CHAPITRE 5

Le monde-décharge de Raxus Prime était situé dans l’Hégémonie de Tion, sur la Bordure Extérieure. Starkiller et Juno purent donc mettre à profit la durée du voyage pour mettre à jour leurs objectifs de mission et effectuer quelques recherches. Il était aussi distrait qu’elle, à son grand soulagement. Il n’arrêtait pas de demander à PROXY de répéter des détails, qu’il avait ratés parce qu’il était perdu dans ses pensées. Il finit par s’excuser pour rejoindre la petite chambre de méditation du vaisseau afin de rassembler ses énergies.

Elle fit de même, à sa manière, en inclinant son siège et en posant ses pieds sur le tableau de bord. Elle avait enfin le temps pour cette courte sieste qu’elle s’était promise.

Mais tout ce qu’elle venait d’apprendre au cours des dernières heures n’arrêtait pas de lui trotter en tête et l’empêchait de se relaxer. Pour la centième fois, elle s’ordonna d’oublier Vador et l’Empereur et de se concentrer sur la mission en cours. Si c’était pour souffrir d’insomnie, autant réfléchir à quelque chose d’utile.

N’importe qui aurait considéré Kazdan Paratus comme un drôle d’oiseau. PROXY était incapable de prendre son apparence parce que tous les détails physiques concernant ce Jedi en particulier avaient été effacés des Archives, peut-être par le vieux Maître paranoïaque lui-même. Des archives incomplètes sur l’histoire des Jedi lui attribuaient un don hors du commun pour la fabrication de droïdes. Il avait mis au point de nombreuses machines uniques en leur genre, dotées de capacités qui allaient bien au-delà de celles des droïdes ordinaires. En reconnaissance de ses talents extraordinaires, le Conseil des Jedi avait fait de lui l’ingénieur officiel du Temple et lui avait alloué un atelier personnel sur Coruscant.

Pendant la Guerre des Clones, il était sorti de son isolement pour observer les armées de droïdes de la Confédération. La vie sur la ligne de front lui avait apporté de nombreuses occasions d’examiner les automates de guerre, tandis qu’il construisait des droïdes médicaux, des droïdes générateurs et d’autres unités conçues pour soutenir l’armée des clones. La campagne avait été désastreuse, la plupart de ses soldats clones avaient été tués, ce qui l’avait mené à improviser un contingent de droïdes de combat, qui agissaient sous son commandement direct. Ce furent ces circonstances fortuites – mais peut-être ne devaient-elles rien au hasard – qui lui avaient permis d’éviter la justice lors de l’exécution de l’Ordre 66. Depuis ce jour, il vivait dans la clandestinité.

Il était maintenant apparu sur Raxus Prime, décharge pour les déchets et les poisons industriels. Avait-il été forcé de s’y retrancher par nécessité ou avait-il volontairement cherché refuge là, au milieu des machines cassées ? Les Archives ne pouvaient pas le dire à Juno.

Au moins, il n’était pas général, lui. Ça ne pouvait pas être bien dangereux un fabricant de droïdes. Dark Vador le considérait peut-être plus puissant que Starkiller mais elle ne voyait pas pourquoi. Après tout, son agent s’était vite débarrassé du Maître Jedi Rahm Kota.

Ses pensées dérivèrent. Elle entra dans un état onirique, à mi-chemin entre le sommeil et l’éveil. Un léger clignotement sur le tableau de bord aurait suffi à mettre ses sens en alerte mais, en attendant, elle était au repos. Voire totalement en paix…

— Ils n’ont aucune défense, rapporta-t-elle au Seigneur Vador, à travers le système com de son bombardier TIE. La bataille est terminée.

— Elle est loin d’être terminée, capitaine Eclipse. Continuez votre assaut.

Elle grinça de dents et agrippa des deux mains le manche du vaisseau et réfléchit à l’alternative qui se présentait à elle. Elle ne désobéirait jamais à un ordre direct, mais les conséquences…

— Je sens votre désapprobation, capitaine. Dites-moi le fond de votre pensée, si vous y tenez.

Ne la lisait-il pas déjà ? Elle frissonna à cette idée.

