CHAPITRE 12

Les hurlements de la sirène d’alerte tirèrent Juno d’un cauchemar pénible et interminable, dans lequel elle faisait le rapport de sa mission non pas à Dark Vador mais à son père, qui se tenait penché sur elle – son long nez s’avançait comme le bras d’une potence – et l’avait traitée de ratée. Mais la mission était réussie, avait-elle protesté. Elle avait suivi les ordres à la lettre. Pas assez bien, avait-il rétorqué. Jamais assez bien, ma fille. Quand le comprendras-tu et abandonneras-tu enfin ?

Elle se réveilla en haletant. Elle était suspendue par des bracelets dans un champ de contention énergétique, là où les gardes la plaçaient tous les jours. Le programme était pire que de la torture. Ils la décrochaient toutes les cinq heures pour une promenade de dix minutes. Elle pouvait utiliser la vapodouche et boire autant d’eau que son estomac pouvait le supporter. Parfois, ils lui donnaient à manger mais pas toujours. Quand les dix minutes étaient passées, elle reprenait sa position, suspendue avec les bras écartés par des bracelets, les jambes pendues dans le vide. Elle portait le même pantalon et le même débardeur d’uniforme qu’elle avait sur elle quand elle était arrivée… en cet endroit, dont elle ignorait tout.

Les gardes ne lui adressaient jamais la parole. Elle devinait quand même qu’ils la méprisaient. Traîtresse à l’Empire, elle ne méritait pas mieux. Ils étaient tous très étonnés qu’elle soit encore en vie. Le fait qu’on ne l’exécutait pas usait leur patience et épuisait leurs ressources. Ils avaient sûrement mieux à faire.

Mais ils suivaient les ordres à la lettre, comme de bons stormtroopers, et cela signifiait que quelqu’un, quelque part, voulait que Juno Eclipse soit en vie. Pour qu’elle souffre, peut-être, avant de mourir. Malgré tout, chaque fois que les soldats l’approchaient, elle pensait que son heure était venue, qu’ils allaient la décrocher et l’exécuter, d’un seul tir de blaster dans la tête. Dans ses moments les plus sombres, elle se disait que ce serait une sorte de soulagement.

Sa gorge et ses lèvres étaient complètement desséchées. La tête et les bras lui faisaient mal. Elle sentait à peine ses doigts tellement les bracelets la serraient aux poignets.

Cette fois, lorsque la sirène se mit à hurler, elle réussit à oublier son désespoir.

— Alerte, criait une voix dans l’interphone du vaisseau. Les systèmes de navigation ont eu une défaillance. Je répète, les systèmes de navigation ont eu une défaillance.

Elle leva la tête et regarda autour d’elle. Les autres cellules, visibles de l’autre côté de la zone de détention de la prison centrale, étaient vides. Ses gardes s’étaient momentanément absentés, sans doute pour vérifier d’où provenait l’alerte. Si elle avait eu un moyen de se libérer, elle aurait pu profiter de la confusion pour courir jusqu’à une capsule de sauvetage et quitter la station pour toujours.

Mais ensuite… ?

Elle sentit la frustration la gagner et tira sur ses liens. Ses muscles saillirent dans ses bras maigres. Ses poignets étaient meurtris par ses tentatives répétées. Un jour, se répétait-elle souvent, l’électricité vacillera et les bracelets se relâcheront, juste le temps nécessaire. En attendant ce moment, c’était une bonne forme d’exercice. Tirer sur ses liens et espérer, c’était mieux que de penser… à ce qui lui était arrivé, comme à ce qui pourrait lui arriver.

La station tanguait autour d’elle. Elle s’affaissa un instant, avant de réessayer. Elle ne savait pas ce qui se passait mais c’était sérieux. Elle entendait des stormtroopers hurler.

— Pourquoi est-ce que ces cloisons ne s’ouvrent pas ?

— Il faut rejoindre les capsules de sauvetage !

— La porte ne reconnaît pas les codes de sécurité !

L’annonce reprit avec une mise à jour inquiétante :

— Violation de la sécurité dans le secteur neuf. Le sujet Zeta s’est échappé. Préparez vos blasters en position létale !

— Oh, ce n’est pas bon, ça, commenta l’un de ses anciens gardes.

Juno arrivait à distinguer la peur dans sa voix même à travers son vocodeur.

Elle ne savait pas qui ou ce qu’était le sujet Zeta, mais elle était bien décidée à ne pas être suspendue comme un rat Womp quand cet inconnu la trouverait.

