CHAPITRE 15

Dans le coin le plus sombre d’un bar mal famé, un homme affalé, la tête baissée vers la table, cherchait à disparaître. Le Vapor Room était l’endroit idéal pour y arriver. À l’origine, c’était un repaire pour Ugnaught, mais il attirait aussi pas mal de Rodiens et de travailleurs humains. C’était un établissement de fin de nuit, qui offrait de multiples recoins discrets. L’air y était dense, composé de strates odorantes qui ne se déplaçaient que lorsque quelqu’un les traversait en titubant. La musique était un drôle de cocktail, à l’image des barmen, qui jetaient des regards noirs d’un air maussade tandis qu’ils essuyaient des verres couverts de traînées grasses et étalaient en fine couche sur la surface du bar des flaques d’alcool.

Une chope de bière d’Ando vide gisait près de l’épaule de l’homme avachi. Son visage restait obstinément soustrait à la vue, comme si le dernier désir conscient qui l’habitait était de le cacher. Quand il allait se chercher un verre, ce qui arrivait de moins en moins souvent au cours des dernières heures, il faisait bien attention à détourner le visage des clients de la cantina. Des cheveux gras s’échappaient de ce qui avait un jour été un chignon bien entretenu. Sa toge était tâchée et débraillée.

Personne au Vapor Room ne savait qui était cet homme ou ce qu’il avait fait. Personne ne se rappelait qui l’avait amené à la Cité des Nuages. Les clients s’en fichaient. Ils voulaient juste qu’on les laisse boire en paix jusqu’à ce qu’il soit l’heure de reprendre le travail.

L’homme qui voulait disparaître avait tourné le dos à la galaxie, mais celle-ci ne lui avait pas tourné le dos pour autant. Malgré toutes les précautions qu’il avait prises, il s’était fait repérer. C’était inévitable. Un homme avec de telles blessures était déjà rare sur Bespin mais s’il arrivait en plus à se verser un verre de brandy corellien sans en renverser une goutte… ?

La nouvelle s’était répandue et elle annonçait les ennuis.

L’apprenti pénétra lentement dans le Vapor Room, il passa en revue les recoins, tous les visages et toutes les silhouettes qu’il y découvrit. L’atmosphère du bar dégageait de multiples ondes négatives mais la menace n’en faisait pas partie. Tous les yeux se tournèrent vers lui pendant un instant puis un Ugnaught plus âgé, au nez en trompette et à la bedaine proéminente, leva un verre à la santé du chef local, le Roi Ozz. Le reste de sa table grogna bruyamment pour marquer son approbation. Puis ils reportèrent leur attention sur les chopes mousseuses, se remirent à fumer leur pipe et à surveiller le chrono.

Le barman le plus proche dressa une antenne. L’apprenti fit un geste de la main pour l’encourager à s’intéresser à quelqu’un d’autre. Il ne voulait rien boire. Il était venu avec un but précis. La seule chose qu’il avait en tête, c’était ceci la première véritable épreuve du nouveau plan de son Maître.

Le voyage avait été long et ils avaient couru bien des risques. Mais aucun n’avait été aussi important ou aussi dangereux que celui-ci.

— Que se passera-t-il s’il vous reconnaît ? lui avait demandé Juno, inquiète, avant qu’il ne quitte le Rogue Shadow.

— Il ne me reconnaîtra pas, avait-il répondu en se rappelant les yeux brûlés du général puis ses propres mains où les cicatrices étaient absentes.

Son corps avait changé de façon subtile, grâce au Seigneur Vador. La signature de Force qu’il possédait au-dessus de Nar Shaddaa, au cours de sa mission meurtrière, était très différente de celle qu’il projetait maintenant.

Calme. Apaisement. Espoir.

Kota n’avait pas bougé depuis vingt minutes d’après les images de la caméra de sécurité à laquelle Juno s’était connectée. L’apprenti était soulagé de constater que ce n’étaient pas des images retransmises en boucle : le Jedi saoul était exactement là où il pensait le trouver et ne montrait aucun signe d’inquiétude.

L’apprenti jeta un nouveau coup d’œil dans le bar pour s’assurer que l’attention s’était bien détournée de lui. Puis donna un coup de pied dans la table, ce qui réveilla Kota en sursaut.

Le Jedi déchu leva brusquement la tête, révélant ainsi un homme qui n’était plus que l’ombre de celui qu’il avait été. Ses joues étaient creuses et couvertes d’une barbe de plusieurs jours. Des bandages crasseux entouraient sa tête et cachaient ses orbites.

