n’était visible, si ce n’est celle d’une petite colonie d’insectes volants qui avaient élu domicile dans le quartier des passagers, petit mais cossu.

Le vaisseau était effectivement vide. L’apprenti se tourna vers Juno pour partager avec elle cette évidence mais elle avait étendu le bras dans son dos pour activer les contrôles du sas. La porte se referma dans un glissement, les enfermant hermétiquement à l’intérieur avec l’essaim d’insectes décontenancés. Avant qu’il ait pu dire quoi que ce soit, elle mit un doigt sur ses lèvres et éteignit leurs comlinks.

— Voilà, dit-elle.

Elle recula et s’essuya nerveusement les mains sur son pantalon. Avec ses bottes, c’est tout ce qui lui restait de son ancien uniforme.

— Maintenant on peut parler en privé.

— Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-il.

Il commençait aussi à se sentir nerveux. Les parois du petit sas dans lequel ils étaient enfermés lui semblaient soudain trop proches.

Elle évita son regard et indiqua la cale passagers de la navette :

— Je pense que la piste d’Organa s’arrête ici.

— On dirait bien, répondit-il, de plus en plus intrigué.

— Où allez-vous commencer à le chercher ?

— Là où j’ai affronté Shaak Ti la première fois. S’il a suivi sa trace jusque-là, il est peut-être encore dans le coin.

Les yeux bleus de Juno rencontrèrent les siens, puis se détournèrent.

— Cela ne vous dérange pas de revenir ici après… après ce qui s’est passé la dernière fois ?

— Non, dit-il en expirant par le nez, si je me laisse affecter par ce qui s’est passé, Maître Kota le sentira.

— Exactement.

Elle tendit la main vers lui et s’accrocha à son bras. Elle concentra soudain toute son attention sur lui :

— C’est cela qui m’inquiète. C’est dangereux de le garder avec nous. S’il découvre qui vous êtes – qui vous étiez, je veux dire – il ne nous pardonnera jamais.

Il sentit son estomac se serrer.

— Nous n’avons aucune raison de nous sentir coupables.

— Je sais, mais…

— Ne t’en fais pas, Juno. Vraiment.

Il mit une main sur la sienne et la serra gauchement. Sa peau était douce. Il était bien conscient de l’odeur entêtante qu’elle dégageait dans cet espace confiné. Il aurait voulu plus que tout la rassurer mais devinait que les mots ne suffiraient pas.

— Si Kota devine qui je suis, je ne lui laisserai pas l’occasion de le répéter.

Cette déclaration n’eut pas l’effet escompté. Elle s’écarta et se tourna vers la sortie.

— C’est bien ce que je crains, dit-elle, la main sur le bouton de contrôle du sas.

De l’air et de la lumière s’engouffrèrent, quand la porte s’ouvrit avec un sifflement. Il cligna les yeux face à cette soudaine transition et à la fin du bref moment d’intimité qu’ils venaient de partager. Un message était passé mais il ne savait pas très bien lequel. Malgré ses efforts, il n’avait pas réussi à lui donner ce qu’elle attendait de lui. Le réconfort en faisait certainement partie, la preuve de sa vraie allégeance également, sans doute. Il cherchait quels mots pourraient la faire revenir mais il put juste la regarder s’éloigner vers le vaisseau.

— PROXY, appela-t-elle par le comlink en scrutant une bouche d’aspiration couverte d’un dépôt gluant vert, viens ici pour m’aider à débarrasser le navire de cette cochonnerie.

L’apprenti comprit le message. Il devrait résoudre ce problème plus tard, une fois qu’il aurait récupéré Bail Organa, sain et sauf. À ce moment-là, sa mission deviendrait encore plus complexe et dangereuse. C’était une chose de porter secours à un vieil homme ; prouver ce qu’il valait à une adolescente comme lui – fût-elle dotée de talents aussi patents que ceux de Leia Organa – n’était que légèrement plus difficile. Bail Organa, en revanche, avait survécu à l’usurpation du Sénat par Palpatine, à la purge des Jedi ; il devait certainement être doué pour détecter et éliminer les espions. Une fois Organa dans son camp, l’apprenti se retrouverait bel et bien de l’autre côté des lignes ennemies et risquerait d’être démasqué comme traître à la fois à la cause rebelle et à l’Empire, s’il était découvert par une des deux factions. Ses pouvoirs étaient loin d’être négligeables maintenant, et ils augmentaient à chaque mission, mais cette épreuve-ci allait éprouver chacune de ses capacités jusqu’à ses ultimes limites.

D’une certaine façon cependant, il se tracassait bien plus pour Juno. Son Maître lui avait donné une formation intensive dans l’art de la violence et de la duplicité. Les femmes étaient un sujet auquel il ne connaissait rien.

Il lui jeta un dernier regard. Elle travaillait avec diligence pour assurer la bonne marche de la mécanique qu’on lui avait confiée. Il réactiva son comlink et se fraya un chemin dans la jungle fétide.

