CHAPITRE 32

Les déserts de Rhommamool brûlaient sous les feux orange vif de leur soleil principal, Juno était en sueur chaque fois qu’elle les regardait. Elle s’était posée sur la surface une fois, pour que Starkiller puisse acheter une paire de nouveaux servomoteurs d’épaules pour PROXY, et elle ne s’était pas aventurée hors du vaisseau plus longtemps que nécessaire. Ce monde minier au bord de la faillite empestait la famine et la guerre. Heureusement, le monde voisin d’Osarian était assez distant pour que l’éternel conflit entre les deux civilisations du système soit sur le déclin. Autrement, elle aurait insisté pour qu’ils trouvent un autre endroit pour faire profil bas en attendant de recevoir des nouvelles des autres conspirateurs.

Bail Organa les avait informés cinq jours plus tôt qu’une série de réunions se tenaient à la Maison Cantham, sa résidence sur Coruscant, entre lui, Garm Bel Iblis et Mon Mothma. Apparemment, elles s’étaient bien déroulées et le début d’une rébellion gagnait lentement du terrain. C’étaient de bonnes nouvelles. Mais d’un autre côté, l’implication de deux chefs notoires de la résistance et de plusieurs fugitifs avait rendu le projet encore plus dangereux. Si l’Empereur avait vent de rumeurs d’une « Alliance pour la Restauration de la République », sa revanche serait sans fin.

En conséquence, le peu de forces impériales présentes autour de Rhommamool avait été un argument de poids au moment de choisir l’endroit où se cacher pendant quelque temps, tout comme le fait que la planète était juste à côté de la Passe Corellienne. Les transmissions HoloNet étaient plus à jour là quelles ne l’auraient été sur la Bordure Extérieure. Juno regardait l’Infonet pour voir si on y faisait écho de leurs activités et étudiait la propagande impériale pour y dépister d’éventuels signes de préoccupation. Jusque-là, l’HoloNet ne mentionnait rien en rapport avec des soulèvements et du sabotage sur Kashyyyk et Raxus Prime – ni même au sujet de Wookiees kidnappés, de projets secrets qui nécessiteraient de la main-d’œuvre d’esclaves ou d’une rébellion en train de se réunir.

Elle se dit que ce n’était pas mauvais signe. Les personnes importantes le remarquaient, de chaque côté de la ligne de partage politique. L’Empereur ne pouvait ignorer que des oppositions armées contre son régime prenaient de l’ampleur, et ceux qui rêvaient de le faire tomber avaient maintenant de nouveaux alliés pour soutenir leur cause.

Leur mission consistait à attendre des nouvelles de Bail Organa, qui confirmeraient que toutes les personnes impliquées pourraient enfin se rencontrer à un endroit qui, pour le moment, était gardé délibérément vague. Le Rogue Shadow avait changé trois fois de systèmes au cours de la semaine précédente, à l’instigation de Juno, pour conserver une longueur d’avance sur une poursuite imaginaire – mais tout à fait probable.

L’attente était plus dure à supporter que quoi que ce soit quelle ait jamais imaginé. Ça et rester cantonnée dans le vaisseau avec Starkiller, jour après jour, parlant à peine, passant rarement plus de quelques secondes à la fois dans une même pièce. Elle restait dans le cockpit et les zones de maintenance, tandis que lui ne quittait pas la chambre de méditation, où il dormait et travaillait à réparer PROXY. Kota oscillait entre eux comme s’il était monté sur ressorts. Depuis Raxus Prime, il se montrait encore plus ours et introverti que d’habitude, même s’il refusait de dire pourquoi. Parfois la tension était si palpable qu’elle avait l’impression qu’elle pourrait s’y noyer.

Tout était en attente : la rébellion, les plans de Starkiller, sa vie…

— Est-ce qu’on ne pourrait pas simplement aller sur Corellia et attendre les nouvelles de là ? demanda-t-elle à Kota le septième jour. Je veux dire, c’est là que la réunion va se tenir. Pas besoin d’être grand clerc pour le deviner, si Bel Iblis y participe.

— C’est d’autant plus important que nous n’y soyons pas, dans ce cas, lui expliqua l’ex-Jedi. Si on nous repère dans cette région, cela va effrayer tout le monde.

