CHAPITRE 21

L’apprenti contemplait la ruine qu’il avait découverte. Il se demandait pourquoi celle-ci en particulier avait attiré son regard alors qu’il était tombé sur à peu près une dizaine d’autres en différents lieux. Une ou deux décennies plus tôt, ce coin précis de la forêt avait été une clairière qui hébergeait un petit village, peut-être habité par une communauté mélangée de Wookiees et d’étrangers qui avaient choisi de retourner à la terre. Un lit de rivière asséché serpentait à travers le village abandonné, il était maintenant rempli de plantes grimpantes, de fougères et d’autres plantes locales. Les broussailles avaient pris le dessus sur les ruines et les recouvraient progressivement mais on en voyait assez pour deviner que la raison pour laquelle le village avait été abandonné n’était pas entièrement naturelle.

Du bois brûlé témoignait d’un incendie. De profondes brûlures circulaires avec un léger motif en spirale témoignaient de l’utilisation d’armes à énergie. Les deux types de traces étaient visibles partout où il regardait.

Il s’approcha. Trente secondes plus tôt, il était concentré sur sa mission. À présent, face à la ruine, il se sentait complètement dérouté. Appeler Kota n’avait servi à rien. Cela n’avait fait qu’attiser sa curiosité. Qu’est-ce qu’il allait devoir affronter seul ? Est-ce que le vieux général avait senti quelque chose grâce à la Force, même s’il soutenait que ses liens avaient été rompus ?

Le cône tronqué de la plus grande hutte s’était fendu en tombant. Cette ouverture offrait un passage dégagé. On aurait dit – sa respiration s’arrêta –, on aurait presque dit que quelqu’un s’était frayé un passage à coups de blaster. Sauf qu’ici, les traces d’armes à énergie n’avaient pas les spirales régulières des tirs de blaster. Les cicatrices étaient droites, juste un peu incurvées vers la fin.

Pas des tirs de blaster donc mais des traces de découpe…

Une brise se leva dans la clairière envahie par la végétation et fit remuer quelque chose à l’intérieur de la hutte en ruine. Il leva son sabre laser mais ne l’alluma pas. Le mouvement ne venait pas d’une des nombreuses espèces de prédateurs présentes sur Kashyyyk. C’était un morceau de tissu qui s’agitait dans la brise. Il se pencha en avant jusqu’à ce que sa tête pénètre dans l’ombre et discerna les restes d’une longue tapisserie, enroulée autour d’une planche. Il y avait un symbole sur la tapisserie, peut-être d’un oiseau de proie stylisé, les ailes et le bec dressés fièrement.

Un étrange sentiment le traversa, comme s’il avait été frôlé par quelqu’un d’un autre univers.

Incapable de résister, il entra dans la ruine sombre et toucha des doigts de la main gauche le symbole à demi effacé sur la tapisserie. L’intérieur était en pagaille, encombré de meubles cassés et d’étranges toiles d’araignée géantes. L’air était frais mais extrêmement lourd. L’apprenti avait du mal à respirer et se sentait claustrophobe. Il retourna vers la porte comme s’il voulait fuir et s’arrêta en voyant un petit cristal bleu qui traînait sur le sol, à ses pieds.

Il s’agenouilla en tremblant pour l’examiner de plus près. La pierre brillante était aussi grosse que la jointure de son petit doigt et ressemblait à s’y méprendre au cristal de mise au point d’un sabre laser.

Son cerveau était submergé de questions et de suppositions. Pourquoi avait-il été attiré ici ? Que s’était-il passé ici qui puisse signifier quelque chose pour lui ?

En se relevant, il fut plongé dans une vision encore plus puissante que toutes celles qu’il n’avait jamais endurées jusqu’alors.

Kashyyyk était en feu. Les incendies étaient visibles depuis l’espace, tout comme les immenses volutes de fumée qui empoisonnaient l’atmosphère. Le blocus impérial autour de la planète était imperméable et implacable. Les observateurs n’étaient pas autorisés à entrer ; les réfugiés n’étaient pas autorisés à sortir. Les stormtroopers étaient les seules personnes qui allaient et venaient librement à la surface.