En un rien de temps, ses sens se mirent au diapason des champs vitaux, vastes et entremêlés, de ce monde fécond et surabondant. L’équilibre avait bel et bien basculé profondément en direction du Côté Obscur depuis sa dernière visite. La nouvelle ambiance lui était familière mais guère agréable, il avait l’impression qu’on le reconnaissait, certainement pas qu’on l’accueillait. Cela le surprit et accapara son esprit y compris pendant qu’il se défendait contre tous les prédateurs valides que la planète se sentait obligée d’envoyer à sa rencontre.

C’était son impression, du moins. Comme Shaak Ti ne maîtrisait plus leur sensibilité à la Force, les espèces endémiques de Felucia le combattaient à chacun de ses pas. La jungle était couverte d’ombres profondes et puait la pourriture. Des plantes à bulbes explosaient à son approche, le couvrant de gouttelettes acides. Des plantes grimpantes, noueuses et puissantes, entravaient ses chevilles ou entouraient sa gorge, tandis que des sangsues venimeuses s’accrochaient à ses bottes chaque fois qu’il mettait le pied dans une flaque. Des bancs de sable mouvant l’aspiraient, presque comme s’ils étaient vivants. De grandes raies volantes, dotées de mâchoires tranchantes et pointues, fondaient sur lui à travers les branchages, tentant de mordre sa tête, tandis que des excroissances de champignons horriblement animées collaient d’épaisses lèvres pulpeuses contre lui, sur son passage.

Une fois, alors qu’il s’abritait sous un arbre pour échapper à un agresseur aérien, l’arbre lui-même tenta de le tuer. Avec un craquement assourdissant, le tronc se détacha de la souche et s’abattit sur lui. Il aurait été écrasé contre le sol s’il n’avait sauté sur le côté juste à temps. Surpris et médusé, il écarquilla les yeux tandis que de nouvelles racines sortaient de l’écorce en se tortillant. Elles cherchaient de toute évidence à se nourrir de la créature que l’arbre pensait avoir écrasée sous son poids. Une myriade de charognards, certains si petits qu’ils étaient invisibles, d’autres de tailles gigantesques, accoururent au bruit, dans l’espoir de profiter du repas que l’arbre avait préparé.

L’apprenti s’éloigna autant qu’il le pouvait de ce lieu qui allait être la scène d’une âpre compétition.

Il n’avait encore rencontré aucune des espèces intelligentes mais il imaginait bien qu’elles ne seraient pas moins agressives que les autres formes de vie sur cette planète. Bien qu’il combatte comme elles du Côté Obscur, elles ne lui témoignaient aucune allégeance. À vrai dire, la notion même d’allégeance était étrangère au Côté Obscur. La joyeuse famille à laquelle les Jedi avaient cru était un mensonge ou, à tout le moins, une idée fausse. La nature était sans pitié ; l’harmonie n’était pas l’état dominant. Des trêves pouvaient se former mais elles n’étaient jamais que de courte durée. Les Sith comprenaient cela. Son Maître comprenait cela. La relation entre un Maître et son apprenti avait toujours été tendue – et de cette tension découlait un grand pouvoir.

Shaak Ti comprenait cela aussi. Les Sith finissent toujours par trahir, avait-elle dit, exactement comme toutes les formes de vie finissent par trahir les autres, si elles se laissent aller à leur penchant naturel. La paix et l’harmonie étaient des aberrations imposées de l’extérieur, auxquelles il fallait résister en permanence.

Une équipe de stormtroopers en reconnaissance tomba sur lui alors qu’elle se dirigeait vers l’endroit où le Rogue Shadow avait atterri. L’un des soldats devait avoir aperçu la descente de ses propres yeux, puisque le champ de dissimulation bloquait tous les types de détecteurs électromagnétiques. Il prévint Juno et lui suggéra de déplacer le vaisseau. Elle accepta sa suggestion et il se remit à éliminer les Impériaux qu’il avait rencontrés. Ils se battaient au bord d’un lac de sables mouvants, dans lequel l’apprenti balança plusieurs de ses assaillants à l’aide de la télékinésie. Ils s’enfoncèrent sans attendre, à cause de leurs lourdes armures. Leurs appels au secours retentirent dans les comlinks de leurs compagnons, jusqu’à ce que leurs réserves d’air finissent par s’épuiser. La cacophonie des blasters et du sabre laser attira l’attention d’autres charognards et fit même rugir un rancor à petite distance de là.

L’apprenti inclina la tête pour écouter. Il laissa filer le dernier stormtrooper, qui détala dans la jungle, réclamant des renforts avec frénésie, et concentra son attention sur un sentiment dans ses entrailles, qui lui donnait l’impression que quelque chose se tramait. Un piège peut-être. Les Feluciens se déplaçaient à dos de rancors. Si ces bêtes féroces avaient remarqué le raffut, il y avait beaucoup de chance que leurs maîtres l’aient remarqué aussi.