— Ils ne nous repéreraient jamais, argumenta-t-elle, bien qu’elle sache qu’il avait raison. Nous avons le système de camouflage et…

Elle s’arrêta, car elle venait d’entendre un bruit de pas métallique sur le pont derrière elle. Elle se retourna et leva les mains par réflexe, elle était sur ses gardes depuis l’épisode où le droïde l’avait affrontée dans le cockpit. Une panique soudaine fit battre les veines dans son cou.

— Je suis désolé de vous surprendre, capitaine Eclipse, dit PROXY avec un petit salut humble. S’il vous plaît, permettez-moi de vous présenter mes excuses les plus sincères pour mon comportement sur Raxus Prime. Votre nom ne figure pas dans ma liste de cibles et n’y serait jamais apparu si le Noyau n’avait pas corrompu ma programmation de base. Je suis content de n’avoir réussi qu’à vous rendre inconsciente pour que vous ne me suiviez pas et que vous ne déclenchiez pas l’alarme. (Le droïde fit de nouveau une courbette.) Vous avez tout à fait le droit de m’abandonner dans l’espace ou de me mettre à la casse, et je ne protesterai pas si vous choisissez une de ces solutions. Je me suis disputé avec mon Maître plus d’une fois à ce sujet mais je suis bien décidé.

Par-dessus l’épaule du droïde, elle vit Starkiller qui affichait un air à la fois furieux et inquiet, comme s’il craignait qu’elle n’accepte la proposition de PROXY.

— Non, PROXY, répondit-elle, s’obligeant à abandonner son attitude défensive, cela ne sera pas nécessaire. Oublions ce qui s’est, passé. C’est bon de te revoir sur pied. Comme neuf, dirait-on.

— Je crains que non, capitaine Eclipse, mais merci pour vos gentilles paroles.

Il la fixa dans l’expectative et elle se creusa la cervelle pour trouver quelque chose à dire pour dissiper la gêne.

— Euh, ce générateur de bouclier arrière a bien besoin qu’on y jette un coup d’œil. J’ai l’impression qu’il provoque des vibrations à basse fréquence et je préfère qu’il tombe en panne maintenant que quand on en aura vraiment besoin.

— Bien sûr, capitaine Eclipse.

PROXY fila joyeusement et elle se demanda ce qu’il avait voulu dire quand il avait sous-entendu qu’il n’était pas en parfait état. Bien sûr, le Rogue Shadow avait été plus calme sans les duels incessants entre son Maître et lui mais elle supposait qu’ils allaient reprendre à présent qu’il était de nouveau sur pied. Peut-être que les symptômes de son dysfonctionnement apparaîtraient avec le temps.

Starkiller la regardait aussi.

— Merci, dit-il.

Juno se retourna et se rassit.

— Vous êtes sûr que son processeur est clean ? Le Noyau pourrait avoir placé toutes sortes de virus là-dedans.

— Son cerveau est bien le sien, l’assura-t-il. De nous tous, c’est probablement le seul qui puisse dire ça.

— Parle pour toi, mon garçon, rétorqua Kota.

Starkiller baissa les yeux vers le vieux général.

— Dites à votre ami le Sénateur Organa qu’on ne va pas rester ici les bras croisés éternellement. La rébellion a besoin d’action, pas de mots.

Il retourna s’enfermer dans la chambre de méditation et Juno reprit son attente. Pour le moment, cela semblait être la seule action qu’elle était autorisée à faire.

Deux jours plus tôt, elle avait quitté son siège pour aller se rafraîchir. À son retour, elle se sentait plus humaine, aussi bien du côté de son esprit que de son haleine. Elle avait alors surpris une conversation entre Kota et Starkiller dans le cockpit.

— … parviens pas à identifier le style, disait le vieux général, et ça m’aiderait à te comprendre si tu me disais qui était ton professeur à l’origine.

— Qui a dit que vous deviez me comprendre ? répondit Starkiller.

— Garm Bel Iblis le dira. Il ne sait rien de toi et, d’un point de vue militaire, ça fait de toi une menace.

Juno retint sa respiration.

— La seule menace dont on devrait s’inquiéter est celle de l’Empereur, répondit Starkiller d’un ton qui suggérait que la discussion était terminée. Je peux le renverser. C’est tout ce que vous devez savoir.

Kota garda le silence un long moment.

— Fais attention, mon garçon. Quand tu parles comme ça, j’entends l’ombre du Côté Obscur s’étendre jusqu’à toi.

Les deux hommes s’enfermèrent dans un silence maussade. Un instant avant que Juno ne décide que le moment était venu de faire irruption, Starkiller reprit la conversation.

