CHAPITRE 17

D’une fente désespérée de son sabre laser, l’apprenti tua la dernière des araignées géantes qui lui avaient tendu une embuscade dans les étages inférieurs de la forêt. Ces horribles créatures au corps charnu, tacheté de rouge, dont la ténacité dépassait toute mesure – il se demandait même si elles ne considéraient pas sa fuite éventuelle autant comme un affront personnel que comme un déjeuner perdu –, l’avaient traqué pendant plus d’un kilomètre avant de finalement déclencher leur piège. Il commençait à peine à s’étonner qu’il y ait si peu de dangereux habitants sous-terrains de Kashyyyk à proximité, quand cinq des tisseuses géantes avaient convergé vers lui d’un seul coup, suspendues au bout d’épais fils de toile, les mandibules dressées dégoulinant de poison. Il avait failli laisser sa peau dans l’embuscade.

Il était plus prudent désormais et couvert d’épaisses éclaboussures vertes. Il abandonna le sous-bois pour les étages supérieurs de la forêt. Il lui fallait trop de temps pour rejoindre les coordonnées que Kota lui avait données. Il sauta de branche en branche et s’éleva ainsi de 200 mètres avant que la lumière se mette à briller de façon appréciable. L’obscurité perpétuelle était telle, là en dessous, qu’il avait l’impression d’émerger des profondeurs sous-marines.

Kota ne lui avait pas dit ce qui l’attendait à l’endroit qu’il lui avait indiqué et il n’avait pas pris contact avec le Rogue Shadow pour le savoir. Il voulait le découvrir par lui-même, pour tester la mémoire du vieux général, sa fiabilité et sa parole.

Une fois qu’il fut sûr d’avoir quitté le territoire des araignées mortelles, il suivit un cap moins sinueux, en pente légère. La canopée s’étendait au moins à un demi-kilomètre au-dessus de sa tête, elle était composée de fortes branches superposées les unes aux autres pour soutenir et abriter plusieurs milliers d’espèces sur les larges terrasses qu’elles formaient. Partout où s’arrêtait son regard les royaumes d’animaux, de végétaux et même de minéraux pullulaient. Des oiseaux volaient en formation complexe autour de nids aussi gros que de petites villes. Des insectes rampaient et grouillaient dans des fentes pleines de sève, entaillées dans l’écorce. De la terre formée de matière végétale en décomposition et de poussière en suspension s’assemblait dans les replis entre les branches et les troncs, créant des oasis pour végétaux feuillus et plantes grimpantes. L’air frais était empli de cris d’animaux et du bruissement des feuilles.

C’était très différent de Felucia, où tout semblait bouffi d’humidité et de Force, à deux doigts d’exploser à tout moment. Ici, la vie était rude et hostile. Lui tourner le dos était très, très dangereux.

Maintenant qu’il était revenu dans un domaine qui lui semblait relativement sûr, l’apprenti se déplaçait de branche en branche par sauts ou à l’aide de lianes et pouvait enfin se mettre à réfléchir à ce qu’il avait vu depuis l’orbite.

Une station orbitale.

Déjà assez étonnant en soi. Il n’en existait que quelques-unes dans la galaxie, et la plupart étaient situées sur Coruscant. Mais ce n’était pas cela qui l’avait frappé.

Alors que le Rogue Shadow approchait de la surface de la planète, il avait vu la station orbitale sous un angle différent. Dans les derniers rayons du soleil, elle ressemblait à une flèche ardente qui s’élevait dans le ciel – jusqu’à un point en orbite basse où un amas de petites lumières se formait.

Cette image de la station orbitale au-dessus de Kashyyyk lui était apparue en vision auparavant, lorsqu’il était inconscient dans le laboratoire secret de Dark Vador et qu’on l’opérait des suites des terribles blessures infligées par son Maître. Il avait alors pensé que ces visions n’étaient que des rêves, des produits de son imagination sans signification, fabriqués par son inconscient pendant que son corps était soumis à rude épreuve.

Aurait-il pu s’agir en fait de visions de son futur ?