Il resta immobile. Autour de lui, la jungle s’agitait sans relâche et se rétablissait des suites de son échauffourée avec les stormtroopers. Des oiseaux retournaient dans leurs perchoirs, des insectes volants reformaient leurs essaims, de petits lézards reprenaient leurs fouilles. Au loin, des animaux s’appelaient, poussaient des hurlements et des cris stridents, à la recherche de compagnons ou de nourriture. En surface, le paysage luxuriant semblait inchangé.

Mais il savait…

Son impression fut confirmée quand trois énormes guerriers feluciens bondirent des sables mouvants en poussant de cris puissants dans leur langue.

Il était prêt à les accueillir mais le Côté Obscur les avait rendus plus forts. Leurs lames en os de rancor faisaient danser des étincelles de lumière rouge autour de leurs coiffes décorées. De leurs traits invisibles s’échappaient des grognements assoiffés de sang. Leur désir de vaincre était palpable. Il bloqua leurs coups avec difficulté avant de mettre hors d’état les jambes d’un premier pour le déséquilibrer et d’empaler un autre par la poitrine.

Deux contre un n’était pas à proprement parler une bataille équitable. Bientôt, il fit tomber une branche pourrie pour égaliser le nombre. Un éclair Sith acheva le dernier combattant, même s’il dut lutter encore jusqu’à ce que la coiffe de la créature s’enflamme avant qu’elle ne meure enfin. La fumée était fétide.

Un autre rancor rugit, plus près cette fois. Craignant une seconde embuscade, l’apprenti courut dans la jungle épaisse, lacérant et taillant tout ce qui se trouvait sur son passage.

Quand il atteignit le village, il le trouva déserté et décrépit. Ses maisons étaient affaissées comme de la cire fondue, la rivière était couverte d’écume empoisonnée. Le sarlacc dans lequel Shaak Ti était tombée était mort et la bile qui s’échappait de son énorme dépouille contaminait le sol à des centaines de mètres à la ronde. L’apprenti se tint au-dessus de cette trappe putride, il essaya de ne pas respirer et s’interrogea sur sa prochaine destination.

Le Côté Obscur était plus puissant près du sarlacc qu’à n’importe quel autre endroit de son court trajet. Il invoqua la Force et creusa cette impression pour déterminer son origine. Le sarlacc ne pouvait être la source de cette étrange concentration, étant donné qu’il était mort depuis longtemps. Lui-même n’aurait jamais pu laisser une trace aussi indélébile, même à la suite du meurtre d’un membre du Conseil des Jedi. Quelque chose d’autre causait l’obscurcissement des flux de vie. Quelque chose ou quelqu’un…

Cette montée du Côté Obscur l’attira vers le nord, le long d’un étroit sentier qui s’éloignait du village. Il le suivit en se demandant ce qu’il pouvait y avoir au bout. Il affronta plusieurs groupes de Feluciens montés sur des rancors, l’écume aux lèvres, à peine contrôlables. Leur comportement lui donna l’impression qu’il se dirigeait dans la bonne direction. Quand ils couraient pour lui échapper, ils cherchaient toujours à le détourner du sentier. Quand il le rejoignit, un nouveau groupe de Feluciens fit son apparition. Bientôt, il combattit plus d’une dizaine de rancors et au moins autant de guerriers feluciens. Plus ils étaient déterminés à l’arrêter, plus il était déterminé à faire l’impossible pour que sa présence ne soit pas remarquée. Si un escadron d’impériaux se joignait au chaos, le conflit menaçait de s’éterniser un peu trop longtemps pour lui.

Le cri d’agonie du rancor était un son qu’il avait emporté avec lui, suite à son dernier passage sur Felucia, et qui dérangeait parfois ses rêves. Il n’avait jamais cru qu’il pourrait s’y habituer si vite…

Il continua sa route en suivant l’étrange signature de Force, allant d’une échauffourée à l’autre. La jungle blessée et ses habitants décimés retombaient derrière lui. Une rencontre plus furieuse encore sembla marquer le passage d’une frontière invisible car, passé ce point, il n’y eut plus la moindre attaque. Soit les Feluciens avaient jeté l’éponge, soit on leur avait dit de se tenir à l’écart. C’était un bon conseil, pensa-t-il. Cela semblait du gâchis de se battre alors que les Feluciens, quel que soit leur nombre, ne parviendraient jamais à venir à bout de lui – à moins qu’ils ne trouvent des armes plus efficaces que leurs épées faites d’os aiguisés et leurs occasionnels coups de poing télékinétiques.

