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Après des heures d’attente, le tour de Shigar était enfin venu.

— Nous t’avons jugé prêt pour les épreuves, Shigar Konshi, dit Maître Nobil. Je pense que tu ne seras pas surpris de l’apprendre, la maîtrise de tes pouvoirs psychométriques n’était que la plus petite partie de ton parcours.

Shigar n’était pas surpris, mais dans le même temps il ne put dissimuler son soulagement. Il s’inclina très bas devant les images holographiques des membres du Haut Conseil dont il avait rencontré un grand nombre : le sombre Wens Aleusis, le brillant Giffis Fane, le jeune Oric Traless, dernier accepté par ses pairs…

— Merci, Maîtres, dit-il. Je suis sûr que je ne vous décevrai pas.

— Dis-moi comment s’est résolu le marché passé avec Tassaa Bareesh, fit Maître Nobil. Ce détail ne figure pas dans ta séance de compte rendu.

— Je crains qu’il ne soit toujours pas résolu, dit-il. L’accord passé était opportun dans les circonstances du moment, mais il a toujours été possible qu’il devienne un handicap. Elle a utilisé une balise-espion pour trouver elle-même le monde, de sorte que je n’ai eu aucun scrupule à y amener d’abord la République. Elle ne peut se plaindre d’aucune perte, puisque cette planète n’est revenue à personne.

— Restent les dégâts dans son palais sur Hutta, remarqua Maître Fane, et le fait qu’elle a perdu la face en public. Suudaa Nem’ro doit se frotter les mains.

— Et le fait qu’elle ait été déshonorée aura certainement des retombées.

— Oui, Maître Nobil. Je crois que ma tête a été mise à prix.

— Ce qui a été notre lot à tous, à une période ou une autre, dit Maître Traless avec un sourire ironique. N’en perds pas le sommeil, mais garde l’œil quand même.

— Merci, Maître. Je n’y manquerai pas.

Shigar savait ce qu’ils s’efforçaient de lui faire comprendre. N’espère pas jouer à ce jeu sans enfreindre les règles. Tu l’as fait une fois, et tu le feras encore. Habitue-toi. C’était de nouveau du Larin tout craché.

Les querelles entre chefs de gang hutts ne l’inquiétaient pas le moins du monde. Il avait des soucis bien plus importants.

— Puis-je parler librement au Conseil ? demanda-t-il.

— C’est même recommandé, dit le Grand Maître Satele Shan.

C’était la première fois qu’elle prenait la parole. Il avait presque oublié sa présence tant elle était restée silencieuse et discrète dans un coin de la salle d’audience qu’ils avaient réquisitionnée.

— Tu as quelque chose en tête depuis Sebaddon, ajouta-t-elle.

— C’est vrai, Maître. Je ne sais pas trop par où commencer.

— Commence par ce qui te peine le plus.

Il n’avait jamais pensé que sa nouvelle compréhension des choses pouvait être source de peine, mais il vit aussitôt qu’elle avait raison. Cela le brûlait comme un brasier dans sa poitrine.

— Tant de gens sont morts, commença-t-il, et pour rien… Ne me dites pas qu’il en est ainsi en temps de guerre, parce qu’officiellement nous ne sommes pas en guerre. Xandret et ses hex n’étaient pas nos ennemis. Dark Chratis a été notre allié pendant un temps. Pourtant tous sont morts. Je ne vois pas le sens de tout ceci.

— Continue, dit Maître Nobil.

Il s’efforça de s’exprimer le plus clairement possible.

— Toute cette affaire est endémique dans la crise actuelle. Les Sith sont en plein développement. Nous sommes en plein déclin. Mandaloriens et Hutts se dressent entre nous, ce qui crée la confusion et des heurts. Nos options sont limitées. Si nous ne faisons rien, des millions de personnes mourront. Si nous ripostons, nous nous engageons à les combattre à leur niveau.

— Donne-nous ta solution, Shigar, dit Maître Traless.

— Attaquer maintenant. La guerre arrive, nous le savons tous, alors pourquoi attendre que l’Empereur prenne l’initiative ? Devançons-le avant qu’il ait eu le temps de consolider un peu plus son pouvoir. Servons-nous de l’élément de surprise tant que nous pouvons en profiter. Ne gaspillons pas inutilement des vies.

— On parle beaucoup de la façon dont nous aurions provoqué notre infortune actuelle simplement en faisant des Sith nos ennemis, dit Maître Nobil. Déclencher une guerre maintenant n’atténuerait en rien ces doutes.

— Quand nous aurons gagné la guerre, les gens comprendront qu’elle était nécessaire.

— Et si nous la perdons ? demanda Maître Fane.

— Nous ne devons pas perdre, répondit Shigar. Nous ne pouvons pas perdre. Et nous ne perdrons pas si nous agissons assez vite. Chaque jour, l’Empereur devient plus fort, et nous nous affaiblissons. Combien d’espions et de traîtres sapent les fondations des forteresses que nous avons érigées autour de nous ? Combien de batailles inutiles faudra-t-il mener avant que tous dans la République désertent notre cause ? Combien d’autres Sebaddon sont, là, dans l’espace, qui nous attendent ? La prochaine de ces planètes sera peut-être celle qui verra notre fin.

