CHAPITRE 3

Les moteurs subluminiques du Rogue Shadow accélérèrent en souplesse tandis que son nouveau pilote manipulait les commandes avec dextérité. L’apprenti l’observait attentivement, il évaluait ses qualifications et ses autres qualités. De tous les pilotes avec lesquels il avait travaillé jusqu’ici, Juno était la première femme. Elle avait à peine son âge et était très jolie en plus, mais une fois assise dans le siège du pilote, c’était une professionnelle accomplie. Confiante et précise, ses mouvements donnaient l’impression qu’elle était née dans un cockpit.

Une fois qu’il fut certain que PROXY et lui étaient en de bonnes mains, il porta son attention sur les détails de sa mission.

— PROXY, donne-moi la cible.

Le droïde, qui avait été son seul compagnon fidèle pendant presque toute sa vie, était assis sur un strapontin à l’arrière du cockpit, soigneusement maintenu en place par une ceinture de sécurité. Des distorsions familières apparurent sur sa peau métallique et recouvrirent ses traits à mesure qu’il activait les holoprojecteurs qui faisaient sa spécificité. Un guerrier humain à l’air menaçant prit forme dans le siège du droïde. Vêtu des couleurs marron typiques des Jedi tant haïs, il avait les pommettes hautes et un nez fort, cassé. Ses yeux étaient enfoncés et ne révélaient rien de ses pensées.

— D’après les Archives Impériales officielles, dit PROXY d’une voix profonde et imposante qui ne ressemblait en rien à la sienne, le Maître Jedi Rahm Kota était un général respecté de la Guerre des Clones.

— La Guerre des Clones ?

Juno, toujours aux commandes, se tourna à moitié tandis quelle préparait le vaisseau pour son saut à travers l’hyperespace. Son expression était aussi grave que celle de l’homme assis à la place de PROXY.

— Vous chassez des Jedi !

L’apprenti ne s’était pas rendu compte quelle écoutait.

— Je conduis les ennemis de Dark Vador devant la justice, lui répondit-il. Et toi aussi, maintenant.

Avant qu’elle ne puisse commencer une discussion à part entière sur le sujet, l’apprenti ajouta :

— Continue, PROXY.

— Bien sûr. Maître Kota était un génie militaire mais il estimait que les soldats clones n’étaient pas aptes au combat. Il préférait s’appuyer sur une escouade sélectionnée parmi les troupes qu’il avait lui-même entraînées. C’est ce qui lui a permis de ne pas être exécuté quand l’Empereur a découvert le complot des Jedi contre la République.

Juno opina de la tête.

— Il n’y avait pas de clones dans l’escouade pour le conduire devant la justice.

— Exactement, capitaine Eclipse. Après l’Ordre 66, il a disparu. En fait, si l’on en croit les Archives, il est mort.

L’hologramme de Kota s’effaça et PROXY redevint normal. Juno paraissait toujours plus intéressée par la mission que par la préparation du saut en hyperespace.

— Alors pourquoi sortir de sa retraite et attaquer l’Empire maintenant ?

L’apprenti s’était posé la même question.

— Kota veut qu’on le trouve.

— Alors, nous allons droit dans un piège.

Son regard se déplaça de l’apprenti à PROXY puis de PROXY à l’apprenti.

— Combien de pilotes avez-vous perdus avant moi ?

— Sept.

— Oh, parfait.

Elle actionna un bouton de la console du Rogue Shadow.

— Nous mettons le cap sur Nar Shaddaa. Préparez-vous pour le passage en vitesse-lumière.

L’apprenti se cramponna au siège tandis que les étoiles devant eux devenaient des traînées et que le tunnel à la fois irréel et familier s’ouvrait autour du vaisseau. Avec une plainte bien réglée, le Rogue Shadow et ses passagers pénétrèrent à toute allure dans l’hyperespace.

Nar Shaddaa, aussi connue sous le nom de Lune des Contrebandiers, de Cité Verticale ou même de Petite Coruscant : l’apprenti n’y avait jamais mis les pieds mais il avait appris un maximum de choses sur elle dans les manuels d’histoire et autres holos éducatifs. Les organisations criminelles et les réseaux étendus de clandestinité de Nar Shaddaa étaient célèbres à travers toute la galaxie, les voyous y affluaient par dizaines de milliers à la recherche de combines illégales. Bien qu’elle soit écrasée par la bruyante Nal Hutta, la planète imposante autour de laquelle elle était en orbite, elle éclipsait les autres mondes dans le système Y’Toub à tous points de vue. Des dizaines d’espèces différentes y avaient établi leur base.