Elle tira de nouveau sur ses liens et eut l’impression que l’un d’eux se relâchait.

Deux soldats arrivèrent dans son champ de vision, les fusils blaster en joue. Ils n’étaient pas pointés vers elle mais vers le fond du couloir.

— Laisse tomber le prisonnier, dit l’un des deux. Il faut qu’on parte d’ici.

— Et… lui ?

— Laisse-le mourir avec les autres cobayes.

Ils appuyèrent sur le sas de décompression qui menait hors du centre de détention, sans plus de succès. Il était scellé par mesure de sécurité, lui aussi. Ils abandonnèrent cette tentative infructueuse et rebroussèrent chemin en courant. Des tirs de blaster et des cris résonnaient dans le couloir.

Juno reprit ses efforts pour s’évader. Les bracelets n’avaient pas bougé d’un millimètre. Elle avait eu l’illusion qu’ils glissaient parce que du sang sur son poignet droit avait lubrifié l’anneau, de ce côté. Elle tira plus fort, sans prêter attention à la douleur, mais elle était coincée aussi fermement qu’avant.

L’annonceur diffusa un nouveau message :

— Les systèmes de sécurité de l’Empirique sont déconnectés. Il est recommandé à tous les Impériaux de forcer les portes des cloisons et de rejoindre les capsules de sauvetage.

Le vaisseau fut secoué de spasmes et l’annonceur reprit, d’une voix plus angoissée :

— Toutes les capsules de sauvetage viennent d’être libérées dans l’espace… sans passagers. Hum, de nouveaux ordres suivront. Quoi ?

L’annonceur avait dû se tourner, avec le micro toujours allumé.

— Quel est le fou qui a donné cet ordre ?

La transmission s’interrompit dans un clic bruyant, presque perdu dans le bruit des tirs de blaster et le fracas de la station secouée. Les cris d’agonie des stormtroopers ne faisaient qu’augmenter la détermination de Juno à s’enfuir avant que ce qui les avait tués ne la trouve, mais elle ne pouvait faire plus d’efforts qu’elle n’en faisait déjà.

Épuisée, elle s’affaissa faiblement dans les bracelets et aspira de l’air, qui sentait la fumée et le sang. Il faisait de plus en plus chaud aussi, ce qui ne pouvait pas être bon signe. Les murs ne pouvaient pas fléchir comme cela à cause d’une simple turbulence. Si une véritable catastrophe s’était produite et que l’orbite de la station avait été dérangée, les secousses pouvaient être causées par une expansion thermique – ce qui n’était pas dangereux en soi mais pouvait devenir mortel s’ils s’approchaient trop de la source.

Exécutée, tuée par la chose qui s’était échappée du laboratoire de Vador ou brûlée vive : cela semblait être les seuls choix qui s’offraient à elle. Après tant d’années de loyaux services et tout ce qu’elle avait accompli au nom de l’Empire et, bien que Palpatine prétende toujours accorder de l’importance aux notions de justice et de bien public, voilà comment elle était récompensée… Tous ses rêves de promotions brisés. Sa vie gâchée.

Elle se demanda ce que son père penserait d’elle maintenant, s’il la voyait et écoutait sa version des faits. Quelle foi pourrait-il avoir en un système qui s’était retourné contre elle sans raison ? Pouvait-on être redevable à un Empereur qui la condamnait pour avoir obéi aux ordres ?

Mais elle savait qu’elle ne l’aurait jamais persuadé de reconnaître la vérité, comme elle savait qu’elle n’aurait jamais pu partager avec lui les doutes qui avaient surgi en elle après Callos – et pas juste à propos de la manière dont Vador avait géré les choses. La version officielle prétendait que sa mère avait été tuée par des tirs croisés. Et si l’Empereur avait eu la main aussi lourde sur Corulag que le Black Eight sur Callos ?

Pour la millième fois, elle revit ses bombes atteindre leur cible – le réacteur planétaire – puis les brillantes explosions illuminer la jungle… Ce n’est qu’en remontant vers l’orbite en accélérant qu’elle avait remarqué les réactions en chaîne qu’elle avait provoquées. Le réacteur touché crachait des polluants dans l’atmosphère et vomissait dans le canal qui l’alimentait en eau douce des mégalitres de produits chimiques caustiques provenant de vastes réserves souterraines. Elle arrivait presque à voir la biosphère de Callos reculer de dégoût face aux poisons qu’elle avait libérés sans le vouloir. Une sensation froide, malsaine, envahit ses tripes.

