CHAPITRE 19

Juno essayait de lui dire quelque chose et ça avait l’air important.

Quoi que ce soit, ça devrait attendre.

Le pied d’un bipode TR-TT s’abattit juste à côté de lui, faisant vibrer toutes ses dents. L’apprenti n’interrompit pas sa progression pour autant. Il avait soigneusement minuté sa course, avait évité les grenades à concussion et les décharges d’énergie tirées par l’artilleur, et s’approchait par en dessous, là où le blindage était le plus vulnérable. La tête gigantesque pivota et tourna autour de lui pour essayer de viser cet homme sans armure qui osait l’affronter seul. Il sentait indirectement l’incrédulité du pilote à travers le mouvement de la machine.

L’apprenti inspira profondément et exécuta une figure acrobatique aérienne, qui amena son sabre laser à portée des deux joints de genoux, de trois jonctions de contrôle et du moteur propulseur. Le TR-TT trembla au milieu de sa course, tandis que ses systèmes complexes enregistraient les dommages qu’ils venaient de subir. Les rafales incessantes de ses armes faiblirent.

L’apprenti posa pied à terre et s’arrêta net. Dans un grognement de métal torturé, le TR-TT réussit encore à faire un demi-pas avant de s’écrouler sur le sol, le nez en avant, soulevant un nuage de poussière. Avant que la terre projetée par l’explosion n’ait le temps de retomber, l’apprenti s’était remis en mouvement, il évita un flot de tirs de blaster, en provenance d’un canon fixe manipulé par des stormtroopers, postés à la droite des marches principales du pavillon. Deux autres TR-TT se rapprochaient de lui de chaque côté, dans l’espoir de le prendre en tenaille.

Son sourire n’avait pas faibli d’un iota. La façon de viser des soldats laissait vraiment à désirer. Il dévia tous les projectiles qui arrivaient à sa portée, soit vers leur point d’origine soit vers la porte principale du pavillon, mais ils étaient si nombreux à rater complètement leur cible que le reste se déchargeait inutilement dans la terre. Il courut en direction des soldats, se transformant exprès en cible facile. Des casques blancs se levèrent de surprise puis se rabaissèrent pour se concentrer.

Il les imaginait en train de se dire : un tir chanceux, rien qu’un.

Il allait leur montrer que les tirs chanceux n’existaient pas. Pas ceux qui le visaient, en tout cas.

Il fut coincé par un barrage serré de tirs d’énergie. Il commença à en rediriger une partie vers les TR-TT qui s’approchaient, ce qui laissa des traces noires de brûlure sur leur blindage avant. Les pilotes et les tireurs intensifièrent leur charge, car ils savaient qu’en approchant ils feraient des cibles faciles également. Une pluie de grenades à concussion s’abattit dans sa direction. Il les dévia toutes vers la porte du pavillon, en faisant bien attention d’éviter tout ce qui pouvait ressembler à des appartements réservés aux invités.

Des sirènes hurlaient. Des stormtroopers poussaient des cris. Le sifflement de moteurs se faisait de plus en plus assourdissant.

Il s’arrêta quand les deux TR-TT ne furent plus qu’à dix mètres de lui, formant un triangle équilatéral avec la batterie de canons des stormtroopers. Son sabre laser tournait comme une hélice, sans qu’il en ait conscience. La Force déferla en lui comme la foudre, elle alimenta ses instincts et le remplit de puissance. Pendant une bonne seconde, il ferma les yeux et laissa ses bras bouger en parfaite synchronie avec les décharges d’énergie. Il ne faisait même plus partie du tableau. Il était un spectateur, un observateur privilégié dans un ballet mortel mais magnifique.

Il baissa la tête et se concentra. Les TR-TT approchaient plus lentement maintenant, car leurs pilotes et leurs tireurs sentaient la victoire : aucun humain ne pouvait survivre longtemps à un tel barrage. Ils se trompaient lourdement. Quand les TR-TT recommencèrent à accélérer, leurs pilotes furent pris momentanément par surprise. Ils tiraient sans succès sur leurs manettes de contrôle. Leurs lourdes bêtes métalliques accéléraient de façon constante et leur trajectoire se modifiait à chaque pas chancelant. Ils prenaient de la vitesse et convergeaient vers un point bien différent que celui qu’ils voulaient atteindre au départ : ils n’avançaient plus vers l’apprenti mais vers une zone de sol nu à quelques mètres de là.

L’apprenti tournoya sur lui-même et ouvrit les yeux une fraction de seconde avant que la collision ne se produise. Il leva sa main libre et envoya un éclair puissant dans les carapaces blindées déjà déformées. L’énergie courut le long de fils et de câbles avant de s’enfoncer dans les cales et soutes à munitions, libérant les sécurités et déclenchant les détonateurs. L’énergie engendra l’énergie.

