CHAPITRE 7

Quand elle était adolescente, Juno imaginait sa vie future comme pilote, navigant dans la circulation dense des voies aériennes de Coruscant, transportant d’importants dignitaires d’une réunion à l’autre, faisant exploser des insurgés depuis le ciel avec une seule pulsation bien ciblée de son canon laser.

Traîner dans la Bordure Extérieure avec l’émissaire bourru de Dark Vador et son droïde défectueux ne faisait pas vraiment partie de ses rêves de gamine. Pas plus que bombarder des planètes sans défense ou être rejetée par son père…

Amusant comment la vie peut être surprenante, parfois.

Le monde bleu-vert de Felucia était suspendu devant un décor vaste et vide lorsqu’ils émergèrent de l’hyperespace. La planète remplit la baie d’observation à l’avant tandis que Juno ajustait leur vecteur d’approche. Quand tout fut en ordre, elle coupa les moteurs et laissa le vaisseau descendre en silence dans le profond puits de gravité de la planète. Ce n’était pas l’environnement surchargé de communications de Raxus Prime et de Nar Shaddaa. S’ils s’approchaient trop rapidement, ils brilleraient comme une comète aux yeux de n’importe quel observateur.

— Felucia en vue, annonça-t-elle.

PROXY occupait le siège du copilote. Il surveillait le système de survie et le système de communication. Starkiller se tenait derrière eux, les bras croisés et le visage voilé par un capuchon qu’il avait enfilé après avoir quitté Raxus Prime. Il avait à peine dit un mot pendant le long trajet, n’ouvrant la bouche que pour donner des ordres et évitant toutes ses tentatives d’entamer une conversation. Elle se sentait un peu blessée – elle avait eu l’impression de percer son image d’homme fort et taciturne et d’entrevoir l’être humain en dessous – mais elle garda une conduite professionnelle. C’est tout ce que son travail exigeait.

— Quelles sont les données ? demanda-t-il.

— Pas de village important, répondit-elle en jetant un coup d’œil au tableau de PROXY, mais les scanners sont envahis de signes de vie. La planète est complètement recouverte de végétation. Je n’ai aucune idée d’où on devrait se poser.

— Je vais te le dire.

Les poils de sa nuque se dressèrent. Elle tendit le cou pour regarder ce qu’il faisait mais vit juste qu’il avait fermé les yeux. Pourtant, il se passait bel et bien quelque chose. L’air parut s’épaissir autour de lui, comme si un tourbillon était en train de se former. Le creux de ses joues s’accentua encore, mettant en évidence ses cils et la sensualité de sa bouche. Les battements de cœur de Juno s’accélérèrent légèrement.

Elle respira profondément et retourna à ses commandes. Ce n’étaient pas ses affaires. Son rayon, c’étaient les vaisseaux et les machines, pas les étranges pouvoirs de Dark Vador et de ses semblables. Malgré sa curiosité innée, il était parfois dangereux d’en savoir trop. Elle devait rester détachée et désintéressée.

Contente-toi de faire ton boulot, Juno Eclipse.

Starkiller s’agita et se pencha pour désigner un point de la carte affichée sur la console près d’elle.

— Là, sur l’équateur.

— Qu’est-ce qu’il y a là exactement ?

Il soupira. Elle sentit la chaleur de son souffle sur sa joue.

— Laisse-moi me charger de ça. Active le champ de dissimulation et pose-nous.

Elle hocha la tête, espérant qu’il ne remarquerait pas la rougeur qui s’étendait lentement de son cou et relâcha la manette d’accélération.

Le Rogue Shadow descendit en flèche dans l’atmosphère supérieure de la planète, en combattant les turbulences causées par des bouffées d’air humide et épais.

Ce n’était peut-être pas Coruscant mais Juno commençait à sentir une pointe de curiosité. Avant la mort de sa mère, Juno s’intéressait à la xénobiologie – une science que son père désapprouvait mais quelle avait trouvée fascinante et sans limites. Il y avait tellement de vie dans la galaxie, qui prenait des formes si différentes. Elle aurait pu passer des vies entières à essayer de toutes les cataloguer, juste pour s’apercevoir qu’entre-temps, elles avaient évolué en d’innombrables nouvelles formes, l’obligeant à tout recommencer.

