CHAPITRE 27

L’apprenti était dans la chambre de méditation, la tête baissée. Il attendait.

Le plan fonctionnait à merveille. Bail Organa avait été sauvé et convaincu d’envisager une agression ouverte contre l’Empereur. Sa fille n’avait pas non plus percé à jour son déguisement – il prétendait haïr les Impériaux et leur mépris envers les non-humains et les femmes. La présence constante de Kota l’énervait un peu mais il était certain de pouvoir continuer à duper le vieil homme. Sa simulation était devenue comme une seconde nature.

Mais s’agissait-il vraiment d’une simulation ? Il était certain que, quand il parlait de trahir Palpatine, il pensait chacun de ses mots. L’Empereur méritait au moins cela pour avoir ordonné sa mort. Et il ne se faisait aucune illusion quant au résultat final de sa mission. Tous ceux qu’il rallierait à sa cause seraient utilisés par son Maître pour détruire l’Empereur, mais pas pour détruire l’Empire. Kota, Bail et leurs alliés seraient tous tués, sans aucun doute, avant d’avoir porté au pouvoir la personne de leur choix.

Il se dit que cela ne valait pas la peine de se tracasser pour ces futurs rebelles. Leur cause était perdue avant même d’avoir commencé. Et même s’il tirait une certaine fierté qu’on l’admire et que l’on compte sur lui, il savait cependant que cela ne pouvait durer. Il valait mieux ne plus y penser.

Mais quel serait le sort de Juno ? Pouvait-il lui épargner ce qui attendait les autres ? Il aurait aimé parler ouvertement avec elle de son but ultime, laisser tomber les mensonges et les tromperies, avec elle bien plus qu’avec qui que ce soit d’autre. Mais cette pensée provoqua une tempête d’émotions. Pour chaque argument en sa faveur, il y en avait trois contre. Elle avait été déclarée traîtresse à l’Empire, elle n’avait donc d’autre choix que de le suivre – mais il ne supportait pas de penser à ce qu’elle dirait, alors il décida de garder le silence, dans l’espoir que tout s’éclaircirait des deux côtés, en temps voulu.

Pendant qu’il attendait, il se demanda s’il ne devrait pas changer de vêtements. L’uniforme que son Maître lui avait fourni à bord de l’Empirique empestait maintenant le sang de rancor et il ne pourrait venir à bout de cette odeur, même s’il récurait l’uniforme pendant des heures. À bord du Rogue Shadow, quelques tenues à sa taille avaient été stockées, en prévision de ses missions, mais l’éventail était limité à du noir ou du marron. Les couleurs des Sith ou des Jedi, réalisa-t-il, en fonction de qui il représentait. Il avait sorti de sa penderie une tringle de tenues marron foncé, pensant qu’il était peut-être temps d’afficher plus clairement sa prétendue allégeance aux forces du soi-disant bien, mais il hésita à les enfiler. Nu jusqu’à la taille, vêtu seulement de son pantalon et de ses bottes de cuir tachés de sang, il chercha en lui le courage nécessaire pour simplement s’habiller.

C’est important, pensa-t-il, si ce n’est pour moi, pour ceux autour de moi. Je ne suis pas habitué à avoir des alliés…

Quelqu’un bougea dans l’ombre. La chair de poule tendit la peau entre ses omoplates nues. Il leva la tête.

— Je sais que tu es là, dit-il. Montre-toi.

Une silhouette humaine, vêtue d’une tunique marron, sortit de l’ombre, avec une main gantée ou artificielle et d’épais cheveux blond foncé. Un sabre laser bleu brillant s’alluma tandis que la silhouette se rapprochait, ses pas devenant plus rapides, résolue à attaquer.

— Un nouveau personnage, PROXY ? Excellent.

