CHAPITRE 33

L’hyperespace. Les étoiles. L’atmosphère.

Juno ne semblait jamais lasse de traverser les mêmes limites à chaque fois qu’elle pilotait. L’apprenti se demandait s’il lui arrivait parfois de regretter ses jours glorieux comme pilote de chasseur TIE, quand son travail impliquait du mitraillage en rase-mottes, des bombardements ou du transport de passagers d’un bout à l’autre de la galaxie. Quand il repensait à Raxus Prime, il se disait qu’elle avait eu droit à un peu d’action mais rien de très palpitant. Le salaire était dérisoire et ses compagnons de vol laissaient vraiment à désirer.

Kota était introuvable quand l’apprenti émergea de la chambre de méditation. Cela le déçut, aussi étrange que cela puisse paraître. Il avait espéré que le général sorte un peu de son cafard interminable maintenant que la rébellion faisait un vrai pas en avant. Mais il n’y avait pas de quoi s’étonner, se dit-il. Après des mois de dépression et de beuveries, il faudrait un événement hors du commun pour remettre le vieil homme en état.

L’apprenti prit place sur le strapontin derrière Juno et tenta de comprendre cette nouvelle sensation de calme étrange qui l’enveloppait. Deux sentiments contradictoires le tiraient encore dans des directions opposées : l’un vers la rébellion, l’autre vers son Maître. Entre les deux, il y avait aussi les deux pôles divergents qu’étaient Juno et l’Empereur. Il était pris au milieu de tout cela comme un équilibriste sur une corde raide, qui tente de maintenir en permanence son équilibre instable.

Cet équilibre lui avait échappé jusqu’à il y a peu. En quittant Raxus Prime, il avait promis de trouver un moyen de détruire l’Empereur tout en gardant Juno dans sa vie. Pendant une semaine entière, il avait réfléchi aux alternatives, encore et encore, jusqu’à en devenir fou. C’est alors qu’une nouvelle possibilité lui était apparue : créer l’Alliance Rebelle comme prévu mais – au lieu de la livrer à son Maître – la garder pour son propre usage. Puis, quand l’Empereur aurait disparu…

Quoi ? se demanda-t-il. Confier le contrôle de la galaxie à une bande d’insurgés sans expérience ? Régner dans la paix, avec Juno à ses côtés ? Abdiquer et disparaître pour toujours ?

Ce plan était truffé d’inconnues, mais c’était le sien. Il avait imaginé une solution bien à lui, et non plus dictée par son Maître. Il pouvait la faire aboutir en sachant qu’en réalité c’était son destin qu’il accomplissait.

Et Juno lui faisait confiance…

Peut-être, se dit-il, qu’il devrait lui faire confiance. Peut-être que l’opportunité vraiment incroyable que son plan ouvrait était que les rebelles puissent lui venir en aide pour détruire son Maître, ce qui les libérerait tous d’un coup.

Il osait à peine y penser.

C’était suffisant de savoir que la réunion aurait lieu comme prévu, à l’abri des trahisons. La rébellion naîtrait, peu importe la suite. Cette décision avait finalement permis une trêve entre les factions qui se battaient à l’intérieur de lui. Tant que le délicat équilibre de son esprit se maintenait, il se sentait plus en paix qu’il ne s’était senti depuis des mois.

Le Rogue Shadow descendit d’une orbite polaire au-dessus de la chaîne de montagnes au nord-ouest de la planète. De loin, la vue était d’une beauté saisissante, deux larges océans entouraient des terres bien entretenues et tempérées. L’industrie était, pour sa majeure partie, confinée aux orbites, ce qui avait mis la biosphère de Corellia à l’abri des ravages industriels subis par tant d’autres mondes. Il y avait cependant quelques zones qui montraient des traces d’une mauvaise gestion passée. Leur terrain d’atterrissage en faisait partie, une cité en ruine en plein milieu d’un terrain vague en haute altitude. L’apprenti ignorait son nom ou ce qui lui était arrivé, mais tandis qu’ils approchaient du quadrillage formé par les rues, brûlées il y a bien longtemps de cela et désormais recouvertes de glace, à mesure que les bâtiments délabrés devenaient visibles, il prit pour lui, sans réserve, la leçon qui lui était offerte.