Mais cette pensée ne l’effrayait pas. Au contraire, cela l’avait remplie d’émerveillement – le même émerveillement qu’elle ressentait maintenant à la vue des vastes forêts fongiques et des lacs verdoyants de Felucia. Elle fut de nouveau frappée par le contraste entre Nar Shaddaa, Raxus Prime et ce monde. Felucia débordait de vie sous toutes ses formes, du plus minuscule brin d’herbe au plus énorme champignon qu’elle ait jamais vu, avec des racines qui rampaient sur le sol, des plantes grimpantes et de la moisissure qui s’enroulait autour de troncs chancelants, puis des insectes partout. L’air dans l’atmosphère supérieure contenait du pollen et de spores en quantités incommensurables. Ses yeux étaient assaillis par la couleur partout où elle regardait.

Magnifique, avait-elle envie de dire, mais elle garda cette observation pour elle.

Des pieds de champignons géants s’agitaient dans le sillage du vaisseau tandis que le Rogue Shadow se faufilait entre eux. Elle évita autant que possible d’employer ses propulseurs, pour minimiser les dégâts à la forêt tropicale. Mais où allait-elle se poser ? Le sol était invisible sous la végétation. Elle sentait grandir l’impatience de Starkiller tandis qu’elle cherchait un espace adéquat. La seule surface plane qu’elle distinguait était celle formée par les chapeaux des énormes champignons, d’une dizaine de mètres de large. Ils avaient l’air solides comme des rocs.

Pourquoi pas ? se demanda-t-elle en effectuant un virage serré pour amener le Rogue Shadow vers le chapeau de champignon le plus proche.

Délicatement, en utilisant tout son savoir-faire, elle fit descendre le vaisseau. Celui-ci se posa puis fut pris de secousses quand le champignon géant céda sous son poids sans prévenir. Le vaisseau glissa et obliqua dangereusement sur un côté. Les pieds de champignon et les feuillages furent secoués comme par une tempête. Elle augmenta la puissance des propulseurs et choisit un nouvel emplacement. Cette fois, le champignon tint le coup. Les jambes d’atterrissage du vaisseau stellaire s’étendirent et s’accrochèrent fermement à la surface spongieuse mais il vacilla de façon précaire au bord de l’énorme chapeau. Elle fit une marche arrière rapide, attendit cinq bonnes secondes pour voir si le champignon ne lui réservait pas d’autres surprises puis coupa les propulseurs subluminiques. Elle s’affaissa dans son siège, trempée de sueur.

— Ouf ! Ça, on ne l’enseigne pas à l’Académie.

— Abaisse la rampe, la coupa sèchement Starkiller. Attends-moi ici.

— Il n’y a pas grand-chose à faire pour nous…

— Contente-toi de m’attendre.

— Je…

Il était déjà parti. Elle le chercha à la lunette et l’aperçut qui sautait du bord du champignon et qui courait dans la forêt, son sabre laser rouge allumé et prêt à servir.

Elle soupira et s’essuya les mains sur son pantalon d’uniforme.

— Eh bien, PROXY, nous voilà de nouveau seuls tous les deux.

— Oui, capitaine Eclipse.

Le droïde avait rarement l’air ébranlé par le comportement de son Maître.

— Je vais commencer une vérification de tous les systèmes, si vous le désirez.

— Ce serait parfait.

Elle resta dans son siège et continua à frotter ses paumes sur ses jambes.

— Est-ce qu’il est toujours comme ça, PROXY ?

— Comme quoi, capitaine Eclipse ?

— Lunatique et renfermé. Je l’ai presque surpris à sourire quelques fois sur Raxus Prime. Maintenant, plus rien. Que se passe-t-il dans sa tête ?