Une étrange forme apparut dans l’air épais et humide, juste devant lui. Le sabre laser brandi, il tourna autour et évalua la taille de la chose avant de se rapprocher. C’était le squelette d’un rancor mort depuis longtemps, ses os jaunes étaient verdis par la mousse et la moisissure. De puissantes côtes s’élevaient comme les barreaux d’une cage depuis une colonne vertébrale pratiquement invisible, enfouie sous la terre. Les os des jambes et les griffes formaient un fouillis inextricable. Le crâne – presque aussi grand qu’une petite maison – avait basculé sur le côté, la bouche ouverte. Des dents, de la longueur d’un bras, paraissaient encore suffisamment aiguisées pour déchirer de la chair.

L’apprenti passa avec respect devant le squelette. Il se rendit compte que le silence s’était abattu sur la jungle. Un autre squelette gisait à une dizaine de pas de là, puis deux autres plus loin. La présence de vieux os noircis qui dépassaient du sol, çà et là, confirmèrent l’impression grandissante de pénétrer dans un cimetière de rancors.

Surveillé par d’énormes orbites vides, il serpenta jusqu’au centre, là où l’obscurité paraissait la plus dense. Un grondement sourd brisa le silence angoissant, on aurait dit qu’un énorme animal se mettait à grogner. Quand un enclos entièrement constitué d’os surgit de la broussaille, il s’arrêta un moment pour l’observer.

Cela aussi, il l’avait déjà vu, quand il flottait dans cet étrange état, entre la vie et la mort. Il avait vu un homme, menotté, assis devant une lampe à l’intérieur d’un bâtiment construit en os – et cet homme était Bail Organa. Il l’avait reconnu sur les photos du dossier du Sénateur mais n’avait pas réussi à faire le rapport sur le moment. À présent, il savait.

Le père de Leia était dans l’enclos. Et, tout près, le Côté Obscur était particulièrement concentré. L’apprenti n’avait plus le moindre doute maintenant : les deux étaient intimement liés.

Tous les sens à l’affût du danger, il tourna autour de l’enclos à la recherche d’un passage pour entrer. Des os de dizaines d’espèces, du plus grand au plus petit, étaient entassés les uns sur les autres partout où il regardait. Les crânes humains étaient minoritaires ; la plupart avaient appartenu à des Feluciens ou à des espèces qu’ils chassaient. De gigantesques fémurs de rancors faisaient office de colonnes tandis que de longues côtes incurvées formaient des arcades et soutenaient le plafond. De petits os de doigts et d’ailes craquaient sous les pas.

L’intérieur de la structure formait un labyrinthe de passages et de petites pièces de formes irrégulières. Après avoir erré au hasard pendant une minute entière, il aperçut une lueur jaune au détour d’un coin et la suivit jusqu’à la cellule improvisée de Bail Organa.

L’homme était exactement tel qu’il lui était apparu dans la vision ; même l’odeur était identique. Un gigot de viande crue en décomposition traînait par terre, l’apprenti espéra que cela n’était pas censé être un repas.

Le prisonnier leva les yeux, surpris.

— Je suis venu vous libérer, Sénateur Organa, dit l’apprenti.

Il désactiva son sabre laser et s’agenouilla pour s’occuper des menottes. Organa était sale mais ne semblait pas avoir été blessé.

— C’est Maître Kota qui m’envoie.

— Ah ! Je savais qu’il ne pourrait pas rester longtemps à l’écart du combat.

Les menottes cédèrent et le Sénateur se pencha en arrière en se frottant les poignets.

— Je pensais qu’il m’en voulait de ne pas avoir suivi son conseil.

L’apprenti ne put dissimuler un sourire.

— Oh, ne vous en faites pas. Kota est fâché. Mais je pense qu’il souhaite pouvoir vous réprimander de vive voix.

Il voulut prendre son comlink mais le hurlement d’un rancor vint interrompre son mouvement. Ce rugissement était plus profond et plus furieux que tous ceux qu’il avait entendus auparavant. C’était si fracassant qu’une pluie de petits os d’oiseaux s’abattit sur eux, depuis la voûte macabre qui les surplombait.

Bail leva les yeux et déglutit nerveusement.

— C’est son animal de compagnie.

— L’animal de compagnie de qui ?

— Maris Brood. La Padawan de Shaak Ti, c’est ce quelle prétend, du moins. Elle me garde comme monnaie d’échange avec les Impériaux, pour acheter la clémence de Vador. Elle est devenue folle, si elle croit que cela changera quoi que ce soit.

L’apprenti roula les yeux.

— Toute cette planète est devenue folle.

Le rugissement se fit de nouveau entendre. Cette fois, le sol trembla. Quelque chose de gros et qui semblait affamé s’approchait.

— Oh, nous ne sommes pas fous, intervint une voix derrière eux.

L’apprenti effectua un rapide tour sur lui-même, le sabre laser activé.

Une maigre femme zabrak franchit l’entrée de la cellule, faisant tourner une arme courte dans chacune de ses mains. Elles semblaient plutôt inoffensives jusqu’à ce que les poignées s’éclairent d’une lueur rouge brillante, faisant apparaître deux lames de sabres laser miniatures. Elle les balançait nonchalamment autour d’elle, comme s’il s’agissait de simples bâtons de bois.