Toutes les tentatives finissent par échouer. Tous les monuments s’écroulent. Même les plus grands plans survivent rarement à leurs concepteurs. Si lui, Dark Vador ou l’Empereur venaient à mourir demain, qui aurait souvenir des étranges complots qui les avaient unis ?

Juno guida le vaisseau d’une main sûre, elle fit un tour complet des ruines pour vérifier qu’elles ne cachaient pas de mauvaise surprise puis posa délicatement l’appareil à côté de trois navettes, dont les angles avaient été adoucis par les chutes de neige. L’un des transporteurs appartenait clairement à Bail Organa. Des gardes en uniforme prirent position entre les trois engins et le Rogue Shadow qui venait d’atterrir.

— Bon, dit Juno tandis que les moteurs subluminiques refroidissaient, nous sommes arrivés. J’ai toujours su que les histoires qu’on raconte au sujet de Corellia étaient exagérées.

— On dirait qu’ils sont tous là, fit Starkiller. (Il était trop concentré sur ce qui allait se passer pour prêter attention à sa blague.) PROXY ? Viens.

Elle se tourna vers lui.

— Kota ne vient pas avec vous ?

Il parcourut du regard le cockpit vide.

— On dirait que je suis tout seul sur ce coup-là. Souhaite-moi bonne chance.

Le visage de Juno affichait de la détermination.

— Il n’est pas question que vous alliez là-bas tout seul. Attendez.

Elle sauta pratiquement hors du siège de pilotage, ajusta ce qui restait de son uniforme et tenta de se recoiffer en vitesse. Elle appuya sur un bouton caché et ouvrit un panneau dérobé, dont elle sortit un pistolet dans son holster, qu’elle fixa à sa ceinture.

— Je serai juste derrière vous.

— C’est là que tu me dis de ne pas interpréter ça de travers, dit-il.

Elle indiqua le sabre laser qui pendait à la ceinture de l’apprenti.

— Arrangez-vous simplement pour que je n’en aie pas besoin. C’est tout ce que j’ai à dire.

Il hocha la tête, sans le moindre reproche et les emmena dehors dans la neige cinglante.

Des gardes en tenue polaire les conduisirent tous trois dans les ruines sans dire un mot. De longs corridors de pierre menaient à un poste de guet, qui donnait sur les sommets montagneux accidentés. La salle de réunion improvisée était équipée d’une table de conférence rectangulaire, assez grande pour une dizaine de personnes. Bail Organa se tenait d’un côté, digne et solennel dans sa toge de Sénateur. Il était accompagné d’une femme qui se tenait très droite, au visage usé par les soucis, qui ne pouvait être que l’ancienne Sénatrice du secteur Bormea : Mon Mothma, puis un homme aux épaules larges avec une moustache et de longs cheveux grisonnants, l’ancien Sénateur de Corellia, Garm Bel Iblis. Organa hocha la tête pour les accueillir d’un air grave mais ses collègues se montrèrent plus réservés.

L’apprenti avança sans hésiter pour faire face au trio rassemblé à la table. Bel Iblis se tenait juste en face de lui, devant le « mur » nord-est de la salle, qui n’était en réalité pas plus qu’une travée à l’air libre soutenue par quelques piliers de pierre. Le sommet d’une falaise enneigée, qu’on apercevait à l’arrière-plan, donnait l’impression que toute la structure était en équilibre précaire entre le ciel et la pierre, comme si la gravité pouvait à tout moment faire s’effondrer l’édifice.

La grande porte de pierre se referma derrière eux dans un glissement. Juno sursauta légèrement et se mit sur le côté, rejoignant les hommes et les femmes en uniformes de Corellia, de Chandrila et d’Alderaan qui gardaient la réunion. Sur l’ordre de Bail Organa, PROXY scintilla et afficha l’image holographique de sa fille, Leia, retransmise depuis un autre point la galaxie. Elle aussi hocha la tête en signe de reconnaissance tandis qu’elle avançait vers la table pour prendre place à côté de son père.

— Mes amis. (Bail Organa fut le premier à briser le silence.) Merci d’être venus. Je sais qu’il s’agissait d’une décision difficile. En nous réunissant ici, nous avons tous mis nos vies en danger – comme nous l’avons déjà fait en de nombreuses occasions.