L’apprenti ne put contenir un sourire de mépris tandis que le Rogue Shadow s’approchait. Connue pour ses changements d’allégeance, la capitale du crime cherchait à amadouer l’Empire en invitant – ou tout du moins en tolérant – la présence d’un nouveau chantier naval de chasseurs TIE dans son atmosphère supérieure. Il imaginait aisément le raisonnement que cela cachait : plus d’argent et de ressources affluaient dans le système, une nouvelle source d’emplois « légitimes » pour les rares personnes qui en cherchaient : un afflux de fonctionnaires potentiellement corrompus à qui graisser la patte. Pas de chance pour les habitants, cependant, le chantier n’employait que des humains et la sécurité était assurée par une légion complète de stormtroopers impériaux.

Le sourire de mépris se transforma en froncement de sourcils quand l’apprenti se souvint des paroles du Seigneur Vador : Ne laisse aucun témoin. Il hésitait bien plus à ce sujet que de ce qu’il devrait faire s’il se retrouvait nez à nez pour la première fois avec un Jedi fugitif. Bien que son Maître ait parlé d’affronter l’Empereur et de prendre sa place, l’apprenti ne ressentait aucune déloyauté vis-à-vis des nombreux soldats et officiers qui travaillaient sans relâche au service de l’Empire. S’ils n’enfreignaient pas la loi et s’ils ne complotaient pas contre son Maître, il n’avait rien contre eux. Mais à présent, pour la première fois, il devrait agir contre ceux dont la seule erreur serait de croiser son chemin. Était-ce un test, se demanda-t-il, pour voir jusqu’où il était prêt à aller pour accomplir son destin ? Si c’était le cas, il se jura de ne pas décevoir son Maître. Il obéirait aux ordres et suivrait son instinct. Il n’échouerait pas.

Parfois il désespérait de jamais atteindre la maîtrise totale de la Force et de gagner ainsi le respect de son Maître – mais il savait parfaitement comment tourner le désespoir à son avantage, en l’utilisant pour alimenter sa colère et nourrir ainsi sa soif de pouvoir. Il réussirait en temps voulu. Il n’y avait rien qui ne soit à sa portée, dans cette mission ou dans toute autre, lorsqu’il se donnait à fond.

Cependant, il fronça les sourcils encore un peu plus fort en regardant Juno approcher le vaisseau de la station. Que savait-il d’elle ? Rien, à vrai dire. À bien des égards, elle avait l’air de l’officier impérial parfait : soignée, efficace et humaine. Comme son Maître ne pouvait pas avoir été trop dérangé par sa tendance à dire ce qu’elle avait sur le cœur, il ne devrait pas se laisser perturber par cette franchise non plus. Il lui confierait le Rogue Shadow pendant qu’il vaquerait à sa mission ; et que l’Empereur lui vienne en aide si jamais elle le décevait.

Le chantier naval où l’on construisait les chasseurs stellaires était beaucoup plus grand qu’il n’y paraissait de loin, on aurait dit une pile d’assiettes rondes suspendues au-dessus de la Cité Verticale. Ce qu’il avait pris pour des lumières qui clignotaient sur sa surface irrégulière était en réalité, on le comprenait en approchant, des explosions. De grandes boules de gaz jaune vif éclataient à intervalles irréguliers depuis des baies d’observation cassées, des cloisons affaissées et des tuyaux d’évacuation explosés.

— Le chantier naval a subi de graves dommages, constata Juno tandis qu’elle cherchait un endroit pour se poser.

— Je vois ça.

L’apprenti était d’accord avec elle. L’ancien général Rahm Kota n’avait apparemment pas chômé.

— Rapproche-nous.

Le Rogue Shadow se faufila gracieusement entre des colonnes de flammes. L’apprenti ne put qu’admirer la dextérité avec laquelle Juno maniait les commandes. La seule tension qu’elle laissait paraître, alors que le vaisseau tanguait et dérapait, était une crispation de la mâchoire. Elle serrait les dents.