Et lui.

La navette qui le transportait se posa sur une falaise qui dominait une profonde baie bleue. Les combats faisaient rage autour de lui. Les rebelles wookiees affrontaient des Impériaux en TR-TT, sans se soucier d’être si peu nombreux face à de telles forces. D’impressionnantes fortifications, taillées à même la forêt, s’étendaient à travers la canopée dont des tunnels sous-terrains, qui permettaient le transport des combattants de la résistance et des munitions jusqu’aux lisières, là où les combats étaient les plus rudes. Les armes à énergie avaient du mal à pénétrer les troncs centenaires de vieux arbres wroshyrs mais déclenchaient des incendies et brûlaient la chair.

L’apprenti assistait à tout cela comme dans un rêve. Il faisait partie du rêve mais il n’y participait pas. Il essayait de parler et de tourner la tête mais il n’y parvenait pas. La vision ne lui permettait pas de changer le cours des choses qui s’étaient déjà produites.

Qui s’étaient déjà produites… ou devaient encore se produire ? Était-ce son destin de revenir sur Kashyyyk sous les ordres de son Maître et d’en finir pour de bon avec les Wookiees ?

Il agita une main gantée de noir pour ouvrir l’écoutille. La rampe était déjà sortie. Il se dirigea d’un pas pesant vers la planète puis s’arrêta, les mains sur les hanches, pour embrasser la vue qui s’offrait à lui. Sa cape noire flottait dans le vent chaud et empli de cendres.

Quelque chose clochait. Ses sens étaient assourdis, filtrés, d’une certaine manière, comme s’il percevait le monde à travers des mécanismes artificiels. Ses membres paraissaient distants, engourdis. Et le bruit de sa respiration était tendu, presque mécanique…

Un officier impérial courut à sa rencontre.

— Seigneur Vador, haleta-t-il, nous avons été pris en embuscade dès notre arrivée mais j’ai la situation bien en…

— Je n’ai que faire de vos échecs, commandant, dit l’apprenti avec la voix de son Maître.

Tout autour d’eux gisaient les cadavres de stormtroopers impériaux, éparpillés en morceaux sur le sol.

— J’ai moi-même une mission à accomplir.

L’apprenti dans le costume de Dark Vador s’éloigna avec un air de mépris, laissant l’officier suer de soulagement.

À chaque pas de ses lourdes bottes, il tressaillait. Il n’avait aucun moyen de contrôler cette marche fatale. Il se moquait de savoir s’il voyait le passé à travers les yeux de son Maître ou s’il contemplait son propre futur – un futur dans lequel il avait été obligé de devenir Dark Vador, par une étrange substitution chirurgicale –, mais il était certain de ne pas avoir la moindre envie d’en voir davantage.

Son champ de vision se brouilla. Une grande hache tournoyante était arrivée de nulle part. Il leva la main gauche et, avec le pouvoir du Côté Obscur, la dévia vers le sol où elle s’enfonça profondément. De la main droite il tira son sabre laser et l’alluma d’un mouvement rapide. Il se tourna et fit face à un trio de soldats wookiees mené par un membre de l’espèce particulièrement gigantesque, à l’expression hargneuse, et qui portait une armure légère sur son épaisse fourrure marron foncé. Les rugissements de la créature lui déchirèrent presque les tympans, bien que ses perceptions soient atténuées.

Passé ou futur, ses membres se déplaçaient avec force et assurance. Il éleva son sabre laser pour trancher une seconde hache en deux puis s’avança pour affronter le fou furieux. Deux coups suffirent à mettre en pièces le guerrier, qui n’avait pas posé une griffe sur son armure noire. Les deux Wookiees qui l’accompagnaient ne s’en tirèrent pas mieux.

Il ne perdit pas de temps à triompher. Dès que le dernier corps s’écroula sur le sol, encore secoué de soubresauts, il poursuivit sa progression. Il s’éloigna des falaises et suivit des pistes inconnues qui le menèrent plus à l’intérieur des terres.