Il inclina la tête vers l’apprenti, qui se redressa pour accepter ce gage de reconnaissance mais ne dit rien. Parler en public lui était aussi étranger que les pas de danse du Kavadango tourbillonnant.

— Je pense que nous pouvons croire en l’avènement d’un monde meilleur, continua Organa. Cette réunion laisse entrevoir un moment où nous n’aurons plus besoin de nous réunir en secret – où nous vivrons tous dans la paix et la prospérité, libérés du joug de terreur que l’Empereur a imposé sur toute la galaxie. Je suis convaincu que, tous ensemble, nous pouvons transformer nos rêves en réalité.

Mon Mothma approuva de la tête.

— Nous avons longuement discuté de cela, dit-elle. Nous sommes d’accord que l’heure n’est plus à la diplomatie et à la politique. Il est temps de passer à l’action.

— Plus que temps, convint Bel Iblis, d’une voix rude et grave.

— D’un point de vue logistique, poursuivit Organa, cela a du sens d’unir nos forces. Ma richesse peut financer cette rébellion, tandis que Garni nous fournira la flotte et Mon Mothma les troupes. Cela fait des années maintenant que nous travaillons de façon divergente, en attendant le catalyseur qui nous rapprocherait. Je pense que nous avons ce catalyseur maintenant, et que nous serions fous de ne pas en profiter.

— Tout ce qu’il nous fallait, c’est que quelqu’un prenne l’initiative, ajouta Mon Mothma en s’adressant directement à l’apprenti. Nous savons que le pouvoir de la Force est de notre côté.

— En bref, dit Garm Bel Iblis avec de petits yeux qui dénotaient la prudence, nous acceptons de vous suivre. Nous allons nous joindre à votre alliance.

— Vous avez déjà sauvé deux d’entre nous présents ici, conclut Leia Organa très solennellement. Si l’Empereur s’imagine qu’il peut nous marcher sur les pieds éternellement, il se trompe.

— Vous faites erreur sur un point. Princesse, l’interrompit une voix venue de l’embrasure de la porte.

L’apprenti se retourna. Les portes s’étaient rouvertes sans qu’il s’en rende compte et Kota avait fait son entrée dans la pièce.

— Ce garçon a sauvé trois des nôtres.

Kota n’était plus un ivrogne débraillé mais un général aguerri. Ses yeux aveugles n’étaient plus bandés et ses bottes étaient cirées. Les mèches rebelles de ses cheveux gris avaient été tirées dans sa queue-de-cheval et sa toge tombait droit. En trois pas résolus, il traversa la pièce pour se retrouver devant l’apprenti. Il posa une main sur son épaule.

— Je vais me joindre à sa rébellion aussi, si je suis le bienvenu.

L’apprenti tendit la main et serra les doigts noueux.

— Je pensais que vous cuviez encore dans la soute.

Kota sourit.

— Je me suis enfin remis.

Par-dessus l’épaule du général, l’apprenti vit Juno rayonner aussi. Elle hocha la tête et lui fit signe de ramener son attention vers la réunion.

— Alors, c’est décidé, déclara Bail, haussant la voix en mode oratoire. Que ceci soit une Déclaration formelle de Rébellion. Aujourd’hui, nous jurons de renverser l’Empire pour que la galaxie et tous ses peuples soient libres un jour, qu’ils soient humains ou hamadryas, wookiee ou weequay. Toute espèce intelligente a le droit inaliénable de vivre en sécurité et de se battre pour ce droit s’il est jamais…

Il fut interrompu par le bruit d’une explosion assourdissante. Le sol trembla sous leurs pieds et de la poussière s’abattit en pluie.

Le sourire de Bail Organa s’effaça. Le Sénateur s’éloigna de la table et se tourna pour faire face à sa fille.

— PROXY, cria-t-il, coupe la transmission !

Le droïde interrompit l’hologramme et redevint de nouveau lui-même.

Une autre explosion secoua le nid d’aigle. L’apprenti courut jusqu’au mur nord-est et jeta un œil entre les piliers de pierre. Un Destroyer Stellaire avait fait son apparition dans l’atmosphère supérieure. Des chasseurs TIE traversaient le ciel à toute allure.

— Non, murmura-t-il. Non !

La porte derrière lui s’ouvrit dans une explosion et ses protestations incrédules furent couvertes par le vacarme des tirs de blaster et les cris.