CHAPITRE 23

PROXY fut aux petits soins pour Starkiller comme jamais auparavant. Il brossa la cendre et la poussière de ses vêtements avec de vigoureux mouvements de ses fines mains métalliques. Peut-être le droïde n’avait-il jamais été séparé aussi longtemps de son maître auparavant ? Juno n’en savait rien et elle ne posa pas la question. Le visage de Starkiller avait une expression orageuse.

— Qui était-elle ? demanda-t-il à Kota, qui s’était installé sur le strapontin pour lui laisser la place du copilote.

— La Princesse Leia Organa. Son père est Bail Organa, mon contact au Sénat.

— Je veux lui parler.

Le général se passa une main sur le visage, comme s’il voulait reposer ses yeux :

— Ce n’est pas possible.

La fureur de Starkiller trouva l’exutoire qu’elle cherchait.

— Je viens de risquer ma vie à sauver sa fille d’une planète infestée de stormtroopers…

— Calme-toi, mon garçon. Tu ne peux pas parler à Bail parce que j’ignore où il se trouve. Il a disparu.

— Quoi ?

La frustration de Starkiller redoubla.

— Quand ?

— Je n’ai plus réussi à le contacter depuis que nous avons quitté Bespin. La dernière fois que je l’ai vu, c’était sur Nar Shaddaa, quelques semaines après… après ma chute. Il m’a retrouvé et voulait que j’aille sauver Leia. J’ai refusé, bien sûr. (Il indiqua d’un geste ses yeux comme si cela expliquait tout.) Quand j’ai refusé, il m’a envoyé à la Cité des Nuages. Je ne l’ai plus vu ni eu de ses nouvelles depuis.

Kota se détourna, replié et refermé sur lui-même, comme s’il regrettait sa décision. Juno supposait qu’à une autre époque Kota n’aurait pas hésité. Il aurait volontiers fait irruption dans un repaire d’impériaux pour les traiter aussi brutalement qu’ils avaient traité ses amis. Mais qu’aurait-il pu faire à présent, un homme vieux et aveugle face à des milliers de soldats en pleine forme et armés jusqu’aux dents ?

Elle resta prudemment à l’écart de la discussion et pas simplement pour éviter une dispute. Son cœur souffrait encore de ses propres blessures et elle se demandait toujours dans quel camp elle se trouvait en ce qui concernait les deux hommes.

Starkiller battit en retraite sans s’excuser. Ils avaient l’air de trouver cette résolution acceptable. Kota resta sur le strapontin, le menton résolument pointé vers le bas, tandis que Starkiller se retira dans la chambre de méditation. Après son départ, l’air sentait le soufre et la fumée.

Juno baissa les yeux vers les commandes. Il ne lui avait pas indiqué la direction à prendre. Elle ajusta automatiquement la trajectoire du Rogue Shadow – et PROXY se mit à imiter chacun de ses gestes dans le siège à côté d’elle, une habitude qu’elle continuait à trouver très dérangeante. Mais elle savait maintenant que le droïde n’y pouvait rien – que cela faisait autant partie de lui que la respiration pour elle – et elle ne le pria pas d’arrêter.

— Qu’est-ce que tu fais, d’habitude, quand il est comme ça ? demanda-t-elle au droïde.

PROXY n’eut pas besoin de lui demander de qui elle parlait.

— D’habitude, je me bats avec lui. Ça a l’air de l’aider. Voulez-vous que je…

— Non, PROXY. Reste ici. Je pense qu’il est temps que quelqu’un essaie une autre approche.

Elle laissa le vaisseau aux mains improbables de Kota et PROXY, s’extirpa de son siège et se dirigea vers l’arrière.

La chambre de méditation était plus sombre qu’il n’y paraissait depuis les caméras de sécurité. Son air était plus frais, d’une certaine façon, et le bruit de l’hyperpropulseur du vaisseau semblait provenir de milliers de kilomètres de là. Malgré son dépouillement, l’espace anguleux dégageait un calme qui la frappa dès qu’elle entra. On aurait dit que le temps s’était arrêté. La pièce avait un air de gravité qui lui semblait convenir à merveille à l’ancienne profession de Starkiller. Être capable de rester calme tout en faisant la chasse au Jedi ne devait pas être une mince affaire, elle en était sûre. Et cela avait un coût…

— Il y a un problème, Juno ?

Il était agenouillé au centre de la pièce. Ses mains pendaient mollement devant lui. La poignée de son sabre laser désactivé reposait sur le sol devant lui. C’était celui qu’il avait utilisé depuis qu’ils s’étaient enfuis de l’Empirique. Un petit cristal bleu était posé à ses côtés. L’apprenti lui tournait légèrement le dos, elle ne pouvait donc dire si ses yeux étaient ouverts.

— Je ne sais pas. C’est à vous de me le dire.

— Que veux-tu dire par là ?

Elle décida de se lancer et de dire ce quelle avait sur le cœur.

— Est-ce que vous allez bien ? Après ce qui s’est passé sur Kashyyyk…

— Je ne suis pas en train de m’épuiser, dit-il. J’ai eu du mal à venir à bout des amarres mais je me sens plus fort que jamais maintenant. Je pense que plus on essaie, plus ça devient facile. La Force est plus forte que quoi que ce soit qu’on puisse imaginer. C’est nous qui la limitons et pas le contraire.

Il se tourna à moitié pour la regarder. Elle était prête à le laisser aborder ce sujet, s’il le désirait. Il ne lui avait jamais parlé de la Force auparavant : une lueur qu’elle n’avait jamais vue pétillait dans ses yeux quand il l’évoquait. Mais il n’en dit pas plus et comme elle ne trouva rien à dire en retour, il tourna de nouveau son visage vers le sol et elle le perdit une fois de plus.