— Il y avait une fille sur Felucia, une apprentie qui a rejoint le Côté Obscur. Je l’ai laissée partir.

— Bail me l’a dit. Et alors ?

— N’y avait-il aucun espoir pour elle, une fois qu’elle avait succombé ?

Kota claqua la langue.

— C’est ça qui est arrivé à ton professeur ?

Starkiller ne répondit pas.

— Oh ! finit par s’exclamer Kota. Laisse-moi tranquille, gamin. Tu m’épuises avec ton silence.

Juno se dissimula de nouveau quand Starkiller sortit du cockpit.

Lorsque la porte de la chambre de méditation se referma derrière lui, elle revint sur ses pas et trouva Kota effondré dans le siège, les yeux résolument fermés, de nouveau perdu dans ses pensées secrètes.

Elle s’était sentie furieuse contre eux deux. Pourquoi les hommes se tourmentaient-ils toujours en silence ou tournaient-ils tellement en rond autour du problème qu’ils finissaient par l’étouffer ? Elle aurait pu dire à Kota des choses au sujet de Starkiller qui auraient fait bondir ses yeux morts de ses orbites, mais il n’avait guère plus de principes moraux que n’importe lequel d’eux deux avec son éternel désespoir et sa propension à se plaindre en permanence. Il était certain que personne ne se tracassait vraiment de savoir quel était le nom de Starkiller ou qui avait été son professeur. Tout ce qui comptait, c’était ce qu’il faisait.

Restait à savoir, se dit-elle, ce qu’il faisait réellement.

Le huitième jour, Starkiller l’appela pour qu’elle le rejoigne avec PROXY dans la chambre de méditation.

Elle hésita, se demanda si elle avait bien entendu, puis laissa Kota à ses contemplations et traversa le vaisseau bourdonnant. Le droïde l’attendait à l’entrée de la chambre de méditation et ils pénétrèrent ensemble dans l’espace angulaire et sombre.

Starkiller occupait le centre de la pièce. Son expression était très sérieuse. La porte se ferma derrière eux dans un sifflement.

— Mets-toi là et ne dis rien, lui ordonna-t-il. (Il indiqua un coin renfoncé, où elle serait complètement dans l’ombre.) PROXY, ici.

Le droïde se tenait entre Starkiller et elle. Elle arrivait à peine à voir Starkiller à cause de la silhouette de PROXY.

Les lumières vacillèrent et faiblirent jusqu’à devenir presque imperceptibles. Starkiller respira profondément et baissa la tête.

La peau métallique de PROXY prit vie dans un nuage d’étincelles et commença à changer.

Une ombre plus sombre s’étendit la pièce.

— Mon Seigneur, dit Starkiller et le cœur de Juno s’arrêta.

La silhouette sombre, qui se tenait là où PROXY était un moment plus tôt, parla.

— Tes actions sur Raxus Prime ont fortement… déplu à l’Empereur. (Le ton pesant de Vador provoqua un frisson de dégoût le long de l’échine de Juno.) Qui s’est maintenant rallié à ta cause ?

Starkiller leva la tête pour regarder directement son Maître.

— Les ennemis de l’Empereur sont prudents. Je suis en train de gagner leur confiance et leur respect mais certains d’entre eux restent méfiants. Si jamais on me surprend à vous parler, mes efforts auront été vains et nous n’aurons pas d’armée pour défier l’Empereur. (Il se redressa de toute sa taille.) Vous ne pouvez plus m’apparaître. Je vous contacterai.

Les mains gantées de Vador se serrèrent en poings.

— Quand ?

— Quand l’Alliance sera formalisée et prête à frapper au cœur de l’Empire.

Pendant un long moment, le Seigneur Noir ne dit rien. Ses pensées étaient complètement cachées par le masque noir intégral. Juno ne savait pas ce qu’elle devait espérer et ne sentit que du soulagement lorsque Vador mit un terme à l’attente et hocha enfin lentement la tête.

— N’attends pas trop longtemps pour me contacter. (Il pointa l’index de sa main droite gantée vers la poitrine de Starkiller.) Le pouvoir de l’Empereur ne fait que grandir.

L’image de Vador s’évanouit et PROXY redevint lui-même. Contrairement à d’autres fois, cependant, le droïde ne semblait pas se sentir mal d’avoir incarné le Seigneur Noir. Starkiller le regarda fixement, perdu dans ses pensées, puis fit signe au droïde de s’en aller.