— Général Kota ?

Kota avait du mal à articuler.

— J’ai payé pour être à cette table. Alors, qui que tu sois, dégage.

— Général Kota, je vous ai cherché dans toute la galaxie, de Nar Shaddaa à Ziost…

— Qui es-tu, gamin ? (Kota fronça les sourcils.) Un chasseur de primes ?

— Pas vraiment. Mais je vous observe depuis un bout de temps.

Il s’approcha et baissa la voix :

— Je crois que nous pouvons nous entraider, Jedi.

Kota fit la grimace et indiqua d’un geste ses yeux bandés.

— Je ne suis plus un Jedi. Plus depuis ça.

— Ce ne sont pas vos yeux qui m’intéressent, c’est votre esprit… et tout ce que vous savez sur la manière de combattre l’Empire.

Kota s’affala dans le fond de sa chaise. Il avait l’air plus épuisé que saoul.

— Personne ne peut l’emporter contre l’Empire, gamin.

Une agitation soudaine près de la porte attira l’attention de l’apprenti. Six stormtroopers venaient de pénétrer dans le Vapor Room, flanqués de deux bipodes mécaniques pilotés par deux Ugnaught à l’air menaçant. Le chef des soldats agrippa le videur trapu et se mit à lui poser des questions pendant que ses compagnons fouillaient le bar du regard.

L’apprenti maudit la rapidité de l’Empire. Juno avait intercepté le message d’une taupe locale, qui alertait la sécurité de la station de la présence de Rahm Kota, mais ils n’avaient pas pu le faire disparaître à temps.

Il soupira, se redressa, détacha son sabre laser et se plaça entre Kota et les Impériaux.

— J’espère pour vous que vous avez tort, général.

Dans un craquement et un sifflement assez bruyants pour attirer l’attention de tout le monde présent dans le Vapor Room, il activa la lame vert vif, celle-là même qui avait un jour appartenu à l’homme dont il avait gâché la vie.

Kota tressaillit comme s’il avait été touché et plongea sous la table. À ce moment précis, les Impériaux ouvrirent le feu. Les Ugnaught poussèrent des cris perçants et sautèrent pour se mettre à l’abri tandis que des décharges d’énergie déviées rebondissaient à travers la pièce. Des verres volèrent en éclats. Des liquides aux couleurs vives s’échappèrent dans tous les sens, les plus volatils prenaient feu ce qui ajouta encore un peu de confusion dans le chaos qui régnait.

— Debout, général, cria l’apprenti par-dessus le vacarme. Ils me tirent peut-être dessus maintenant mais c’est pour vous qu’ils sont venus.

Puis il fut obligé de se concentrer sur les Impériaux et leurs alliés locaux. Les Uggernaught mécaniques portaient de lourdes armures et étaient armés jusqu’aux dents. La priorité était d’éliminer ces deux-là. Il en écarta un avec une poussée de Force et surchargea les systèmes électriques du second, ce qui dispersa les stormtroopers. Une odeur de fourrure roussie d’Ugnaught vint s’ajouter à la puanteur du bar. De l’extérieur parvenaient déjà les bruits métalliques des renforts.

Ceux qui cherchaient à s’emparer de Kota ne voulaient courir aucun risque.

— Venez, cria-t-il à l’attention du général apeuré, suivez le son de mon sabre laser.

Il tourna le dos à Kota, espérant que l’instinct de survie du vieil homme suffirait pour qu’il sauve sa peau. Quant à lui, il devait non seulement éliminer les Impériaux mais surtout y parvenir sans causer de dommages aux badauds innocents. Cela n’aurait pas fait bonne impression sur quelqu’un formé selon les principes Jedi.

Tandis qu’il se battait pour se frayer un chemin vers la porte arrière du bar, il appela le Rogue Shadow avec son comlink et prévint Juno qu’il allait avoir besoin d’une évacuation rapide.

— À l’endroit où je vous ai déposé, je suppose ?

— À moins que cela ne devienne trop chaud ici.

Il fit tomber le plafond sur l’un des soldats et utilisa la télékinésie pour jeter des décombres sur un autre.

— Reste près d’ici et attends mon signal.

— Pas de problème. Juno, terminé.

Il jeta un œil derrière lui. Kota bougeait enfin, courbé comme un crabe des mines apeuré, les mains écartées devant lui. Restait à espérer que la Force soit avec lui, car l’apprenti comprit, d’un simple regard par la porte, qu’il avait du pain sur la planche. Une vingtaine d’impériaux étaient tapis dans la réserve, à l’abri derrière des caisses et des tonneaux. Une rangée d’Uggernaught semblait bien décidée à ne faire qu’une bouchée de lui s’il bougeait ne fût-ce qu’un cil.