L’apprenti était mêlé au carnage à chaque fois qu’un groupe de combattants wookiees les rencontrait mais, entre-temps, tandis que « Dark Vador » continuait sa progression sans répit, il avait envie de hurler.

Quand, au détour d’un virage, il découvrit un village qui s’étendait devant lui comme un ruisseau étroit qui s’écoule, l’apprenti pria pour tomber dans une embuscade et se faire tuer avant que la vision ne puisse s’accomplir.

Mais son vœu ne se réalisa pas et il ne lui restait que le désespoir quand Vador exécuta un saut de Force pour atteindre la première plate-forme en bois qui dépassait du tronc d’un jeune arbre wroshyr. La hutte dans laquelle l’apprenti était entré – maintenant, il était dans le futur, il en était convaincu – apparaissait plus haut, ses flancs de bois brillaient de résine. De nombreuses tapisseries étaient agitées par la brise, dont une avec l’impressionnant symbole d’oiseau qu’il avait trouvé parmi les ruines. Des Wookiees avaient repéré l’intrus, ils escamotèrent rapidement une série d’échelles de corde qui menaient à la plate-forme inférieure avant que Vador puisse y monter.

Une haute silhouette en toge marron apparut au balcon d’une des huttes et regarda vers Vador. Il avait les mains sur les hanches, il était flanqué de menaçants guerriers wookiees. De petits détails indiquaient qu’il avait vécu longtemps parmi les indigènes. Son visage avait quelque chose de légèrement, bizarrement, familier.

— Va-t’en, Seigneur Noir, ordonna-t-il d’une voix impérieuse. Je ne sais pas ce que tu cherches mais tu ne le trouveras pas ici.

— Tu ne peux pas te dissimuler à mes yeux, répliqua Vador, Jedi.

L’homme se raidit et fit un geste.

Des guerriers wookiees s’aidèrent de cordes et des plantes grimpantes qui couvraient les arbres alentour pour converger vers la silhouette noire en dessous d’eux. Ils poussaient des cris et des grognements sauvages. La vision de l’apprenti se fondit en un flot continu d’images violentes tandis que, l’un après l’autre, chacun des assaillants tombait de la plate-forme, les membres tranchés et le cou brisé. Son sabre laser ne fut bientôt plus qu’une tache rouge floue – et lentement, de façon inéluctable, tout ce qu’il voyait fut baigné d’un rouge horrible.

Quand il fut venu à bout des guerriers, il porta son attention sur les étais de la hutte. Vador leva la main et puisa profondément dans le Côté Obscur pour plier et casser le bois ancien. Il résista, il était aussi solide mais pas aussi cassant que du métal aurait pu l’être. Il se tordit, fléchit et relâcha lentement de l’énergie au lieu de se casser en deux.

Mais cela ne sauva pas les gens au-dessus. La hutte était ballottée comme un bateau sur une mer démontée. Les Wookiees sautèrent ou se balancèrent pour se mettre à l’abri.

— Accrochez-vous à quelque chose, leur cria l’homme en toge.

Vite !

Vador serra le poing très fort et les étais de soutien finirent par se briser. Il étendit les deux mains et la hutte fut secouée de toutes parts. Le dernier de ses supports céda dans un bruit affreux et la hutte tomba sur la plateforme en dessous. Des Wookiees volèrent dans toutes les directions. L’air se remplit d’éclats de bois et de poussière.

Vador ne broncha pas quand la hutte s’écrasa juste devant lui et s’ouvrit en deux comme un fruit trop mûr.

Il ne bougea pas jusqu’à ce qu’il aperçoive dans l’épais nuage de poussière, un sabre laser bleu – et celui qui le manipulait – se jeter sur lui comme un fantôme.

Ils se battirent en avançant et en reculant sur la plateforme de bois, la portée de l’homme de grande taille correspondait à celle de Vador mais sa force n’était pas aussi profonde. Qui qu’il soit, le combat n’était pas son point fort. Il dominait la technique ancienne du Shii-Cho mais n’avait que des notions rudimentaires du style Makashi, plus évolué. Ses attaques étaient faciles à contrer, ses défenses relativement aisées à pénétrer. Vador joua pendant un moment avec lui puis il le colla contre le mur de la hutte écroulée, ne lui laissant plus la possibilité de battre en retraite.