Il l’ignorait. Il n’avait jamais auparavant réussi à percevoir l’avenir dans ses visions, c’était certain, ni par la méditation ni par aucune des épreuves qu’il s’était infligées, mais cela n’excluait pas que ce soit possible. Il avait été suspendu entre la vie et la mort pendant des mois. Qui sait quelles difficultés il avait enduré au cours de sa route vers la survie ? Il aurait été stupide d’écarter cette possibilité, car les visions pouvaient contenir des informations utiles pour ce voyage et pour d’autres. Il fit de gros efforts pour se rappeler d’autres détails mais c’était difficile. Ses souvenirs étaient embrouillés. Quelque chose avait rapport avec une odeur de viande crue et Dark Vador parlait de quelqu’un qui était mort. Il avait la furieuse impression que quelque chose lui échappait mais cette impression en soi ne lui était d’aucune utilité. Il lui fallait une information tangible, sinon tout cela ne ferait que le déconcentrer.

Dans sa vision, la station orbitale semblait vue depuis le sol. Beaucoup d’endroits sur Kashyyyk pouvaient offrir ce genre de perspective. Et il y avait quelqu’un avec lui. Une jeune femme. Juno, peut-être ?

Il se renfrogna, car il sentait qu’il s’écartait de la vérité de sa vision, quelle qu’elle soit. Ce n’était pas Juno. Quelqu’un d’autre. Une inconnue.

Amie ou ennemie ?

La vision s’épuisait et lui aussi, à force d’essayer d’en tirer plus. Il se sentait accablé depuis qu’il était arrivé sur Kashyyyk. Il y avait quelque chose dans l’air de cet endroit, dans les arbres, dans la couleur du soleil… quelque chose qui le perturbait. Si ce n’était pas la vision, alors qu’est-ce que cela pouvait être ?

Il abandonna ses tentatives et se concentra uniquement sur l’ascension des franges supérieures de la forêt.

Il approchait des coordonnées fournies par Kota quand il distingua des bruits de machines qui s’élevaient par-dessus l’ambiance naturelle de Kashyyyk.

Le premier son qui atteignit ses oreilles fut celui d’une navette qui décollait. Sa plainte métallique et monotone augmenta au point de devenir presque insupportable puis s’estompa vers l’ouest. Des oiseaux s’envolèrent des arbres autour de lui, ajoutant leur propre clameur aux échos du décollage. Quand ils se posèrent, il distingua le bruit métallique des Transports de Reconnaissance Tout-Terrain balmorriens. Ces machines à deux pattes, à l’allure pataude, avaient gagné la haine indéfectible de l’apprenti sur Duro, où Dark Vador l’avait envoyé pour renverser un despote local dont le cou était devenu trop gros pour son costume impérial. Ces machines étaient lourdes et disgracieuses mais pouvaient devenir gênantes quand elles étaient manipulées par des mains expertes. Il espérait parvenir à rester hors de leurs viseurs aussi longtemps qu’il serait sur Kashyyyk.

Des moteurs de landspeeders, des bourdonnements de vibroscies et le ronflement plaintif d’un générateur parvinrent à ses oreilles tandis qu’il s’approchait de la source de tous ces bruits. Il se demanda un instant comment une implantation aussi bruyante avait trouvé un point d’ancrage en lieu sûr dans la dangereuse forêt. Il eut vite la réponse.

La forêt se terminait de façon abrupte, comme si elle avait été tranchée au couteau et que les arbres avaient été arrachés d’un côté. De la terre fraîchement retournée était exposée au soleil pour la première fois depuis des millénaires, jonchée de racines mortes et mélangée sans ménagement avec des copeaux de bois anguleux. Le sol descendait en pente le long d’une large vallée jusqu’au lit engorgé d’une rivière, puis remontait vers un sommet qui aurait été proéminent sur n’importe quelle autre planète, mais qui paraissait petit à côté des arbres immenses qui ceinturaient la clairière à contrecœur. Sur le sommet, de l’autre côté de la vallée, il y avait un pavillon, selon toute apparence c’était la maison de quelqu’un d’important, qui servait également de base impériale. Le pavillon, installé au-dessus de la forêt, regorgeait de batteries d’armes et d’antennes paraboliques ; une rampe d’atterrissage pour navettes dépassait d’un côté.

De là où il était accroupi, l’apprenti distinguait quelques marches qui menaient à l’entrée principale. Une seule navette attendait sur la rampe, les bras modestement repliés sur le fuselage. Des TR-TT se pavanaient en dessous, avec l’arrogance de machines inexpugnables. Des droïdes de toutes formes et de toutes tailles avançaient dans leur sillage. Des stormtroopers patrouillaient aux abords du pavillon, fusils blasters au poing, certains rassemblaient des Wookiees en groupes de trois ou quatre. Les grands indigènes poilus de la planète semblaient être attachés, mais il était difficile de comprendre pour quelle raison à une telle distance.