Quand elle fut certaine d’avoir toute son attention, elle ajouta :

— Nous venons de rejoindre le Côté Obscur.

L’apprenti la regardait fixement, mais pas à cause de ses mots. Son visage lui était aussi familier que celui de Bail Organa, avec ses traits ovales, ses lèvres noires et sept épines qui lui jaillissaient du front. Des tresses noires s’enroulaient de très près autour de son cou. Elle portait des bottes de combat, un pantalon en cuir et un bustier assorti, très court. La seule différence entre cette femme et celle qu’il avait vue au cours d’une de ses visions, c’était ses yeux rouge profond.

Quand Shaak Ti avait envoyé sa Padawan se cacher dans la jungle de Felucia, elle servait effectivement le Côté Lumineux de la Force. Maintenant, elle avait basculé et avait rejoint le Côté Obscur.

Parce que Shaak Ti était morte. Parce qu’il l’avait tuée.

Et maintenant, l’apprentie de Shaak Ti était venue le tuer.

Est-ce qu’elle savait tout cela ?

— Maris Brood ! dit-il en s’écartant d’un pas de Bail Organa.

Elle inclina la tête en signe d’assentiment.

— Et toi, qui es-tu ?

— Cela ne te regarde pas.

Il garda prudemment son sabre laser entre lui et les lames, qui tournoyaient de façon hypnotique. Le sol se mit à trembler plus fort.

— Je suis venu pour le Sénateur.

— Eh bien, tu ne peux pas l’emmener.

— Tu ne peux pas ne s’applique pas, dans ce cas-ci.

Elle sourit.

— C’est ce qu’on va voir, si tu veux.

— Recule, petite. Ne m’oblige pas à te faire du mal.

Elle rit.

— Oh, tu ne me feras pas de mal. Il ne te laissera pas faire.

Le bruit de tonnerre atteignit son paroxysme tandis que, dans un rugissement qui laissait penser que deux mondes entraient en collision, le plus gros rancor jamais vu écarta les murs d’ossements en les écrasant puis se pencha sur eux, la bave dégoulinant de ses mandibules. Sa peau était d’une blancheur cadavérique, ce qui lui donnait une apparence fantomatique, surnaturelle. Organa et l’apprenti volèrent en l’air, suivis par une avalanche d’ossements.

La tête bourdonnante, l’apprenti s’extirpa du tas d’ossements juste à temps pour éviter qu’un gigantesque pied griffu ne s’écrase sur lui. Il courut entre les énormes pattes, hors de portée de la queue agitée, il lardait de coups le ventre de l’animal sur son passage mais la peau de la créature était si épaisse qu’elle ne saignait même pas. Surmontée de défenses et de cornes plus longues que la taille de l’apprenti, la brute – qui appartenait de toute évidence à l’espèce des rancors taureaux – était de loin la créature vivante la plus énorme qu’il ait jamais vue. Une peau plus épaisse que certaines coques de vaisseaux stellaires protégeait son cou et sa tête. Chacun de ses mouvements était lourd mais puissant. Il dégageait une puanteur de chair étrangère mêlée aux effluves du Côté Obscur. Le déséquilibre qui avait fait basculer Maris dans le camp opposé aux Jedi avait également transformé ce qui avait été sans doute une noble bête en un monstre insatiable.

Et maintenant, il devait le tuer. Son esprit était très clair sur ce point, même si les détails précis lui échappaient. Le rancor avait senti son odeur et toute la volonté maléfique de Maris l’aiguillonnait pour qu’il attaque l’apprenti. Entre les mains avides et la terrible queue, il allait déjà avoir bien du mal, ne fut-ce que pour l’approcher. Quand il tenta de la renverser en utilisant la Force, la bête se contenta de rugir de mécontentement. Les éclairs Sith glissaient sur sa peau blindée comme de l’eau. Il aurait pu tenter de l’entailler avec son sabre laser des années durant sans arriver au moindre résultat. En plus du reste, son cerveau était petit et déjà dominé par la volonté de Maris.

La situation semblait désespérée. Essayer de courir plus vite que lui était inutile et il doutait même que Juno puisse se poser assez longtemps pour qu’Organa et lui montent à bord puis décoller avant que les quelques tonnes du rancor taureau ne viennent défoncer la coque du vaisseau. S’il ne pouvait ni se battre ni s’enfuir, quelles autres options s’ouvraient à lui ?

Il temporisa. Il se baissait pour esquiver les coups de la bête et lui faisait décrire des cercles en se demandant si elle allait finir par se fatiguer ou par avoir assez faim pour ne plus s’intéresser à lui, malgré les exhortations de Maris. Il paraissait infatigable pourtant et Maris comprit vite la tactique. Lorsqu’il s’approcha de la croupe de la créature pour l’obliger à se retourner, elle apparut, faisant tournoyer ses deux lames, pour tenter de le pousser vers les énormes mâchoires claquantes.