— Sauf votre respect, monsieur, ce serait un génocide de continuer le bombardement… un gâchis de vies totalement inutile. Ils sont déjà vaincus.

— Puisque ce sujet vous tient tellement à cœur, je vais vous donner un autre plan d’action. Frappez le réacteur planétaire aux coordonnées suivantes et frappez-le fort. Une fois qu’il sera hors d’usage, je considérerai cette mission accomplie.

Les coordonnées arrivèrent et elle laissa échapper un soupir de satisfaction inaudible. Un tir de précision était infiniment préférable à un tapis de bombes.

— Merci, Seigneur Vador.

— Je n’ai que faire de votre gratitude. Apportez-moi plutôt le succès, capitaine. Je n’en demande pas plus.

Le canal se ferma et elle relaya les ordres aux autres appareils de l’escadron Black Eight. Une petite victoire dans une bataille immense : elle ne pouvait se permettre de s’attarder là-dessus. Elle prépara sa charge, traça sa trajectoire dans l’atmosphère de Callos, contente de n’ajouter qu’un petit peu de dégâts à tout ce que cette planète verdoyante avait déjà enduré…

Elle se réveilla de son rêve en sursaut. Ça suffit, se dit-elle. Elle ne pouvait pas se fustiger éternellement au sujet de ce qui s’était passé. Quelle différence cela faisait-il à présent ? Elle finirait par devenir folle si elle y pensait tout le temps.

Et puis, elle devait se soucier de choses plus importantes, maintenant. Avec Dark Vador, Starkiller, ce scélérat de Jedi et l’Empereur, elle devait garder les sens en éveil pour ne pas passer à côté de ce qui lui permettrait de s’en sortir entière.

Des lumières clignotaient sur la console du Rogue Shadow.

— Dis à ton Maître que l’on va bientôt sortir du saut, dit-elle au droïde. Si c’est un piège comme à Nar Shaddaa, il voudra être prêt.

— Je vais l’informer, répondit PROXY, tandis qu’elle effectuait les derniers réglages pour préparer les propulseurs du vaisseau en vue de l’arrivée. Quand Starkiller entra dans le cockpit derrière elle, elle ne leva pas les yeux de son travail.

Le paysage d’hyperespace, strié d’étoiles, revint soudainement à la normale. Ils furent saisis par la gravité de la planète. Les moteurs subluminiques firent pivoter le Rogue Shadow pour qu’il soit orienté dans le bon sens et qu’il se dirige vers l’orbite désirée.

Raxus Prime les accueillit dans toute sa splendeur décrépite. La surface de ce monde gris et synthétique était couverte par presque autant de métal que Nar Shaddaa mais la similitude s’arrêtait là. Alors que cette dernière était animée de lumières et de commerces, l’autre était un dépotoir fumant habité par des ferrailleurs et de la vermine. Juno n’avait jamais été envoyée ici au cours de ses missions précédentes et n’avait jamais eu envie de visiter la planète. Même la réputation de Raxus Prime était toxique.

Elle vit immédiatement pourquoi. Ce n’était pas juste l’atmosphère fétide et les montagnes de déchets en décomposition. Contrairement à Nar Shaddaa, ce monde n’était pas une lune ; c’était une planète à part entière, avec un champ magnétique étonnamment puissant. Chaque voie orbitale était remplie de déchets en suspension, il en allait de même pour une série complexe de champs magnétiques qui s’étendaient à peu de distance de la surface. Ces champs transportaient des fragments ferreux en suspension et semblaient parodier, de façon sinistre, les anneaux d’une géante gazeuse.

Ces anneaux grouillaient de petits vaisseaux, soit automatiques soit monoplaces, à la recherche de n’importe quel objet de valeur. De temps en temps, des lasers illuminaient le ciel, soit pour couper des mastodontes trop gros pour être transportés soit pour écarter des rivaux qui s’approchaient d’une babiole toute proche.

Et puis il y avait le Noyau, l’intelligence artificielle construite par la République pour coordonner les opérations de la planète-décharge. PROXY expliqua qu’il tenterait de les connecter sur le système d’annonces du Noyau une fois qu’ils seraient à portée mais Juno ne voyait pas en quoi cela pourrait les aider, si le Noyau les attaquait.