Cette sensation ne fit que s’aggraver quand elle retourna au vaisseau base. Là, pendant que ses pilotes Black Eight la tapotaient dans le dos pour la féliciter, elle avait ressenti une urgence pressante de vérifier les données télémétriques rassemblées par le vaisseau. Seule, dans ses quartiers privés, elle avait regardé, consternée, le réacteur qui brûlait sous un linceul de fumée mortelle qui s’étendait sans cesse. Des éclairs crépitaient sous le dense nuage en forme de champignon, ils provoquaient des incendies et catalysaient des réactions chimiques dévastatrices. Tous les réseaux fluviaux proches furent bientôt littéralement étouffés sous les déchets biologiques.

En essayant de garder sa voix calme, elle avait appelé un ami qui avait étudié les sciences de l’environnement. Il avait regardé les données. Ses prévisions étaient sinistres.

— C’est une réaction en chaîne galopante, il n’y a pas l’ombre d’un doute, avait-il dit. J’espère que tu as eu l’occasion de bien regarder ces forêts pendant que tu étais sur place parce qu’elles ne seront plus là dans six mois. Et elles ne reviendront jamais.

Toute une biosphère détruite… pour quelle raison ? Ce ne pouvait simplement se justifier parce que Callos avait osé résister à l’emprise de l’Empereur. Ce n’était pas non plus seulement la conséquence de la clémence que Juno avait demandée au général de campagne : le Seigneur Vador. Elle commençait à soupçonner que l’Empereur préférait de loin faire un exemple que punir.

Avec les exemples, le plus horrible c’est qu’il n’y avait pas besoin de survivants. Une ruine racontait l’histoire aussi efficacement qu’un témoin oculaire, peut-être mieux, même, car le silence assourdissant laissé dans le sillage d’une telle atrocité n’enfonçait que plus profondément encore le talon des bottes de l’Empereur dans la galaxie.

Pas de protestations. Pas de sonneries d’alarme. Pas d’avertissements.

À quelles abominations l’Empire était-il réduit ?

Peut-être, avait-elle osé penser, l’Empire avait-il toujours été comme cela.

Mais avant qu’elle n’ait pu suivre ce fil de sa pensée jusqu’à une conclusion, quelle qu’elle soit, Vador lui avait transmis l’ordre de venir au rapport sur l’Executor pour une nouvelle mission. Contente d’être absoute de toute implication supplémentaire dans le génocide – c’est du moins ce quelle avait espéré –, elle n’avait rien dit de ses scrupules et avait tourné la page, espérant à tort que, par miracle, elle avait évité d’être prise dans les rouages gargantuesques de l’Empereur, comme Callos, et Starkiller, et peut-être sa mère aussi, l’avaient été bien des années plus tôt.

Tant de vies broyées par le rouleau compresseur de l’Empire. Parfois, sa propre vie ne lui semblait pas mériter qu’on s’en tracasse. Mais, dans ses heures les plus sombres, tout de même elle se posait la question : Pourquoi moi ? Qu’est-ce que Dark Vador avait vu en elle qui la rendait digne d’être assignée à Starkiller ?

Sûrement pas sa conscience. Ni son caractère épanoui…

— Plus un geste !

Elle leva la tête au son d’un tir de blaster beaucoup plus proche que les précédents. Des morceaux de droïde explosèrent devant sa porte, les joints coupés fumaient encore. La voix du commandant de la station, un homme qu’elle n’avait rencontré qu’une fois et qu’elle haïssait de toutes ses forces, hurla une deuxième fois par-dessus la cacophonie.

— Tu ne quitteras pas ce vaisseau en vie, sale rat de laboratoire !

Le bourdonnement inimitable d’un sabre laser s’éleva du chaos. Juno souleva le menton pour essayer de voir ce qui se passait au-delà du chambranle.

Non. C’était impossible.

La tête d’un stormtrooper rebondit sur le sol devant sa cellule, séparée du reste du corps par une coupure propre. L’armure brillait et un ovale rouge était visible là où elle avait été tranchée net, au cou.

Peut-être… ?

Elle secoua la tête et se dit qu’elle devait être l’objet d’hallucinations, dues à la chaleur et aux avaries du système de contrôle d’atmosphère. Cela faisait tellement longtemps qu’elle avait perdu tout espoir. Elle n’osait pas y croire maintenant. Cependant, elle ne quitta pas des yeux l’entrée de sa cellule, pour le cas où elle se tromperait.

Cette fois, elle était certaine de réussir à y croire.