CHAPITRE 4

Juno savait qu’elle ne devait pas s’attendre à un accueil chaleureux à leur retour mais elle fut tout de même déçue. Le hangar secret était désert quand le Rogue Shadow se posa. Une mission accomplie méritait certainement une forme de remerciement. Même après Callos…

Elle repoussa cette pensée. Le travail était fait. Que fallait-il ajouter ? Elle l’avait bien fait – à ses yeux du moins, même si Starkiller l’avait à peine reconnu en rejoignant le vaisseau – et s’ils n’avaient pas remporté la guerre, ils avaient déjà remporté une bataille et ils pourraient en mener d’autres. Voire tuer d’autres Chevaliers Jedi, si c’était vraiment la mission que le Seigneur Vador avait assignée à son agent dépenaillé et taciturne. Elle avait aperçu une deuxième poignée de sabre laser suspendue à sa ceinture et elle savait ce que cela signifiait probablement.

Il avait fallu des milliers de soldats clones pour éliminer complètement les Jedi. C’était la version officielle – pour autant qu’on mette de côté les rumeurs qu’elle avait entendues à propos de la traque continue de Dark Vador pour débusquer les derniers survivants de cette secte étrange et meurtrière. D’après les histoires que son père lui avait racontées quand elle était enfant, Juno imaginait les Jedi comme des monstres de quatre mètres de haut qui drainaient la République de son énergie vitale. Maintenant, il s’avérait qu’ils existaient toujours et que de jeunes gens étaient envoyés pour les combattre seuls.

Se pouvait-il qu’ils soient à ce point affaiblis, ces traîtres qui avaient un jour tenu la galaxie sous leur emprise ?

Ou… se pouvait-il que le jeune homme, qui était dorénavant son compagnon de voyage, soit tellement puissant ?

Le train d’atterrissage avait à peine touché le métal qu’il était debout et se dirigeait vers la porte.

Elle se pencha en arrière dans son siège et se passa les mains sur les tempes. Sa peau était grasse et couverte de poussière, comme si c’était elle qui avait couru à gauche et à droite à travers la fumée et la pagaille au-dessus de Nar Shaddaa, alors qu’elle s’était contentée de suivre l’action via une des caméras de sécurité de la station, dont elle était parvenue à capter les transmissions. Elle avait envie d’examiner le vaisseau et de prendre une vapodouche pour nettoyer sa crasse.

Elle ne s’était pas sentie propre depuis des semaines…

La voix de Starkiller faillit faire jaillir son cœur hors de sa poitrine. Elle pensait qu’il était parti depuis longtemps.

— Beau travail, Juno, dit-il. Je vais laisser PROXY ici pour t’aider à parcourir la check-list.

— Merci mais je…

Le temps qu’elle fasse pivoter son siège, le cockpit était vide, à l’exception d’elle et du droïde. PROXY la regardait sans ciller des photorécepteurs. Elle ne voulait pas admettre qu’il la rendait un peu nerveuse, alors elle lui décocha son sourire le plus chaleureux et s’extirpa de son siège.

— Bon, on s’y met. J’ai un rapport à rédiger avant de pouvoir me reposer… même si je doute un peu que quelqu’un d’autre que moi ne le lise jamais…

PROXY se révéla être un collègue efficace et discret. Il suivait les instructions, faisait preuve d’initiative et s’efforçait de ne pas être dans ses pieds. C’était plus que ce qu’elle pouvait dire de la moitié des personnes réelles avec qui elle avait travaillé depuis quelle était diplômée de l’Académie Impériale de Corulag. Ensemble, ils inspectèrent le vaisseau en un temps record, ils ne notèrent que quelques traces de carbone sur son côté bâbord et, près de la batterie de senseurs à l’arrière, une brûlure de blaster qui avait été tellement atténuée par les boucliers quelle aurait à peine pu faire frire un œuf.

Quand ils eurent terminé, elle congédia le droïde en lui disant d’aller prendre un bain d’huile ou de se relaxer de la manière qu’il préférait, puis se mit en route vers ses quartiers afin de travailler sur le rapport de mission, qu’elle devait remplir absolument.