Il n’avait pas le temps d’hésiter. Avec l’aide de la Force, il fit exploser les tonneaux, mit les caisses en pièces et emplit l’air de débris. Sous un tir nourri de blaster, il traversa la pièce en trois grandes enjambées et sauta sur l’Uggernaught le plus proche. D’un mouvement de sabre laser, il détacha le pilote et le tireur puis utilisa la Force pour tout bonnement retourner la machine. Ses armes aboyèrent et projetèrent les autres Uggernaught en arrière, dans une pluie d’étincelles.

Il sauta plus loin, laissant la machine tituber et tirer au hasard. Kota tenait le coup avec peine. L’apprenti agrippa le vieil homme par le bras et le tira hors de la réserve puis le long d’une série de couloirs. Le quai d’approvisionnement du Vapor Room n’était pas loin et bien qu’il s’attende à ce qu’il comporte de nombreux Impériaux, y faire venir le Rogue Shadow ne lui paraissait pas impossible. Le quai était ouvert sur tout un côté, par où l’on voyait le ciel doré couvert de nuages. Un rapide saut de Force suffirait…

Il s’arrêta net en apercevant une silhouette vêtue d’une toge noire debout, aux côtés des stormtroopers. Quand la silhouette l’aperçut à son tour, elle inclina son casque noir et alluma un sabre laser rouge. Les stormtroopers mirent genou en terre et ouvrirent le feu.

Pendant un infime instant, l’apprenti se figea. Son estomac était noué : il se sentait trahi une fois de plus.

Puis son esprit rattrapa ses entrailles et lui cria : Ce n’est pas Vador ! La lame rouge dépassait du sommet d’un long bâton noir, pas d’une poignée de sabre laser. Le casque était lisse et arrondi, il ne faisait pas penser à une tête de mort comme celui de son Maître, qu’il connaissait si bien. Au lieu des deux photorécepteurs arrondis, ce casque-là était équipé d’une visière à une seule fente, suggérant qu’il protégeait sans doute le visage d’un humain ordinaire plutôt que le faciès explosé que son Maître gardait caché en permanence. Sous sa cape flottante, la silhouette portait une armure de combat – exactement pareille à celles de la Garde Royale de l’Empereur mais noire de la tête aux pieds.

La lame de l’apprenti s’éleva d’elle-même. Il avança très lentement, comme si l’air était fait de mélasse, et renvoya, volée après volée, les tirs de blaster en direction des soldats qui les avaient tirés. Ils titubèrent puis s’écroulèrent et de la fumée se dégagea des articulations de leurs épaules et de leurs cous. Personne ne sembla faire attention à leurs cris.

Le garde noir dévia tous les éclairs que l’apprenti envoya dans sa direction. Quand le dernier soldat s’effondra, le garde noir s’avança, le bâton de Force baissé pour charger.

L’apprenti mit en garde Juno et Kota :

— Ne venez pas près du quai ! Il nous faut un autre lieu de rendez-vous !

— Il y a un quai d’amarrage de ballons dirigeables pas loin de vous, répondit Juno tandis que le sabre laser de l’apprenti s’entrechoquait contre celui de son nouvel ennemi. Qu’est-ce que c’est que ce bruit ? Vous n’êtes quand même pas en train de combattre Kota ?

— Trop compliqué à expliquer, grogna-t-il, ne sachant trop lui-même quelle était l’explication. Va au quai d’amarrage et attends-moi là.

Il coupa la communication pour bloquer un coup, qui faillit l’aplatir. Il jeta un coup d’œil autour de lui à la recherche de Kota et fut soulagé de voir que le général n’était pas dans le coin. Maintenant, il avait champ libre pour invoquer tout le pouvoir du Côté Obscur. Il prit appui sur le sentiment de trahison et le choc qu’il avait ressentis en apercevant la silhouette qui l’attendait – cet assassin noir et mortel, qui pouvait ou non être lié à Dark Vador – pour pousser de toutes ses forces.

L’énergie qu’il avait libérée était telle que ses oreilles se mirent à bourdonner. Le quai céda sous ses pieds, des rivets sautèrent et des soudures lâchèrent. Son assaillant vola à travers l’espace dégagé, les bras largement ouverts. Le bâton de Force entailla une longue ligne tortueuse dans le sol métallique, tandis que son propriétaire roulait et se relevait.