Il accueillit la turbulence avec calme et confiance, appréciant au passage les brusques tourbillons et courants de la Force. Certains recherchaient la paix et la tranquillité pour se détacher des soucis de la galaxie, lui, au contraire, avait appris à trouver ses marques dans n’importe quel environnement – à vrai dire, plus il y avait de bruit, mieux c’était à ses yeux. Au cœur d’un conflit, c’était plus facile de ne plus faire qu’un avec le Côté Obscur. La violence représentait la méditation suprême.

— Là-bas, dit-il le doigt tendu. On dirait un hangar ouvert.

Elle fit un léger signe d’assentiment.

— Il est gardé.

— On n’a pas le temps de parler à la sécurité.

Ou d’expliquer qu’il lui était interdit de révéler à quiconque qui ils étaient.

— Fonce droit dessus, poursuivit l’apprenti, laisse-moi m’occuper de la défense.

Avec des gestes rodés bien à lui, il activa les systèmes d’armement du vaisseau et visa les batteries de canons qui protégeaient le hangar ouvert. Il attendit que le ciblage automatique ait détecté leur présence et que les armes pivotent en vue de viser le Rogue Shadow. Puis, en deux coups précis, il détruisit les canons et dégagea ainsi la voie pour l’atterrissage.

Juno ne perdit pas de temps. Le chasseur stellaire entra dans le hangar comme un éclair et se posa sur une surface plane sans débris. L’apprenti avait déjà quitté son siège avant que les propulseurs n’aient amené le Rogue Shadow à l’arrêt.

— Je vais m’introduire dans l’unité centrale et je vais vous guider dans le chantier naval, dit Juno en enfilant une oreillette du côté droit. Votre ami ici peut m’aider.

L’apprenti ne la dissuada pas, bien qu’il sache que ses efforts ne seraient, pour la plupart, pas nécessaires. Il sentait déjà la présence du Jedi qui irradiait à travers la station comme une lumière aveuglante après une tempête de neige. Kota voulait être découvert, cela ne faisait plus aucun doute.

— Contente-toi de veiller sur le vaisseau, lui dit-il, et sois prête à décoller quand je reviens. On devra peut-être partir rapidement.

— C’est ma spécialité, répondit-elle dans le comlink attaché à son poignet, tandis qu’il se glissait hors du vaisseau par la rampe de sortie, qui s’était complètement déployée avant son arrivée. L’air sentait la poussière et le sang versé. Cette odeur, ajoutée à la légère puanteur de Jedi, accéléra les battements de son cœur. Il courut et sauta du vaisseau.

Son sabre laser était allumé avant qu’il ne touche le pont, prêt à dévier les tirs du contingent de soldats envoyés pour s’informer sur leur atterrissage. La Force guidait son bras… Non, la Force était son bras. C’est comme cela qu’il le ressentait. Dans des moments pareils, il devenait un simple vaisseau dans lequel s’écoulait le Côté Obscur. Il déferlait en lui comme le vin coule du goulot d’une bouteille, heureux d’être libéré et que la fête commence. Sa lame dessina des traits lumineux dans l’air, réexpédiant les décharges d’énergie vers les soldats qui les avaient envoyées, les projetant à terre dans une pluie d’étincelles.

Une dizaine d’hommes et de femmes casqués, en tenue de combat marron – des insurgés de Kota, supposa l’apprenti –, firent irruption par le couloir d’accès principal du hangar et refermèrent la porte blindée derrière eux. En montrant les dents, il courut à leur rencontre, avide de passer à l’attaque. Leurs fusils n’étaient pas à la hauteur du pouvoir de la Force. Une simple poussée puissante les éparpilla comme des poupées. Il en frappa un avec un éclair. Il étouffa un deuxième jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Il balaya un troisième et l’aplatit contre la cloison la plus proche. Il démembra les autres avec une agressivité gracieuse, au mépris de leurs cris de peur et de douleur.

La porte blindée s’ouvrit et les insurgés comme les Impériaux se replièrent par là.

— Que toutes les escouades impériales maintiennent leur position offensive, cria une voix à travers l’interphone. Que toutes les escouades impériales maintiennent leur position offensive !

L’apprenti sourit et suivit son comité d’accueil dans le corridor.

— Vous m’entendez ? dit Juno dans le comlink.

— Oui.

— D’après les rapports, les forces de Kota ont pris d’assaut la passerelle de commandement.

— Alors, c’est là que je vais.