Ce n’était pas tout à fait faux. Elle devait bien faire un rapport détaillé au Seigneur Vador, comme elle l’avait fait pour toutes les missions qu’elle avait effectuées à sa demande. Mais en réalité, elle ne devait pas vraiment le faire tout de suite. Cela pouvait attendre une heure standard ou deux, voire jusqu’au matin. Mais elle avait autre chose en tête, quelque chose de beaucoup plus important qui ne pouvait plus attendre.

Y a-t-il aussi un profil psychologique là-dedans ? n’avait-elle pu s’empêcher de demander au droïde avant qu’ils ne partent pour leur première mission ensemble.

Oui, lui avait répondu la machine, mais l’accès est interdit.

Cette information l’avait rongée pendant tout le trajet vers Nar Shaddaa. Ce n’était pas étonnant qu’un dossier de ce genre existe quelque part dans la vaste bureaucratie que formait la Marine Impériale. Tout le monde avait probablement droit au sien, à part Dark Vador et l’Empereur. PROXY savait où ce dossier était. Cette fichue machine pouvait même l’avoir lu, tout en prétendant que c’était interdit. Un droïde capable de prendre la forme de Chevaliers Jedi pouvait être doté de capacités de tromperie inédites.

Elle voulait savoir ce que contenait ce profil. Qu’est-ce qu’il révélait à son propos ? Quels secrets dévoilait-il à la galaxie en général… sur le début de sa vie, son père, sa carrière ? À propos de Callos ?

Sa bouche affichait une moue déterminée lorsqu’elle atteignit sa chambre sur le quarante et unième pont et qu’elle activa son datapad. Recrutée par Dark Vador en personne pour des missions spéciales, elle avait un certain degré d’accès aux fichiers normalement inaccessibles à ceux de son rang. Serait-ce suffisant pour trouver et lire le dossier qui la préoccupait ? Il n’y avait qu’un moyen de le savoir.

Avec prudence et minutie, elle commença à s’introduire dans les banques de données du vaisseau amiral.

Les premiers dossiers la concernant qu’elle trouva ne contenaient rien d’inattendu, à peine plus que la brève biographie que PROXY avait donnée à Starkiller dans la baie du hangar. Elle les parcourut en quelques secondes, fouillant plus profondément dans l’architecture des banques de données, à la recherche de recoins d’informations oubliées ou négligées. De nouveaux fragments émergèrent. L’un parlait de sa mère, une femme dont elle se souvenait à peine, qui avait été tuée dans des tirs croisés entre des loyalistes impériaux et des insurgés sur la planète où ils vivaient. Elle avait été enseignante. Le dossier contenait un holo que Juno n’avait jamais vu, une image où sa mère apparaissait avec de longs cheveux blonds, retenus par une broche ronde en pierre noire. Elle avait les yeux pétillants et rieurs. Elle semblait tellement jeune pour être mère, et pour être morte.

En consultant une liste de diplômés de haut rang de Corulag, elle tomba sur son nom, auquel était joint son dossier académique complet. La liste des matières et de ses résultats la remplit de fierté, comme à chaque fois, mais cette émotion se teintait de tristesse. Elle avait travaillé si dur et obtenu de tels résultats, non seulement pour elle-même mais pour son père aussi. Distant et strict, surtout après la mort de sa femme, il avait toujours été un fervent admirateur des serviteurs de l’Empire. Ingénieur civil, il se serait enrôlé à l’Académie lui-même s’il n’avait échoué à l’épreuve physique. Il aurait dû être fier de sa fille, qui avait terminé l’Académie avec tant d’honneur et qui par la suite avait réussi tout ce qu’il avait toujours souhaité. Pourquoi, alors, n’était-il même pas venu à sa remise de diplômes ? Cela n’avait aucun sens.