Il sauta à la verticale juste un instant avant la première explosion et fut soulevé plus haut encore par une bouffée d’air chaud qui éclata dans son sillage. Il rebondit et pirouetta, tandis que la Force chantait en lui. Il était porté par la délicieuse sensation d’être léger et d’avoir détrompé la mort.

Une boule de feu rouge se répandit sur le sol et enveloppa la batterie de canons. Des corps en armure blanche volèrent en tous sens.

L’apprenti atteignit le sommet de son saut et commença à descendre. C’était presque dommage de redescendre au sol mais il savait qu’il ne pouvait pas voler éternellement. Il se fit rouler pour amortir son élan puis se rétablit immédiatement sur ses pieds, entouré de décombres et ceinturé de fumée. Un regard rapide par-dessus son épaule lui apprit tout ce qu’il voulait savoir. Il n’y avait plus qu’un des TR-TT debout. Une épaisse fumée noire s’échappait de son hublot en éclats. L’autre bipode était en pièces, explosé par ses propres armes.

Le champ de bataille était tranquille. Les oreilles de l’apprenti bourdonnèrent pendant près d’une demi-minute avant que le bruit ne diminue. Tout était silencieux, on n’entendait plus que le cliquetis du métal qui refroidissait. La résistance impériale s’était effondrée. Soit il les avait tous tués, soit les survivants s’étaient repliés vers une autre position de défense.

— Alors, qu’est-ce que tu disais ? demanda-t-il à Juno tandis qu’il gravissait les marches qui menaient à la porte d’entrée du pavillon.

Le blindage qui la protégeait était désormais suspendu à un seul gond fondu, détruit par les tirs qu’il avait déviés des canons et des bipodes.

— La station orbitale, lui dit Juno. Elle sert à emmener les Wookiees de force hors de leur planète.

— Ce n’est pas important maintenant, interrompit la voix bourrue de Kota. Où es-tu ?

L’apprenti décrivit le pavillon pendant qu’il pénétrait dans son vestibule détruit. Il gardait son sabre laser prêt, mais les seuls êtres visibles étaient un trio de droïdes de protocole nerveux.

— On dirait qu’il n’y a personne.

— Tu es très près de ton objectif. Ne te laisse pas distraire.

— Vous avez l’intention de me dire ce que je cherche ?

— Patience, mon garçon. Tu vas le savoir.

L’apprenti émit un grognement pour marquer son assentiment. Il traversa le couloir principal à grands pas, ouvrait les portes à coups de pied et se servait de la Force pour améliorer ses perceptions. Une odeur de nourriture brûlée venait de la cuisine. Il décida de l’ignorer.

— Il y a quelque chose…, dit-il alors que son instinct le menait vers l’arrière du pavillon, quelqu’un…

Il tourna le coin et pénétra dans un long couloir en bois décoré de part et d’autre de céramiques en deux dimensions. Deux stormtroopers et un Garde Impérial montaient la garde devant une porte verrouillée au bout du corridor. Les soldats levèrent leurs fusils blaster dès qu’il fut en vue. Le bâton de Force du garde était déjà activé.

— Attendez, dit-il à Kota. Je crois que je brûle.

Les soldats commencèrent à tirer avant même qu’il n’ait fait deux pas vers eux. Ils étaient morts bien avant qu’il n’ait atteint la porte, tués par leurs propres tirs, renvoyés sur eux. Le Garde Impérial dura à peine plus longtemps. Détruit par quatre coups rapides de sabre laser, il fut frappé par un éclair avant de s’écrouler en arrière sur le sol. L’apprenti hocha la tête, content que sa maîtrise se soit améliorée depuis Nar Shaddaa.

Il regarda par-dessus son épaule et hocha de nouveau la tête d’un air satisfait. Pas une seule œuvre d’art n’avait été endommagée.

Ma bonne action de la journée, pensa-t-il en faisant griller la serrure. Il utilisa la Force pour enfoncer la porte.

La chambre du fond était aménagée avec luxe et bon goût, compte tenu de la personnalité de son défunt propriétaire. Des dizaines de bois différents formaient un subtil contraste entre les murs, les corniches, les sols et les plafonds. Une énorme baie vitrée au bout de la chambre donnait sur la forêt. Au loin, on apercevait sans peine la ligne brillante de la station orbitale se dessiner sur fond de ciel bleu.

Au lieu du despote local, il se retrouva confronté à une femme mince, vêtue de blanc, qui lui tournait le dos, les cheveux couverts par une capuche. Et, bien qu’elle ne se soit pas tournée pour voir qui avait fait exploser la porte, il devinait qu’elle était parfaitement consciente de sa présence.

Il fit deux pas vers elle et activa son comlink pour que Juno et Kota puissent entendre.