Il roula sous le menton du rancor taureau, large comme un rocher, et fut frappé de plein fouet par son haleine humide et chaude. La vue de ses dents ne le rassura pas du tout. Si Maris arrivait encore à le surprendre ou s’il commettait une erreur, ces dents pourraient bien mettre fin à tous ses espoirs de servir aux côtés de son Maître à la tête de la galaxie.

Ces dents…

Tous ses pouvoirs inutiles…

Une ébauche de plan prit forme dans sa tête. Au début, cela semblait fou – mais pas moins fou, en un sens, que de faire s’écrouler une station orbitale ou de tuer un Maître Jedi.

Il profita du balancement de la queue mortelle du rancor taureau pour sauter dessus. La bête déplaça son énorme corps blanc, secouant le sol à chaque pas, et fixa ses yeux porcins sur lui. Sa bouche baveuse s’ouvrit, non pas pour rugir mais pour bondir sur lui et le couper en deux. La bête banda ses muscles, aussi épais que des troncs d’arbre, et baissa la tête pour mieux frapper.

Quand sa gueule fut ouverte au maximum, l’apprenti fit deux pas, inspira profondément et sauta à l’intérieur.

L’odeur à elle seule faillit lui faire perdre connaissance, mais c’était le moindre des dangers qu’il avait à affronter. Il utilisa la Force pour maintenir la mâchoire ouverte juste assez longtemps pour éviter les dents, au moment où elle se refermait. Puis l’obscurité s’abattit et la langue de la créature devint la plus grande menace. Son sabre laser – la seule source de vie dans cette trappe sombre et dégoulinante – en vint à bout rapidement. La tête du rancor taureau fut secouée d’un côté à l’autre mais la volonté de l’apprenti parvint à neutraliser le réflexe d’ouvrir la bouche – un détail que Maris n’avait pas pensé à contrôler.

Pour tenter d’assommer la bête, l’apprenti invoqua tout le pouvoir de la Force et expédia un éclair Sith crépitant dans le palais vulnérable de la créature.

Tous les neurones du cerveau de la bête s’allumèrent comme un feu d’artifice. Les secondes qui suivirent furent parmi les pires que l’apprenti n’ait jamais connues. Les convulsions du rancor taureau furent violentes et prolongées. L’apprenti s’accrocha à la vie, à moitié noyé dans le sang, à moitié étouffé par l’air fétide, les bras et les jambes fermement arc-boutés contre les parois de chair secouées.

Mais la bête ne mourut pas. L’apprenti n’arrivait pas à y croire. Misérable, affaibli, trébuchant, le rancor s’accrochait à la vie avec la ténacité de Kota. Tout aussi désespéré, l’apprenti joua sa dernière carte.

Il lâcha une puissante décharge d’énergie télékinétique pour faire exploser la tête du rancor de l’intérieur.

L’apprenti tomba immédiatement. Un torrent de sang et de liquides infects remonta de la gorge béante et l’expulsa vers le champ d’ossements. Aveuglé, pris de haut-le-cœur, il eut du mal ne pas lâcher son sabre laser, tandis que le gigantesque corps sans tête s’abattait sur le sol derrière lui dans un fracas assourdissant et humide.

Heureusement qu’il avait gardé son arme, car Maris fut sur lui en un instant, les lames bourdonnant et tournoyant. Il leva son sabre juste à temps pour éviter de se faire décapiter et se remit maladroitement sur pied pour dévier une autre tentative.

— Tu m’as mise en colère, maintenant, dit-elle, tu vas le regretter.

— Je t’ai laissé un choix, dit-il en bloquant un nouveau double coup, c’est toi qui as tué cette chose, pas moi.

— Le Côté Obscur ne coupe pas les cheveux en quatre, dit-elle avec mépris.

Ses yeux étaient rouges comme des braises tandis qu’elle faisait pleuvoir les coups sur lui. Il chancela vers l’arrière, affaibli, et pas seulement par sa bataille avec le rancor taureau.

Il se battait contre lui-même. Il ne s’agissait cependant plus d’une sorte d’hallucination inspirée par les flash-back, où Jedi et Sith luttaient en lui pour contrôler son futur. Cette fois, la bataille était réelle et son adversaire possédait autant de ressources du Côté Obscur qu’il n’en avait jamais possédé lui-même. Elle aussi avait perdu quelqu’un à qui elle tenait beaucoup, elle aussi avait été forcée à se débrouiller toute seule dans la dure galaxie. Ils auraient dû s’entraider et non se battre. Mais la présence de Bail Organa l’empêchait d’évoquer l’éventualité d’une trêve. Il utilisait même des positions Soresu contre ses attaques abruptes et imprévisibles, exactement comme la vision de lui en tunique Jedi l’avait fait.