C’était une ancienne blessure, familière. Ce profil pouvait parler de cet aspect de sa vie autant qu’il le voulait et elle n’y trouverait rien à redire. Elle n’avait pas vu son père depuis des années et cela ne la dérangerait pas de ne plus jamais le voir. Ce n’était que ces derniers jours, alors qu’elle était loin de ses anciens camarades d’escadron, étendue seule sur la couchette de sa chambre, qu’elle s’était demandé ce qu’il était devenu. Est-ce qu’elle finirait aussi amère que lui ? Combien faudrait-il encore de missions comme Callos pour qu’elle oublie les raisons premières de son engagement ?

Dans un petit holo annexé au dernier fichier qu’elle trouva, son père la fixait avec des yeux inexpressifs, autour d’un nez étroit et autoritaire. Elle referma cette fenêtre d’un petit mouvement impatient de l’index.

Tout cela ne la menait nulle part. Elle pourrait passer des jours embourbée à fouiller les archives à la recherche de son nom. Il devait y avoir un meilleur moyen.

Elle s’adossa dans le siège et réfléchit un moment. C’était PROXY qui lui avait appris l’existence du dossier, le droïde devait donc avoir accès à son emplacement, si pas au contenu même. Par conséquent, si elle pouvait d’une manière ou d’une autre débusquer l’information que PROXY avait scannée ces derniers jours, elle obtiendrait peut-être un résultat.

Du temps s’était écoulé pendant ses recherches. Elle remarquait à peine sa fatigue, entraînée comme elle l’était à passer des heures dans le cockpit, tous les sens en alerte. Elle pourrait faire une courte sieste plus tard pour rattraper le sommeil perdu. Il ne lui fallut que quelques minutes pour trouver un identifiant qui avait l’air de pouvoir appartenir au droïde – qui ne figurait pas dans le journal de bord officiel mais qui donnait accès à presque tout – et commencer à suivre sa trace à travers les banques de données. Comme la plupart des droïdes avancés, PROXY était d’une nature vive et curieuse. Ses réflexions l’avaient conduit à s’intéresser à de nombreuses disciplines, y compris l’histoire, la maintenance des répulseurs, l’astrographie et la psychologie.

Cela pourrait lui prendre toute la nuit de repérer juste une adresse parmi toutes les autres. Mais elle persévéra, car elle était déterminée à découvrir ce que ses supérieurs pensaient réellement d’elle après Callos.

Son écran s’effaça sans prévenir. Elle cligna ses yeux bouffis face à une nouvelle fenêtre, une transmission dans laquelle elle semblait s’être introduite involontairement. PROXY y avait accédé de temps à autre. Elle montrait un couloir gris métallique menant à une lourde porte sécurisée. La transmission était sonorisée. Elle entendit un faible bruit de pas de l’autre côté de la porte. Quelqu’un arpentait le couloir avec agitation. Et respirait : une respiration forte, rythmée, comme si elle provenait de poumons qui s’efforçaient d’aspirer l’air à travers un respirateur mécanique…

Un flot d’adrénaline la traversa. Une seule personne respirait comme cela dans toute la galaxie. Elle avait dû se connecter par accident aux appartements privés du Seigneur Vador. Elle tendit la main pour annuler la transmission, de peur d’être découverte en train de l’espionner mais avant qu’elle ne puisse exécuter la commande, la porte s’ouvrit avec un sifflement et sa curiosité fut piquée.

Starkiller apparut dans l’embrasure, l’image même de l’impatience et de la retenue. Il avait de toute évidence attendu pour parler à Dark Vador pendant tout ce temps. De quatre pas rapides, il dépassa le champ de la caméra de sécurité cachée et disparut de sa vue.

Étonnée elle-même par son audace, elle introduisit une série de commandes hésitantes pour vérifier si la caméra pouvait bouger. Elle tourna doucement pour ramener Starkiller dans le champ, révélant une pièce aussi dénuée de personnalité que le reste du repaire secret de Dark Vador. Le Seigneur Noir lui-même se tenait dos tourné à la pièce et regardait le soleil rouge qui luisait dehors.

