CHAPITRE 11

Il fut moins surpris que soulagé quand il se réveilla enfin.

Au début, du moins.

Le premier indice qui lui indiqua qu’il était revenu à la vie fut quand l’obscurité tomba vraiment. Les visions disparurent et les voix aussi. Pendant une période bénie, il n’y eut rien à voir, à entendre ou même à penser. Il pouvait juste se reposer et exister.

Puis de nouveaux bruits commencèrent à envahir son silence paisible : le vrombissement de lames coupantes, des bips graves et des cliquetis de droïdes, un crachotement pétillant, qui pouvait provenir d’un outil cautérisant et d’autres sons sinistres. Son cœur fit un bond lorsqu’il entendit le bruit d’un respirateur s’élever au-dessus des autres. Le faible point de friction entre chaque cycle de respiration lui était horriblement familier.

Une voix artificielle s’éleva :

— Seigneur Vador, il reprend connaissance.

— Gardez-le attaché jusqu’à ce que j’aie terminé.

— Bien, monsieur.

L’ancien apprenti se déchaînait contre des liens invisibles pour bouger des membres qu’il ne sentait plus. Le brouhaha s’estompa un moment puis revint, accompagné cette fois de lumière et de sensations. Il était attaché, couché de tout son long sur une table médicale, au centre d’une salle d’opération. Des tubes multicolores et des fils reliaient plusieurs endroits de son corps à de sombres machines suspendues autour de lui, puis remontaient jusqu’au plafond. Des droïdes anguleux s’agitaient tout autour, le tripotaient et le manipulaient avec des appendices pointus.

Il vit la silhouette familière de Vador se dresser au-dessus de lui au moment où, sans prévenir, son corps recouvrait ses pleines sensations.

Il tira de toutes ses forces sur les attaches qui le retenaient et hurla de rage.

— Vous ! dit-il, l’écume aux lèvres.

Il n’avait jamais ressenti une telle colère, formidable de pureté et pourtant si sauvage qu’elle l’affaiblissait complètement.

— Vous m’avez tué !

— Non.

Vador se pencha plus près de lui et posa une main gantée sur la table comme s’il voulait littéralement faire comprendre la gravité de la situation à son ancien apprenti.

— L’Empereur voulait ta mort, moi pas. Je t’ai ramené ici pour te reconstruire. Si l’Empereur apprenait que tu as survécu, il nous tuerait tous les deux.

L’apprenti regarda le masque impassible, tordant le cou pour essayer d’augmenter la distance qui les séparait. Était-ce possible ? Ses souvenirs de trahison et de douleur n’étaient pas du tout obscurcis par le doute. Un flash du sabre laser rouge de son Maître qui lui sortait des tripes faillit lui faire de nouveau perdre connaissance. Il résista en pensant aux dernières paroles que Shaak Ti avait prononcées : Les Sith finissent toujours par trahir. Il avait été si sûr… mais être sûr ne voulait rien dire. Il devait décider avec son esprit, pas avec son instinct.

— Pourquoi ? demanda-t-il. Pourquoi m’avoir sauvé si cela vous met tellement en danger ?

— Parce que tu es l’atout dont j’ai besoin pour renverser l’Empereur. Il m’a forcé la main, avant que nous ne soyons prêts. Maintenant, il te croit mort. Son ignorance constitue ton véritable pouvoir, si tu as la volonté de l’utiliser.

— Et si je refuse ?

La voix de Dark Vador devint plus dure, sa silhouette encore plus sombre, si c’était possible.

— Alors, tu mourras. Ce laboratoire s’autodétruira et tu périras avec tous ceux qui sont à bord. Il n’y aura aucun témoin.

Il n’y en a jamais, pensa-t-il, dès que cela vous concerne. Mais une vie entière de soumission l’empêcha de prononcer ces mots. Il ferma les yeux et se demanda quelle possibilité l’effrayait le plus : que Dark Vador lui dise la vérité maintenant ou que tout ce qu’il lui ait jamais dit soit un mensonge.

Le souffle rauque du respirateur se rapprocha encore.

— L’Empereur a ordonné ta mort, dit Dark Vador. Tu n’auras ta revanche qu’en te joignant à moi.