Et cependant…

Tandis qu’il se défendait, il ne vit dans ses yeux que de l’auto-apitoiement et de la peur. Ces deux émotions étaient inférieures à la colère pure, bien que toutes deux puissent servir de puissantes voies d’accès vers la véritable maîtrise du Côté Obscur, dont son Maître lui avait fait la démonstration. Maris était novice, elle commençait à peine son voyage – comme lui, qui voyageait sur un chemin pour atteindre la maîtrise complète. Pour la première fois, il comprit que la Force n’existait pas seulement en deux nuances, obscure et lumineuse, bien distinctes et en lutte permanente, qui ne se rencontraient jamais à mi-chemin pour former du gris. Ces deux pôles n’étaient que des idéaux, et les idéaux n’existaient que pour que les philosophes et les théoriciens débattent. Dans le monde réel, l’obscurité et la lumière coexistaient dans des proportions variées ; rien n’était jamais statique. Ainsi, cette ancienne Padawan Jedi pouvait rejoindre le Côté Obscur après avoir servi la lumière toute sa vie – et elle pouvait tout aussi aisément retourner ensuite à la lumière, si elle survivait.

La lumière, l’obscurité, ce ne sont que des directions, avait essayé de lui dire Shaak Ti.

Nous bougeons sans cesse, pensa-t-il, vers l’obscurité ou vers la lumière. C’est impossible de ne pas bouger. Certains, comme Dark Vador et l’Empereur, descendaient vers l’obscurité depuis si longtemps que la lumière ne devait plus constituer qu’un souvenir vague et distant. Certains planaient éternellement dans le gris et ne choisissaient jamais vraiment leur côté. En fait, il n’y avait pas de véritable côté, juste une direction vers laquelle on se dirigeait. Tout était relatif.

Cette conclusion lui apporta une nouvelle forme de puissance. Quand des Sith se trahissaient, ce n’étaient pas parce qu’ils étaient ennemis. Leurs chemins s’étaient simplement écartés. Combattre Maris ne signifiait donc pas tourner le dos au Côté Obscur. Elle se trouvait juste dans son chemin, comme bien d’autres gens auparavant.

Ne sois pas dupe, tu n’es pas porté par autre chose que tes deux pieds, lui avait également dit Shaak Ti.

Il bloqua les coups tournants de Maris Brood et abandonna la forme posée Soresu pour la forme plus agressive Juyo, dont le Côté Obscur était féru. Maris remarqua le changement de style de combat mais, comme elle n’avait jamais été formée qu’aux méthodes Jedi, elle ne comprit pas ce que cela signifiait. Elle continua son attaque avec un désespoir croissant, même lorsqu’il commença à la repousser plus loin que le monticule d’ossements, par-delà le cadavre de son animal de compagnie géant et loin du Sénateur Organa. Sa respiration devint difficile et ses mouvements moins concentrés. La peur commença à dominer le regard fou de ses yeux. Elle était à deux doigts de perdre complètement sa concentration.

Utilise la peur, avait-il envie de lui dire. Utilise la peur pour alimenter ta colère, car la colère rend fort. J’ai tué ton Maître. Le mien a essayé de me tuer et cela m’a rendu plus fort. Tu pourrais toi aussi être plus forte, si tu prenais simplement conscience de cette simple vérité.

Mais même dans les profondeurs de son obscurité, la lumière l’avait corrompue trop profondément. Elle était une cause perdue.

Assez, pensa-t-il.

Il leva la main gauche et utilisa la Force pour soulever un monticule d’ossements dans les airs. Ils se mirent à tournoyer au-dessus d’eux, cliqueter et culbuter, puis prirent de la vitesse. Maris ne savait pas où donner de la tête. Profitant de sa distraction, il la désarma en deux mouvements rapides et précis. Ses lames ricochèrent parmi les ossements et elle tomba en arrière, en frottant ses avant-bras roussis. De la défiance brilla dans ses yeux mais trop tard. Beaucoup trop tard.

Quand elle se retourna pour courir, il la frappa dans le dos avec un éclair Sith et elle tomba en s’étalant dans les ossements.

Le sabre laser tenu dans la main droite avec nonchalance, il s’approcha d’elle.

— Non…, haleta-t-elle, tentant en vain d’imiter à son tour la danse des os qui flottaient autour d’eux.

Il écarta les projectiles.

— Je t’en prie. (La défiance se mua en désespoir et elle résista encore à sa colère.) Ne fais pas ça !

— Pourquoi pas ? (Il se tenait au-dessus d’elle, le sabre laser levé, pointe vers le bas, prêt à frapper.) Si tu es l’esclave du Côté Obscur que tu prétends être, je rendrais service à la galaxie.

— Mais ce n’est pas ma faute. Shaak Ti m’a abandonnée sur cette horrible planète. (Des larmes brillèrent dans ses yeux.) Felucia est malfaisante. Elle m’a corrompue. Laisse-moi partir d’ici et j’abandonnerai le Côté Obscur derrière moi. C’est ce que je souhaite.