L’apprenti notait tout ça depuis un point de vue en hauteur à l’orée de la forêt, tapi sur une branche maîtresse comme un singe-lézard kowakien. Aucun accès apparent ne menait au pavillon. Peut-être qu’avec un peu plus d’informations, il pourrait élaborer une sorte de plan.

De beaucoup plus bas lui parvint le craquement grêle d’un vocodeur de stormtrooper.

Exactement ce qu’il lui fallait.

Il sauta avec une apparente légèreté à travers les branches et atterrit au milieu d’une patrouille de deux stormtroopers. Avant que l’alarme ne puisse être donnée, il avait levé la main gauche et ordonné à l’un d’eux de dormir. Tandis que ce soldat s’affaissait doucement sur le sol, le second tomba sous l’influence d’un tour d’esprit un peu différent :

— Tu n’es pas inquiet, dit-il au soldat. Je suis autorisé à être ici. En fait, tu m’attendais.

L’homme sous le casque blanc anonyme hocha la tête.

— Tout est en ordre, monsieur. En revanche, je ne sais pas ce qui est arrivé à Britt…

Il poussa de sa botte blanche son compagnon inconscient.

— Ne t’occupe pas de Britt. Contente-toi de m’aider.

— Oui, monsieur. Je suis à votre disposition. Comment puis-je vous être utile ?

Le casque blanc se pencha d’un air interrogateur et l’apprenti se réjouit que la plupart des stormtroopers ne soient pas très malins.

— Dis-moi qui est le chef ici.

— Capitaine Sturn, monsieur.

— Et où est-ce que je peux le trouver ?

— Dans le pavillon, avec l’invité, monsieur, s’il n’est pas sorti chasser.

— Qui est l’invité ?

— Je ne sais pas, monsieur, mais nous avons reçu des ordres très stricts de les tenir à l’abri du danger. Ces Wookiees sont des brutes épaisses.

L’apprenti décida d’ignorer la remarque spéciste.

— Est-ce que cette personne est un invité ou un otage ?

— Je ne sais pas, monsieur.

— Peux-tu m’emmener aux appartements des invités ?

— Je ne suis pas autorisé à aller dans cette zone, monsieur.

Le casque s’inclina de nouveau.

— Pourquoi ne posez-vous pas ces questions au capitaine Sturn ?

Il était en train de perdre son emprise sur l’esprit du stormtrooper. Avant qu’elle ne disparaisse complètement, l’apprenti l’interrogea au sujet des Wookiees.

— Ce qu’on fait avec eux, monsieur ? Eh bien, on leur donne ce qu’il mérite. Ces animaux répugnants et stupides… Hé, vous n’êtes quand même pas un de ces sympathisants, si ? L’un d’eux a mis en pièces mon chef de section, il lui a arraché tous les membres, juste sous mes yeux. Moi, je les tuerais tous, comme le capitaine Sturn…

— Ça suffit.

Il agita la main devant le visage du stormtrooper et recula pour éviter qu’il ne s’écroule sur lui. Il laissa les deux soldats là où ils étaient et se fondit dans les ombres du sous-bois. Il entreprit de contourner l’énorme clairière. Le pavillon en son centre avait été solidement construit et ne paraissait pas présenter de points faibles. Son côté éloigné dépassait sur la crête, dans la forêt vierge. Il n’avait aucune envie d’être pris une fois encore dans une embuscade de tisseuses de toiles, s’il pouvait l’éviter. De toute façon, il faudrait une armée pour arriver à pénétrer là-dedans ou une puissance de feu bien au-delà de tout ce qu’il avait sous la main… à moins qu’il ne vole des grenades à concussion impériales ou qu’il arrive à mettre la main sur un canon blaster…

Un sourire se dessina lentement sur son visage. Il n’avait besoin de rien de tout cela. Le Côté Obscur de la Force était avec lui. Il remonta dans les arbres et se mit à la recherche du meilleur endroit pour lancer une attaque.

Il ne ressentit plus qu’une seule fois l’étrange sensation de désorientation, quand une lointaine odeur de brûlé frappa ses narines. Il la chassa fermement de son esprit. Son futur immédiat, c’étaient des dizaines de stormtroopers, tous bien décidés à l’empêcher d’atteindre son but. Il comptait bien les faire changer d’avis.