Une poussée télékinétique fit voler l’homme par l’ouverture jusqu’à l’intérieur de la hutte effondrée. Son sabre laser fut projeté dans une autre direction. Le pommeau vola en éclats, ses cristaux de mise au point bleus se dispersèrent comme les perles d’un collier cassé.

Vador pénétra à grandes enjambées dans la hutte, où il utilisa la Force pour agripper l’homme à la gorge et le balancer violemment dans les airs. Son sabre laser rouge brillant était braqué directement sur la poitrine de l’homme.

Victoire.

Et cependant, à la pointe de sa perception, il pressentait une raison de réexaminer la situation.

Vador inclina sa tête protégée par le casque.

— Je sens quelqu’un de beaucoup plus puissant que toi tout près d’ici, ton Maître… Où es t-il ?

Le Chevalier Jedi, suffocant, avait du mal à parler.

— Le Côté Obscur embrume ton cerveau. Tu as tué mon Maître il y a des années.

— Alors maintenant, tu vas partager son sort.

Vador éleva sa lame pour abattre le Jedi mais avant qu’il ne puisse s’en servir, le sabre laser lui vola des mains. Le Seigneur Noir fit volte-face pour attaquer, sa main libre levée pour écraser celui qui osait s’opposer à lui.

Il hésita, un comportement inhabituel pour Dark Vador…

… et l’apprenti eut la tête qui tournait sous le choc…

… à la vue d’un enfant humain qui se tenait dans le coin de la hutte, sale et meurtri par la chute, habillé de vêtements qui portaient la touche des Wookiees, semblables à ceux de l’homme toujours suspendu en l’air derrière le Seigneur Noir. Le garçon tenait le sabre de Dark Vador serré dans ses deux mains. La pointe tremblait, mais très légèrement.

— Fuis ! suffoqua le Jedi. Fuis, vas-y ! Ne te retourne pas !

— Ah, dit Vador qui comprenait soudain. Un fils.

Se retournant vers le père, il serra le poing gauche. Le bruit atroce d’os qui craquent fut clairement audible – comme le fut le cri d’horreur soudain du garçon.

Vador se retourna vers l’enfant et se figea.

Le tableau resta ainsi pendant un instant qui parut s’éterniser : le père agonisant, le fils qui le regardait, le meurtrier qui se tenait patiemment entre eux deux, comme s’il attendait que tombent les dés du destin.

Puis trois stormtroopers firent irruption dans la hutte, sous la direction d’un officier impérial. Attirés par les bruits de combat dans le village, ou peut-être simplement après avoir suivi la trace du Seigneur Noir à travers la forêt, ils se précipitèrent à l’intérieur, les armes au poing, et brisèrent à jamais cet instant.

— Mon seigneur ? demanda l’officier, désorienté.

Il n’alla pas plus loin. D’un claquement de doigts, Vador eut de nouveau son sabre en main. L’officier et les soldats reculèrent, tandis que leur Maître approchait. L’un d’eux sentit l’imminence de la mort et tira inutilement un coup de blaster. Le coup rebondit sur la lame rouge vers le mur de la hutte, où il laissa une brûlure noire.

En une seconde, ce fut terminé.

Le garçon regarda avec terreur cet homme, couvert de la tête aux pieds par une armure noire, tuer ses propres alliés. Chacun de ses mouvements était brutal mais dégageait une sorte d’élégance mortelle, comme un walluga sauvage qui traque sa proie. Chaque coup, frappé d’estoc ou de taille, atteignait son but.

Il n’avait jamais rien vu d’aussi beau… ou d’aussi horrible. Quand ce fut terminé, l’homme en noir se dressa au-dessus de lui et le saisit par le bras. Le garçon, croyant que son heure était venue, ne résista pas.

— Viens avec moi.

Les mots profonds et caverneux étaient encore plus terrifiants que les coups.

— D’autres vont bientôt arriver.