La mission ne serait pas de tout repos. Elle prit fermement les commandes en main et guida patiemment le vaisseau au travers de ce véritable cauchemar de navigation.

PROXY s’était avancé pour prendre le siège du copilote à côté d’elle. Starkiller, lorsqu’il les rejoignit, se tint derrière eux deux, évaluant la scène à travers la baie d’observation du cockpit.

— PROXY, demanda-t-il, est-ce que tu captes déjà des communications ?

Le droïde porta une main de métal à son front et fit un bruit étrange. Juno leva les yeux vers lui. Les photorécepteurs de PROXY clignotaient ; il se pencha en avant, comme s’il souffrait.

— Il y en a trop à déchiffrer, Maître.

Les holoprojecteurs du droïde se mirent subitement à clignoter. Juno s’écarta d’une vision anguleuse de métal et de lames coupantes, avec des yeux rouges brillants et des membres d’insecte. Avant qu’elle n’ait eu le temps de demander ce qui se passait, la vision s’était évanouie et le droïde poursuivait :

— J’entends des centaines de droïdes qui s’appellent les uns les autres.

Il leva le regard vers son Maître, qui l’observait les sourcils froncés.

— C’est ici que viennent les droïdes pour mourir.

— Ou sont emmenés, marmonna Juno pendant qu’elle scannait les écrans placés devant elle.

— Et Kazdan Paratus ? demanda Starkiller à PROXY.

— Je n’entends aucun indice qui pourrait nous mener à lui.

Juno écarquilla les yeux. Elle leva son index droit pour ramener l’attention de ses compagnons vers le panorama.

— Et si on commençait par là ?

En disant cela, elle inclina le vaisseau à tribord, pour mieux révéler la structure qu’elle venait de découvrir.

Cinq tours étroites s’élevaient du tas de détritus, comme un hommage surréaliste au passé. La tour centrale était la plus haute des cinq, avec une structure carrée près du sommet qui évoquait, aux yeux de Juno, les ailerons d’une torpille à l’ancienne. Les quatre autres étaient plus simples, moins décorées.

— Cela ressemble à s’y méprendre au vieux Temple Jedi sur Coruscant, dit-elle.

Starkiller hocha la tête.

— Pose-nous aussi près que tu peux.

Elle scruta les zones proches à travers un épais rideau de pluie grasse.

— Je vais faire de mon mieux. Il y a peu de surfaces dégagées.

Le sommet de la tour avait l’air irrégulier et dangereusement instable.

— Vous allez devoir vous approcher à pied.

Le Rogue Shadow vira en souplesse d’un bord sur l’autre tandis qu’il traversait les voies magnétiques remplies de détritus puis survolait deux imposantes montagnes de débris. Plus elle s’enfonçait dans l’atmosphère, plus la lueur de l’étoile principale s’atténuait et semblait devenir verte, jusqu’à ce que Juno sente ses sinus se boucher par solidarité.

— Voilà, dit-elle, quand elle eut finalement trouvé un emplacement assez grand pour poser le Rogue Shadow. Avec vue sur le lac et tout et tout…, ajouta-t-elle.

L’emplacement était situé sur la rive d’une étendue d’eau aux formes irrégulières, l’un des multiples étangs qui s’étaient formés au sommet des piles de déchets. Elle n’osa pas poser le vaisseau carrément sur le sol, de peur que la surface relativement plane ne cède sous le poids. Elle préféra rester en suspension sur les propulseurs, patinant légèrement sur la surface, tandis que Starkiller s’éloignait vers la rampe.

— Contourne le Temple et attends mon signal, lui lança-t-il à travers le comlink d’un ton professionnel.

— Soyez prudent, lui répondit-elle. Cette vase a l’air corrosive.

Elle attendit que la silhouette vêtue de noir se soit déplacée d’une ruine de métal à l’autre avec des bonds de géant et soit finalement hors de vue pour pousser les répulseurs au maximum et orienter le vaisseau vers le ciel. Elle se sentit soulagée. Pendant les quelques secondes où l’écoutille était restée ouverte, une puanteur fétide s’était introduite dans le navire et l’avait empli de la proue à la poupe.

— Juno, terminé.