Elle se retrouva seule avec Starkiller pour la première fois depuis Felucia. Était-ce le moment qu’elle avait attendu ?

Je ressens un conflit en toi, lui avait dit Vador, il y avait bien longtemps de cela. Tes sentiments envers tes nouveaux alliés deviennent de plus en plus forts. N’oublie pas que tu es toujours à mon service.

La pensée que Starkiller n’était peut-être pas une cause complètement perdue la remplit d’espoir mais c’était un espoir teinté d’une incertitude bien réelle. Quand elle l’avait vu tituber au loin dans le brouillard sur Raxus Prime, portant à lui seul le poids de son droïde hors d’état, l’expression sur son visage avait failli mettre à mal sa résolution de ne plus lui faire confiance. Il avait laissé paraître ses émotions à l’idée de perdre son plus vieux compagnon – même s’il s’agissait d’un droïde qui avait essayé de le tuer toute sa vie. Elle avait vu sur son visage le conflit dont Vador avait parlé. Elle avait compris alors que sa décision n’était pas entièrement prise.

Cependant, quand elle avait couru à sa rencontre et avait tenté de porter PROXY avec lui, il l’avait repoussée et avait continué à monter la rampe tout seul. C’était comme s’il sentait que sa vulnérabilité émotionnelle était causée par elle, comme si elle l’avait, d’une manière ou d’une autre, manipulé pour qu’il se sente comme ça, et elle avait de nouveau immédiatement ressenti de la colère à son encontre. Ce n’était pas sa faute si elle lui avait été assignée. Elle ne l’avait pas obligé à la sauver à bord de l’Empirique. Il aurait facilement pu la laisser tomber et piloter lui-même le vaisseau.

La situation n’était la faute de personne. Elle était ainsi, rien de plus. Plus vite il comprendrait cela, plus vite il clarifierait sa position vis-à-vis de Juno et de tous ceux qui l’entouraient, mieux ce serait.

— Nous allons sur Corellia, l’informa-t-il. Ils seront tous là… Bail et ses alliés…

Elle ne pouvait dire s’il était content ou terrifié.

— Bon, si c’est bien vrai, vous aurez votre alliance rebelle, fit-elle. Qu’allez-vous en faire ?

Ses yeux rencontrèrent les siens.

— Fais-moi confiance, Juno. Je fais ce qui est bien, pour nous deux.

Elle avait envie de le croire. Elle n’avait d’autre choix que de le croire. Elle était prise au piège dans un enchevêtrement de possibilités. Seul le temps dirait si elle parviendrait à s’en libérer.

Le son de la voix de Kota, qui les appelait depuis le cockpit, résonna dans le vaisseau.

— Il est temps, appelait-il. On peut enfin se mettre en route.

— Pour où ? demanda-t-elle à Kota en se laissant tomber dans son siège usé et échauffant ses doigts.

— Corellia, bien sûr.

— Je le savais.

Et Starkiller aussi le savait, avant qu’il ne les appelle. Juno évacua cette pensée de son esprit.

— En fait, le trajet est déjà programmé.

Elle vérifia le navordinateur et trouva tout en ordre. Le trajet avait été mis à jour automatiquement toutes les demi-heures pendant qu’elle dormait. Avec une série d’effleurements adroits, elle activa les moteurs subluminiques pour amener avec douceur le vaisseau hors de l’orbite, pas assez vite pour attirer l’attention mais pas trop lentement non plus. Elle avait envie de se mettre en route, malgré son appréhension. Autant elle avait aspiré à ce qu’il se passe quelque chose, autant maintenant elle le redoutait presque. Ils avaient atteint le point de non-retour…

Elle leva les yeux vers la baie d’observation et y surprit le reflet de Starkiller. Il se tenait à l’arrière du cockpit, les bras croisés et les yeux fixés droit devant lui, comme s’il voyait déjà leur destination. Elle n’arrivait pas à déchiffrer son expression et se trouva distraite par sa présence d’une façon qui l’ennuyait.

Et si Vador l’avait choisie uniquement pour tester l’engagement de Starkiller ? Que se passerait-il s’il était en train d’échouer à ce test ?

Elle poussa une manette et l’étrangeté de l’hyperespace les engloutit. Le Rogue Shadow se balançait sous eux, la navigation était aussi souple que la première fois qu’elle avait pris place dans son cockpit.