— Notre mission est de promouvoir la paix, rappela Maître Nobil. L’aurais-tu oublié ?

— Jamais, Maître. Mais il existe des degrés dans la guerre, tout comme il existe des degrés dans la paix. Et une frappe préventive pourrait épargner à la galaxie une guerre totale.

— Mais à quel prix ? Souviens-toi, Shigar, quand tu plaidais pour la justice à laquelle ont droit ces milliards de gens ordinaires pris entre deux feux dans un conflit. Si nous agissons maintenant, leurs cadavres seront entassés devant ta porte. Veux-tu avoir ce fardeau sur la conscience, mon jeune belliciste ?

— Non, Maître. C’est que, je ne veux pas… Enfin, je veux juste…

Il baissa les yeux sur ses mains, si incroyablement intactes après avoir tenu un tel pouvoir sur Sebaddon. S’il pouvait faire cela, pourquoi pas le Conseil Jedi ? C’était la seule leçon que Dark Chratis lui avait enseignée.

— Je pense simplement que ma proposition mérite d’être envisagée.

— Nous l’avons envisagée, dit Maître Fane. Et nous continuerons de l’envisager tant qu’une solution adéquate ne se sera pas présentée.

— Tu n’es pas le seul à penser de la sorte, dit Maître Traless en se penchant en avant. Nous avons un millier de jeunes Jedi qui n’attendent que…

Il en aurait dit plus sans le regard vif de Maître Nobil qui le fit taire.

— Ta passion est toujours aussi vive, jeune Shigar. Tu dois prendre garde à ce qu’elle ne prenne jamais les commandes de ton cerveau. Merci de nous avoir exposé ton opinion. Viens sur Tython, et termine ce que tu as commencé. Quand tu auras été pleinement installé Chevalier Jedi, tu pourras remplir ton rôle plus efficacement dans les temps à venir.

Mais quel est mon rôle ?

Ses mots ne quittèrent pas ses lèvres, et il regarda les images des Hauts Conseillers Jedi qui un à un clignotaient puis disparaissaient.

— Nous irons ensemble, lui dit le Grand Maître. Les épreuves sont difficiles. Nombreux sont ceux qui échouent, c’est pourquoi je te conseille de ne pas céder à l’autosatisfaction.

Son expression demeurait indéchiffrable.

— Je suis désolé si je vous ai mécontenté, Maître.

— Tu ne m’as pas du tout mécontentée, Shigar. Je suis lasse, simplement. Comme toi, je souhaite qu’une solution rapide soit trouvée à la situation actuelle.

— Mais pas par la guerre.

— Pas si elle peut être évitée, non. Je comprends bien que tu ne voies pas les choses ainsi, cependant. Tu es le produit de ton temps.

Il sursauta en reconnaissant les paroles d’une vision qu’elle avait eue sur Sebaddon.

— Je sais ce que vous allez dire, déclara-t-il. Vous allez me dire que je dois affronter les temps à venir avec une grande prudence. Mais je viens de le dire, alors peut-être que vous-même ne le direz pas.

Elle sourit.

— C’est assez déconcertant quand ce que tu as vu ne se déroule pas comme c’était censé le faire.

C’était vrai. Cette conversation avait déjà pris une autre direction grâce à son intervention. Ensuite, elle était supposée lui rappeler que les Sith étaient l’ennemi et qu’il ne devait pas devenir comme eux afin de les vaincre.

— Alors l’avenir n’est pas toujours gravé dans la pierre ?

— Non, et parfois j’en suis heureuse, Shigar.

Elle posa une main sur son épaule et le guida vers la porte.

— Tu apprendras à l’être, toi aussi, je pense.

Elle paraissait vraiment lasse. Il aurait aimé pouvoir faire quelque chose pour qu’elle se sente mieux. Mais comment lui, simple Padawan, pouvait-il comprendre ou seulement porter le fardeau énorme qui était celui du Grand Maître ?

Une fois encore, un éclair de prescience lui indiqua qu’il passait très près de quelque chose vu dans son passé.

Sois bon, Shigar.

Avait-elle voulu parler d’elle tout du long ? Et tout ce chagrin envers Larin avait-il été en vain ?

Puis une autre pensée lui vint.

Certains chemins sont plus difficiles que celui que tu as emprunté.

Ces mots restés imprononcés jusqu’à maintenant s’adressaient-ils à lui ?

Elle parlait de lui.

Alors qu’ils quittaient la salle d’audience, il décida que ce n’était pas une mauvaise chose de se sentir ainsi déchiré. En fait, il devrait s’y habituer. De grands défis s’annonçaient, que les Hauts Conseillers voient leurs efforts diplomatiques couronnés de succès ou pas. Dans un univers qui exigeait le noir et le blanc, il choisirait le gris.

Et quand il aurait passé les épreuves, il s’entretiendrait en privé avec Maître Traless. Si un millier de Chevaliers Jedi éprouvaient réellement la même chose que lui, il y aurait de l’espoir une fois que la diplomatie aurait échoué.