— Je ne peux pas dire avec certitude comment il est programmé, capitaine Eclipse, répondit le droïde en clignant des photorécepteurs d’un air perplexe. Peut-être que le Seigneur Vador pourrait vous répondre, étant donné que c’est lui qui nous a programmés tous les deux.

Quelle drôle d’expression.

— Que veux-tu dire ? Vador a programmé Starkiller ?

— Le Seigneur Vador s’est occupé de mon Maître depuis qu’il est tout petit.

— Comme un père, dit-elle en fronçant les sourcils.

— Mon Maître n’appelle Vador que Maître ou Professeur, la corrigea le droïde. Jamais Père.

Bizarrement, cela la rassura. S’imaginer Vador élevant un bambin, c’était trop étrange pour être vrai.

— Eh bien, qu’est-il arrivé à ses parents ? D’où vient-il ?

— Je ne sais pas, capitaine Eclipse.

— Il ne parle jamais d’eux ?

— Je pense qu’ils ont été rayés de sa mémoire de base.

— Est-ce qu’il a des amis ?

Elle hésita légèrement avant de demander :

— Des petites amies ?

— Mon Maître mène une vie solitaire, lui assura le droïde. Le Seigneur Vador pense que c’est essentiel pour qu’il évolue bien.

— Qu’il évolue vers quoi, exactement ? demanda-t-elle en pensant tueur de Jedi, mystique dérangé, assassin.

La façon désinvolte dont il avait laissé le hangar des chasseurs TIE tomber sur Nar Shaddaa la dérangeait parfois.

— Nous sommes tous des serviteurs du Maître de mon Maître, souligna ostensiblement le droïde, peut-être pour lui rappeler aussi son devoir de base.

— Ta programmation est vraiment parfaite, là, PROXY.

Elle s’extirpa à contrecœur du siège du pilote et ajusta son uniforme.

— Reste ici pour continuer la vérification des systèmes. Je vais procéder à une inspection de la coque.

— Je recommande la prudence, l’avertit PROXY. De nombreuses formes de vie sur Felucia sont hostiles aux humains.

— N’aie aucune crainte là-dessus.

Elle ouvrit l’écoutille et sortit son pistolet BlasTech qu’elle rengaina et plaça autour de sa taille d’un geste expert.

— Je suis capable de prendre soin de moi.

— C’est exactement ce qu’a dit un de vos prédécesseurs avant de se faire tirer dans le dos par un trafiquant d’armes corellien.

Elle s’arrêta alors qu’elle était sur le point de quitter le cockpit, et se demanda si PROXY la provoquait ou faisait juste une remarque innocente. Une partie d’elle-même avait envie de savoir ce qui était arrivé à ses sept prédécesseurs mais une partie, plus grande, souhaitait que PROXY ne parle plus jamais d’eux.

— Toi aussi fais attention à toi, PROXY, lui dit-elle. Le Maître de ton Maître a un Maître aussi, tu sais.

— Oui, capitaine Eclipse.

Elle quitta le navire avec les joues en feu pour la deuxième fois en quelques minutes. C’était quoi son problème ? Si le moindre soupçon naissait qu’elle avait surpris la conversation entre Starkiller et le Seigneur Vador au sujet de l’Empereur, elle mourrait, c’était certain. Et si ce n’était pas l’agent de Vador qui se chargeait d’elle, le droïde s’en chargerait pour lui. C’était un expert du maniement du sabre laser, après tout.

Peut-être était-ce ça qui était arrivé aux autres pilotes…

Elle descendit de la rampe et tapa du pied le chapeau du champignon géant pour tester sa surface spongieuse. Sa colère contre elle-même grandissait à chaque seconde. Évidemment, elle avait voulu reprendre le contrôle de la situation mais faire de grosses allusions n’était pas la bonne manière, même si c’était le droïde qui avait commencé. Elle devait se contenter d’être compétente et professionnelle, ce qu’elle avait eu souvent l’occasion de faire par le passé. Ce n’était absolument pas le moment de changer les habitudes de toute une vie.