Un éclair de foudre Sith jaillit de la main qui ne tenait pas le bâton. L’apprenti sourit, car il avait anticipé la manœuvre. Il envoya un de ses propres éclairs accueillir celui de son adversaire. Ils entrèrent en collision en une sphère d’énergie pure, qui fusait et craquait en tous sens. Elle dansa d’un côté à l’autre sans contrôle. L’air s’emplit d’une forte puanteur d’ozone.

L’assassin à la capuche émit un grognement et fit un effort plus grand encore. L’apprenti égala son effort et le surpassa. Il fut surpris de l’aisance avec laquelle il repoussa l’éclair de son assaillant. Pour quelqu’un qui maniait une lame Sith, son adversaire avait moins de puissance qu’il n’aurait dû. La sphère d’énergie, qui se formait au point de collision des deux éclairs crépitants, dérivait toujours plus près du garde noir. Il grogna bruyamment et se pencha en avant de tout son corps, les deux mains levées. L’une formait un poing serré qui tremblait, l’autre frappait le faisceau de l’éclair avec le bâton de Force pour ajouter de l’énergie à son attaque désespérée. En vain. La boule se rapprochait inexorablement, poussée par le pouvoir obscur de la volonté de l’apprenti. Quand elle toucha la poignée du bâton de Force du garde noir, toute l’énergie accumulée fut déversée en lui.

Avec un cri inachevé, le garde vola par le quai ouvert et s’éloigna en virevoltant. Il était mort avant même que ses pieds ne quittent le sol.

L’apprenti laissa la tension s’évacuer et baissa les bras. Il appela Juno avec son comlink et suivit les indications qu’elle lui donnait pour rejoindre leur nouveau point de rendez-vous.

Ce n’était pas loin et le chemin ne comportait que quelques points d’embuscade évidents. Il la remercia et traversa à toute vitesse une passerelle d’observation et courut le long d’un passage extérieur, sans prêter attention à la vue. Il passait en revue, dans son esprit, les événements récents et tentait de les comprendre.

Une forme sombre qui maniait une lame rouge modifiée et des éclairs, un garde royal mais noir de la tête aux pieds…

On ne pouvait nier la connexion avec les Sith. À moins que Dark Vador n’ait entraîné un second apprenti au cours des six derniers mois – ce qui lui semblait peu probable, car dans ce cas, pourquoi les dresser l’un contre l’autre ? – il n’y avait qu’un autre Maître possible pour un personnage pareil.

L’Empereur.

Les grands esprits se rencontrent. L’apprenti fit la moue tandis qu’il approchait l’un des points d’embuscades possibles, un échangeur thermique d’air conditionné, où il devrait traverser un long et large conduit et passer à travers une série de ventilateurs. Dark Vador avait envoyé l’apprenti en mission pour trouver et éliminer les derniers Jedi. Peut-être l’Empereur avait-il eu la même idée avec son subalterne obscur.

Si c’était le cas, il allait être déçu du résultat. Kota n’avait peut-être pas manié une lame comme il l’avait fait sur Nar Shaddaa mais l’émissaire de l’Empereur était mort quand même. Cela enverrait une menace claire à l’Empereur, ce qui correspondait exactement aux souhaits de Dark Vador.

En supposant que Kota ait survécu, bien sûr. L’apprenti pouvait juste espérer qu’il était en route vers le quai d’amarrage des ballons par un autre chemin et qu’il ne se ferait pas tuer en route…

Une escouade de soldats l’attendait dans l’échangeur de chaleur avec trois des Uggernaught mobiles. Il s’en débarrassa en un clin d’œil, sans précipitation imprudente mais sans faire traîner la bataille non plus. Il n’avait rien à prouver. C’était juste un obstacle sur son chemin.

Il envoya le dernier Uggernaught dans les pales en mouvement d’un ventilateur quatre fois plus grand que lui, qui explosa en une boule de feu qui faillit emporter le ventilateur suivant dans l’échangeur thermique. Un deuxième assassin Sith de l’Empereur bondit du nuage de fragments métalliques, bâton de Force levé. L’apprenti l’accueillit dans un choc d’étincelles et d’éclairs.

