CHAPITRE 35

L’apprenti gisait replié sur le sol, le visage dans la neige jonchée de débris. Même si sa respiration était courte et douloureuse, il était reconnaissant pour chaque souffle qui sortait. Il aurait dû être mort. Ce coup aurait dû tuer n’importe qui. Le fait qu’il respire encore témoignait d’une erreur, que son Maître avait commise.

Il avait été reconstruit plus fort qu’avant.

De lourdes bottes se dirigeaient vers lui, écrasant la neige. Il savait qu’il faudrait plus d’une erreur pour entraîner la chute de Dark Vador.

L’apprenti leva la tête et articula avec peine à travers sa mâchoire serrée.

— Vous aviez promis de rester à l’écart…

Du sang coulait de ses dents sur le sol glacé.

— J’ai menti, répondit son Maître, comme je l’ai fait depuis le tout début.

Le pouvoir du Côté Obscur l’extirpa de la neige et le souleva dans les airs. La douleur était sur le point de venir à bout de son système nerveux, mais il refusait de hurler.

Depuis le tout début ?

— Vous n’aviez aucune intention de détruire l’Empereur !

— Pas avec toi, non.

Vador le lança négligemment vers le rebord de la falaise de glace. Il glissa sur le sol, tenta faiblement de s’accrocher à la neige puis chuta depuis le sommet.

Le monde se mit à tourner pendant un moment et il pensa qu’il avait peut-être perdu connaissance en tombant. Le pied de la falaise se trouvait des milliers de mètres plus bas, à une distance qui paraissait interminable. Il ne semblait pas se rapprocher, ce qui le déconcerta pendant un moment.

Quand il reprit connaissance, il se rendit compte qu’il se cramponnait à la falaise avec ses dernières forces.

Il fut envahi d’un sentiment d’abandon. La mission que son Maître lui avait confiée était accomplie : les Rebelles avaient été rassemblés en un seul lieu pour qu’ils puissent être emmenés et exécutés. C’est pour cette raison qu’il avait été épargné, quand Dark Vador l’avait poignardé dans le dos sur ordres de l’Empereur. Son dernier devoir était de mourir.

Ce sentiment était également empreint de culpabilité. En prévoyant d’utiliser l’Alliance Rebelle à ses propres fins, il avait mérité le sort qui l’attendait, quel qu’il soit.

Mais une partie de lui était furieuse de la façon dont il s’était fait rouler. Il avait trahi son Maître, oui, mais son Maître l’avait trahi le premier. Cette partie de lui avait très envie de se lever et de reprendre le combat. Avec le soutien de la Force, il pouvait vaincre Dark Vador et libérer les autres.

Vaincre son Maître : il avait déjà échoué à deux reprises.

Ce n’est qu’alors qu’il réalisa exactement que ce que Vador essayait de faire.

Sur ordre de l’Empereur…

Tout n’avait été qu’une mascarade, depuis le début. Sa résurrection, sa « mort », même son enlèvement sur Kashyyyk. Vador et son apprenti n’étaient que des marionnettes manipulées par l’Empereur. Ils pouvaient se débattre autant qu’ils le souhaitaient, leurs fils étaient toujours là.

Il voulut rire mais tout ce qui sortit fut un halètement court et douloureux.

Son Maître apparut dans le ciel au-dessus de lui, sa grande silhouette menaçante dressée entre lui et le monde.

— Sans moi, chuchota l’apprenti, vous ne serez… jamais… libre…

Dark Vador éleva sa lame sanglante mais le bruit d’un autre sabre laser qu’on allumait obligea le Seigneur Noir à faire volte-face.

L’apprenti ne parvint pas à garder les yeux ouverts plus longtemps. Ses doigts étaient engourdis ; il ne ressentait plus rien. Il se sentait extrêmement léger, il avait l’impression de dériver au large de la falaise. Ses yeux étaient clos mais, sans trop savoir comment, il pouvait voir. De son point d’observation en plongée, il regarda son Maître se tourner pour affronter Obi-Wan Kenobi.

Le Seigneur Noir se figea. Le Maître Jedi depuis longtemps disparu profita de ce moment d’hésitation pour attaquer. Son visage était un masque de détermination. Au tout dernier moment, Vador para, puis para encore. Il fit un pas en arrière vers le bord de la falaise puis se ressaisit. De deux coups balayés, si rapides qu’ils se brouillèrent dans l’air froid, il désarma Kenobi et le coupa en deux.

Les pièces tombèrent au sol et l’hologramme qui les enveloppait se dissipa. PROXY envoya des étincelles irrégulières, répandit des composants délicats dans la neige puis tressauta une dernière fois. Ses photorécepteurs s’éteignirent.

Dark Vador s’approcha et poussa le corps du droïde avec son orteil. Il ne réagit pas.

Il se souvint de l’apprenti et fit demi-tour vers la falaise. Le garçon qu’il avait arraché de Kashyyyk le regardait avec détachement, ne craignant pas d’être découvert. Mais Vador ne vit rien, car il n’y avait rien à voir. Son ancien apprenti valait moins qu’une pensée emportée par le vent, il n’était plus même l’ombre de ce qu’il avait été ; il avait tout raté à cause d’un sursaut de volonté bien plus ambitieux que tout ce qu’il avait mené à bien jusqu’alors.

Vador baissa son sabre laser et retourna d’un pas arrogant vers les ruines, où les stormtroopers avaient attaché les Rebelles comme des criminels et les escortaient vers les portes démolies.

Soudain, l’apprenti rejoignit son corps. Le bord de la falaise et les ruines de sa vie étaient loin, bien loin au-dessus de lui. Il ne ressentait rien, physiquement ou émotionnellement, à part une vague curiosité.

Qu’y a-t-il dans la mort, se demandait-il, qui fait ressortir le meilleur de moi ? Une première fois, je vois l’avenir… puis, je quitte mon corps…

Le monde devint noir et froid. Il ne pouvait rien faire pour empêcher cela, alors il accepta l’idée et laissa tous ses soucis filer au loin.

Une dernière pensée coagulait, incomplète, dans son esprit : J’aurais aimé pouvoir le dire à Juno…

Puis il disparut dans l’obscurité profonde et sans rêves.