CHAPITRE 18

Une demi-heure après s’être introduite dans l’ordinateur central impérial local, Juno avait exactement la moitié de la réponse à sa question. La station orbitale servait à transporter des esclaves wookiees de la surface de Kashyyyk vers l’orbite basse, d’où ils étaient emmenés ailleurs.

Mais leur destination finale était dissimulée par un niveau de sécurité auquel elle ne parvenait pas à accéder. Et la raison pour laquelle ils étaient emmenés restait parfaitement obscure. Cette demi-heure productive fut suivie d’une fouille frustrante à travers toutes les archives disponibles, à la recherche d’un indice, quel qu’il soit, mais elle n’en trouva aucun. Elle n’était pas plus avancée qu’au début.

Elle prit appui contre le dossier de son siège, se passa la main dans les cheveux et s’étira. Starkiller était occupé au sol. Kota était toujours dans la soute. PROXY continuait à s’amuser. Elle réalisa que, pour le moment, elle était complètement seule.

Elle se pencha de nouveau vers l’avant et ses doigts commencèrent à pianoter sur le clavier. Certaines Archives Impériales existaient en plusieurs exemplaires à travers toute la galaxie. Chaque force d’invasion en possédait, mettait à jour les réseaux locaux et se maintenait au courant en téléchargeant les nouvelles infos des vaisseaux capitaux qui passaient. C’est ainsi que l’administration de l’Empire maintenait une cohérence entre plusieurs milliers de mondes habités – sinon, comment des gouverneurs éloignés auraient-ils été informés de nouvelles lois, de nouvelles nominations, ou de criminels recherchés qui risquaient de traverser leurs frontières ?

Les données de l’Académie Impériale faisaient partie de ce téléchargement automatique. Elles étaient cryptées bien sûr mais Juno connaissait les codes par cœur. Elle se dit que c’était l’ennui qui la rendait curieuse. La bataille de Callos s’était achevée moins d’un an auparavant. Elle n’avait plus eu la moindre nouvelle de ses anciens amis et collègues depuis tout ce temps. Il aurait été inhumain de ne pas se poser de questions…

L’escadron Black Eight était une unité d’élite réputée pour sa discipline et son intransigeance. De l’extérieur, elle voyait que Dark Vador veillait à s’assurer que ces deux qualités soient toujours présentes dans la composition de l’équipe. Le commandement et les pilotes changeaient souvent, un fait oblitéré par l’aura de mystère qui entourait l’escadron. Ceux qui en faisaient partie ne parlaient jamais des autres pilotes ou de leurs missions ; ceux de l’extérieur ne se perdaient pas en conjectures. Ils faisaient leur boulot. C’était tout ce qui comptait.

Elle avait été fière de voler comme chef d’escadron mais elle n’était pas restée longtemps à la barre. Elle avait appris que c’était normal. Son prédécesseur, avec qui elle avait volé seulement deux fois, avait duré à peine plus longtemps qu’elle. Et son prédécesseur à lui n’était resté qu’un mois avant d’être transféré par Dark Vador à un poste dont elle ne trouvait pas trace. Les deux pilotes étaient maintenant renseignés comme morts.

Elle se demanda si l’un d’eux avait été le pilote de Starkiller.

Elle se détourna de ces supputations stériles et fit une recherche sur la carrière des pilotes avec lesquels elle avait volé. Un tiers d’entre eux faisait toujours partie de l’escadron. Un tiers était mort ; tué au combat, supposait-elle, bien que seulement la moitié d’entre eux étaient répertoriés comme tels. Les autres avaient été promus.

Elle parcourut la liste des promotions. Les poils de sa nuque se hérissèrent. Un pilote au nom de code de Redline avait été promu à la tête de l’escadron en son absence. À ses yeux, Redline était l’être le plus froid, le plus cruel et le moins attentionné avec qui elle ait jamais volé. Elle avait eu de sérieuses inquiétudes au sujet de sa santé mentale et l’avait décrit comme psychopathe dans ses rapports de vol. Elle devait sans cesse le pénaliser pour recours excessif à la force. Il était l’un des trois pilotes sous son commandement qui s’était plaint qu’ils se soient retirés de Callos. Il soutenait que l’escadron aurait dû rester et terminer le travail.

La planète s’était éteinte. Elle ne voyait pas ce qu’il restait à terminer. Et maintenant, il dirigeait l’escadron de chasseurs TIE le plus redouté de tout l’Empire.

Elle voyait en quoi cela correspondait à la vision tordue qu’avait Dark Vador de la galaxie. Elle se rendait compte que le groupe qu’elle avait jadis considéré comme très uni, presque une famille, était en réalité complètement dysfonctionnel, il était le produit d’une tyrannie nourrie par la peur et la cupidité. Si elle était restée avec le Black Eight, elle aurait été obligée de commettre à nouveau des atrocités comme sur Callos, encore et encore – comme Redline le faisait sans aucun doute en ce moment – ou elle aurait tenté de résister et aurait été abattue pour insubordination.