Sith contre Sith, ils avançaient et reculaient en combattant dans le large espace couvert de métal. Cet assassin était plus doué que le premier. Il était maigre et puissant, avec une bonne portée et un faible pour le lancer d’objets par télékinésie, dans l’angle mort de l’apprenti. Il se révéla un adversaire coriace, jusqu’à ce que l’apprenti arrache un deuxième ventilateur géant de son axe et le fasse tourbillonner dans les airs. Le garde noir parut tellement abasourdi qu’il ne chercha à esquiver que trop tard. Une pale lui trancha la jambe à hauteur du genou. À partir de là, le combat était terminé.

L’apprenti abandonna le corps vêtu de noir, démembré, et traversa au pas de course une zone de maintenance infestée d’Ugnaught nerveux. Il grimpa le long d’une rampe pour atteindre le quai d’amarrage des ballons.

Une fois à l’air libre, il se retrouva face à une autre escouade de soldats, deux assassins de l’Empereur supplémentaires et pas moins de six Uggernaught. Deux ballons de transport lourdement chargés de marchandises étaient suspendus en l’air, les moteurs bourdonnant pour les maintenir en place, sans doute en attente de l’atterrissage. Pas de trace de Kota. L’apprenti fléchit les genoux et se mit en position de combat.

— Êtes-vous sûrs que c’est ça que vous voulez ? demanda-t-il à ses ennemis rassemblés.

La réponse vint sous la forme de tirs de blaster de la part des soldats, d’un barrage d’Uggernaught, et d’une charge simultanée des deux assassins. L’apprenti tournoya et sauta, emplissant l’air avec l’énergie qu’il déviait. Il ne pensa plus à rien ; sa connexion avec la Force devint plus profonde qu’elle ne l’avait jamais été auparavant. Il se déplaçait avec grâce et purement par réflexes, plongeant pour éviter les bâtons de Force, projetant des soldats contre leurs alliés Ugnaught, balançant des bipodes du quai et finissant même par faire pleuvoir des marchandises d’un des ballons au-dessus d’eux.

L’équipage du ballon l’abandonna tout de suite et s’enfuit à bord d’un speeder. Le ballon déserté donna une idée à l’apprenti. Quand ses ennemis se regroupèrent pour un deuxième assaut simultané, il arracha le ballon du ciel et le fit s’écraser de tout son poids sur eux tous à la verticale… et ensuite, quand les retombées de l’explosion furent à leur paroxysme, il balaya le quai de tout ce désordre d’une seule flexion cathartique de télékinésie.

Il se tenait dans un petit dôme d’espace intact, et exhalait de l’énergie pure tandis qu’une pluie de débris brûlants s’abattait bien plus bas, dans l’air léger et froid de Bespin. Il était empli d’un sentiment de triomphe et de satisfaction, qui le regonflait, comme de l’hélium pur.

— Combien y en avait-il ? demanda une voix derrière lui.

Il se tourna et vit Kota arriver sur le quai en trébuchant. Même s’il était saoul, sa présence avait quelque chose de dégrisant. Les orbites vides cachées derrière son bandage sale semblaient transpercer du regard le jeune homme devant lui.

L’apprenti se redressa et baissa son sabre laser. Il se demanda si Kota allait l’admonester pour avoir causé tant de morts et de chaos.

— J’ai perdu le compte, avoua-t-il.

— Cela ne fait rien. Il y en aura d’autres. Les troupes de l’Empereur sont innombrables.

L’apprenti se renfrogna. Il pouvait encaisser les reproches. Mais du désespoir complaisant, c’était tout à fait autre chose.

— Nous devons y aller, général.

— C’est une mission suicide. Tu vas te faire tuer… ou pire encore. Et qu’est-ce qui aura changé ? Rien.

L’apprenti cliqua le bouton du comlink pour attirer l’attention de Juno.

— Je préfère mourir au combat que croupir dans un bar, vieil homme. Êtes-vous avec moi, oui ou non ?

Kota fit un pas en avant, trébucha et eut l’air momentanément perdu.

— As-tu un nom mon garçon ?

— Non.

Une fois encore, l’apprenti eut l’impression d’être observé par des yeux qui n’existaient plus.

— Eh bien, on ne peut pas nier ton empressement à tuer des stormtroopers. J’ai un contact au Sénat qui pourrait exploiter tes talents au sabre laser. Où est ton vaisseau ?

L’apprenti esquissa un faible sourire tandis que le Rogue Shadow s’élevait derrière lui, dans un gémissement de répulseurs. La rampe d’accès s’étendit. Parfaitement synchro, pensa-t-il. Si seulement Kota avait pu voir ça…

Une main glissée sous l’aisselle droite du vieil homme, il guida le premier de ses futurs rebelles dans le vaisseau.