Il enjamba les corps et suivit ses indications à la lettre.

La voix calme de Juno le guidait niveau par niveau jusqu’en haut d’un énorme gouffre, qui menait au sommet du chantier naval. Lorsqu’il était hors de sa vue, il ne devait plus craindre qu’elle pose des questions sur le traitement sévère qu’il infligeait à ceux qui étaient censés être leurs camarades. Le Seigneur Vador pourrait la mettre au courant plus tard, s’il le jugeait nécessaire. Pour le moment, le plus important, c’était Kota.

— Les intrus pourraient utiliser les lignes d’assemblage des chasseurs TIE comme couverture, dit-elle. Et mes scanners ont repéré des explosifs. Soyez prudent.

Il lui assura qu’il le serait, alors même qu’il évitait un piège tendu par les insurgés de Kota au sommet de la cage d’un turbo-ascenseur. La voix dans l’interphone de la station devenait progressivement plus alarmée.

— Relèvement du niveau d’alerte. Éliminez tout personnel non autorisé.

— Le recours non nécessaire à la force est autorisé.

— Toutes les escouades de niveau K au rapport !

— Renforcez les postes de sécurité locaux immédiatement !

Les murs furent secoués par une explosion si proche qu’elle avait sans doute déformé toutes les cloisons de l’étage. Il gardait tout le temps à l’esprit son impression, que Juno avait exprimée à haute voix : Nous allons droit dans un piège. Sauf que c’était lui qui y allait à pied, pendant qu’elle restait dans le vaisseau, à l’abri des fusils BlasTech E-11 et des armes hétéroclites des insurgés.

— Un nouvel escadron de stormtroopers vient d’atteindre le Hangar 12, l’informa Juno. On dirait qu’on va avoir un coup de main pour reprendre le contrôle du chantier naval.

— Le chantier naval n’est pas notre problème.

— Mais le Haut Commandement Impérial ne sera pas content si les lignes d’assemblage des TIE sont endommagées…

— Je n’ai pas de comptes à rendre au Haut Commandement. Maintenant, assez de bavardages. J’essaie de me concentrer.

Il s’arrêta sur le sol d’une énorme plate-forme d’assemblage de chasseurs stellaires, la tête en l’air et le sabre laser armé. Un picotement dans la nuque l’avertit d’une nouvelle menace à l’instant précis où la charge d’un canon électrique explosait à sa droite et projetait des pièces de chasseur TIE dans toutes les directions. Il parvint à bloquer la majeure partie de l’explosion mais sa main droite dut quand même encaisser une pluie de petits débris.

— Rends-toi ! hurlèrent les insurgés. Nous contrôlons l’usine !

— Qui est-ce ? cria un autre à un de ses compagnons. Une sorte de Shadow Trooper ?

— Aucune importance. Tire-lui dessus !

Il sentit la colère monter en lui, pure et propre, balayant toute autre considération sur son passage. Il sauta par-dessus un entassement de panneaux solaires détachés et fit pleuvoir un flot de pièces de machines vers la source des tirs.

Des cris retentirent par-dessus le son du métal qui s’écrasait. Les insurgés de Kota quittèrent les cockpits de TIE derrière lesquels ils étaient abrités et se dispersèrent. Quelques-uns lui tirèrent dessus, en utilisant une gamme d’armement qui dénotait soit un manque d’organisation soit des ressources limitées, voire les deux. Il dévia tous les coups avec une fureur contrôlée et concentra toute sa rage pour riposter en force. Il ne voyait aucune raison de se retenir. Ceux qui se montraient déloyaux envers l’Empire méritaient tout ce qui leur arrivait.

C’est seulement quand le dernier fut enterré sous une épaisse pile de plaques de fuselage en alliage de titane et de protections de réacteur qu’il prit le temps d’examiner de plus près l’équipement qu’ils transportaient. En plus de leurs armes de bric et de broc et de leurs armures dépareillées, les combattants avaient apporté des packs d’explosifs à retardement et avaient de toute évidence posé le même type de charge ailleurs à ce niveau. Il ferait bien de se dépêcher, se dit-il, avant que tout le site ne s’envole en fumée.

À peine avait-il formulé cette pensée qu’une nouvelle onde de choc traversa la structure, bien plus forte que la précédente. Il eut bien du mal à conserver l’équilibre sur le pont qui tanguait tandis que des morceaux de chasseur TIE et de corps démembrés tombaient autour de lui. Juno lui criait quelque chose, mais il fallut un moment pour qu’il parvienne à l’entendre au-dessus du beuglement de l’interphone.