— Je me doutais que l’Empereur enverrait un assassin, dit la femme, d’un ton plus irrité qu’inquiet. C’est une méthode de lâche.

— Je ne sers pas l’Empereur.

La femme se tourna et rabattit sa capuche. Ce n’était pas une femme, réalisa-t-il, mais une adolescente d’à peine son âge avec des cheveux bruns enroulés en macarons au-dessus de ses épaules. Elle l’étudia avec un air sceptique et désabusé.

— J’ai dit au capitaine Sturn de m’épargner les mascarades et maintenant je vous…

— Non, vraiment, insista-t-il en levant une main pour l’interrompre. Je suis venu avec Maître Kota.

— Maître Kota est mort. Il a été tué au-dessus de Nar Shaddaa. Mon père…

Elle s’arrêta net.

— Votre père ?

Il fit un pas vers elle. Les pièces du puzzle commençaient à s’assembler. L’ami de Kota… la chose « très précieuse » qu’il était censé récupérer…

— Depuis combien de temps est-ce que votre père fournit des informations à Kota sur des cibles impériales ?

Elle le regarda d’un air las.

— Comment savez-vous…

— C’est Maître Kota qui me l’a dit lui-même. Il a survécu à Nar Shaddaa. Nous avons été envoyés ici pour vous retrouver. Je pense que vous devriez me suivre.

Elle eut l’air encore plus dubitative.

— Je ne peux pas partir, pas tant que la planète est asservie.

— Est-ce pour cela que vous êtes ici ?

— Non.

Sa réponse fut énoncée avec clarté et courroux :

— Je suis une observatrice du Sénat envoyée par l’Empereur en personne. Mon travail consiste à superviser la construction de cette monstruosité.

Elle inclina la tête vers la station orbitale qui s’élevait au-dessus de la forêt.

— Il ne peut pas me tuer mais il peut me faire travailler et faire passer un message à mon père en même temps. Un lâche, comme je l’ai dit, mais un lâche malin, passé maître dans l’art de la coercition et de la manipulation.

L’apprenti fit un signe de tête pour montrer qu’il comprenait.

— Je ne suis pas si inoffensive moi-même, dit la jeune femme en désignant du menton le sabre laser. Je sais ce que c’est. Si vous êtes vraiment un Jedi, alors vous comprendrez pourquoi je ne peux pas partir.

— Mais votre père…

— Mon père n’est pas ici.

Elle se tourna de nouveau vers la fenêtre.

— Une fois que la station orbitale sera terminée, l’Empire pourra commencer à déporter des esclaves wookiees pour de bon. Des villages entiers seront vidés en l’espace de quelques jours. R2-D2 ?

Le petit astromec roula jusqu’à eux et s’arrêta entre sa maîtresse et l’apprenti. Pépiant et sifflant, il projeta un hologramme standard, blanc teinté de bleu, celui d’une construction massive de forme circulaire avec des contreforts et des amarres renforcées qui s’enfonçaient profondément dans le substrat rocheux. L’image pivota lentement en l’air pendant que Leia expliquait son plan à l’apprenti.

— R2 et moi avons étudié la station orbitale depuis cette chambre. Je pense que je sais comment on peut la démanteler. Voici les amarres. Si on les met hors d’état, la station orbitale se détachera de la planète, ce qui provoquera une réaction en chaîne qui devrait détruire toute la plate-forme orbitale avant qu’elle ne puisse être utilisée.

L’apprenti étudia l’image à la recherche d’un moyen de deviner la taille de la construction. Il le trouva sous la forme d’une petite silhouette humaine, minuscule à côté des amarres. Ce n’était pas très encourageant.

— La détruire n’arrêtera pas l’Empire longtemps, dit-il. Ils en construiront une autre, c’est tout.

— Ils finiront peut-être par le faire. Mais ça donnera aux Wookiees qui restent une chance de disparaître.

Elle croisa les bras sur sa poitrine, comme pour le mettre au défi de ne pas être d’accord :

— Par là où vous êtes venu, il y a un tunnel de transport qui mène au sol de la forêt. Ça grouillera d’impériaux qui dégagent les sous-bois mais ça vous amènera directement à la base de la station orbitale.

— D’accord, dit-il malgré de sérieuses appréhensions.

S’il voulait la tirer de là, il allait devoir faire ce qu’elle demandait.

— Et vous, qu’allez-vous faire ?

— Ma navette est toujours sur la plate-forme d’atterrissage, je suppose.

— Oui, mais je ne garantis rien pour le pilote.

— Qu’est-ce qui vous fait croire que j’ai besoin d’un pilote ?

Elle lui décocha un sourire par-dessus son épaule et ajouta, plus gravement :

— S’il vous plaît, dites à mon père que je vais bien.

— Je vous le promets.

Sur ces mots, elle se mit en route.