Elle finit par se calmer et par exécuter la mission qu’elle s’était fixée : examiner la coque extérieure pour voir si leur atterrissage brutal n’avait rien endommagé. La coque n’avait pas l’air d’avoir souffert, elle affichait juste quelques nouvelles taches causées par des plantes qu’ils avaient frôlées et qui leur avaient envoyé des jets collants de sève, destinés à abattre les insectes volants. Cette observation l’aida à retrouver un peu de l’excitation qu’elle avait ressentie au cours de la descente.

De la vie en abondance, se rappela-t-elle. Pense à ça pour changer.

Et elle y parvint. Elle s’émerveilla devant l’immense diversité de plantes, de champignons, d’insectes et d’animaux dans la jungle qui l’entourait. Du liquide suintait de pores et de fentes béantes. Les formes de vie les plus opulentes donnaient l’impression qu’elles allaient exploser si elle les touchait ne fût-ce que d’un doigt. Toutes, cependant, avaient des dents, des épines ou d’autres moyens de se défendre. Beaucoup d’entre elles étaient des chasseurs redoutables ou des parasites. Elle entendait les grognements de prédateurs puissants et le passage de grands corps dans les sous-bois, au loin et, parfois, juste sous son étrange et précaire terrain d’atterrissage.

Plus elle observait, plus cela lui rappelait Callos. Elle n’avait jamais mis le pied sur cette planète mais depuis l’orbite, elle montrait un lustre aussi verdoyant que Felucia. Avait-elle pu posséder des forêts aussi luxuriantes que celles-ci, aussi riches et débordantes de vie sous toutes ses formes ? En patrouillant la surface du champignon géant, elle se demanda combien d’espèces n’avaient jamais été répertoriées et maintenant ne le seraient jamais, sur Callos. Un sentiment de culpabilité familier monta en elle comme la nausée, lui donnant l’envie de vomir, et elle dut retourner au vaisseau.

Puisque ce sujet vous tient tellement à cœur, lui avait dit Vador, je vais vous donner un autre plan d’action.

Les images du réacteur planétaire en pleine explosion étaient gravées dans son esprit. Le Black Eight avait poursuivi l’objectif de mission avec une précision chirurgicale, avait volé à basse altitude au-dessus de l’horizon et avait lancé sa capacité de charge bien avant que les défenses du réacteur puissent s’aligner. Chaque coup avait atteint sa cible, faisant tourbillonner des nuages de gaz brûlant. Si on pouvait qualifier une guerre de belle, alors cela avait effectivement été un beau moment.

Je n’ai que faire de votre gratitude.

C’était très clair maintenant.

Mais cela ne changeait rien.

— J’ai parcouru toute la check-list, capitaine Eclipse, l’informa PROXY via le comlink depuis le cockpit. Le bouclier déflecteur à l’arrière était légèrement mal aligné.

Elle acquiesça d’un grognement. Le dégât avait certainement été provoqué dans les voies magnétiques de Raxus Prime quand ils essayaient d’éviter des morceaux volant de débris explosifs.

— J’arrive tout de suite, PROXY. Sors la boîte à outils, il va falloir qu’on répare ça avant le retour de Starkiller.

— Oui, capitaine.

Juno jeta un dernier regard autour elle, savourant l’occasion même si cela lui rappelait des choses déplaisantes. En réalité, la forêt était fragile, malgré sa létalité vibrante. Elle avait peut-être l’air de pouvoir perdurer un millier d’années, de survivre même à l’Empereur, mais un simple coup de coude dans la mauvaise direction pouvait la faire s’effondrer, coaguler et pourrir jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une profonde vase organique, tout juste bonne à être transformée en huile ou en gâteaux protéinés. Entre de mauvaises mains, Felucia pouvait devenir l’équivalent végétal de Raxus Prime en un an.

Mieux valait donc se concentrer sur ce qui ne pouvait pas être tué : sur les vaisseaux comme le Rogue Shadow et leurs systèmes. Les problèmes complexes de vie et de mort ne pouvaient être résolus d’un tour de clé à molette, il n’était vraiment pas dans ses cordes de tenter de s’y attaquer.