— … les stabilisateurs ou les répulseurs… je ne sais pas lesquels… pas bon du tout.

— Qu’est-ce que tu as dit ? Répète.

— Les complices de Kota ont frappé le chantier naval là où ça fait mal, résuma-t-elle. Dépêchez-vous de terminer ou on finira par tomber dans les voies aériennes avec la station.

— D’accord.

Le pont bougeait toujours sous ses pieds alors qu’il quittait le secteur de la ligne d’assemblage. Il bloqua le chemin derrière lui avec une pile de sièges éjectables et de moteurs ions pas encore assemblés.

— Où as-tu dit que la salle de contrôle se trouvait ?

Juno le guida à travers le chantier naval ébranlé. Tous ceux qui avaient la malchance de croiser son chemin se firent repousser par télékinésie. Des portes se refermèrent et des armes se coincèrent mystérieusement. Il n’avait plus le temps de jouer.

— Avis à tous les escadrons disponibles, hurla l’interphone, défendez les postes de sécurité immédiatement !

Puis :

— Ils se sont infiltrés dans les postes de sécurité !

Et enfin :

— La passerelle de commandement à tous les escadrons, on a besoin de votre ai…

La dernière transmission s’interrompit dans un fracas de tirs de blaster. Puis une paix toute relative s’installa.

La gravité ambiante était devenue plus légère, de toute évidence, quand il atteignit les portes qui, d’après ce que Juno lui avait assuré, menaient à la salle de contrôle. Cela voulait dire que tout le complexe tombait plus vite qu’il ne l’avait imaginé. Il prit un moment pour rassembler ses esprits, pour draper sa volonté comme une cape autour de son cœur enflammé, il se préparait à affronter le Jedi dont il sentait la présence à travers plusieurs centimètres de duracier.

Puis il fit un geste d’un doigt et les lourdes portes blindées s’ouvrirent. La pièce ressemblait à des centaines d’autres dans la galaxie : froide et métallique, avec des écrans d’affichage rouges qui tenaient le personnel informé du statut de l’usine. Une passerelle surélevée menait à un poste de commande, où le général Rahm Kota se tenait debout, tournant le dos à la porte, dans une position où se manifestaient de façon délibérée à la fois de la confiance et du mépris. Il n’avait même pas dégainé son sabre laser, accroché en diagonale sur ses omoplates, dans un fourreau fait sur mesure. Une cape marron pendait de deux épaulettes métalliques et soulignait encore la présence physique de l’homme. Tout en lui transpirait le guerrier. Il arborait fièrement les cicatrices de ses batailles.

L’apprenti s’était senti prêt pour l’attaque mais, une fois dans la pièce, il eut un bref moment d’hésitation. Ce n’était pas à cela qu’il s’attendait. Les Jedi étaient amollis par une vie de privilèges, ils étaient démodés, épuisés. Il ne s’attendait pas à tomber sur un soldat.

La voix de Kota, lorsqu’il se décida enfin à parler, était profonde et impérieuse, exactement comme celle de PROXY quand il l’incarnait.

— Alors j’ai fini par te faire sortir de ta cachette.

Il se tourna enfin.

— J’ai ordonné à mes hommes de désactiver le champ de protection à ton arrivée et…

Il s’arrêta au beau milieu de la phrase, en voyant l’apprenti. Il avait visiblement l’air surpris.

— Un gamin ?

En un mouvement rapide comme l’éclair, son sabre laser fut dans sa main, allumé.

— Je passe tous ces mois à attaquer des cibles impériales et Vador envoie un gamin pour m’affronter ?

Silencieux et la mine sévère, l’apprenti s’accroupit en position de combat. Ainsi donc, le piège était destiné à son Maître, pas à lui. Si Kota éprouvait de la déception, l’apprenti jura que ce serait la dernière émotion que le général ressentirait.

Il leva sa main gauche et, faisant appel aux pouvoirs du Côté Obscur, expédia un éclair Sith en direction du Jedi renégat.

Kota se contenta de rire. Levant la main gauche d’un mouvement qui imitait parfaitement celui de l’apprenti, il renvoya la foudre vers sa source. L’énergie les frappa tous les deux, les projetant loin l’un de l’autre.