L’apprenti glissa son sabre laser dans sa main et bloqua la première série de coups en rafales. Le droïde travaillait sur ce module depuis un certain temps, semblait-il, à en juger par l’habileté dont il faisait preuve. Son style de combat allait du style Jedi agressif Shien à la forme plus sophistiquée Djem So, avec des accès de rage occasionnels qui poussèrent le combat, au-delà du barrage offensif, vers le plus pur style Juyo, nourri par la fureur. L’apprenti dansait des pieds et de la lame, admirant les techniques et les astuces de son nouvel adversaire – en qui il avait naturellement reconnu le héros de la Guerre des clones, depuis longtemps disparu : Anakin Skywalker. Il prolongea le duel pour voir où il pouvait mener.

Mais malgré son intérêt intellectuel pour le travail de PROXY, le cœur n’y était pas. Il avait combattu de véritables Jedi à présent et des Padawans Jedi déchus. Dans ses visions, il avait combattu dans la peau de son Maître, Dark Vador, et s’était même battu contre lui-même. Les duels de ce genre étaient bien réels, tandis que ce duel lui semblait soudain creux et ne parvenait pas même à le distraire. S’il n’avait voulu épargner les sentiments de PROXY, il y aurait mis fin rapidement et aurait gardé son énergie pour d’autres causes.

Mais juste comme il pensait cela, PROXY le surprit. Alors qu’il se baissait pour éviter un coup particulièrement irréfléchi, le droïde roula de manière prévisible mais se retrouva les mains vides. L’apprenti chercha des yeux le sabre laser et le vit juste à temps pour éviter de se faire démembrer. PROXY avait utilisé ses répulseurs pour imiter une poussée télékinétique, il avait envoyé la poignée du sabre laser tournoyer dans la pièce pour mieux revenir – un mouvement que l’apprenti ne l’avait jamais vu effectuer auparavant. Le blocage de l’apprenti empêcha la lame de lui trancher la gorge mais en rebondissant, elle provoqua une entaille dans son bras. La blessure légère envoya un choc neural à travers tout son système. Il rit, pas seulement à cause de la soudaine poussée d’adrénaline et d’endorphines.

— Bien joué, PROXY, dit-il. Tu as failli m’avoir, là.

Le droïde conserva son apparence quand il tomba en arrière sous une rafale de coups de représailles. Régénéré à l’idée que même jouer à se battre avec PROXY pouvait se révéler mortel, l’apprenti accula le droïde et enfonça la pointe de sa lame dans sa poitrine métallique.

L’hologramme fit des étincelles et vacilla. Les traits familiers de PROXY apparurent derrière ceux du Chevalier Jedi légendaire et l’apprenti tendit les bras pour le redresser.

Mais quelque chose ne tournait pas rond. L’électricité statique ne se dissipait pas comme d’habitude. Au contraire, on aurait dit qu’elle s’amplifiait, comme si l’apparence de feu Anakin Skywalker répugnait à disparaître.

— Maître, haleta le droïde passablement agité. Maître, il est ici !

PROXY se raidit, se redressa et parut grandir. Ce ne fut ni le marron des tuniques Jedi ni celui des cheveux qui émergea du chaos d’électricité statique mais le costume noir de protection de Dark Vador.

Surpris, l’apprenti fit deux pas en arrière et retrouva son aplomb.

Il mit un genou en terre et baissa la tête devant son Maître.

— Seigneur Vador, vous avez reçu mon message.

La tête casquée ne bougea pas. L’apprenti ne savait pas s’il devait se sentir soulagé ou inquiet. Derrière ce masque noir, des yeux invisibles semblaient le disséquer comme s’il était une expérience ratée.

— Parle-moi de tes progrès.

— Plusieurs dissidents se sont ralliés à ma cause. Ils ont confiance en moi et je pense qu’ils sont de taille à mener à bien ce que nous attendons d’eux.

— Si ta mission se déroule si bien, pourquoi fais-tu appel à mon conseil ?

L’apprenti respira profondément.

— Mes alliés cherchent à frapper un grand coup contre l’Empire, une attaque qui galvanisera tous les ennemis de l’Empereur en une force puissante. Je leur ai dit que je leur fournirais une cible adéquate.