— Pourquoi devrais-je te croire ?

Elle se mit à genoux.

— S’il te plaît, laisse-moi partir. Tu as gagné, non ? Le Sénateur est à toi. Tu n’as pas besoin de me tuer. (Elle tendit les bras dans sa direction.) Sauve-moi, plutôt. S’il te plaît.

Il recula, dégoûté par cette démonstration. Tu n’es pas digne du Côté Obscur, avait-il envie de lui dire.

Mais c’est le Côté Obscur précisément qui l’avait amenée à cela. Elle avait aspiré à devenir un jour Chevalier Jedi et maintenant elle était réduite à implorer qu’on la laisse en vie. Ses talents étaient corrompus, tournés vers la destruction, dirigés vers l’intérieur – utilisés à des fins aussi minables que sa propre survie.

Le Côté Obscur avait changé Felucia de la même façon. La puanteur de mort et de décomposition, qui montait à ses narines, ne provenait pas seulement du sang du rancor taureau dont il était couvert.

Corruption.

Il baissa son sabre laser et le désactiva. Le tourbillon d’os s’abattit bruyamment sur le sol.

Elle se remit sur pied avec difficulté. Elle semblait avoir du mal à croire à sa chance.

— Merci.

Il n’était pas sûr de pouvoir y croire non plus. Est-ce qu’il l’épargnait par pitié ou parce qu’il reconnaissait les émotions qui la pervertissaient ?

— Tais-toi. Disparais.

— Je peux venir avec toi ? Je ne veux pas rester ici…

— Pourtant, il le faudra, jusqu’à ce qu’un autre vaisseau passe par ici. Ou peut-être que les Impériaux pourront t’emmener.

Elle recula comme s’il risquait de changer d’avis à tout moment. Puis elle se retourna et s’enfuit vers la limite des arbres. Il la suivit du regard pour s’assurer qu’elle n’allait pas chercher ses armes pour tenter de le prendre par surprise. Malgré toutes les supplications et les tentatives de négociation, il ne lui accordait pas la moindre confiance.

À la lisière, elle s’arrêta et se retourna. Ses larmes avaient disparu. Puis, avec un clin d’œil d’adieu, elle disparut, elle aussi.

Des os craquèrent derrière lui. Il fit volte-face et vit un Bail Organa sale et en mauvais état escalader les piles d’ossements pour venir vers lui.

— J’ai déjà vu des gens de son espèce, dit Organa sévèrement. Elle me rappelle un autre jeune Jedi, qui a sombré dans le Côté Obscur.

L’apprenti tendit la main et aida le Sénateur à se rétablir.

Des années de souffrance se reflétaient dans les yeux marron de l’homme. Les mots qu’Organa prononça ensuite le surprirent :

— Vous n’auriez pas dû lui laisser la liberté.

— Vous croyez vraiment qu’elle est libre ? demanda-t-il.

Elle est aussi libre que moi, pensa-t-il. Libre de commettre des erreurs et, avec un peu de chance, libre d’en tirer des leçons. Il conclut à haute voix :

— Elle gardera toute sa vie le souvenir de ce qu’elle a commis ici.

Organa fixa encore un long moment l’orée de la forêt puis fit un signe de tête pour montrer qu’il avait compris. Ou qu’il croyait avoir compris.

— Parfois, les souvenirs ne suffisent pas. Parfois, nous, les victimes, nous devons nous montrer plus… proactifs.

— Exactement. (L’apprenti profita de l’opportunité pour éloigner le sujet de cette conversation de ses pensées secrètes, obscures et douloureuses.) C’est pour cela que je suis ici, Sénateur. Nous avons à tout prix besoin de votre aide. La galaxie a besoin de votre aide. Nous devons cesser de vivre dans le passé, il est temps de sortir au grand jour et de nous battre pour ce que nous croyons.

Bail Organa le regarda stupéfait.

— C’est une discussion que nous avons eue Kota et moi, à maintes reprises, il y a des années de cela, avant…

— L’heure n’est plus à la discussion. L’Empereur agit à sa guise depuis trop longtemps – et c’est nous qui pouvons l’arrêter. Êtes-vous des nôtres ?

— Emmenez-moi auprès de Kota, dit le Sénateur d’un ton las, c’est plus malin de discuter de cela en face à face.

L’apprenti était content que, pour le moment, Organa soit convaincu que Kota était entièrement derrière la nouvelle tournure que prenaient les événements.

— D’accord, dit-il. Allons-y. La jungle va bientôt grouiller d’impériaux de toute façon…

Comme il se tournait pour appeler Juno, il surprit Organa regardant une fois encore la jungle où Maris Brood avait disparu.

— Que la Force soit avec nous, marmonna le Sénateur. Avec chacun de nous, d’une façon ou d’une autre.