Elle comprenait, ce qui ne voulait pas dire qu’elle appréciait, loin de là. D’autres pilotes prometteurs avaient été complètement oubliés. Le remplaçant qu’elle avait recommandé, Chaser, volait toujours en quatrième position. Et Youngster, le pilote qui l’avait suivie dans l’escadron, un jeune diplômé enjoué, dont elle était sûre qu’il lui emboîterait rapidement le pas dans les rangs des officiers enrôlés, était…

Il lui fallut un quart d’heure pour découvrir ce qui lui était arrivé. Il avait quitté l’escadron en vie, apparemment, il était l’un des seuls à avoir été transféré alors qu’il était encore capable de piloter – mais à partir de là, sa progression devenait difficile à suivre. Il avait apparemment eu un changement de comportement, qui n’était pas assez grave pour justifier son exécution. Il avait piloté des transporteurs pendant un temps puis avait repris du service, cette fois comme sentinelle autour des sites de construction impériaux.

Il avait assisté à des combats dans plusieurs points chauds mais rien de spécial. Sa dernière affectation…

Juno regarda fixement la réponse pendant une minute avant d’accepter que cela puisse être vrai. Youngster était en poste sur Kashyyyk. Elle fut envahie d’un mélange horrible d’envie et de crainte. D’un seul doigt sur un bouton, elle pouvait ouvrir un canal de communication et prendre des nouvelles de son ancien ailier. Sa voix familière emplirait le cockpit et pendant un moment, juste une minute ou deux, elle pourrait de nouveau avoir le sentiment d’appartenir à une famille. Elle pourrait remonter le temps, oublier les trahisons et l’avenir incertain qui l’attendait. Elle pourrait redevenir une pilote impériale accomplie, convaincue que rien ne pourrait jamais changer cela.

Un bouton. Elle n’avait même pas besoin de dire son nom. Ils pourraient établir le contact et cela suffirait. Quel mal cela pourrait-il faire ?

Elle frissonna. Elle avait les poings serrés sur ses genoux et elle les laissa là de peur qu’ils ne la trahissent.

Elle ne pouvait pas retourner en arrière, même pas pendant une minute. Héler un escadron impérial pendant que Starkiller était à terre risquait de tout faire rater. Cela ne valait pas le coup. Même pour parler à quelqu’un qu’elle avait un jour compté comme allié et qu’elle considérait probablement comme son ennemi, maintenant. S’il apprenait jamais qu’elle était toujours en vie…

Ses mains tremblantes se remirent au clavier. Elle tapa lentement son nom. L’accès aux archives la concernant n’était plus interdit. Les données s’affichèrent même immédiatement. Elle lut le résumé de sa carrière comme si elle lisait son annonce mortuaire. Dans un sens, c’était exactement le cas. Espionne… traîtresse… exécutée sur ordre impérial.

Pas de doute possible. Elle ne pouvait pas revenir en arrière. Elle ne reconnaissait même pas la vie qu’elle était censée avoir menée. Son dossier avait été trafiqué. Tous ses exploits avaient été effacés. Même la bataille de Callos ne méritait pas d’être mentionnée. Elle avait été réduite au rang de pilote de combat incompétente, qui avait eu la chance de faire partie du meilleur escadron de la galaxie puis avait fait honte à son équipe. Pis encore, elle s’était retournée contre eux. La femme des archives avait mérité cette décharge de blaster fictive. C’est exactement ce que l’ancienne Juno aurait pensé.

Mais l’ancienne Juno n’existait plus. La nouvelle Juno était fâchée d’avoir été rabaissée si aisément, même dans un rapport officiel qui ne lui importait plus. Ou qu’elle ne croyait plus. Si ça lui était arrivé, combien de fois était-ce arrivé à d’autres désignés comme traîtres… comme sa propre mère ?

Elle se demanda pendant un instant ce que pensait son père de tout cela. Puis elle décida qu’elle s’en fichait.

Au moins, on la croyait morte. Elle s’accrocha à cette certitude, malgré la fureur qui bouillait en elle. Et elle préparait sa revanche.

Le raclement de gorge de Kota la fit sursauter et, prise de culpabilité, elle effaça l’écran, avant de se rappeler qu’il était aveugle.

— Je pense qu’il est temps de prendre des nouvelles de ton ami, dit le général. Cela fait un peu trop longtemps qu’on n’en a pas.

— Vous avez raison. Et je suis sûre qu’il aimerait savoir ce que j’ai découvert.

Elle lui raconta dans les grandes lignes que les esclaves wookiees allaient être transportés ailleurs, pour une raison inconnue.

— Pensez-vous que votre ami au Sénat aurait des informations à ce sujet ?

— J’en suis sûr, répondit Kota.

— Est-ce que vous pensez que c’est la véritable raison de notre présence ici ?

— Je pense qu’on peut résoudre deux problèmes avec une seule solution. Ou, à tout le moins, essayer.

— On verra ce qu’on verra.

Elle commença à ouvrir un canal de communication avant de se rendre compte de ce qu’elle venait de dire.

— Oh, je suis désolée.

— Pas besoin de t’excuser, dit Kota d’un ton bourru. C’est juste une expression.

Leur conversation s’arrêta net. Des hurlements d’engins leur parvinrent depuis le comlink de Starkiller.