L’apprenti coupa court à sa tentative d’attaque et cligna des yeux pour voir à travers la fumée. Sa colère s’intensifia. Il fut le premier à se remettre sur pied et à courir, dès que ses bottes touchèrent le sol. Il se sentait très léger mais poussé par son élan, comme un javelot qu’on projette avec force. Sa lame rouge fendit l’air, visant à pleine puissance la gorge de Kota.

Le général Jedi se baissa et balaya l’air de son sabre laser vert, avec des mouvements de haut en bas, tentant sans trop d’effort d’attraper l’apprenti en plein vol. C’est un mouvement que Starkiller avait appris à éviter depuis longtemps, il fallait rentrer la tête pour la rapprocher de son centre de gravité et ainsi rouler dans les airs puis se projeter de nouveau vers son adversaire en prenant appui contre le mur le plus proche. Cette fois, il se poussa par télékinésie au cours de l’approche, tentant de faire perdre l’équilibre à Kota avant de le frapper avec sa lame.

De nouveau, cependant, Kota renvoya vers lui ses ondes de Force. De nouveau, ils furent repoussés loin l’un de l’autre.

Plus prudent, l’apprenti lui tourna autour, il mettait les sièges en pièces sur son passage et balançait les débris scintillants à la tête de son adversaire. La colère le rendait avide de se battre mais il savait qu’il ne devait pas y céder. Il n’avait pas été humilié. Il avait testé avec succès les défenses de Kota. Maintenant qu’il savait qu’une attaque directe échouerait probablement, il fallait qu’il trouve un autre moyen de s’approcher de l’homme. Ou de faire venir le Jedi vers lui.

Tout à coup, Kota se mit en mouvement, il se lança à l’assaut avec une vitesse étonnante et frappa avec une variété de coups emplis de fureur. L’apprenti recula avec un sourire qui découvrit ses dents. Voilà qui ressemble plus à un combat ! Des énergies vertes et rouges s’entrechoquèrent tandis qu’il bloquait coup après coup, empêchant toujours Kota d’approcher, celui-ci tentait de l’écraser avec sa détermination sans faille et sa rapidité. L’apprenti recula de quatre pas puis s’arrêta. Il rapprocha la lame de son corps, formant une défense rapprochée imitant le style Soresu qu’affectionnait Obi-Wan Kenobi. Convaincu qu’il ne pourrait pas pénétrer sa défense, Kota recula et essaya un style différent – lent, réfléchi, avec des coups brusques et redoutablement rapides. Ceux-là aussi, l’apprenti les para et quand il lui sembla que la garde du vieil homme baissait, il déploya quelques coups bien à lui.

Le duel faisait rage dans toute la salle des commandes, qui était secouée et vibrait sous les chocs tandis que le complexe qui l’entourait tombait en morceaux. L’apprenti avait fait le vide sur tout le reste – la voix de Juno, la gravité qui fluctuait grandement, les explosions incessantes, la température du sol sous ses pieds qui montait – afin de se concentrer uniquement sur cet affrontement capital. Kota ne parviendrait pas à le battre mais était-il capable de vaincre Kota ? Il devait y arriver. Il préférait couler avec le navire plutôt que s’arrêter et admettre sa défaite. L’apprenti secret de Dark Vador savait quel sort lui serait réservé s’il abandonnait.

Le général était combatif, puissant et maîtrisait des mouvements que l’apprenti n’avait jamais vus. Mais il était plus âgé et avait choisi de ne pas faire appel au Côté Obscur de la Force. Il essaya de revenir à la charge deux fois, espérant visiblement pousser son adversaire à l’erreur ou le fatiguer mais c’était lui qui commençait à montrer les effets du duel, lui qui prenait des coups. Bientôt, sa cape ne fut plus qu’une loque fumante et ses épaulettes brillaient d’un éclat rouge vif.

L’apprenti redoubla d’efforts, il sentait approcher la victoire et le moment où son pouvoir atteindrait sa plénitude. Bientôt, le sabre laser du Jedi – et sa tête – lui appartiendraient. Alors, il serait vraiment digne des louanges de son Maître !