Tandis qu’il était arraché à la hutte, le garçon tourna la tête pour jeter un dernier coup d’œil sur sa maison. Même si elle était renversée, en morceaux et remplie de dépouilles encore fumantes, tout ce que le garçon vit fut le corps sans vie du Jedi sur le sol. Une de ses mains était étendue, les doigts recroquevillés comme s’ils tentaient de saisir quelque chose qui n’était plus là…

L’apprenti cligna des yeux. Il était planté là, pétrifié, à regarder l’endroit où les cadavres s’étaient entassés. Il n’en restait plus la moindre trace maintenant, pas même un ossement. Les charognards devaient les avoir emportés, ou ils avaient été dispersés lorsque la plate-forme sur laquelle la hutte était tombée s’était à son tour effondrée. Il ne restait que le cristal, qui s’était retrouvé sans qu’il sache trop comment serré fermement entre ses doigts. Il ressemblait en tout point à ceux du sabre laser du Chevalier Jedi vaincu, avec lequel le garçon avait peut-être aimé jouer, quand il était petit, pour se réconforter.

Son visage prit une expression dédaigneuse. Ressemblait en tout point… avait peut-être… Il essayait de prouver la justesse de la vision, alors que ce n’était qu’un rêve. Un produit de son imagination. La vérité, c’était qu’il était contrarié par quelque chose depuis son arrivée sur Kashyyyk – une sensation irrationnelle que quelque chose clochait, qui avait probablement plus à voir avec son alliance avec Kota qu’avec son passé. Dark Vador l’avait élevé ; il n’avait pas besoin d’imaginer des parents ou un foyer pour donner un sens aux choses. Il était juste en train de se faire un film à partir de rien du tout.

Mais, d’un autre côté, il avait observé la station orbitale dans une de ses visions, quand il se trouvait aux frontières de la mort – une ligne brillante qui s’étendait haut dans le ciel – et il réalisait maintenant que la silhouette qui se tenait devant la station orbitale dans cette vision était celle de la fille qu’il avait rencontrée dans le pavillon. Si ses visions comportaient une part de vérité, pourquoi celle-ci n’en comporterait-elle pas aussi ?

Puis le visage du Chevalier Jedi était exactement le même que celui qui lui était apparu au cours de son duel avec Kota…

Le temps ralentit. L’air paraissait aussi épais que du miel. Il lutta, craignant d’être sur le point de succomber à une nouvelle hallucination mais il parvint à garder le contrôle de ses membres. Il frissonna et serra ses bras contre sa poitrine.

Sa peau entra en contact avec du métal froid. Il baissa les yeux avec horreur vers ce qu’étaient devenus ses doigts. C’étaient maintenant des griffes artificielles, comme les mains d’un droïde chirurgien, avec des lames assez aiguisées pour couper un os. Ses poignets et ses avant-bras étaient moitié chair, moitié machine. Cet amalgame contre nature se poursuivait jusqu’à ses épaules avant de disparaître sous un haut col métallique qui protégeait son cou. Le peu de peau visible sur ses poignets était couvert d’ampoules et de cicatrices, comme si l’épiderme avait été brûlé à de nombreuses reprises à des températures atrocement élevées.

Mais il n’y avait pas que ses mains et ses bras qui avaient changé. Ses vêtements aussi étaient différents. Au lieu du nouvel uniforme que Dark Vador lui avait fourni, il portait à présent un gilet côtelé de blindage flexible et une série de ceintures de cuir autour de la taille, auxquelles pendait une collection de trophées sinistres – principalement des sabres laser. Sous les vêtements noirs moulants, son corps lui semblait étrange, plus mécanique que vivant.

Les mains tremblantes, il leva ses doigts métalliques vers son visage pour le toucher. Des lames de métal émirent un horrible grincement au contact du blindage. Son visage était caché sous un masque aussi immortel et horrible que celui de son Maître.

Sa respiration était bruyante dans ses oreilles.

Il était devenu le plus atroce des cauchemars.

Une lueur dorée vacilla dans l’air mielleux. Il tourna sa tête masquée pour y faire face et distingua une silhouette sombre qui se dirigeait vers lui. Sa main droite à pinces attrapa son sabre laser qu’il repéra automatiquement parmi les nombreux à sa taille. Il s’alluma d’un coup et projeta une lueur rouge sang dans la hutte.