— Et ce qui nous est arrivé, à part cela ? J’ai tourné le dos à la Marine Impériale et vous avez abandonné votre Maître. On traverse la même chose. On peut s’entraider.

— Personne ne peut m’aider.

— Je ne crois pas que vous pensez vraiment ce que vous dites. Je crois que tu as simplement peur de me laisser essayer.

— C’est vraiment ça que tu penses ?

Il ne leva pas la tête mais elle remarqua que les muscles de sa nuque se tendaient :

— Après tous les stormtroopers que j’ai éliminés, j’ai peur de toi ?

— Il n’y a pas eu que des stormtroopers, répondit-elle, avec plus de passion qu’elle n’aurait voulu.

Il la regarda de nouveau.

— Oui. Et le capitaine Sturn.

— N’oubliez pas les pilotes des chasseurs TIE, dit-elle. L’un d’entre eux était un jeune gars avec qui je volais avant.

Starkiller leva les yeux en entendant cela mais ne répondit rien.

— C’est beaucoup plus facile de combattre l’Empire quand il n’a pas de visage, dit-elle, quand les gens dont la vie s’achève sont cachés sous des casques de stormtroopers ou des coques en duracier. Mais quand ce sont des gens qu’on a connus, des gens comme nous avant… (Elle haussa les épaules.) Jusqu’où est-ce que ça va nous mener, tout ça ?

Il la fixa du regard jusqu’à ce qu’elle attrape la chair de poule dans tout le dos.

— Tu es en train de regretter ?

— Non, répondit-elle. Je…

Je voudrais juste que vous me parliez.

Elle ne pouvait pas dire cela.

— Ça n’a pas d’importance, reprit-elle.

Elle tourna les talons pour s’en aller. Peut-être que PROXY était le seul à pouvoir l’atteindre, avec la pointe d’un sabre laser.

— Juno, dit-il en l’arrêtant dans l’embrasure de la porte, je suis désolé pour ton ami.

Elle respira profondément.

— Ce n’est rien. Ce n’était pas vraiment un ami et ce n’était rien de personnel. Youngster s’est juste retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment.

— Et du mauvais côté, ajouta-t-il.

— Oui, aussi.

Elle faillit ajouter : vous n’avez pas besoin de me le rappeler ; mais elle préféra ne pas le dire car elle sentait qu’il la sondait, la testait sans doute, d’une certaine façon.

— Je suis épuisée, dit-elle.

Elle pensa encore : Pourquoi moi ? et retourna travailler.

Starkiller réapparut peu de temps après. Il avait l’air plus propre et au moins en meilleure forme physique après sa courte pause.

— Où va-t-on ? demanda-t-il à Juno.

— Nulle part, répondit-elle.

Kota leva ses yeux aveugles.

— La dernière fois que j’ai vu Bail Organa, il a dit qu’il trouverait quelqu’un pour l’aider si je ne voulais pas le faire. Son choix s’est porté sur Maître Shaak Ti. Je l’ai prévenu que ce serait trop dangereux mais ce fou est parti à sa recherche quand même. Seul. Je n’ai rien pu faire pour l’arrêter. (La mâchoire du vieil homme saillait, comme s’il mettait quiconque au défi de ne pas être d’accord.) J’ai vérifié auprès de Ylenic It’kla, son assistant sur Alderaan. Bail a disparu dès qu’il a atterri sur…

— Felucia, compléta Starkiller en hochant la tête.

Kota pencha la tête, comme s’il entendait un faible bruit très distant.

Un lourd silence s’abattit dans le vaisseau. Starkiller leva les yeux en même temps que Juno, réalisant trop tard ce qu’il venait de dire. Est-ce que Kota allait s’en rendre compte ? Saisie par une panique qui lui donnait le vertige, Juno regarda la main de Starkiller s’approcher de la poignée accrochée à sa taille.

— La Force est très puissante en toi, dit Kota doucement, pour que tu arrives à lire mes pensées.

Juno laissa s’échapper un peu de tension.

— Vous êtes simplement facile à lire, vieil homme, rétorqua Starkiller.

— Alors je suppose que tu sais que Felucia est un endroit dangereux.

Starkiller balaya cette inquiétude.

— Je suis capable de gérer ça.

Kota se pencha plus près.

— Ne sois pas trop confiant, mon garçon. Felucia est un monde où l’équilibre entre le Côté Lumineux et le Côté Obscur de la Force est délicat. Shaak Ti était la seule chose qui empêchait la planète d’être consumée par les forces obscures. S’il lui est arrivé quelque chose, ce que tu as vécu dans la hutte ne sera qu’un mauvais rêve en comparaison.

Starkiller recula.

— Comment savez-vous… ?

— Toi aussi, tu es facile à lire.

Le sourire de Kota était crispé.

— Cap sur Felucia alors, intervint Juno pour briser la tension.

— Non.

Starkiller posa la main sur son épaule avant qu’elle n’ait eu le temps de se tourner vers les commandes.

— Repose-toi. PROXY et moi allons nous charger du reste du trajet. Je te réveillerai quand on approchera.

Elle le regarda et fit un signe d’assentiment. Il avait pensé à elle spontanément ; c’était encourageant.

— D’accord. Mais au moindre problème…

— Ne t’inquiète pas. On nous entendra hurler jusqu’à Coruscant. File !

Il prit sa place devant le tableau de bord.

— Allez, PROXY, c’est le moment de me rappeler comment fonctionne l’astronavigation.

— Je crains. Maître, que cela ne prenne trop de temps de compléter votre programmation de base avec les algorithmes nécessaires…

Juno sourit pour elle-même. Elle laissa le cockpit dans son dos et partit se reposer.