Starkiller s’agenouilla derrière Vador et attendit. Il semblait avoir l’habitude de faire cela, malgré l’énergie qui bouillait en lui, à peine contenue.

Sans se retourner, le Seigneur Vador demanda :

— Maître Kota est-il mort ?

Starkiller ne répondit pas tout de suite. Il leva la tête, réfléchit à la question puis dit :

— Oui.

— Son sabre laser.

Starkiller détacha la deuxième arme de sa ceinture. Vador se tourna juste assez pour tendre la main. Le sabre laser du Jedi déchu arriva dans la main du Seigneur Vador comme s’il avait été saisi par des doigts invisibles.

Juno laissa échapper un cri de surprise et le retint des deux mains, craignant de façon irrationnelle que le Seigneur Noir ne l’entende à travers le réseau sécurisé à sens unique.

Sans savoir qu’elle l’épiait, il se tourna de nouveau vers la baie d’observation et examina le sabre laser qu’il tenait dans ses mains. Starkiller attendait, immobile, comme s’il était capable de rester à genoux là toute la nuit.

Enfin, Vador reprit la parole :

— Mes espions surveillent un autre Jedi. Kazdan Paratus se cache dans le monde pollué de Raxus Prime.

— Je m’occuperai de lui comme je me suis occupé de Rahm Kota, dit Starkiller sans hésitation.

Et voilà, pensa Juno, qui avait abandonné tout espoir de dormir cette nuit-là. Pas de repos pour les braves. Elle allait se déconnecter et se préparer pour l’appel aux armes mais son doigt survola l’interrupteur, incapable de mettre un terme à la situation. Sa position était illicite mais privilégiée et difficile à abandonner.

— Kazdan Paratus est beaucoup plus puissant que toi, dit la silhouette au masque noir, ce qui remplit Juno d’appréhension. Je ne m’attends pas à ce que tu survives. Mais si tu réussis, tu te rapprocheras de ton destin.

Starkiller hocha la tête avec empressement.

— L’Empereur.

— Oui. Ce n’est qu’ensemble que nous ne pourrons le vaincre.

— Je ne vous décevrai pas, Seigneur…

Le doigt de Juno s’abattit avec force sur l’interrupteur. Elle se recroquevilla dans son siège. Son appréhension s’était transformée en horreur pure et simple. Était-il possible qu’elle ait bien entendu ? L’Empereur ? Vador et son sombre apprenti allaient trahir l’Empereur ?

Non, se dit-elle en quittant son siège pour faire les cent pas dans sa petite chambre. Ce ne pouvait pas être vrai. Il devait y avoir quelque chose dont elle n’avait pas connaissance. Peut-être que si elle continuait à écouter…

Quand elle essaya de rétablir la transmission, la connexion avait disparu. Les écrans demeuraient résolument vides, comme s’ils se moquaient de ses terribles inquiétudes.

Dark Vador était le bras droit de Palpatine depuis aussi longtemps que l’Empereur était au pouvoir. Il était inconcevable qu’il trahisse son Maître maintenant. Même s’il envisageait de le faire, qu’est-ce que lui et un agent minable pouvaient faire contre les Gardes Impériaux et les assistants lourdement armés, qui accompagnaient l’Empereur partout où il allait ? Cette pensée était absurde. Elle devait la chasser de son esprit, elle était sans doute due à la fatigue, elle devait reprendre ses occupations comme si rien ne s’était passé.

Ce n’est pas comme si elle pouvait en livrer un des deux avec des preuves aussi minces. Si elle essayait, elle serait certainement tuée, que les accusations soient vraies ou non…

À cet instant précis, son communicateur sonna.

— Oui, dit-elle, comme si rien de fâcheux ne s’était passé.

— J’ai besoin de toi à bord du Rogue Shadow, l’informa Starkiller, comme elle s’y attendait. Nous avons une nouvelle mission.

— J’arrive.

Elle prit un moment pour lisser son uniforme et ses cheveux, pour frotter les cercles noirs sous ses yeux. Elle se dépêcha ensuite d’éteindre son datapad et quitta la pièce.