Il rouvrit les yeux et regarda droit dans le masque, qui cachait l’homme qui l’avait tué puis sauvé.

Une seule des possibilités lui laissait le temps de bien réfléchir à cette étrange situation. Une seule des décisions lui laissait la possibilité de changer d’avis plus tard. Une seule bifurcation dans le chemin le laissait en vie, pas mort.

D’une voix creuse, l’apprenti lâcha :

— Quels sont vos ordres, mon Maître ?

Dark Vador se redressa, chacun de ses mouvements trahissait sa satisfaction.

— L’Empereur se cache derrière une armée d’espions. Ils épient mes moindres faits et gestes.

Une main gantée fit un signe en direction des machines qui s’occupaient de la salle d’opération. Les droïdes reculèrent et les tubes se rétractèrent.

— Il faut créer une diversion.

Il appuya sur un bouton de la table. Les attaches de l’apprenti s’ouvrirent d’un coup. Il s’assit lentement, se massa les poignets et examina son corps. Il était vêtu d’une tenue entièrement neuve, pas très différente de celle de son Maître, avec du cuir noir superposé à une gaine d’armure, des gants et des bottes épaisses, ainsi qu’un haut col. Non loin de là, une cape à capuchon noire avec une doublure rouge, probablement la sienne aussi, était posée sur l’épaule d’un des droïdes-chirurgiens. Le même droïde lui tendit la poignée d’un sabre laser. Il lui fallut un moment pour se rendre compte que ce n’était pas celui qu’il avait brandi tout au long de sa vie. Ce sabre laser-là était tombé dans le vide de l’espace et était perdu pour toujours.

Il fit jouer ses doigts. Il se sentait plus fort et, d’une certaine manière, différent. La douleur avait complètement disparu. Il se sentait en meilleure forme que jamais, comme s’il avait passé plusieurs mois dans une cuve à Bacta.

Au lieu de réfléchir au problème, il demanda :

— Quel genre de diversion ? Un assassinat ?

Son Maître secoua la tête.

— Un acte isolé ne détournera pas l’attention de l’Empereur longtemps. Tu dois réunir une armée contre lui.

L’apprenti dressa la tête.

— Tu devras localiser les ennemis de l’Empereur et les convaincre que tu veux renverser l’Empire. Quand tu auras créé une alliance de rebelles et de dissidents, nous les utiliserons pour distraire l’Empereur et ses espions. Une fois que leur attention aura été détournée, nous pourrons frapper.

L’apprenti se passa la main sur la poitrine, pour sentir la souplesse de son uniforme, c’était comme s’il avait de nouveaux nerfs. Le plan était bon. Cela pouvait marcher.

— Comment dois-je m’y prendre ?

— C’est à toi de le décider. Ton destin est entre tes mains, désormais. Mais tu dois partir immédiatement, tu dois couper toute attache avec ton passé, à part avec PROXY. Personne ne doit savoir que tu me sers encore.

Il baissa la tête en signe d’assentiment.

— Bien, mon Maître.

— Maintenant, va. Et n’oublie pas que le Côté Obscur sera toujours avec toi.

L’image de Dark Vador vibra et reprit la forme et les traits familiers de PROXY. Le droïde chancela mais retrouva vite son équilibre.

— PROXY !

— Maître, je suis ravi de voir que vous n’êtes pas vraiment mort.

Le droïde rayonnait de la seule façon qu’il pouvait : de tous ses photorécepteurs.

— Je craignais de ne jamais pouvoir remplir ma fonction première et vous tuer moi-même.

— Je suis sûr que tu en auras l’occasion, une fois que nous serons sortis d’ici.

PROXY s’éloigna et commença à pianoter sur le clavier du terminal le plus proche.

—  sommes-nous au fait ?

— Quelque part dans une partie du système Dominus qui n’est pas sur la carte, je crois.

— Mais quel est cet endroit ?

— Nous sommes à bord de l’Empirique, Maître, le laboratoire mobile top-secret du Seigneur Vador. Vous y êtes depuis six mois standard.

PROXY leva le regard du terminal.

— Le Seigneur Vador a mis à jour tous mes protocoles. Avant de vous tuer, je dois faire tout mon possible pour vous aider à disparaître. Dois-je préparer le Rogue Shadow au décollage ?