Le Seigneur Vador réfléchit à la question pendant un moment avant de répondre.

— L’Empereur dirige la galaxie par la peur. Tu dois détruire un symbole de cette peur.

— Oui, Seigneur Vador.

— L’Empire est en train de construire des Destroyers Stellaires au-dessus de Raxus Prime. Ce chantier naval sera ta prochaine cible.

L’apprenti hocha la tête en réfléchissant à la proposition. Les Destroyers Stellaires constituaient des symboles très visibles du contrôle impérial, c’étaient de monstrueux oppresseurs, redoutés dans les cieux de ceux qui rêvaient de liberté. En détruire ne fût-ce qu’un constituerait un exploit, détruire la source de nombreux Destroyers Stellaires serait comme un cri de ralliement pour une rébellion ouverte. Si seulement il pouvait y arriver…

Puis il se souvint. Il n’était pas en train de parler aux rebelles. Et il ne s’agissait pas d’une proposition. C’était un ordre.

— Merci, Seigneur Vador, acquiesça-t-il. Je pars immédiatement.

Il attendit que l’hologramme se dissipe, comme c’était le cas habituellement quand son Maître prenait congé mais il n’avait pas fini. L’apprenti leva la tête et se rendit compte qu’il était de nouveau soumis à ce regard noir et pénétrant.

— Je ressens un conflit en toi, dit son Maître.

Pris par surprise, l’apprenti fut momentanément à court de mots. Il était submergé par une déferlante d’images : Kota aveuglé et déprimé, Maris Brood le suppliant de la laisser en vie, son père mort et lui-même – Galen – gisant occis à ses pieds, et la douleur ardente de la lame de son Maître qui lui transperçait le dos.

Il se redressa alors, sachant ce qu’il devait dire.

— Mes blessures me perturbent, Maître. Je ne peux m’empêcher de me demander quelle part de moi est encore humaine.

— Non. (Son Maître n’accepta pas le mensonge, pourtant plausible.) Tes sentiments envers tes nouveaux alliés deviennent de plus en plus forts. N’oublie pas que tu es toujours à mon service.

Sur ce, l’hologramme se dissipa ; PROXY reprit son apparence et sa taille normales.

— Beurk, maugréa le droïde avec un frisson. Je déteste être lui.

L’apprenti se releva, perdu dans ses pensées et hocha la tête.

— Je pense que lui aussi.

Les photorécepteurs de PROXY clignotèrent et regardèrent derrière son épaule.

— Maître…

Il sut que Juno était là avant même de se retourner. Il le sentait dans le creux de son estomac et l’accélération soudaine des battements de son cœur. Mais depuis combien de temps exactement était-elle dans la pièce ? Qu’avait-elle vu ? Quand il vit l’expression sur son visage, il comprit qu’elle avait assisté à tout.

— Juno…

— Je… J’étais venue vous demander quelle était notre prochaine destination. Vous vous entraîniez et vous ne m’avez pas entendue entrer, alors j’ai décidé d’attendre.

La confusion et les préoccupations menaçaient de la submerger. Puis son expression se durcit. Elle déglutit et dit :

— Mais on dirait qu’on vous a déjà donné ta destination.

Elle se tourna pour partir. Pris de panique, l’apprenti traversa la pièce et la saisit par l’épaule.

— Juno, attends, ce n’est pas ce que…

— Bien sûr que si, répliqua-t-elle sèchement en s’écartant de lui, les bras croisés. Vous êtes toujours loyal à Vador. Après tout ce qu’il nous a fait – me faire passer pour traîtresse à l’Empire et essayer de vous tuer – vous êtes toujours son… son…

Elle paraissait au bord des larmes.

— Son esclave, fit-il.

Juno le fixa avec des yeux empreints de tristesse. Elle sembla un moment déconcertée.