Cette lumière révéla les traits d’un homme vêtu d’une toge de Jedi. Il était grand et se tenait bien droit. Le visage sous la capuche avait la peau lisse et semblait paisible. Ses yeux brillants contenaient de la tristesse et de la pitié. Familier et pourtant pas familier du tout, connu et pourtant complètement inconnu…

L’apprenti émit un son grave, dangereux, à travers le vocodeur de son masque et se baissa comme un serpent sur le point d’attaquer, « maître du Juyo », la forme la plus cruelle de combat au sabre laser connue dans la galaxie.

Le Jedi tira son propre sabre laser – d’un bleu ciel brillant – et adopta la posture de départ classique du Soresu, le bras gauche levé, la paume vers le bas, en parallèle avec le sabre laser dans sa main droite. Le pied gauche en avant, il était parfaitement en équilibre sur le pied droit, prêt à se défendre contre toute attaque.

L’apprenti ne le fit pas attendre. Il n’eut recours à aucune acrobatie délirante ou mouvements de Force sophistiqués. Il bondit simplement, utilisant tout son corps comme arme, son équilibre et sa dextérité complètement concentrés. Le Côté Obscur frissonnait en lui et s’harmonisait parfaitement avec la colère et la haine dans son cœur. Le Jedi allait mourir, de toute façon, d’une manière ou d’une autre. Autant que cela soit maintenant.

Le bleu bloqua le rouge avec une pluie d’énergie. L’apprenti frappa de nouveau, plus haut cette fois, un coup faussement approximatif qui cachait des subtilités fatales sous un mouvement ample. Le Jedi le bloqua aussi, de justesse. Le Soresu était un style de combat défensif qui convenait bien à l’espace restreint de la hutte mais il ne résisterait pas éternellement à la grâce malfaisante du Juyo.

Le Jedi se lança à l’assaut avec force et rapidité, avant que l’apprenti ne puisse préparer une nouvelle attaque. Cela ne le dérangeait pas que le Jedi le touche, tant que les dégâts étaient minimes. Des coups proches faisaient grésiller sa chair et fumer son armure. Il utilisait l’énergie qu’il économisait sur des esquives violentes pour arracher des planches dentelées des murs et les jeter à la tête du Jedi. Celui-ci parvenait à les dévier toutes mais il devait y consacrer une partie de son attention, ce qui fit perdre à son attaque une partie de son élan. Il marqua une pause et l’apprenti en profita pour balancer un éclair Sith, au moment où il baissait la garde.

Le Jedi fut pris dans la tempête d’étincelles. Son visage se déforma sous la douleur. Puis il baissa son bras droit et plaça la lame de son sabre laser juste dans la trajectoire de l’éclair. L’énergie fut absorbée par la lame puis se recourba sur elle-même dans une boucle supraconductrice qui revint frapper sa source avec plus d’énergie qu’elle n’en possédait à l’origine. L’apprenti se raidit quand la douleur gagna ses mains et ses bras. La souffrance était intolérable – mais il la supporta. Sa peau fondit et se déforma sur tout son corps et il fut pris de haut-le-cœur à cause de la puanteur qui se dégageait de sa propre peau en train de brûler. Mais la souffrance et la révulsion ne firent qu’attiser le Côté Obscur. Dès lors, plus vite l’éclair revenait sur lui, plus il ressortait de lui fort et puissant.

La boucle ne pouvait pas durer éternellement. Un éclat bleu éblouissant les projeta loin l’un de l’autre et ils allèrent tous deux s’écraser les bras en croix dans les murs de la hutte, avant de tomber par terre. Leurs sabres laser rebondirent dans des directions opposées, hors service.