L’apprenti essaya de réfléchir. Il plia la main, émerveillé par son incroyable guérison. Cela semblait presque trop beau pour être vrai.

Une pensée troublante lui vint à l’esprit. Il retira précipitamment son gant droit puis le gauche. Il fut rassuré de ne voir que de la peau dessous – pas de matériau synthétique ou d’articulations artificielles. Ses doigts se pliaient normalement, ses ongles étaient propres et égaux. Le seul détail bizarre était que ses cicatrices avaient disparu.

Il caressa de sa main droite une zone qui allait de sa poitrine à son estomac, se rappelant la terrible blessure que son Maître lui avait infligée. Il pensa aux dégâts que le vide à l’état brut faisait aux poumons humains. Les cuves à Bacta faisaient des miracles mais pas à ce point.

— Maître ?

Il leva la tête vers PROXY et cligna des yeux.

— Quoi ? Oh. Je n’avais pas réalisé que le vaisseau était là aussi.

— Si, bien sûr. Maître, sinon comment pourrions-nous partir d’ici ?

Le droïde recula du terminal. En le montrant d’un doigt, il dit :

— J’ai accédé à l’ordinateur central du vaisseau et j’ai commencé à exécuter les ordres de Dark Vador.

L’apprenti hocha la tête, distrait par une pensée qui venait de le frapper. Il était sur l’Empirique depuis six mois, lui avait expliqué PROXY, mais le Rogue Shadow était là à l’attendre. Ce n’était peut-être pas la seule chose qui avait survécu à la catastrophe que l’intervention de l’Empereur avait failli provoquer.

— Qu’est-il arrivé à Juno, PROXY ?

— Votre pilote ? Elle est à bord de l’Empirique, elle aussi, je crois. Dans une cellule de confinement.

— Quoi ? Pourquoi ?

— Le capitaine Eclipse a été accusé de trahison.

PROXY se tut une fraction de seconde, comme s’il cherchait les mots exacts.

— Le Seigneur Vador a été très clair : vous devez couper toute attache avec le passé. Vous ne comptez quand même pas la libérer, si ?

Avec irritation, l’apprenti enfila ses gants.

— Je ne sais pas encore quels sont mes plans, PROXY. Commençons par essayer de sortir d’ici.

— Comme vous voulez, Maître.

PROXY inclina la tête. Il revint vers le terminal, enfonça un gros bouton rouge puis se dirigea vers la porte.

Le pont fut soudain traversé par une secousse qui leur fit perdre l’équilibre. L’apprenti attrapa le droïde et les stabilisa tous les deux. Il regarda autour du laboratoire de cyborgs tandis qu’une sirène se mettait à hurler.

— Alerte ! criait une voix dans l’interphone. Les systèmes de navigation ont eu une défaillance. Je répète, les systèmes de navigation ont eu une défaillance.

PROXY tira son Maître par l’épaule.

— Venez, Maître. Nous devons partir.

Il réalisa soudain ce que signifiaient les gestes que le droïde avait accomplis. Les ordres du Seigneur Vador, avait-il dit. Il n’y aura pas de témoins.

— PROXY, qu’as-tu fait ?

— J’ai placé l’Empirique sur la trajectoire de l’étoile principale du système Dominus, répondit-il d’un ton détaché.

— Mais tous ceux qui se trouvent à bord de l’Empirique…

— Le Seigneur Vador a dit que personne ne devait apprendre votre existence. Il a été très clair.

— Et là, tu essaies toujours vraiment de me tuer pour de bon.

— Non, non. Pas encore, Maître. Vous avez encore bien le temps d’atteindre le Rogue Shadow.

L’apprenti ravala la frustration qui montait en lui. Ce n’était pas la faute de PROXY. Le droïde ne faisait qu’obéir aux ordres. Mais par la même occasion, il les avait mis tous les deux dans une position très inconfortable.

— Bon, allons-y. Reste près de moi.

— Oui, Maître.

De ses mains étrangement guéries, l’apprenti activa le sabre laser que son Maître lui avait donné. La lame était aussi verte que dans ses souvenirs. Il sursauta en réalisant que c’était le sabre de Rahm Kota. Tandis que PROXY trottinait derrière lui, il évacua de son esprit ce petit détail et se dirigea vers la sortie.