Il attrapa le général avec une prise d’étouffement et maintint son emprise, même si elle se retournait en partie contre lui. Il s’y était préparé ; ses poumons étaient pleins. Le général, pendant ce temps, serrait sa gorge d’une main et tentait de parer l’attaque de l’autre. L’apprenti laissa le feu de ses poumons alimenter son désir de triomphe. Malgré l’obscurité qui venait assombrir les contours de sa vue, il lança violemment des objets contre les jambes et le visage de Kota, l’attaquant sur tous les fronts.

Finalement, un fragment de débris fumant frappa les genoux du général par-derrière. Avec un cri de frustration, le Jedi, qui se débattait encore, tomba, le visage violet et les yeux exorbités. L’apprenti relâcha légèrement son étreinte pour leur permettre à tous les deux de reprendre un peu d’air, mais avant que Kota n’arrive à se remettre sur pied, il fondit sur lui, poussant de toutes ses forces les sabres laser entrecroisés, qui grésillaient à quelques millimètres de leurs visages.

Kota faisait tout ce qu’il pouvait mais il ne parvenait pas à repousser la lame rouge. Dans ses yeux bleus, l’apprenti vit non pas une haine bienfaisante mais du regret. Même à la fin, Kota s’accrochait à ses manières faibles de Jedi.

— Vador pense, lâcha le vieil homme dans un souffle, qu’il t’a converti. Mais je vois ton avenir… et Vador n’en fait pas partie !

L’apprenti poussa les sabres laser encore plus près du visage de Kota.

De la sueur perla sur le front du Maître Jedi.

— Je sens… je sens seulement…

Son visage prit une expression choquée et confuse.

— Moi ?

L’apprenti enfonça le propre sabre laser de Kota dans ses yeux.

Et soudain – comme dans une vision jaillie hors du temps, exactement le genre de vision que l’apprenti cherchait dans le feu de sa lame rouge –, le visage de Kota devint celui d’un autre homme, un homme aux cheveux foncés et aux traits forts, des traits qui ressemblaient étrangement à ceux de l’apprenti.

Le général poussa un cri de douleur… et dans ce cri, l’apprenti crut entendre un homme crier :

— Cours !

Il recula avec un frisson, cligna furieusement des yeux et se demanda si Kota, dans son désespoir final, ne lui avait pas infligé une nouvelle forme insidieuse de confusion mentale, dont les Jedi avaient le secret. Mais sa tête n’avait pas l’air d’avoir subi la moindre intrusion et le général semblait penser à tout sauf à une attaque. Aveuglé et angoissé, il reculait à tâtons. Son sabre laser lui glissa des mains et tomba avec un bruit sourd sur le pont. Une explosion de télékinésie jaillit de son corps et fit voler en éclats toutes les baies d’observation de la salle de contrôle, propulsant l’apprenti dans les airs. Un vent violent pénétra dans le local, aspirant la fumée et les débris de leur duel. Kota aussi fut aspiré et tomba dans l’atmosphère en dessous du complexe avec un cri qui devint rapidement indistinct. À moins qu’il n’ait sauté ?

L’apprenti se laissa emporter par le grand vent jusqu’au trou laissé par la baie d’observation. Il saisit d’une main un poteau plié et se pencha précautionneusement dehors pour regarder en bas, le sabre laser prêt à parer à une ultime ruse du Jedi.

Le corps de Kota était déjà beaucoup plus bas, bras et jambes écartés, il devenait de plus en plus petit au milieu des voies aériennes de la Cité Verticale. Un grand transporteur croisa son chemin, le corps était désormais hors de vue. L’apprenti l’imagina se faire écraser comme un insecte sur un pare-brise de transparacier et s’efforça de ressentir la satisfaction de la tâche accomplie.

Cela ne vint pas.

Le général Rahm Kota était aveuglé et gravement blessé. Il ne pouvait plus poser problème. Mais l’apprenti ne pouvait le tenir pour mort tant que le cadavre du vieil homme n’était pas devant lui – et il n’y avait aucune chance de retrouver ce corps à présent.

Il n’avait aucune envie de faire part de son échec à Dark Vador.

Que faire ?

— Cet endroit va tomber en morceaux d’un moment à l’autre ! dit la voix de Juno dans le comlink. Vous avez presque fini, là ?

— J’arrive.

Son regard était véhément et son cœur n’éprouvait aucune fierté. Il s’éloigna de la fenêtre et se dirigea vers la porte, s’arrêtant seulement en chemin pour ramasser le sabre laser du Maître Jedi déchu.