Sur le dos, l’apprenti sifflait sous son masque comme un Gand asthmatique et ne recouvra que progressivement les sensations dans ses bras et ses jambes. Ses muscles furent pris de spasmes quand il essaya de bouger. Une fumée âcre s’échappait des étroites fentes oculaires de son masque. Craignant que son adversaire Jedi ne soit sur pied avant lui, il invoqua tout le pouvoir de la Force pour élever son corps dans les airs. Suspendu comme une poupée, les pieds à quelques centimètres du sol, il cligna ses yeux desséchés pour recouvrer la vue.

Le Jedi ne s’en sortait guère mieux. Lui aussi était debout mais à peine. Lui aussi avait perdu son sabre laser et n’avait pas encore réussi à le récupérer. L’apprenti lui lança un air mauvais de sous son masque. Il avait le choix entre plusieurs autres sabres laser qui avaient appartenu à tous les Chevaliers Jedi qu’il avait tués. Il n’avait qu’à en choisir un au hasard et frapper.

Au lieu de cela, il étendit la main gauche et, comme son Maître obscur l’avait fait au premier Jedi tué à cet endroit, agrippa son adversaire à la gorge avec la Force. Encore fumant suite à l’attaque de l’éclair, le jeune homme fut soulevé dans les airs sans ménagement.

Ils se faisaient face de chaque côté de la hutte en ruine, aucun des deux ne touchait le sol.

— Si tu me tues, haleta le Jedi, c’est toi que tu détruiras.

L’apprenti partit d’un rire jubilatoire, un bruit horrible qui n’avait pas grand-chose à voir avec le son produit par une gorge humaine. Il fit venir son sabre laser à lui, l’activa et le projeta sur le Jedi blessé. La lame traversa l’épaule droite et se désactiva quand le pommeau toucha la chair. Le Jedi cambra le dos mais ne poussa aucun cri. Savourant l’instant, l’apprenti détacha l’une des autres poignées de sabres laser de sa ceinture, l’alluma également, et empala de nouveau le Jedi. Il poignarda le Jedi encore et encore jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de sabre à sa ceinture et que le sol sous sa victime soit baigné de rouge foncé.

Mais le Jedi était encore en vie. Cette légère contrariété gâcha le plaisir du moment mais l’apprenti se rappela alors qu’il y avait encore un sabre laser qu’il n’avait pas utilisé : celui du Jedi. L’apprenti le lui arracha, activa la lame, recula le bras et poignarda le Chevalier Jedi en plein cœur.

Cela fit l’affaire. Le corps tomba au sol, inerte, et l’apprenti s’autorisa à poser pied à terre. Le Côté Obscur vibrait en lui. Il était l’incarnation vivante de la puissance.

Il pencha sa tête masquée de noir en arrière et exulta de triomphe, comme un chat-loup sauvage.

— Je n’ai jamais voulu ça pour toi, chuchota une voix creuse sortie de l’ombre.

Il se retourna, le sabre laser de nouveau dans la main, allumé en moins de temps qu’il ne fallait pour y penser. Il y avait quelqu’un d’autre dans la hutte : un homme aux longs cheveux noirs ceinturés par une capeline wookiee qui le couvrait sur le devant. Il regarda le corps sans vie du Chevalier Jedi au sol, les yeux emplis de chagrin et de deuil.

L’apprenti s’avança pour le frapper mais s’arrêta en réalisant que cet homme était celui qu’il avait vu au cours de deux de ses visions : le père de l’enfant qui avait été enlevé et l’homme qu’il avait entrevu au-dessus de Nar Shaddaa.

— Je n’ai jamais rien voulu de tout ça pour toi, reprit l’homme, je suis désolé, Galen.

Cloué sur place, l’apprenti regarda le Chevalier Jedi se tourner pour repartir dans l’ombre. Vision ou réalité ? Vérité ou rêve ? Il avait l’impression que son cerveau tournait aussi vite qu’un pulsar.

— Père, attends !

Sa voix jaillit de lui, sans être filtrée par les affreuses difformités ou les appareillages du masque. Soudain, il était de nouveau le jeune garçon, indemne mais seul, abandonné dans la hutte sanglante.

— Père, non !

Le Chevalier Jedi poursuivit sur sa lancée sans s’arrêter et disparut dans les ombres.

L’apprenti s’effondra à genoux, baissa la tête et poussa un hurlement.