— Oui. (Sa voix prit un ton plein d’espoir.) Mais si c’est le cas… pourquoi ? Pourquoi avez-vous défié votre Maître pour me sauver ?

Sa réponse résonna durement à ses propres oreilles.

— Tu étais sur Callos. C’est dans ton dossier. Tu sais ce que c’est d’obéir aux ordres à la lettre.

Elle tressaillit.

— Et alors ?

— Et j’avais besoin de quelqu’un pour piloter le vaisseau.

— Nous savons tous les deux que c’est faux.

Il se retourna et cette fois, c’est elle qui le retint.

— Je ne suis pas ici parce que vous avez besoin d’un pilote.

Sa gorge était tellement serrée qu’il craignit de ne pas pouvoir parler du tout. Il n’osait pas croiser son regard. La déception qu’il y lirait, les espoirs anéantis, tout cela était bien trop criant.

Et trop proche de ce qu’il ressentait dans son propre cœur.

Elle le lâcha et s’avança vers la porte mais, sur le seuil, elle se retourna.

— Je ne sais pas qui – ou ce que – vous êtes vraiment, dit-elle. Peut-être ne le saurai-je jamais. Mais très bientôt, vous devrez décider du sort de la rébellion. Vous, pas votre Maître. C’est quelque chose qu’il ne peut pas vous enlever. Et quand vous serez confronté à ce moment, n’oubliez pas que moi aussi j’ai dû abandonner tout ce qui faisait ma vie. S’il vous plaît, ne m’obligez pas à tout reprendre à zéro, encore une fois.

Là-dessus, elle le laissa, bouillonnant de frustrations et de doutes sur lui-même. Il regardait fixement les habits qu’il avait disposés, ses deux poings serrés, posés sur ses hanches, tremblant.

Une fois, il s’en souvenait, il avait envisagé de prendre des mesures si Juno se rapprochait trop de lui. À présent, il était beaucoup trop tard. Ils avaient des sentiments l’un pour l’autre qu’il ne pouvait nier – et elle connaissait désormais la vérité sur lui et le complot qu’il tramait avec Dark Vador. Il devait la tuer immédiatement pour sauvegarder le plan. Il n’y avait aucun doute là-dessus.

Mais il ne pouvait pas et, aussi bizarre que cela puisse paraître, il était convaincu qu’elle ne dirait rien à Kota. Cela signifierait sa mort à lui et il était certain qu’elle ne souhaitait pas cela non plus.

Il avait espéré qu’elle serait contente d’apprendre qu’elle pourrait réintégrer l’Empire et travailler de nouveau pour la Marine Impériale. C’était naïf de sa part, il s’en rendait compte maintenant, de supposer qu’elle pouvait oublier tout ce qui s’était passé depuis sa capture. Elle avait voyagé avec Kota trop longtemps, nourrissant ses propres ressentiments. Elle avait même essayé de lui en parler une fois et il l’avait envoyée promener. S’il avait écouté, peut-être se serait-il méfié ?

Quant à savoir si cela aurait changé quoi que ce soit, c’était une autre histoire. En réalité, supposait-il, le plan n’avait rien à voir là-dedans. C’était son implication permanente avec Vador qui posait problème. Comment aurait-elle pu désirer quelqu’un si étroitement mêlé à l’homme qui l’avait emprisonnée sans raison pendant si longtemps ?

Cependant, ses liens avec Vador n’étaient plus un secret, du moins entre eux deux. Il n’avait pas le choix : il devait continuer à suivre le plan pour obtenir sa revanche de l’Empereur. Après ça, il pourrait se réconcilier avec elle. S’ils arrivaient à travailler ensemble jusque-là, tant mieux. C’était le mieux qu’ils avaient à faire. Mais il détesterait qu’elle en vienne à le considérer comme il considérait Maris Brood : comme une créature blessée, en conflit permanent, sans espoir et sans avenir.

Le cœur gros, il enfila la tunique et la capuche, adoptant avec résignation le costume d’un Chevalier Jedi.